27/11/2018 mondialisation.ca  12min #148850

 Gilets jaunes : nous sommes le peuple

Les gilets jaunes. Un mai 68 des « sans dents »

«Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d'investir où il veut, le temps qu'il veut, pour produire ce qu'il veut, en s'approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales».

P. Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

Vue sous cet angle plus simplement, on dirait que la mondialisation est la liberté du renard néolibéral dans le poulailler des classes vulnérables. La conséquence de la mondialisation est que les sociétés contemporaines deviennent de plus en plus interdépendantes et que le monde est soumis à de puissants processus d'uniformisation. Que peuvent faire les faibles dans un monde où la fortune de 6 milliardaires est plus importante que celle de 1,2 milliard de personnes? Est-ce moral que le revenu moyen annuel d'un Africain soit égal au revenu journalier d'un Suisse? (1)

Dans ce cadre en France, le mouvement de grogne des automobilistes, né ces dernières semaines avec la hausse du prix des carburants, s'est traduit par des pétitions en ligne et appels à manifestation autoproclamées «citoyennes» et apolitiques. Après un week-end de mobilisation et de blocages, l'exécutif cherche l'apaisement. Il a donné lieu cette semaine à quelques bouffées de colère qui peuvent être maîtrisées par une écoute réelle et un dialogue. Ceci dit, ce mouvement pose un problème de fond au-delà du fait que les concernés se sentent floués et ont l'impression que l'augmentation en principe prévu pour financer la transition énergétique est un moyen de leur ponctionner de l'argent, la transition énergétique - mal expliquée donc mal acceptée et en absence de transparence- est vue, est pour eux un prétexte. Le programme actuel s'il veut sortir de 40 ans d'immobilisme est, dit-on, sans état d'âme. Il accepte d'affronter la rue. C'est une politique dans la droite ligne d'une mondialisation-laminoir néo-libéraliste.

Les raisons de la colère

Le mouvement des gilets jaunes qui a sédimenté depuis longtemps, est en fait une manifestation qui a catalysé tous les déçus de la politique actuelle. Mais ici comme ailleurs, le gazole n'est qu'un détonateur. Car les «gilets jaunes» ont coagulé des mécontentements variés, souvent accumulés depuis longtemps. Et d'abord, bien sûr, cette impression qu'ont la plupart des manifestants de ne plus y arriver «à s'en sortir». Que l'horizon est bouché et qu'ils passent à côté de leur vie après une carrière de 40 ans où statistiquement les retraités ne profitent pas longtemps de leur cotisation

Pour le sociologue, Jean-Pierre Le Goff, la révolte des «gilets jaunes» ne fait que catalyser tous les maux nés des bouleversements de la société française. Elle exprime le rejet de quatre décennies de libéralisme culturel et d'«adaptation» économique à marche forcée voulus par les élites. C'est l'homme qui avait tout vu. Depuis 1992 et son premier essai, Le Mythe de l'entreprise. Critique de l'idéologie managériale, le sociologue analyse les bouleversements problématiques de la société française. Il a écrit sur les dérives de la communication et de la transparence, l'héritage de Mai 68, les fractures françaises, la crise existentielle de la gauche française, la disparition du village et le malaise démocratique. Jean-Pierre Le Goff n'est guère surpris par le mouvement des «gilets jaunes». Pour lui, la révolte contre les taxes sur le carburant ne fait que catalyser tous les maux précédemment cités. La France des «gilets jaunes» n'est autre que la France périphérique sortie depuis trop longtemps des écrans radars médiatique et politique. Elle rejette la politique d'Emmanuel Macron, mais plus largement quatre décennies de libéralisme culturel et d'«adaptation» économique à marche forcée voulus par les élites» (2).

