La phrase de Georges Clémenceau est connue « la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires ». On pourrait utiliser le même paradoxe pour nous écrier avec force « L'antisémitisme est une chose trop grave, sérieuse, cruelle, abominable et injuste pour être confiée à certaines cause d'apprentis sorciers ».
Ainsi dimanche 23 décembre le journal du soir de France 2, à propos des Gilets jaunes, lance en plein écran le texte suivant :
« Cette femme âgée leur a dit : « Ce geste est un geste antisémite, je suis juive. J'ai été déportée à Auschwitz je vous demande d'arrêter ».
Un autre carton, toujours plein écran, suit le premier :
« Ils ont rigolé puis l'un d'eux a répondu que les chambres à gaz n'existaient pas ».
De quoi s'agit-il ? D'une scène décrite avec un groupe de Gilets jaunes comme « héros », des délinquants donc qui auraient proféré ces propos qui méritent effectivement les bois de justice.
Nous avons à bord de la rame quelques hommes, décrits comme « avinés » (ce qui n'est pas une excuse), qui font des « Quenelles », geste insane inventé par Dieudonné l'antisémite professionnel. Une « dame âgée » aurait donc protesté contre l'outrage fait aux droits de l'homme et à l'histoire, d'autant plus « qu'elle est rescapée d'Auschwitz »...
Ici laissons la parole à France Info :
Comment a commencé l'affaire ?
Tout est parti du témoignage de Thibaut Chevillard, journaliste à 20 Minutes. Samedi soir, il raconte avoir été témoin d'une scène choquante dans la ligne 4 du métro. Le journaliste dit qu'un peu après 23 heures, il monte à la station Réaumur-Sébastopol. "A l'intérieur, trois 'gilets jaunes', un peu éméchés, hurlant : 'Macron démission !' Il s'agissait d'hommes d'une quarantaine d'années, plutôt bon chic bon genre, qui rentraient de la manifestation", commente-t-il.
Les hommes ont ensuite commencé à faire des "quenelles", le geste controversé inventé par le polémiste Dieudonné. "Ce geste est un geste antisémite. Je suis juive", leur lance Agnès, qui les somme d'arrêter. En vain. "Ils ont rigolé. Puis l'un d'eux lui a répondu que les chambres à gaz n'existaient pas", raconte le journaliste.
"Dégage la vieille !", ajoutent les hommes qui insultent Agnès. Elle descend à l'arrêt suivant. Les "gilets jaunes" continuent de scander "Macron, démission !" et descendent à la station Montparnasse-Bienvenue.
Thibaut Chevillard a expliqué avoir raconté la scène sur Twitter car il avait "honte" de ne pas être intervenu. "On était sidérés. On ne savait pas comment réagir", a-t-il raconté à France Info.
Comment les autorités ont-elles été prévenues ?
Des internautes ont signalé le témoignage de Thibaut Chevillard à la ligne 4 de la RATP sur Twitter. Dimanche matin, à 7h14, la RATP annonce que le service de la sûreté du réseau a été alerté.
En milieu de matinée, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, condamne une scène "ignoble" et "insoutenable". "Tout sera mis en œuvre pour identifier ces individus", écrit-il.
A 12h10, la préfecture de police de Paris évoque une "agression antisémite" et annonce l'ouverture d'une enquête.
Le parquet de Paris précise à France Info que l'enquête a été ouverte pour "injures publiques en raison de la race ou de la religion, et contestation de crime contre l'humanité".
Comment la victime a-t-elle été retrouvée ?
A la mi-journée, Agnès n'a pas encore été identifiée. Mais en milieu d'après-midi, l'un de ses neveux raconte sur Facebook avoir reconnu sa tante dans le témoignage du journaliste de 20 Minutes. Il dit avoir déposé, samedi soir, sa tante à une station de métro. "Cette tante qui fait partie des trois seuls survivants de la Shoah [avec mon père et son frère, elle n'a pas été déportée, mais son père à été assassiné à Auschwitz] de la famille de mon père", précise-t-il.
"Cette tante nous raconte le soir sur notre groupe WhatsApp que sur le trajet elle a engueulé des 'gilets jaunes' visiblement alcoolisés qui faisaient des quenelles", poursuit-il.
Les proches d'Agnès contactent ensuite 20 Minutes. Le quotidien recueille alors sa réaction. Pour elle, il s'agit "sans doute des sympathisants du Front national". Agnès condamne "des propos d'ivrognes" et assure ne pas vouloir dramatiser ce qui lui est arrivé : "Je suis au-dessus de tout ça !"
*Le prénom a été modifié.
Il se trouve que les twittes qui ponctuaient le récit de France Info ont été supprimés du site.
