Par Alexandre Lantier
29 septembre 2020
Des dizaines de soldats et de civils sont morts hier pendant une deuxième journée de combats entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans la région contestée du Haut-Karabakh. Les combats intenses entre chars, véhicules blindés, chasseurs, et drones sont de loin les plus sanglants depuis que la guerre de 1988-1994 qui a éclaté entre les deux ex-républiques soviétiques, à l'approche de la dissolution stalinienne de l'Union soviétique en 1991.
Les autorités arméniennes au Haut-Karabakh ont dit avoir perdu 28 soldats, portant le total des pertes à 59; l'Arménie aurait subi 200 blessés. Le Bureau de défense des droits de l'homme dans l'Artsakh, le nom arménien du Haut-Karabakh, a déclaré que toutes ses villes, dont Stepanakert, Askeran, Martakert, Martuni, Hadrut et Shushi, ont été touchées; une grand-mère et sa petite-fille sont mortes. Les forces arméniennes ont déclaré avoir détruit 15 drones ainsi que plusieurs blindés et tué des centaines de soldats azéris.
Les forces azéries n'ont pas chiffré leurs pertes, mais ont déclaré que 26 civils avaient été blessés par des bombardements. Ils auraient réalisé fait de petites avancées sur le terrain. Les vidéos qu'ils ont diffusées montraient leurs drones, qui auraient été fournis par la Turquie, détruisant des blindés et des batteries antiaériennes arméniens de fabrication russe. Les forces turques ont déjà utilisé des drones pour détruire de telles batteries de forces pro-russes lors de guerres en Libye et en Syrie.
L'Azerbaïdjan a menacé l'Arménie après que celle-ci aurait bombardé la ville de Terter: «Le ministère de la défense donne le dernier avertissement à l'Arménie que des mesures de rétorsion adéquates seront prises contre eux si nécessaire».
Cette guerre est le produit de la politique nationaliste de la bureaucratie stalinienne de dissoudre l'Union soviétique et restaurer le capitalisme, et de décennies de guerre impérialiste depuis 1991. De vastes tensions géopolitiques se concentrent aujourd'hui sur le Caucase, au centre de l'Eurasie, entre la mer Noire et l'Europe à l'ouest, la Russie au nord, la mer Caspienne et la Chine à l'est, et l'Iran et la Turquie au sud. Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a averti dimanche que les combats pourraient «s'étendre en dehors de la région et acquérir une ampleur bien plus grande.»
Les combats se déroulent dans le contexte d'une escalade militaire américaine contre l'Iran, la Chine et la Russie. Après que l'OTAN, l'Union européenne, la Russie, l'Iran et la France aient appelé à la retenue dans le conflit arméno-azéri tôt dimanche, Washington a fait de même. Interrogé sur ce conflit lors d'un point de presse dimanche soir, le président américain Donald Trump a simplement répondu: «Nous l'examinons avec beaucoup d'attention. Nous avons beaucoup de bonnes relations dans cette région. Nous allons voir si nous pouvons l'arrêter.»
Le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan a mis de côté ces déclarations creuses, pour appeler à une politique agressive azérie.
La guerre de 1988-1994 pendant laquelle l'Arménie a pris le contrôle du Haut-Karabakh fut un conflit sanglant révélant le rôle réactionnaire du système d'Etats-nation. Un million de personnes ont fui leurs foyers, plus de 20.000 sont mots dans une guerre entre des États arménien et azéri avec 3 et 10 millions d'habitants respectivement. A présent Erdogan veut inverser l'issue de la guerre, aider l'Azerbaïdjan à reprendre le Haut-Karabakh, et infliger une défaite sanglante à l'Arménie.
«Il est temps de mettre fin à la crise régionale provoquée par l'occupation du Haut-Karabakh», a déclaré Erdogan hier à Istanbul. «Une fois que l'Arménie aura immédiatement quitté le territoire qu'elle occupe, la région retrouvera la paix et l'harmonie.»
Erdogan a rejeté les appels à la retenue de Washington, Moscou et Paris, qui ont traditionnellement négocié les pourparlers de paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie dans la période post-soviétique. «Ils ont fait tout ce qu'ils pouvaient, mais cela n'a pas résolu le problème», a-t-il déclaré. «Maintenant, l'Azerbaïdjan doit prendre les choses en main.»
