18/02/2025 ssofidelis.substack.com  9min #269157

 L'échange de prisonniers aura bien lieu samedi

Le cessez-le-feu à Gaza, un champ de mines politique

Par  le correspondant de The Cradle en Palestine, le 17 février 2025

La remise de la  sixième série de prisonniers israéliens de Gaza, au nombre de trois, échangés contre 369 détenus palestiniens le 15 février, s'est déroulée "sans heurts". Contrairement aux terribles  avertissements lancés par le président américain Donald Trump selon lesquels "l'enfer va se déchaîner" si tous les prisonniers israéliens restants ne sont pas libérés d'ici la fin de la semaine, l'accord a tenu - pour l'instant. Mais le cheminement hasardeux dans un champ de mines politique est loin d'être terminé.

Premier obstacle : le fragile processus de médiation

Les forces de la Résistance palestinienne ont d'abord fait marche arrière, permettant aux médiateurs égyptiens et qataris, avec la Turquie en arrière-plan, d'assumer le rôle de "garant". Pourtant, des sources au sein de la Résistance ont informé The Cradle que tout manquement aux engagements pris non seulement redéfinirait leur position, mais la renforcerait davantage.

Selon ces sources, la décision de retarder leur libération a été prise à Gaza, en particulier au niveau militaire, tandis que les dirigeants politiques à l'étranger envisageaient les négociations avec plus d'optimisme. Dans le même temps, certaines personnalités militaires et politiques émergentes ont reçu l'ordre de se cacher à nouveau, signe que la situation est incertaine.

La médiation est toujours semée d'embûches, avec notamment le refus de l'État d'occupation d'autoriser l'entrée à Gaza de mobil-homes ou de machines lourdes, dont le besoin se fait cruellement sentir pour déblayer les décombres, par crainte qu'ils ne soient réutilisés pour fabriquer des armes. Au lieu de cela, des maisons mobiles en bois plus coûteuses, financées par le Qatar, ont été proposées, mais à l'heure où vous lisez ces lignes, aucune des 60 000 maisons promises n'a été livrée.

La Résistance a prévenu qu'elle ne remettrait pas les prisonniers si Tel Aviv ne respectait pas les termes de l'accord. Cependant, elle a choisi de donner du temps aux médiateurs tout en documentant au moins 269 violations israéliennes en 23 jours, notamment :

À ce jour, la Résistance a obtenu 53 147 tentes sur les 200 000 convenues équipées d'un mât métallique pour résister aux tempêtes hivernales. Les livraisons de camions d'aide humanitaire ont augmenté pour atteindre environ 800 par jour, couvrant rétroactivement le retard accumulé au cours des 24 jours où seuls 500 à 600 camions entraient quotidiennement. Pourtant, cela ne représente que 50 % de l'aide promise.

Le Hamas avait initialement prévu de retarder le cinquième échange pour faire pression sur Israël afin qu'il autorise l'entrée d'un plus grand nombre de tentes, de maisons mobiles, de nourriture, de carburant et d'autres fournitures vitales, mais les forces d'occupation ne s'étant pas complètement retirées du  couloir de Netzarim, le groupe a reporté l'opération pour s'assurer que cet objectif essentiel soit atteint.

Deuxième obstacle : l'ambiguïté stratégique de Trump

Pour éviter toute apparence de faiblesse, Trump a fait une déclaration surprenante au gouvernement d'occupation, affirmant qu'il exige la libération de tous les prisonniers, et pas seulement par groupes de trois. Tel Aviv a dû décider d'avancer ou de tergiverser, tandis que Trump, fidèle à lui-même, affirme qu'il soutiendra toute décision prise par Israël.

S'agissait-il de pure rhétorique, d'une tentative pour se décharger de la responsabilité, ou d'une étape calculée pour accélérer le processus et s'attribuer le mérite de l'avoir négocié ? Quoi qu'il en soit, le Hamas est resté imperturbable.

Après des semaines d'atermoiements israéliens, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a finalement accepté d'entamer les négociations sur la deuxième phase de l'accord de cessez-le-feu à Gaza, à la suite d'entretiens téléphoniques avec l'envoyé américain Steve Witkoff. Netanyahu a d'abord évité de fixer une date pour revoir la position d'Israël sur les négociations de la deuxième phase, mais il a décidé dimanche soir que les discussions auraient lieu lundi. Sa décision de convoquer une réunion du Cabinet est intervenue après l'intervention de Witkoff, marquant un changement d'approche d'Israël. Cependant, compte tenu des menaces du ministre des Finances, Bezalel Smotrich, de faire tomber la coalition de Netanyahu si l'accord de cessez-le-feu est conclu, la chaîne publique israélienne a rapporté lundi que Netanyahu a assuré à Smotrich que les négociations de la deuxième phase ne commenceraient pas sans l'approbation du Cabinet. On ne sait toujours pas quelles nouvelles conditions ou quels nouveaux obstacles Tel Aviv pourrait introduire à mesure que les pourparlers avancent.

Les sources du groupe de la Résistance ont déclaré à The Cradle que le durcissement du blocus et les violations de l'accord par Israël cherchent à retourner la frustration publique contre le mouvement. Mais comme le dit un dirigeant du Hamas, "si une confrontation doit avoir lieu, que ce soit avec l'occupation, car nous sommes toujours en état de guerre".

Entre le 14 et le 16 février, opinions et déclarations publiques israéliennes étaient contradictoires. L'extrême droite appelait à la guerre, tandis que des voix plus "modérées" insistaient pour que l'échange soit mené à bien. Des  manifestations de protestation ont éclaté, amplifiées par la décision stratégique du Hamas et du Jihad islamique palestinien (JIP) de ne pas libérer tous les otages, gardant certains prisonniers pour alimenter l'incertitude et la pression de l'opinion publique israélienne sur le gouvernement.

