Par Nate Bear, le 17 septembre 2025
Dans mon dernier article sur l'assassinat de Charlie Kirk, j'ai déclaré avoir écrit tout ce que j'avais à dire à son sujet et qu'il ne serait plus question de lui. J'ai menti. Mais pour ma défense, je ne savais pas que je mentais à ce moment-là. Et j'en veux à Nancy Fraser.
Nancy Fraser est l'auteure de 'The Old Is Dying and the New Cannot Be Born' [L'ancien monde disparaît et le nouveau peine à voir le jour], et cette semaine, j'ai repris sa lecture après l'avoir laissée de côté pendant quelques années. Je me sens obligé de revenir sur Kirk, et plus particulièrement sur les réactions à sa mort, car dans son livre, Fraser met en lumière une dynamique clairement mise en œuvre dans le récit du martyre forgé autour de Kirk.
Fraser explique comment un aspect essentiel de l'hégémonie - le processus par lequel une classe dominante légitime sa domination - repose sur la politique de la reconnaissance. Elle définit cette notion comme la façon dont la société accorde respect et estime aux individus et aux groupes identitaires. Selon elle, le respect et l'estime sont des éléments normatifs essentiels de tout processus hégémonique.
Concrètement, ce principe signifie qu'un ensemble commun d'idées et de pratiques relatives à l'équité, au respect et aux droits est au cœur de notre compréhension culturelle collective. Nous convenons par exemple de manière générale que la marginalisation des personnes ouvertement racistes est un rempart social essentiel. Nous ne voulons pas d'une société dirigée par des racistes. Nous convenons également que le sexe, la race, la religion ou l'orientation sexuelle d'une personne ne devraient pas affecter son statut social ou sa réussite personnelle. Nous ne voulons pas non plus que des fanatiques dirigent la société. Nous octroyons des protections juridiques à un large éventail d'identités, des homosexuels aux immigrants, car nous aspirons à ce que le moteur de la société soit l'équité et non le fanatisme.
Aujourd'hui, ces idées et pratiques sont menacées par certaines pressions, tant juridiques que politiques, mais elles sont largement considérées comme légitimes, ambitieuses et devant être protégées. Elles constituent le fondement de la cohésion d'une société libérale. Cependant, ce ciment commence à se fissurer. Il s'effrite. Des opportunistes comme Charlie Kirk se sont engouffrés dans la brèche.
En affichant ouvertement des opinions racistes et sectaires, ces opportunistes remettent en cause la politique d'inclusion qui sous-tend la société libérale. Et ils le font précisément pour cette raison. Ils cultivent la division pour obtenir des clics, ils ciblent les libéraux pour récolter des likes. Car, et il est essentiel de le reconnaître, ils n'ont aucun intérêt à canaliser la colère de leur public vers une analyse des forces économiques structurelles impactant leur quotidien. Ils n'ont aucun intérêt à analyser les composantes d'une économie néolibérale à l'origine de la colère de la population et qui la pousse à chercher des boucs émissaires pour justifier la détérioration de ses conditions de vie. Ils n'ont aucun intérêt à adopter une approche et une analyse des problèmes de la société selon une perspective de classe.
Les opportunistes ne s'indignent pas de la situation économique, ils l'exploitent. Les ravages causés par le néolibéralisme ont fourni à des individus comme Charlie Kirk le cadre idéal pour stigmatiser des groupes et tirer parti de la politique identitaire au nom du renouveau nationaliste (blanc). En détériorant les conditions de vie, le néolibéralisme a fourni aux provocateurs le public et toute la visibilité nécessaire pour devenir riches et célèbres en se faisant passer pour des rebelles au nom de la liberté d'expression.
Nous assistons aujourd'hui aux tentatives du bloc contre-hégémonique, vaguement défini comme le bloc du renouveau nationaliste blanc, de créer une nouvelle norme hégémonique et de reconnaissance. La réaction servile. L'exigence de vénération de Kirk. Son positionnement présumé en tant que martyr de la liberté d'expression. L'objectif est de redéfinir les notions de respect et d'estime. Si un homme que toute société civilisée devrait ostraciser peut se muer en modèle de vénération, c'est une nouvelle norme hégémonique qui voit le jour. De plus, faire de la mort d'un fasciste un événement digne de compassion sous couvert de liberté d'expression valorise non seulement les arguments du fasciste disparu, mais aussi ceux de ses disciples encore en vie.
Du jour au lendemain, des thèses scandaleuses sont banalisées.
C'est l'hégémonie en marche.
Mais il ne s'agit pas seulement de Charlie Kirk. Des stratégies visant à instaurer et à ancrer une nouvelle politique identitaire, plus radicale et plus sectaire, dans le but de façonner les politiques et influences politiques, sont en cours dans l'ensemble de l'Occident.
Prenons l'exemple de Gaza. On nous a parfois demandé, parfois sous la menace d'une arrestation, de considérer le génocide comme la norme, d'accorder respect et estime aux auteurs du génocide plutôt qu'à leurs victimes.
Abordons maintenant le sujet de l'immigration. Le ton du débat s'est durci, des États-Unis au Royaume-Uni en passant par l'Union européenne. Un post Facebook standard sur la mort d'immigrants dans la Manche, en Méditerranée ou à la frontière américaine est désormais systématiquement accompagné de milliers d'émojis rigolards et de commentaires ouvertement racistes.
Des dizaines et des dizaines de comptes Instagram, suivis par des millions d'abonnés, se livrent désormais à un racisme désinvolte, à la suprématie blanche et au sectarisme envers des groupes considérés comme engagés ou de gauche.
Les digues sont en train de céder.
Les normes d'urbanité convenues de longue date sont en train de disparaître.
Ces tentatives d'instauration d'une nouvelle politique de reconnaissance ont échoué, notamment avec Donald Trump et son cabinet de podcasteurs incendiaires.
C'est pourquoi, malgré quelques critiques, je maintiens mon article de la semaine dernière dans lequel je décanonise Charlie Kirk. En effet, ne pas le qualifier de fasciste indigne de notre compassion contribuerait à alimenter les nouvelles normes hégémoniques propices au sectarisme et préjudiciables au bien commun.
Le plus grand mensonge de toute cette affaire consiste à prétendre qu'il ne s'agit que du droit à la liberté d'expression.
Mais en réalité, il n'est nullement question de liberté d'expression, mais de normalisation de la haine.
Quiconque s'inquiète de l'avenir devrait voir clair dans cette manœuvre et s'y opposer catégoriquement.
Quoi qu'il en soit, je vous encourage vivement à lire le livre de Nancy Fraser.
Traduit par Spirit of Free Speech