Même constat de Dominique Reynié directeur général de la Fondapol: «La révolte des "gilets jaunes" est celle des classes moyennes qui se sentent piégées» (...), le mouvement des «gilets jaunes» montre que la crise de notre système politique atteint un niveau où aucun scénario ne peut plus être exclu.: «Mesurer l'importance de ce mouvement à l'aune du nombre de personnes qu'il met dans la rue serait se tromper de critère, même si, bien sûr, c'est un élément qui compte. Ce mouvement constitue un événement par son caractère spontané: des individus se sont mis en réseau pour le faire émerger ex nihilo dans un espace pourtant saturé de partis, de syndicats, d'associations diverses. C'est un signe de plus que la crise de notre système politique atteint un niveau où aucun scénario ne peut être exclu. Dire aux «gilets jaunes» «vous n'êtes pas très nombreux», c'est un message à éviter absolument, ne serait-ce que par prudence. Le sentiment d'abandon des classes moyennes n'est pas nouveau, mais jusqu'à présent elles n'allaient pas dans la rue. Pourquoi ce changement? Comme les classes moyennes ne posaient pas de problèmes, les gouvernants ont trop longtemps pensé qu'elles n'en avaient pas.» (3)
«Les élites parlent de fin du monde quand nous on parle de fin du mois»

Un témoignage émouvant rapporté par Olivier Demeulenaere, celui d'un «sans dent» dans l'échelle actuelle de ceux qui n'ont pas de monte «Daniel est assis sur un bidon rouillé, devant un feu de palettes dont les flammes dévorent un grand coin de trottoir. Dans sa main droite, une tartine de foie gras, dans la gauche un gobelet de vin blanc et par-dessus, un demi-sourire ouvert sur des dents abîmées.» «Quand j'y pense! Grâce à M. Macron, je mange du foie gras pour la première fois de ma vie...» Le mets est pour ainsi dire tombé du ciel, comme tous les aliments qui s'empilent sur une étagère improvisée, à quelques mètres de là - de quoi tenir un siège. Ils ont été déposés par des automobilistes de passage, des inconnus ou des amis venus ravitailler la cinquantaine de «gilets jaunes» qui occupaient toujours, vendredi 23 novembre, le péage d'Autechaux, juste avant la petite ville de Baume-les-Dames (Doubs). Pas de violence, pas d'intimidation à cette sortie de l'autoroute A36 qui file en direction de Mulhouse: aux barrages filtrants du week-end a succédé une simple désactivation du péage, «cadeau des "gilets jaunes"». (...) Pourtant, beauté ou pas, la vie n'a rien de facile dans cette commune. Depuis que la plupart de ses habitants travaillent loin, à Besançon, Montbéliard, Belfort ou même en Suisse, Baume s'est transformée en ville dortoir, et beaucoup de Baumois en prisonniers du volant. Ceux-là, bien sûr, voient avec colère l'augmentation du prix des carburants.» (4)

De la grogne contre le prix des carburants jusqu'aux succès électoraux des populistes dans d'autres pays occidentaux, c'est un même phénomène de décomposition politique qui est à l'oeuvre, analyse le député MoDem. Jean-Louis Bourlanges invite Emmanuel Macron à dépasser la trop facile opposition entre conservateurs et progressistes. Pour Jean-Louis Bourlanges. - «Les "gilets jaunes", symptôme d'une société fragmentée et désenchantée.» «La volonté médiatique de fabriquer une bulle était évidente (..)» (5).

Dans ses discours, Emmanuel Macron se disait pourtant attentif à la détresse: «Faut savoir entendre tout ça, être au côté du peuple avec respect et tenir un cap. Donc s'il y a une chose que je veux que chacun de nos concitoyens comprenne profondément, c'est que je n'en abandonnerai aucun et que nous serons aux côtés de chacun, en particulier dans les territoires qui souffrent le plus.» Dans son discours de ce jour s'il parle de pédagogie le président maintient le cap. La nomination d'un Conseil consultatif chargé de réfléchir sur la transition écologique et énergétique est une mission qui s'inscrit dans le temps long, les représentants des gilets jaunes veulent du concret.