Quelques heures après le dernier transfert de prisonniers, le 16 février, Israël a recommencé à se livrer à des  violations : des frappes aériennes visant des travailleurs humanitaires à Rafah ont fait quatre morts, des retards ont bloqué le convoi médical qui devait convoyer des patients hors de Gaza, et les autorités ont refusé l'entrée de caravanes et de machines lourdes nécessaires aux efforts de reconstruction.

Malgré l'entrée en vigueur de l'accord de cessez-le-feu il y a trois semaines, Israël n'a autorisé jusqu'à présent que quatre véhicules lourds à entrer à Gaza, alors qu'il en faudrait au moins 500. Il a également bloqué l'acheminement des matériaux de construction nécessaires à la réparation des hôpitaux et interdit les camions d'aide turcs à moins que les logos turcs ne soient retirés.

Troisième obstacle : le plan du "jour d'après"

L'obstacle le plus dangereux se profile à l'horizon : la vision  à long terme de Trump pour Gaza, reprise par Netanyahu comme son "nouveau plan pour le jour d'après". Le Hamas soupçonne que l'échange de prisonniers ne soit qu'un stratagème orchestré par Tel Aviv et Washington, un prétexte pour obtenir la libération des otages avant de reprendre la guerre et de procéder aux déplacements forcés. C'est pourquoi le Hamas ne voit pas la nécessité de poursuivre l'échange.

Cependant, les discussions entre Israéliens et Arabes suggèrent que les propos de Trump pourraient être une tactique choc délibérée, qui, sans nécessairement vouloir faire exploser la situation, cherche plutôt à pousser toutes les parties vers un compromis et une future colonie, dont la première condition est une  normalisation inconditionnelle entre l'Arabie saoudite et Israël, fortement liée à une prochaine rencontre entre Trump et le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman (MbS).

Les factions de la Résistance ne sont pas seulement préoccupées par les déplacements forcés, mais aussi par les "solutions alternatives" et les tactiques de pression utilisées par les forces d'occupation, telles que les restrictions de plus en plus lourdes, les destructions prolongées et les retards dans la reconstruction, qui pourraient pousser les Palestiniens de Gaza à migrer volontairement. Selon des estimations internes du Hamas, qui n'ont pas été publiées, un tiers des jeunes de Gaza envisageraient de partir dès que l'occasion se présentera.

Pendant ce temps, la "solution alternative" envisagée comporte de nombreux dangers. Le plan de reconstruction de l'Égypte semble répondre davantage aux intérêts des États-Unis et d'Israël qu'aux réalités sociales et économiques de Gaza. Washington a proposé un plan de reconstruction par étapes, commençant par le déblaiement des décombres de Gaza - qui devrait durer de trois à cinq ans - suivi de travaux de reconstruction qui s'étaleront sur cinq à dix ans. Le Caire, quant à lui, a proposé de construire des villes provisoires dans les zones vides de Gaza avant de s'attaquer aux destructions.

La proposition égyptienne soulève toutefois des inquiétudes : la plupart de ces zones vides se trouvent dans le centre et le sud de Gaza (Deir al-Balah, Nuseirat, Bureij, Maghazi et Khan Yunis), alors que les gouvernorats du nord, où la plupart des destructions ont eu lieu, ne disposent d'aucune surface dégagée. Ce qui a pour effet de déplacer la population de Gaza loin de la frontière avec Israël, conformément à l'objectif de longue date de Tel Aviv de dépeupler le nord de Gaza.

D'autres pièges jalonnent la reconstruction, comme les mesures d'urbanisme imposées par Israël qui exigent un espacement plus important entre les bâtiments et les routes, à l'instar de la  reconstruction du camp de réfugiés de Jénine après 2002, financée par les Émirats arabes unis. Le Hamas a également constaté un retard calculé dans la reconstruction des écoles et des universités, qui privilégie plutôt le logement, afin de réprimer l'activisme et la résistance des jeunes.

Le "jour d'après" pour le Hamas

Dans un contexte de lutte de pouvoir, associer la reconstruction de Gaza à une coalition arabe alignée sur les États-Unis, qui impliquerait probablement une  Autorité palestinienne malhonnête, risque à terme de réduire l'influence de la Résistance. Le Hamas et le JIP ont été clairs : toute tentative pour remplacer Israël par quelque force que ce soit à Gaza sera considérée comme une occupation et combattue en conséquence.

S'exprimant lors du Forum Al Jazeera à Doha, Osama Hamdan, membre du bureau politique du Hamas, a réitéré la position du mouvement pour le "Jour d'après" : "Nous n'accepterons pas de payer le prix d'une défaite fantasmée". Il a souligné que le Hamas refuse d'être mis sur la touche, bien qu'il soit ouvert à la discussion sur le partage du pouvoir. Concernant les menaces de Trump, Osama Hamdan a affirmé que les tactiques d'intimidation sont inefficaces contre le mouvement de résistance.

Pour le Hamas, Gaza n'est qu'une partie d'un combat plus vaste : la cause palestinienne, qui inclut la Cisjordanie et Jérusalem, reste au cœur de ses préoccupations. Si la priorité immédiate reste de mettre fin au bain de sang, le Hamas maintient que l' opération  "Al-Aqsa Flood" doit rester l'objectif principal. Sécuriser Gaza uniquement tout en abandonnant le combat au sens large pourrait mettre en péril la cause palestinienne tout entière.

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