Venues de toute la France, 1.500 personnes ont marché à Paris samedi contre le projet de centre commercial et de loisir EuropaCity à Gonesse. Alors que le gouvernement doit se prononcer sur son avenir, les opposants ont voulu montrer leur détermination.
La marche contre EuropaCity samedi 5 octobre à Paris aura été à l'image de la météo. Une pluie fine frappant le bitume qui coule et grandit comme une rivière impétueuse. Au départ, à Pantin, on comptait à peine une cinquantaine de manifestants. A l'arrivée, une dizaine de kilomètres plus loin, ils étaient plus de 1500, rejoignant le cortège de toute part, aux cris « des terres, pas des actionnaires », « des navets sous les pavés »,« des radis, pas des caddies ! ».
A l'origine, rien n'était gagné. Le crachin soufflait sur les visages trempés et chacun s'emmitouflait sous son k-way. Le doute était palpable. Le temps allait-il entamer la détermination des manifestants ? Une délégation allait-elle être reçue à Matignon pour demander l'arrêt de ce projet de méga centre commercial, mangeur de terres agricoles ?
Au métro Stalingrad, vers 11h, les premiers parisiens se sont joints à la marche avec de nouvelles banderoles. Le nombre de marcheurs a triplé, apportant un regain d'énergie. 400 personnes sont arrivées à midi à République puis 600 à Bastille avant de partager « la soupe de Gonesse » avec des courges cultivées et récoltées en lieu et place du chantier d'EuropaCity.
En début d'après-midi, les manifestants sont repartis en direction de Matignon sous un léger rayon de soleil, les rangs gonflés par l'arrivée encore de nouveaux opposants. Ils dépassaient le millier. Les drapeaux de Greenpeace, France nature environnement ou de la Confédération paysanne côtoyaient les écharpes tricolores des élus et les politiques de gauche, très nombreux. Des Gilets jaunes se sont aussi mêlés à la marche, bien escortée par une dizaine de fourgons de gendarmes mobiles.
« On a gagné la bataille culturelle »
« On a traversé 8 villes et marché plus de 40 kilomètres », raconte, enthousiaste, Jeanne qui a commencé la manifestation à Gonesse le vendredi matin. « A chaque stop, on grossissait. Les habitants se mêlaient à nous pendant quelques mètres. A pied, on se réapproprie plus facilement le territoire, on est plus proche de la population. Rien à voir avec les manifestations classiques entre Bastille et Nation ! ».
La marche est aussi une manière de découvrir « l'envers de la métropole », de dresser un trait d'union entre Paris et sa périphérie. « On est passé par des friches industrielles, sous des bretelles d'autoroutes, des échangeurs et des entrepôts, poursuit Jeanne. Toutes ces terres agricoles ont peu à peu été grignotées pour les besoins de Paris ».
La lutte contre la bétonisation reste au cœur des revendications de la journée. Le projet EuropaCity se situe à un moment charnière de son histoire. Les rumeurs se multiplient sur son possible abandon. Le gouvernement doit prendre très prochainement une position. « Il est donc crucial à ce stade d'accroître le rapport de force », estime Cyril du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG).
« Il y a des signaux positifs », pense également la conseillère régionale écologiste Gishlaine Senée, présente au cour de la marche. « Le 17 septembre, en séance plénière du Conseil régional, Valérie Pécresse a émis des doutes sur le projet ». EuropaCity est de moins en moins soutenu.
« On a gagné la bataille culturelle. Les gens ne voient pas l'intérêt de construire encore et encore des centres commerciaux, ni d'installer une piste de ski artificielle à la périphérie de Paris. Ils préfèrent favoriser l'agriculture bio de proximité », juge Julien Bayou porte-parole d'Europe-écologie-les-verts.