Le ministre turc de la défense, Hulusi Akar, a réitéré sa solidarité ethnique avec les Azéris, d'origine turque: «Les liens entre la Turquie et l'Azerbaïdjan sont fondés sur le principe "deux États, une nation". Nous sommes toujours ensemble, bon an mal an. Nous sommes du côté de nos frères azéris dans la défense de leur patrie.»
Ce soutien à l'Azerbaïdjan pourrait dégénérer en guerre entre la Turquie, un État membre de l'OTAN, et le soutien de l'Arménie, la Russie, qui a une base militaire à Gyumri en Arménie.
Ce risque est d'autant plus élevé que les guerres de l'OTAN en Irak, en Libye et en Syrie ont attisé les tensions entre la Russie et la Turquie, qui ont soutenu des factions rivales dans les guerres civiles en Libye et en Syrie provoquée par les guerres lancées par l'OTAN dans ces pays en 2011. Le 25 septembre, les pourparlers russo-turcs sur le contrôle de la province syrienne d'Idlib ont échoué. Les combats pourraient bientôt reprendre entre les troupes gouvernementales syriennes soutenues par la Russie et les milices islamistes soutenues par la Turquie.
Des troupes soutenues par la Russie et la Turquie se battent en Libye, tandis qu'au large, des navires grecs soutenus par la France disputent le contrôle de la Méditerranée orientale à la Turquie.
Plus largement, cependant, les tensions russo-turques qui alimentent le conflit du Haut-Karabakh ne sont qu'un élément de l'effondrement du système d'État-nation au Moyen-Orient et en Asie centrale, et de la poussée vers une nouvelle guerre mondiale impérialiste.
Il existe un danger croissant que l'administration Trump, qui a déjà dit vouloir lancer un coup d'État pour ignorer les résultats de l'élection présidentielle de novembre, déclencher une guerre avec l'Iran avant l'élection. Hier, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a dit au président irakien Barham Salih qu'il compte retirer les troupes et les diplomates américains présents en Irak depuis l'invasion illégale américaine en 2003. S'ils restaient et si Washington attaquait l'Iran, ils seraient exposés à une contre-attaque.
L'Iran a déjà lancé des attaques de missiles sur les bases américaines en Irak, après l'assassinat par Washington du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad en janvier.
Dans «La menace d'évacuer les diplomates américains d'Irak fait craindre une guerre», l'agence Reuters écrit: "Toute décision des États-Unis de réduire leur présence diplomatique dans un pays où ils ont 5.000 soldats serait vue dans la région comme une escalade de la confrontation avec l'Iran... Cela ouvrirait la possibilité d'une action militaire, à quelques semaines seulement d'une élection où le président Donald Trump a fait campagne sur une ligne dure envers Téhéran et ses alliés.»
Reuters a cité des diplomates occidentaux anonymes, pour qui Pompeo faisait cela car Washington ne «veut pas être limité dans ses options» contre les forces pro-iraniennes en Irak. Quand Reuters lui a demandé «s'il estimait que Washington réagirait par des mesures économiques ou militaires», «le diplomate a répondu: "Par des frappes".»
Ces menaces sont liées à la confrontation de Washington avec la Chine, qui négocie une alliance militaire et un vaste accord commercial avec l'Iran, et avec la Russie. Washington menace d'interdire les exportations d'armes russes et chinoises vers l'Iran, ce qui pourrait conduire la marine américaine à tenter de saisir les navires russes et chinois en haute mer.
Les responsables turcs savent que l'incitation du nationalisme turc par Erdogan est liée aux menaces contre l'Iran. Le média étatique turc TRT World a dénoncé l'Iran pour avoir «tranquillement soutenu l'Arménie dans le conflit», affirmant qu'il y a un «problème turc de l'Iran» dû aux minorités ethniques turques du nord de l'Iran.
TRT World a cité le professeur Bulent Aras de l'université Sabanci d'Istanbul: «L'Iran voit dans la montée du nationalisme turc en Iran a été considérée un problème politique grave. Les liens et les relations entre le nord du pays et l'Azerbaïdjan ont été un facteur important dans les problèmes politiques de Téhéran avec l'Azerbaïdjan». TRT s'est ensuite demandé si «l'idée du Grand Azerbaïdjan» pourrait enflammer le séparatisme ethnique en Iran.
Ces conflits sont un avertissement du danger croissant d'une guerre généralisée au Moyen-Orient et à l'international, lié à l'effondrement de la démocratie américaine. Ils soulignent l'urgente nécessité de construire un mouvement international anti-guerre unifiant la classe ouvrière dans une opposition socialiste au nationalisme et à la guerre.