Les poètes ne font pas les révolutions,
mais la révolution fait parfois le poète.
Tandis que le bon peuple, écrasé par l'effort,
dort du sommeil du juste (ou plutôt de la brute)
voilà un autre peuple - et de drôles de corps -
qui s'agitent dans l'ombre, attirés par la Lutte :
j'ai nommé les veilleurs ; parmi eux les prophètes,
en retard d'une guerre et trois révolutions,
plus bavards que les pies ou les mauvais poètes
pointent leur doigt vengeur - dans quelle direction ?
Ces enragés en sont aux lendemains de fêtes,
leurs bras maigres tendus vers les péroraisons,
hurlant : rien ne va plus, et : il faut que ça pète !
tels des singes hurleurs pendus aux frondaisons.
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Je fais partie du lot... Moi aussi, je promène
mon regard détaché (mais pas indifférent)
sur le spectacle odieux de l'injustice humaine,
avec mon insomnie dans ce monde aberrant.
On voit que Monsieur fait dans le genre élégant.
- Mais l'époque est propice à la caricature,
il faut mettre les mains ou se salir les gants
sinon on n'obtient rien qu'une jolie peinture.
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- Ce n'est que le matin, à l'heure américaine,
que le bon peuple sort de son sommeil géant
réveillé par l'odeur du gaz lacrymogène,
pour remettre Paris le cul sur son séant.
C'est la marée qui monte, jaune, fluorescente
(plus jaune que le poil d'un président yanqui)
grossie par la colère, aveugle, repoussante,
et prête d'accoucher de quoi, d'on ne sait qui !
Paris n'est plus Paris... Et le peuple de France
est devenu client chez lui, comme à l'hôtel,
toujours payer, payer, risquer la contredanse
pour un pays changé en parc et en bordel !
Ce n'était pas assez d'abattre tous les dieux
si c'était pour remettre l'Argent à leur place...
- Reprenons à César ce qui revient aux gueux,
et laissons-lui la peau, les os et la carcasse !
Il traîne dans les rues un parfum de révolte
que la liberté donne au caoutchouc brûlé
quand au-dessus du ciel les pavés virevoltent
et que la pluie s'abat sur les corps emmêlés.
Je ne vois que l'amour, dans ses copulations,
pour nous offrir pareille explosion de matraques !
- Faudra voir au printemps prochain, à l'éclosion,
si notre hiver promet de casser la baraque.
Car il ne suffit pas que la Liberté soit,
il faut qu'elle soit belle, et forte, et désirable ;
comme celle qu'on voit debout, chez Delacroix,
et que tout vrai Français veut asseoir à sa table.
À toutes les « Marianne » issues de la Province :
apprenez qu'on vous aime, avec les yeux flétris,
plus que la Parisienne à la taille infra-mince
- et qu'on boira le sang à vos tétons rougis !
Courtesy of Tlaxcala
Publication date of original article: 01/02/2019