Interdictions de manifester, fouilles « préventives », peine de prison pour dissimulation du visage... le gouvernement a fait adopter par l'Assemblée la proposition de loi pour la prévention et la sanction des violences lors des manifestations dans la nuit de mercredi à jeudi.
Actualisation - mardi 5 février 2019
Ce mardi 5 février dans l'après-midi, les députés devraient adopter en première lecture la proposition de loi « visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs », présenté par le gouvernement comme une loi « anti-casseurs ». Voici les principales mesures telles que modifiées par les députés :
- Article 1 : possibilité, sur décision du Procureur de la République, de procéder à la fouille des personnes, bagages et véhicules dans et aux abords d'une manifestation dans le but de rechercher des armes par destination ;
- Article 2 : le préfet pourra prononcer des interdictions de manifester, d'un mois maximum, à l'encontre des personnes qui « constitue[nt] une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » ;
- Article 3 : les personnes qui auront été l'objet d'une interdiction de manifester seront inscrites au fichier des personnes recherchées ;
- Article 4 : la dissimulation volontaire du visage en manifestation, qui est actuellement passible d'une contravention, devient un délit punit d'un an de prison et 15.000 euros d'amende.
- Article 5 : il met en œuvre le principe « casseur-payeur ». Il prévoyait initialement une responsabilité collective des personnes soupçonnées d'avoir participé aux violences, il a été corrigé et dans la nouvelle version, seules les personnes condamnées peuvent être contraintes de payer la réparation des dommages.
« Cette loi ne va pas apporter d'améliorations dans la lutte contre les casseurs car les outils judiciaires existent déjà, estime la députée PS Marietta Karamanli. Par contre, elle risque de toucher les personnes non-violentes présentes au mauvais endroit au mauvais moment. C'est un risque pour les libertés. »
Le gouvernement estime au contraire que le texte permettra « les nécessaires garanties en matière de préservation des droits fondamentaux. » « En aucun cas il ne s'agit d'autre chose que de garantir le droit de manifester », a affirmé le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.
Certains députés de la majorité ne voteront pas le texte, tels qu'Aurélien Taché ou Matthieu Orphelin. Ce dernier expliquait dans un communiqué lundi 4 février que « quelques nouvelles dispositions législatives devraient être utiles pour mieux lutter contre l'action des casseurs », mais que l'interdiction administrative de manifester lui « pose problème (...) au cas où elle viendrait à être mal utilisée par un futur régime malintentionné, par exemple d'extrême-droite. (...) Elle ne me parait en outre pas suffisamment encadrée (nos propositions en ce sens n'ont pas été retenues) et d'un intérêt opérationnel limité, voire contre-productif. »
- Article du 30 janvier 2019 :
Possibilité pour les préfets de prononcer des interdictions de manifester ; fouille des personnes, bagages et véhicules dans une manifestation et à ses abords sur réquisition du procureur... Voici quelques-unes des mesures de la proposition de loi « anti-casseurs » adoptées par les députés depuis le début des discussions mardi janvier 2019.
Le texte ne comporte que 8 articles, mais a suscité le dépôt de 263 amendements, et de longues séances de débat jusque tard dans la nuit. Les principales dispositions ont été adoptées, le vote solennel sur le texte complet devrait avoir lieu mardi 5 février.
Il a suscité une levée de boucliers des associations de défense des droits de l'Homme et des députés de gauche de l'opposition (France insoumise, communistes, PS). Comme vous l'expliquait Reporterre il y a une semaine, il contient une série de mesures considérées par certains comme liberticides, pouvant notamment restreindre fortement la liberté de manifester. Même certains députés de la majorité ont fortement critiqué le texte, tel Aurélien Taché : « On ne peut restreindre les libertés que dans des cas bien précis, sous contrôle du juge, a-t-il expliqué à Reporterre. Le droit commun ne peut instaurer un régime de restriction par principe et de liberté par exception. C'est ce qui est en germe dans cette loi. »
Trois mesures en particulier ont suscité des inquiétudes et des discussions nourries :
- La possibilité d'effectuer des fouilles aux abords de la manifestation afin de confisquer les « armes par destination » ;
- L'interdiction de manifester pouvant être prononcée par le préfet ;
- La création du délit de dissimulation du visage, passible de 15.000 euros d'amende et de 1 an de prison (ce n'est aujourd'hui passible que d'une contravention).
