Source : Huffington Post, Alexis Poulin, 28-05-2019
Drapeau en berne pour la gauche sociale. Pour que les forces populaires ne restent pas des spectateurs sidérés de la faillite écologique et démocratique, voici ce qu'il nous reste à faire.
Où sont passés les gilets jaunes?
On ne peut pas dire que la mobilisation de ces derniers mois ait profité aux partis d'opposition. Si l'idée d'un référendum contre Macron a été brandie par certains leaders du mouvement des gilets jaunes, suivis par les représentants de LFI et du RN, les gilets jaunes ont été largement absents des isoloirs, préférant l'abstention à toute liste politique.
Derrière l'impossible issue politique d'un mouvement contestataire du système en place, se cache une réalité immuable: le petit peuple n'a qu'une seule option, la résignation. Les européennes, loin des préoccupations et de la compréhension des masses, ne sont pas l'exutoire idéal de la colère de la rue, sauf, à la marge dans un vote RN de rejet, sans plus d'adhésion à un parti dont le programme reste flou sur de trop nombreux points.
Où sont passés les souverainistes?
Le vote européen prouve que la majorité des Français est attachée à la fable (story telling) de l'Union européenne, peu importe le prix à payer et les concessions au libéralisme de marché et la soumission à l'empire américain. Quelques postures électoralistes de dernière minute suffisent à balayer la réelle dépendance des pays européens aux intérêts américains et aux technologies US et chinoises. L'Europe n'a pas les moyens de sa souveraineté, qu'importe! Il faut aimer l'Europe, comme le rappelait l'image de campagne des Jeunes avec Macron "L'Europe, tu l'aimes ou tu la kiffes!" Il n'y a donc pas d'alternative à la construction d'une union marchande, organisant dans le chaos et les petits arrangements oligarchiques, la compétition entre nations européennes, l'évasion fiscale et sacrifiant les services publics et la protection sociale sur le sacro-saint autel de la concurrence et de la main invisible du marché.
Résultat: de gauche à droite, les souverainistes sont en berne, sauf au RN, qui s'impose en leader sur le sujet, malgré ses accointances russes et trumpiennes. Un souverainisme tout relatif donc, qui se résume au drapeau et à quelques formules magiques.
Où est passée la gauche?
Au terme d'une campagne marathon commencée bien en amont des autres formations politiques, la France Insoumise ne traduit pas dans les urnes l'engagement militant de terrain et le soutien assumé aux gilets jaunes. Le score, trop proche de celui de Place Publique, laisse le champ libre à une guerre interne des égos et des stratégies pour les scrutins à venir.
Là encore, une leçon sur l'étrange démocratie qui est devenue la nôtre, où ni le nombre de militants, ni l'engagement ne rapportent de voix, car seule compte la communication.
La social-démocratie, elle, a réussi sa mue dans l'écologie politique, avec Yannick Jadot, qui prépare déjà les alliances tout azimut, qui ouvriront les postes de responsabilité au sein des institutions européennes, épaulé par Raphaël Glucksmann, qui martèle l'idée d'un rassemblement des progressistes dans une reconstruction hypothétique d'une "gauche de responsabilité" (entendre droite complexée).
Quant à Benoît Hamon, il tire les leçons de ce nouvel échec et laisse son mouvement organiser la reconstruction des forces de gauche sans lui, parti se consacrer à sa vie professionnelle.
Ian Brossat ne passe pas la barre symbolique des 3% et ne réussit pas le renouveau d'un parti communiste historique.
Drapeau en berne pour la gauche sociale donc, même si les faux-semblants peuvent faire croire à une reconstruction d'un bloc social-démocrate, qui risque de finir phagocyté par le mastodonte libéral centriste qui fera tout pour sécuriser les postes clefs à la commission contre quelques miettes.
Et au parlement alors?
Et bien, pour une fois, ça bouge un peu.
Emmanuel Macron a réussi son pari en disloquant la droite traditionnelle, après avoir dépouillé la gauche libérale, et voilà que l'hégémonie du Parti Populaire Européen se retrouve contestée au parlement européen, à la fois par un groupe centriste gonflé et par une poussée verte, qui rebat les cartes en Allemagne ou la Grosse Coalition bat de l'aile.
Et déjà les premiers changements politiques nationaux arrivent: le chancelier autrichien Sebastian Kurz est renversé par le parlement, à Londres, Theresa May jette l'éponge et en Grèce, Alexis Tsipras annonce déjà des élections anticipées. En Allemagne, l'avenir s'annonce plus compliqué pour la dauphine de Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer "AKK". En France, c'est Laurent Wauquiez qui se retrouve contesté dans son leadership d'une droite perdue dans les valeurs traditionalistes, peu vendeuses au 21e siècle.
Mais il faut raison garder, pas de révolution écologique en vue, malgré la demande grandissante des populations d'une restructuration du débat politique autour de la santé, de l'écologie et du bien-être. Que les investisseurs dans les industries polluantes se rassurent, ce ne sont pas des révolutionnaires qui prendront place pour les 5 ans à venir. Les lobbies de l'agrochimie et de l'énergie fossile ont de beaux jours devant eux, en vendant l'emploi, la croissance et la raison du profit à de jeunes élus tout prêts à se faire des amis et engranger les soutiens pour les échéances nationales.
L'idiocratie européenne
Sans doute le plus triste constat, la réalité pérenne de l'abstention. Même si elle est moins élevée que ce que les instituts de sondage prévoyaient, 1 Français sur 2 ne vote pas, et c'est quasiment une moyenne européenne. Le système de représentativité est incapable de mobiliser les citoyens, dont certains cherchaient encore samedi dernier sur les moteurs de recherche si il existait un second tour des élections européennes. L'idiocratie est en marche, portée par une acculturation citoyenne des populations, biberonnées à Netflix et Uber Eats, et peu concernées par la chose publique. L'idiot au sens grec,-'ἰδιότης- désigne le "particulier", celui qui ne pense qu'à "son intérêt personnel", et vote en conséquence. L'idiot pour les Grecs antiques était un danger pour la démocratie, car il était incapable de prendre en considération l'intérêt général. Ainsi, ces élections européennes sont une addition d'élections nationales, peu porteuses de sujets européens et où le vote, quand il s'exerce, sert d'abord un agenda national.
Le décor est donc posé: un pôle libéral s'opposera désormais dans un théâtre de guignol à un pôle nationaliste. Daniel Cohn-Bendit et Gilbert Collard ont d'ailleurs illustré à merveille l'ouverture de l'acte II de l'âge de l'idiocratie politique en Europe.
Pour que les forces sociales et populaires ne restent pas des spectateurs sidérés de la faillite écologique et démocratique, il est donc urgent de revoir notre modèle démocratique et de faire de l'éducation civique une priorité. En incluant philosophie et pensée critique aux programmes, contre les idéologues du néo-management de la banque mondiale et leur théorie du capital humain. Un des chantiers prioritaire est d'ores et déjà la lutte contre la réforme de l'éducation nationale, mise en place pour créer de futures ressources humaines adaptées à la réalité financière et faire taire les consciences citoyennes des élèves.
Source : Huffington Post, Alexis Poulin, 28-05-2019