Des assemblées générales se sont réunies partout en France ce mardi, au sein de divers secteurs. L'occasion de recueillir la parole de salariés ou d'étudiants. Reportage à Rennes.
Mardi matin, à Rennes, les cheminots ont décidé en assemblée générale (AG) de poursuivre la grève. Les attaques portées contre le système de retraites et le durcissement de leurs conditions de travail renforcent leur détermination. Réunis en assemblée générale avant de rejoindre la manifestation rennaise qui a rassemblé de 8000 à 10 000 personnes, ils espèrent que la grève va se poursuivre et s'étendre.
Rendez-vous était donné sous une halle autrefois dévolue à la maintenance, à deux pas du local régional des syndicats derrière la gare. « On a l'habitude de s'y retrouver, car des mauvaises langues disent que, parfois, il pleut en Bretagne », s'esclaffe un cheminot « mécano », un conducteur de train. Les gilets oranges qu'arborent les cheminots quand ils travaillent en zone dangereuse côtoient les drapeaux syndicaux (CGT, Sud, Unsa, CFDT). Plusieurs personnes ont leurs casquettes de contrôleurs vissées sur la tête. D'autres ont revêtu leurs casques et chaussures de sécurité.
« Pas de planète, pas de retraite ! »
« Aujourd'hui c'est une belle journée, une journée de lutte qui marquera notre mouvement. Elle sera la démonstration de notre détermination et de notre colère », commence Nathalie Bostel, de la CGT. Les cheminots sont là pour leurs retraites, bien sûr, mais pas seulement. « Nous avons tous des familles, conjoints, enfants, voire petits-enfants et nous sommes très inquiets pour eux », dit Jean-Marie, conducteur de TER.
D'autant plus inquiets que la crise écologique pourrait aggraver encore la dégradation de leurs conditions de vie. « Nous le disons depuis maintenant plusieurs années, mais nous le répétons aujourd'hui, insiste Nathalie Bostel. Un système de croissance n'est pas possible dans un monde fini, et notre monde est épuisé par le consumérisme ambiant. » « Pas de planète, pas de retraite ! », clamaient déjà des slogans le 5 décembre.
Assoir le mouvement dans la durée
Après les prises de paroles syndicales, vient le moment du vote. La grève est reconduite. « On tient bon, mais on ne le fera pas tout seuls », lance Kaourantin Lamprière, de Sud rail. Conscients du poids qu'ils ont, de par leur force de blocage, les cheminots ont à cœur d'assoir dans la durée un mouvement très large. « Il faut faire en sorte que la mobilisation se passe dans un maximum de secteurs », reprend Kaourantin Damprière sous un tonnerre d'applaudissements.
Objectif : faire grimper le nombre de grévistes à la SNCF mais aussi ailleurs. Depuis six jours qu'ils sont en grève, les cheminots vont à la rencontre de collègues fonctionnaires et de salariés du privé. « Nous sommes allés distribuer des tracts dans la zone industrielle, détaille Jean-Marie, conducteur de TER. Et nous n'avons pas rencontré de personnes hostiles. Les gens nous disent qu'ils sont avec nous. Nous ne voyons jamais, sur le terrain, ces gens lassés par les grèves que certains médias semblent rencontrer à chaque coin de rue. »
« Merci d'être passés nous voir, intervient Gérard, qui travaille aux impôts. Nous sommes plus de grévistes aujourd'hui que jeudi dernier. Cette question des retraites, c'est un sujet faussement technique, et essentiellement politique, qui pose la question de la répartition des richesses. » Trompettes, sifflements et applaudissements résonnent à nouveau sous le hangar.
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« Le gouvernement essaie de nous diviser »
« Merci d'être là avec nous, intervient Ugo, représentant des étudiants de Rennes 2. Nous aussi nous sommes avec vous ! De nombreux étudiants travaillent, et personne n'est sûr d'avoir une retraite un jour. » L'AG de l'université s'est tenue un peu plus tôt ce mardi matin et a réuni plusieurs centaines de personnes. Une grève de 48 heures y a été votée. « On est tellement nombreux à être mobilisés que la fac s'est bloquée toute seule. Il ne s'y passe rien aujourd'hui. » Les cours sont suspendus, les examens reportés.