Pour défendre la reprise à son compte de ce texte, d'abord proposé par le sénateur Les Républicains Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur a parlé de « brutes » : « Nous avons choisi de défendre les millions de Français qui n'en peuvent plus plutôt que quelques milliers de brutes », a déclaré Christophe Castaner, en introduction des débats à l'Assemblée nationale. Le mot, soigneusement choisi, donne le ton de la sévérité de la réponse qu'entend donner le gouvernement aux violences qui ont émaillé les manifestations des Gilets jaunes ces dernières semaines. Notons qu'il y a huit jours, devant les députés de la commission des Lois, il avait parlé d'une loi visant jusqu'à « 200 » casseurs.
Le ministre de l'Intérieur a défendu son texte mercredi 30 janvier, qui permettrait selon lui de protéger les manifestants contre « quelques milliers de brutes ». Devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale, la semaine passée, le ministre évoquait « 200 casseurs » seulement.
Interpellations massives
Malgré d'intenses débats, finalement, « le texte a pour l'instant peu bougé », estime Ugo Bernalicis, député La France insoumise.
Les articles 1 et 2 sont ceux qui ont suscité le plus d'inquiétudes et discussions dans l'hémicycle. L'article premier prévoyait dans sa première version l'instauration de périmètres de sécurité à l'image de ceux utilisés pendant l'Euro 2016 de football, qui permettraient de fouiller toute personne souhaitant entrer dans une zone, sur simple décision du préfet. Finalement, les députés ont suivi le gouvernement : la mention des périmètres de sécurité a disparu, mais sur réquisition du procureur de la République, il sera possible pour les forces de l'ordre de procéder à la fouille des personnes, bagages et véhicules dans et aux abords d'une manifestation, le but étant de repérer tout objet pouvant être utilisé comme une arme. Le tout sera possible jusqu'à 24 heures avant la manifestation, alors que les députés La République en marche (LREM) et notamment la rapporteuse du texte Alice Thourot souhaitaient le limiter à deux heures.
Le député (France insoumise) Ugo Bernalicis, mercredi 30 janvier 2019, à l'Assemblée nationale.
« C'est très flou, on pourra considérer comme une arme y compris des choses assez insolites, regrette Vincent Chamoillaux, le secrétaire général du Syndicat de la magistrature. On risque de tomber dans une pratique assez extensive, justifiant de nombreuses gardes à vue, juste parce que vous avez une hampe pour porter votre drapeau. » « Les gens ne seront pas forcément poursuivis, mais ils auront été privés de liberté jusqu'à 48 heures et ce sera inscrit dans le fichier des antécédents judiciaires alors qu'ils voulaient juste aller en manif », ajoute Nicolas Krameyer d'Amnesty International. « Cela ferait un motif de plus permettant de justifier des interpellations massives, telles que celles pratiquées les 1er et 8 décembre, où l'on avait aussi utilisé un délit putatif de regroupement en vue de commettre des violences. »
Ugo Bernalicis, lui, doute que cette disposition change grand-chose aux pratiques déjà en vigueur : « C'est ridicule. Aujourd'hui, quand vous allez en manifestation, déjà, de fait, vous vous faites fouiller et vous ne pouvez pas aller manifester si vous refusez. C'est de l'affichage. » Le gouvernement propose que l'article soit retravaillé lors de la navette parlementaire.