La colonisation de l'Europe par...les technocrates de Bruxelles

A des degrés divers ce qui arrive en France et déjà arrivé en Grèce qui souffre le calvaire depuis plus de dix ans sans sortir de la dette qu'elle a payée avec des intérêts exorbitants Cette contribution suivante permet de montrer en quoi consiste le hold up des citoyens grecs. Nous lisons : « A l'occasion d'une menace de 4ème plan de sauvetage en Grèce (...) Voici quelque mois, j'ai écrit un billet intitulé Décolonisons l'Europe de l'Occupation Financière.. Il y a quelques semaines j'en ai écrit un autre intitulé : Ceci n'est pas un complot mais une stratégie. Je ne pensais pas avoir ce matin une démonstration aussi éclatante de la réalité de ces deux observations. La Grèce a visiblement dans ses eaux maritimes des gisements pétroliers et gaziers d'une importance et d'une richesse exceptionnelles. (...) Les lois édictées par la Commission européenne en 2007, concernant la libéralisation du marché de l'énergie et la possibilité de privatiser les entreprises publiques exploitant et distribuant ces ressources ont permis aux banques d'investissement américaines de s'approprier en toute impunité,.. L'Europe colonisée est en train de franchir une étape de plus, puisque la Société Noble Energy, qui n'a même pas été à l'origine des découvertes des gisements grecs (c'est l'état grec lui même qui a fait visiblement faire ces recherches), revendique 60% de cette future production » (6).

L'auteur pointe un doigts accusateur : « L'omerta médiatique ne devient rien d'autre qu'une complicité active de crimes insensés. Je ne sais plus qui parlait de génocide financier concernant la Grèce ou l'Europe.. mais on peut désormais ajouter le terme de colonisation et d'occupation, favorisée par nos médias et bien sûr par les membres de la commission Européenne. La Grèce est le pays le plus riche de toute l'Europe !!! Ses taux d'emprunt d'état devraient être inférieurs à ceux de l'Allemagne !!!! (...) Trop c'est trop.. et je pense qu'il n'est pas besoin de beaucoup de mots pour montrer que la seule priorité est de mettre fin à cette colonisation et à ce hold up inadmissible, qui se fait de plus avec la complicité de ceux qui sont supposés servir les intérêts des européens.. (...) J'accuse nos technocrates de brader les intérêts des Européens J'accuse les politiques élus de leur faciliter la tâche j'accuse nos médias, par leur silence indigne, de participer activement à ce dépeçage. Et je ne dirais pas : Bon appétit Messieurs.. !!!! MAIS plutôt, l'heure est venue de rentrer en Résistance » (6).

Il faut croire que le système néolibéral tient tout le monde en laisse Le système néolibéral est un système où l'humain n'a de valeur que par sa productivité au bénéfice d'une oligarchie du toujours plus Ne pas réussir dans la vie, dans cette vision ce n'est pas ne rien avoir, c'est n'être rien. Tout est inédit dans ce mouvement qui a consacré le déclin «irréversible?» des anciennes instances d'intermédiation, les syndicats, qui a même échappé aux partis laminés depuis que la mondialisation se sent pousser des ailes. Tout a commencé avec François Hollande et son fameux cri de ralliement: «Je n'ai qu'un adversaire, la finance.»

On sait ce qu'il en est sorti. L'héritier a au moins cet avantage de dire ce qu'il fait et de faire ce qu'il dit. Sa proposition de Haut Conseil pour le climat est a priori une bonne chose car elle permet de quantifier l'effort à faire tous ensemble, pas seulement les besogneux pour réussir cette transition énergétique et écologique. Il faut espérer que les négociations prévues avec les représentants des gilets jaunes ramènent le calme; Ceci dit le problème de fond reste entier Qu'elle est la place de l'humain dans cette nouvelle vision consumériste à outrance ? Est il une variable d'ajustement dans une stratégie décidée ailleurs et exécuté par des élites politiques qui n'ont pas d'autres choix que d'obéir aux injonctions «Est-ce ainsi que les hommes vivent?» dirait Aragon. Nous n'avons pas de réponse devant cette mondialisation qui ne fait pas de place aux faibles aux « sans dents' aux besogneux, bref à tous les prolétaires du monde.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes

1. Chems Eddine Chitour  legrandsoir.info

2.Alexandre Devecchio  lefigaro.fr ?

3.Dominique Reynié: Interview de Judith Waintraub La révolte des gilets jaunes, Le Figaro: 23/11/2018

4.  http

5. lefigaro.fr

6. Caro :  reseauinternational.net

Article de référence  http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/304633-un-mai-68-des-sans-dents.html

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