Le couperet est tombé. Un mois après son vote à l'Assemblée nationale, la loi Immigration ressort allégée du tiers de ses articles, après avoir été soumise au Conseil constitutionnel. Sur les 86 articles du texte, 35 ont été retoqués totalement ou partiellement. Si Emmanuel Macron a aussitôt "pris acte" de cette décision, le bilan des Sages n'a pas été reçu de la même manière par les politiques.
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Les Sages censurent très largement la loi Immigration
La droite et l'extrême-droite dans leur ensemble ont fustigé la censure du Conseil. La plupart des mesures annulées avaient en effet été adoptées en décembre sous la pression de la droite dure, majoritaire au Sénat. Sur RMC, le président des Républicains (LR) Eric Ciotti a dénoncé un "hold-up démocratique", et une décision "scandaleuse".
Marine Le Pen, député du Rassemblement national (RN) qui avait revendiqué une "victoire idéologique" après l'adoption du texte, a déploré "une très large censure". "Seule une réforme de la Constitution permettra de répondre aux enjeux migratoires", a-t-elle suggéré, une idée que partage aussi Eric Ciotti.
"C'est quand même très spécifique y compris dans l'Histoire de considérer que ceux qui ont pour charge, en vertu de la Constitution, de dire le droit, font un coup d'État contre le droit", a réagi Laurent Fabius, interrogé sur des propos du LR Laurent Wauquiez qui avait fustigé un "coup d'État de droit" de la part des Sages. "Notre décision reprend exactement ce qu'on appelle la jurisprudence", qui "remonte à plusieurs dizaines d'années", s'est-il défendu.
Le Conseil constitutionnel n'est "pas là pour rendre des services politiques" mais "une décision juridique", a martelé le président du Conseil.
Une loi "raciste et xénophobe"
Le coordinateur de La France Insoumise (LFI), à la gauche de la gauche, Manuel Bompard est revenu, lui, pour France Info, sur la stratégie politique choisie par le gouvernement pour faire voter la loi. "Je trouve très choquant que la droite dite républicaine se soit alignée comme elle l'a fait dans cette séquence sur les positions traditionnelles de l'extrême-droite". "Ils ont participé à une combine politicienne dans le dos de l'Assemblée nationale, a-t-il ajouté. Effectivement aujourd'hui, ils [en] payent le prix".
Mais le coordinateur ne cache pas en revanche son inquiétude face au texte final, qui conserve notamment un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l'un des objectifs de Gérald Darmanin. Et sans surprise, l'article sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension, qui avait cristallisé les débats de l'automne, perdure aussi dans le texte.
Manuel Bompard appelle donc l'exécutif à "retirer" la loi, tout comme la députée LFI Andrée Taurinya, qui assure que la lutte continue [...] pour que ce texte soit retiré". "L'ensemble [du texte] reste raciste et xénophobe", selon elle. Pour le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, le gouvernement portera d'ailleurs "comme une tache indélébile l'appel à voter" la loi.
"Cette loi, on n'en veut pas"
Du côté des associations aussi, on se réjouit de cette censure, même si la prudence reste de mise. "C'est une victoire ce soir", a réagi lors d'un rassemblement associatif près du Conseil constitutionnel le président d'Amnesty international, Jean-Claude Samouiller. Mais l'ONG sera "vigilante" à ce que la partie du texte censurée "ne revienne pas par la fenêtre" avant la promulgation de la loi, a-t-il ajouté.
Mais ce texte reste dangereux et le gouvernement a franchi des lignes rouges.
Beaucoup exige également le retrait pur et simple de la loi, même censurée par les Sages. "On est soulagés de voir les articles concernant les étudiants étrangers censurés [...] Mais censurée ou pas, cette loi on n'en veut pas", a clamé la secrétaire fédérale de l'Union étudiante Emmy Marc.
"Faute morale"
Delphine Rouilleault, directrice générale de l'association France terre d'asile, a aussi exprimé son "soulagement immédiat de voir censurées les mesures les plus hostiles aux étrangers". "Mais la faute morale reste immense et les dispositions maintenues vont durcir les conditions d'exercice du droit d'asile. Rien de réjouissant à tout cela", a-t-elle ajouté sur le réseau social X.
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De son côté, la Fédération des acteurs de la solidarité, qui regroupe près de 900 associations et organismes, a fait part dans un communiqué de son "soulagement" mais assure maintenir "sa vigilance et sa mobilisation". L'organisation appelle le gouvernement à "ne pas tenter de réintroduire par de nouvelles lois" les dispositions n'ayant pas été censurées sur le fond.
L'Unicef demeure elle aussi "préoccupée par le maintien de plusieurs dispositions qui, si elles n'ont pas été déclarées inconstitutionnelles, semblent toutefois incompatibles avec le respect des droits de l'enfant", a déclaré Adeline Hazan, sa présidente, dans un communiqué. Parmi ses principales inquiétudes : la création d'un fichier des mineurs non accompagnés présumés délinquants.
L'Auberge des migrants, basée à Calais, affirmait déjà, elle, quelques heures avant la décision : "Quel que soit l'avis rendu, les relents xénophobes qu'elle a charriés resteront dans l'histoire de la Vᵉ république. La seule réponse valable est le retrait".