« Il ne faut pas se laisser enfumer par les dires du gouvernement qui assure que la mobilisation n'est pas très importante, et qu'elle s'affaiblit, conseille un syndicaliste CGT. Aujourd'hui, il n'y avait que 19% des trains qui circulaient. » « Le gouvernement essaie de nous diviser, ajoute une collègue. Ils prétendent que jeudi dernier, c'était une grève des régimes spéciaux. Mais on était des milliers dans la rue. Il y avait aussi des salariés du privé et des représentants des petites entreprises qui subissent les mêmes attaques que nous. La réforme des retraites, c'est la goutte d'eau qui fait déborder la colère dans le monde du travail. Partout, nous vivons la pression de conditions qui se détériorent, avec des effectifs sans cesse réduits. » Partout, les gens dénoncent un surcroît de boulot quotidien, qui semble ne jamais devoir prendre fin.
Pressions accrues et solidarités en péril
Ivan, qui travaille à la maintenance SNCF depuis plus de trente ans, approuve. Chargé de l'entretien des machines - des bancs de test - qui vérifient l'état des freins de la totalité des trains de la SNCF, il a vu le nombre d'agents de son atelier divisé par deux, passant de 600 à 300. « Il y a eu des départs en retraite non renouvelés, des mutations, mais aussi quelques démissions, chose que l'on ne voyait jamais avant... » En plus de ces baisses d'effectifs, qui chargent les journées de ceux qui restent, Ivan regrette de voir la solidarité s'étioler. A la SNCF, comme dans d'autres services publics dédiés à la production - par exemple les centrales nucléaires -, les services ont peu à peu été éloignés les uns des autres, jusqu'à former des entités bien distinctes qui se facturent entre elles des interventions autrefois gratuites.
« Exemple : les capteurs de nos bancs de test sont vérifiés par un service particulier qui nous facture cette vérification. Mais si la demande vient d'un autre site, la facture est plus élevée. Résultat ? Les autres centres sont prioritaires sur nous. On peut donc se retrouver en attente de pièces, alors même que les collègues qui s'en occupent sont nos voisins. »
« Le travail est plus solitaire, estime de son côté Jean-Marie, qui conduit des TER depuis bientôt sept ans. On a de plus en plus de pressions. Ici, autour de Rennes, on n'a plus de contrôleurs dans nos trains depuis au moins cinq ans. Cela augmente le boulot et surtout la charge mentale puisque l'on se retrouve, seul, responsable de la sécurité voyageurs. »
Bientôt la grève générale ?
De nombreux conducteurs de trains ont en tête la terrible situation dans laquelle l'un de leurs collègues s'est retrouvé le 16 octobre dernier, suite à la collision de son train avec un convoi exceptionnel resté bloqué sur la voie, à un passage à niveau. Blessé, et seul à bord, il a dû marcher 1,5 km pour déposer lui-même des agrès de protection sur les voies, et éviter le sur-accident (Voir notre article SNCF : l'accident qui montre que le « train sans contrôleur » est dangereux pour tout le monde).
« Je n'ai jamais eu ce genre de soucis, remarque Jean-Marie, mais il m'est arrivé d'avoir un train à l'arrêt pendant deux heures, à cause d'un problème de caténaire en gare de Rennes. Dans ce cas, je quitte ma cabine et je prends le temps d'aller voir les voyageurs. Les gens préfèrent voir quelqu'un plutôt que d'écouter des annonces vocales. » Il faut bien sûr espérer qu'aucun voyageur ne perde patiente face à la situation...
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« Face aux agressions constantes d'un système inhumain, le monde ouvrier se réveille »
« Aujourd'hui, face aux agressions toujours plus constantes d'un système inhumain, le monde ouvrier se réveille, dit Nathalie Bostel. Gardons en nous cette colère qui nous anime. Courage et force. » Les cheminots traversent ensuite la gare pour venir grossir les rangs de la manifestation interprofessionnelle qui s'élance en fin de matinée dans les rues de Rennes. Plusieurs milliers de personnes sont présentes. Jeunes et gilets jaunes ouvrent le cortège, avec des banderoles « Convergence citoyenne », et « Nous voulons la retraite des flics et le chômage pour Macron ».
« Public, privé, c'est tous ensemble qu'on va gagner », scandent les manifestants. Pompiers, hospitaliers, enseignants : beaucoup de métiers ont convergé mardi dans les rues de Rennes. Une AG interprofessionnelle devait se réunir en fin de journée, pour continuer à échanger, imaginer la suite de la lutte, inventer des solidarités.
« Il va falloir remplir mieux les caisses de grève si on veut que cela dure », disaient des citoyens présents dans le cortège. D'autres évoquaient le réseau de ravitaillement, qui propose des distributions de repas sur les lieux de lutte, « pour pallier à des manques financiers dus à la grève ou pour animer vos espaces de lutte par des repas partagés ». La grève se poursuivra-t-elle après les annonces gouvernementales ?
Nolwenn Weiler (texte et photos)
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