« Le projet de gare pourrait ouvrir la voie à une bétonisation rampante »
Bernard Loup, le président CPTG, reste plus prudent. « Rien n'a encore été dit officiellement. Ne soyons pas trop optimiste ». D'autant plus que l'abandon d'EuropaCity pourrait être une victoire à la Pyrrhus. Car le projet de la nouvelle gare, au milieu des champs, lui, est toujours d'actualité. Il pourrait ouvrir la voie à une « bétonisation rampante » selon Bernard Loup. « Nous exigeons donc le report des travaux de la gare, l'arrêt de l'ensemble des projets d'urbanisation et la préservation de toutes les terres agricoles », déclare-t-il.
Cyril se méfie aussi d'une potentielle récupération. « Nous avons proposés, pour remplacer EuropaCity, le projet Carma de maraîchage de proximité. Il a reçu beaucoup d'échos. Nous voyons bien les autorités nous donner quelques miettes et bétonner le reste ». Or pour lui, « CARMA n'est pas seulement un projet de territoire mais un projet de société qui exige de repenser à la racine notre modèle de développement ».
Une idée que partage l'association des jeunes de Gonesse venue manifester avec les écologistes. « Nous ne remercierons jamais assez les groupes Wanda et Auchan de l'opportunité qu'ils nous ont offerte, ironise un de ses porte-paroles, A travers EuropaCity, c'est la question de la réappropriation de l'espace de la ville par les citoyens qui est posée ».
« Nous sommes le peuple des empêcheurs de bétonner en rond »
Dans le cortège, on rencontre des personnes venues des quatre coins de la France. Chacun amène avec lui ses luttes et son grand projet inutile. Gisèle vient de Savoie et se bat contre la ligne à grande vitesse Lyon Turin. Francis et Agnès sont originaires de Picardie et se mobilisent contre la ferme des mille vaches. Ils sont descendus à Paris avec leur drapeau Novissen. Manu habite l'Ariège et manifeste contre la mine de Salau. Régis vit à Orléans et a bataillé contre le projet d'un village de marque Décathlon.
« Gonesse est devenue une lutte emblématique contre l'artificialisation des sols, nos combats se nourrissent mutuellement et se rejoignent », pense Jacques venu directement de Compiègne. « Nous sommes le peuple des empêcheurs de bétonner en rond ! », dit-il goguenard. La marche à travers la Seine Saint Denis et le Val d'Oise a aussi été l'occasion d'aller à la rencontre d'autres luttes locales. La corniche de Romainville et la destruction de son bois, par exemple. Mais encore le parc de la Courneuve partiellement menacé par les Jeux Olympiques 2024, ou le square de la Maladrerie à Aubervilliers où 45 arbres risquent d'être abattus pour laisser place à un puits de ventilation.
Dominique, elle, vient directement du Vexin où elle se mobilise contre des projets de cimenteries depuis 1995. « La lutte à Gonesse nous a donné de la force et des contacts. Elle nous a porté dans son orbite », souligne-t-elle. Avec ces myriades de combats, le décalage entre les promesses du gouvernement et la réalité palpable sur le terrain n'a jamais été aussi grande. Rien qu'en Île-de-France, 2000 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année. « Comment Emmanuel Macron peut-il dire qu'il va arrêter l'artificialisation des terres et ne rien faire contre tous ces projets ? C'est de la pure démagogie », dénonce Isabelle, venue spécialement des Yvelines pour la marche.
Arrivée à trois cent mètres de Matignon, rue de Varennes, la manifestation se retrouve bloquée par un escadron de gendarmes. Interdiction de continuer. Ordre de se disperser. Le Premier ministre ne peut soit-disant pas les recevoir. Les autorités invitent les organisateurs à contacter le ministère de la Transition écologique pour un éventuel rendez-vous. Bernard Loup s'insurge, « on les a déjà vu il y a un mois, ils nous ont dit que le dossier se trouvait sur le bureau du premier ministre ! Ça n'a aucun sens ! ». Et la foule de scander « Macron laisse béton ! Macron laisse béton ! ».
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