Plus inquiétant encore pour les défenseurs des droits de l'Homme et des libertés individuelles, l'article 2. Celui-ci donne la possibilité aux préfets, donc au pouvoir exécutif, de prononcer une interdiction de manifester d'un mois contre une personne ayant commis un « acte violent » ou dont les « agissements » lors d'une manifestation « ont donné lieu à des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens », permettant de supposer qu'elle « constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public ». Le non-respect de cette interdiction sera puni de six mois de prison et 7.500 euros d'amende. « En aucun cas il ne s'agit d'autre chose que de garantir le droit de manifester », a affirmé le ministre de l'Intérieur.
Lors de la manifestation des Gilets jaunes à Paris, le 1er décembre 2018. La loi « anti-casseurs » prévoit 15.000 euros d'amende et un an de prison pour les manifestants qui dissimuleraient leur visage.
« On renverse la logique de la présomption d'innocence, estime Vincent Chamoillaux. Sans procédure contradictoire, le préfet va pouvoir vous interdire de manifester et c'est à vous de contester. Les critères sont extrêmement flous et permettent de viser large. » « Pendant l'état d'urgence, plus de 700 arrêtés préfectoraux d'interdiction de manifester ont été pris », rappelle Nicolas Krameyer. Le gouvernement estime, lui, concilier « les besoins opérationnels » et « les nécessaires garanties en matière de préservation des droits fondamentaux. »
Une dizaine de députés de la majorité avaient déposé un amendement de suppression de cet article, refusé. « Les préfets, aujourd'hui, ne feraient pas n'importe quoi. Mais demain un autre pouvoir pourrait avoir une appréciation extrêmement large de l'interdiction de manifester. Je suis très, très soucieux de cela », explique Aurélien Taché, porteur de cet amendement. Tous les garde-fous proposés par le député et une dizaine de parlementaires LREM, notamment un droit de regard du procureur, ont également été refusés.
Seule bonne nouvelle, selon Ugo Bernalicis, « ils ont retiré le paragraphe qui élargissait l'interdiction de manifester aux personnes en relation avec les individus considérés comme menaçant l'ordre public ».
L'article 2 va avec l'article 3, qui prévoit l'inscription des personnes frappées d'une interdiction de manifester au fichier des personnes recherchées. « C'est un fichier où sont inscrites les personnes ayant subi une condamnation », regrette Ugo Bernalicis.
Éviter une censure du Conseil constitutionnel
Enfin, l'article 4 a également été adopté mercredi 30 janvier dans la soirée. Les amendements du gouvernement et de la rapporteure n'introduisent pas de modifications majeures. Il crée le délit de dissimulation du visage, puni d'un an d'emprisonnement et de 15. 000 euros d'amende alors que ce n'est pour l'instant qu'une contravention. « Cela va permettre de placer des personnes en garde à vue », redoute Nicolas Krameyer. Ugo Bernalicis, lui, doute de son effectivité : « L'amende est déjà très peu prononcée, et quand il y en a, beaucoup sont levées car il existe une jurisprudence qui dit que porter un passe-montagne n'est pas masquer son visage. »
En somme, « sur le fond, les mesures restent les mêmes, estime Vincent Chamoillaux. Simplement, le gouvernement essaye de les formuler plus subtilement du point de vue juridique afin d'éviter une censure du Conseil constitutionnel ».
Reste à savoir dans quel délai le texte entrera en application. C'est une proposition de loi, donc le gouvernement ne peut pas, pour une fois, le passer en procédure accélérée. La navette parlementaire entre les deux chambres peut durer quelques mois. Puis, sa constitutionnalité sera examinée.
L'affaire pourrait même être portée devant la Cour européenne des droits de l'homme. La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, déclarait d'ailleurs lundi 28 janvier, après une visite en France, son inquiétude concernant l'interdiction de manifester et le délit de dissimulation du visage : « De telles mesures, dont la proportionnalité me semble contestable, ne m'apparaissent pas nécessaires pour garantir efficacement la liberté de réunion et risquent d'être, au contraire, perçues comme une entrave à l'exercice de cette liberté. Dans un contexte si délicat, j'invite le gouvernement et le législateur à ne pas aller dans cette direction et à privilégier les voies du dialogue et à garantir le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »