Par Ivo Rens
Professeur honoraire - Faculté de droit, Université de Genève
Paru le 26 février 2022 sur Worldpeacethreatened.com
Bien entendu, il faut condamner sans réserve l'intervention militaire russe en Ukraine qui constitue une violation flagrante de la Charte des Nations Unies et du droit international.
Mais Vladimir Poutine n'est pas le seul responsable de ce drame. Les pousse-au-crime méritent d'être blâmés aussi car il est probable qu'ils ont longuement et soigneusement ourdi leur projet. Sans doute sont-ils nombreux, tiennent-ils des postes stratégiques dans l'établissement américain, possèdent-ils des complices dans plusieurs pays européens, et ont-ils accès à l'OTAN.
Créée en 1949 à l'initiative de Washington, l'OTAN visait à défendre l'Europe occidentale alors menacée par l'expansionnisme de l'URSS stalinienne qui venait de fomenter le coup d'Etat de Prague faisant basculer la Tchécoslovaquie dans l'orbite de Moscou. Probablement l'OTAN a-t-elle contribué à mettre un terme à cet expansionnisme. Mais, en décembre 1991, l'URSS a fait place à une quinzaine d'Etats souverains et, au lieu de disparaître, l'OTAN, reconvertie en un outil stratégico-sécuritaire au service de la politique étrangère de Washington et de ses féaux européens a travaillé intensément à se constituer un ennemi plausible en parant la Russie de menaces militaires plus ou moins imaginaires.
Sur les 30 pays membres de l'OTAN, 14 sont des pays d'Europe de l'Est qui ont rejoint l'organisation après 1991. Le poste le plus avancé de l'OTAN est à présent situé à 160 kilomètres de Saint-Pétersbourg. À titre de comparaison, la distance entre La Havane et Key West (Floride) est aussi de 160 kilomètres. Tout le monde sait ce qui est arrivé quand l'URSS a voulu installer des missiles à Cuba... Depuis lors, la vraie raison d'être de l'OTAN c'est la destruction de la Russie. Ses réalisations passées n'en sont que les prémices.
Pour nous en tenir à la période post-soviétique, l'OTAN est intervenue militairement en Serbie au printemps 1999 tuant quelque 500 civils et causant d'importantes destructions. Elle est intervenue en Afghanistan de 2003 à 2021 causant quelque 10'000 morts parmi les civils, sans compter les blessés, les réfugiée et les autres victimes. Si l'OTAN n'est pas intervenue au côté des Américains et de leurs alliés au printemps 2013 dans leur guerre préventive contre l'Irak de Saddam Hussein au printemps 2013, c'est parce que, très exceptionnellement, la France et l'Allemagne s'y sont opposées. En revanche, l'OTAN est intervenue en Libye en 2011 provoquant la chute et la mort violentes du Président Mouammar Kadhafi, mais surtout la destruction d'un Etat moderne prospère qui a fait place à un pays divisé et instable où la majorité de la population souffre de malnutrition.
Il est difficile de retracer les premières approches de l'OTAN auprès de l'Ukraine. Sans doute l'outil stratégico-sécuritaire des EEUU* avait-il identifié dans l'Ukraine les éléments susceptibles de provoquer l'ogre russe, à savoir la proximité de Moscou et de plusieurs grandes villes de Russie, une importante minorité russophone et une grande instabilité politique. Toujours est-il que c'est à l'occasion très solennelle de la Déclaration de Bucarest que les chefs d'Etats ou de gouvernements des pays membres annoncèrent, le 3 avril 2008, leur décision de préparer l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN. "Aujourd'hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l'OTAN."** Bien entendu, la Russie avait fait savoir qu'elle y était absolument opposée car elle jugeait le projet attentatoire à sa sécurité. Compte tenu de la méfiance régnant dans les relations entre les Américains et les Russes, il paraît hautement vraisemblable que la provocation avait été mûrement délibérée.
Le piège était posé. Quatorze ans plus tard, 22 février 2022, Poutine l'a franchi.
Ivo Rens
* Etats-Unis d'Amérique
** nato.int
Source: worldpeacethreatened.com