Au bout du compte voyons enfin, ce qu'a publié le témoin, Thibaut Chevillard, à tête reposée :
Agnès* n'en revient pas. La presse a parlé d'elle ce dimanche matin. « C'est rigolo, j'ai eu mon quart d'heure de gloire ! » Samedi soir, cette dame de « 74 ans et demi » a été confrontée, dans la ligne 4 du métro parisien, à plusieurs individus portant des gilets jaunes, tenant des «propos antisémites» et faisant des quenelles. « Des propos d'ivrognes », tranche cette petite femme, qui ne veut absolument dramatiser ce qui lui est arrivé. « Je suis au-dessus de tout ça ! » Cet après-midi, elle a contacté « 20 Minutes » et nous a raconté ce qu'il s'était passé.
Samedi soir, vers 23 heures, Agnès rentrait chez elle. Dans la rame, trois hommes, apparemment éméchés, revenant de la manifestation des « gilets jaunes ». « Macron démission », hurlaient-ils. Soudain, ils ont commencé à faire des quenelles. Un geste qui a choqué Agnès. Elle s'est levée, est allée vers eux, et leur a dit : « C'est une geste antisémite, je suis juive, mon père a été déporté à Auschwitz où il est mort. Je vous demande d'arrêter. » Mais ces personnes ont rigolé et ont continué. « Je n'ai jamais imaginé que j'allais les raisonner », nous explique-t-elle ce dimanche.
« Je lui ai dit d'aller jusqu'au bout »
« D'après ce que j'ai lu, c'est un geste antisémite », poursuit Agnès. « Est-ce que tout le monde le sait ? Dieudonné [l'inventeur de ce geste] remet tous les ans des quenelles d'or à des personnages antisémites. » Si elle a bien entendu l'un des hommes lui dire qu'il avait, comme son père, été à Auschwitz, elle n'est pas certaine, avec le bruit du métro, qu'il a ajouté que « cela n'avait jamais existé », comme nous l'affirmions. Mais elle a « senti » sur le moment qu'il sous-entendait « un truc comme ça ».
En revanche, elle a bien entendu un des autres hommes, debout dans le couloir, hurler à plusieurs reprises, pendant une à deux minutes : « Dégage la vieille ! » « Je lui ai demandé d'aller jusqu'au bout et de dire "dégage la vieille juive" ». Ce qu'il n'a pas fait. Elle a aussi entendu l'un de ces individus faire des références à la « révolution nationale », qui est l'idéologie officielle du régime de Vichy. « Sans doute des sympathisants du Front National. »
« J'étais contente de mon esclandre ! »
Arrivée à la station Saint-Sulpice, Agnès est descendue, « très calme ». Mais elle assure qu'elle ne baissait pas la tête, comme nous l'avions écrit. Au contraire. « J'étais contente de mon esclandre ! Si je m'étais sentie en danger je ne l'aurais pas fait. » Elle se dit aussi qu'elle a eu raison « de les engueuler », de se mettre « en colère ». « Manifestement, c'était des c... qui disaient des bêtises », des gens « qui n'ont pas eu d'éducation ».
Elle comprend aussi, un peu, que les gens dans le wagon n'aient pas réagi davantage. « Ils ont probablement estimé que ce n'était pas la peine de leur répondre », avance-t-elle. « Et puis pour des trucs plus graves que ça, ils ne bougent pas, donc... » D'ailleurs, dit-elle, Agnès est capable de se défendre seule. Mais elle aurait aimé que plus de voyageurs lui disent qu'elle a eu « raison » de se lever et de leur demander d'arrêter de faire ce geste, que beaucoup jugent antisémite.
« Propos d'ivrogne »
En rentrant chez elle, Agnès a échangé quelques messages avec ses neveux et nièces. Ce sont eux qui ont contacté 20 Minutes, après être tombés sur les messages postés sur Twitter racontant ce qu'il s'était passé. Des proches qui étaient contents que, finalement, quelqu'un ait réagi en témoignant. Agnès, elle, a bien réfléchi et a décidé de ne pas déposer plainte. Elle ne veut pas donner plus d'importance à ces « propos d'ivrogne ».
*Le prénom a été modifié
Voilà. Fin de l'analyse et question sur les cartons apparus lors du journal de France 2 dimanche 23 décembre au soir :
« Cette femme âgée leur a dit : « Ce geste est un geste antisémite, je suis juive. J'ai été déportée à Auschwitz je vous demande d'arrêter ».
« Ils ont rigolé puis l'un d'eux a répondu que les chambres à gaz n'existaient pas ».
Rien de tout cela n'apparaît ni dans le témoignage final du journaliste, ni dans celui de la vieille dame. Moralité : avoir comme but la stigmatisation des Gilets jaunes (et il y dans leur cohorte autant de salauds que dans le reste de la population) ne justifie pas de manipuler une ordure sacrée : l'antisémitisme. La fake news doit avoir des limites.