Ce samedi 12 janvier, les manifestations des «gilets jaunes» se sont encore une fois renforcées sur fond de large colère contre Emmanuel Macron. Selon le ministère de l'Intérieur, 84.000 personnes ont manifesté pour «l'Acte IX», contre 50.000 pour l'Acte VIII, et même la presse officielle avouait que ce chiffre sous-évaluait la mobilisation.
Les enseignants qui, inspirés par les «gilets jaunes» ont rejoint les «stylos rouges» sur Facebook pour manifester contre la casse des écoles et des salaires par des gouvernements successifs ont aussi manifesté. Le fait que des sections de salariés avancent leurs revendications en solidarité avec les «gilets jaunes» souligne la montée en force de l'opposition des travailleurs en France. Ceux-ci sont de plus en plus conscients de l'émergence des luttes en Europe et en Amérique.
Des manifestations se sont déroulées à travers la France. A Bourges, plus de 6.300 «gilets jaunes» ont bravé l'interdiction de la police pour manifester et pénétrer un périmètre établi par la police. Les forces de l'ordre ont interpellé 18 personnes. Les «gilets jaunes» ont aussi escorté pacifiquement les journalistes de BFM-TV, chaîne hostile aux «gilets jaunes», pour les éconduire de la manifestation.
Manifestations de masse et affrontements avec des forces de l'ordre se sont multipliés. A Nîmes 3.000 manifestants ont affronté la police, qui ont tiré d'épais nuages de lacrymogènes autour des arènes et de la préfecture. Plus de 2.000 «gilets jaunes» à Rouen ont manifesté et expulsé des policiers en civil de leurs rangs. A Caen, 4.000 manifestants ont affronté la police autour de la gare, jetant le ballast des voies contre les forces de l'ordre.
A Bordeaux, 10.000 «gilets jaunes» ont manifesté, et des centaines ont affronté les forces de l'ordre en soirée autour de la place Pey-Berland. Un manifestant touché d'un flash-ball à la tête était dans le coma. A Toulouse, 5.000 «gilets jaunes» ont occupé la place du Capitole. A Lille, où 3.000 «gilets jaunes» scandaient «Macron démission» et «Castaner en prison», la police a arrêté tous les street-médics de la manifestation. A Marseille, 3.000 «gilets jaunes» ont défilé sur La Canebière et affronté la police autour du Vieux Port; à Nantes la police a arrêté 15 des 2.600 manifestants.
A Paris, au moins 10.000 «gilets jaunes» ont défilé dans 4 cortèges séparés alors que les «stylos rouges» manifestaient également dans la capitale.
Les reporters du WSWS ont interviewé des manifestants place de la Bastille. Ils scandaient «Paris soulève-toi»,, «Macron démission» et «Libérez Christophe», après l'interpellation de l'ex-champion de boxe Christophe Dettinger pour avoir frappé des policiers qui attaquaient une «gilet jaune» il y a une semaine.
Philippe, qui travaille dans les services publics, a dit au WSWS: «Comme toutes les semaines, on attend que le président fasse quelque chose sur les taxes, la régularisation des salaires. Le RIC c'est important parce qu'on vote et ensuite pendant 5 ans ils ont porte ouverte, ils peuvent faire ce qu'ils veulent et nous on a juste à nous taire et à faire les moutons.» Il a ajouté, «c'est anormal que quelqu'un qui a cotisé 40 ans à la Sécurité sociale se trouve avec juste 800 euros par mois... Quand on voit ensuite les dépenses, tout ce qu'il y a au pouvoir, c'est scandaleux.»
Philippe a dénoncé la répression des «gilets jaunes»: «Là je suis à toutes les manifestations depuis le début, à chaque fois que ça se passait bien on se faisait gazer.... Puis on regarde le nombre de blessés qu'il y a eu!» Évoquant les «gilets jaunes» qui ont perdu des mains aux grenades ou des yeux aux flash-ball, il a dit: «Ce n'est pas proportionnel du tout. Il est bien stipulé que le tir de flash-ball doit se faire pas plus haut qu'au niveau de la ceinture. Mais il n'y a pas beaucoup de jambes qui ont été touchées mais des yeux, des torses, etc. C'est tout à fait disproportionné.»
Il a ajouté que c'était à présent une lutte non pas française mais européenne contre le soutien international pour Macron dans l'Union européenne: «Macron, il y a eu beaucoup de personnes qui avaient un espoir en le voyant arriver, parce qu'il disait qu'il allait faire exploser tous les autres partis politiques. En fait, il nous a plongés dans la misère encore plus. Il faut bien reconnaître, il vient de la finance de toute façon, ils sont tous dirigés par l'Europe. C'est l'Europe qui est le problème maintenant.»
Interrogé sur les travailleurs de Ford menacés à travers l'Europe, Philippe a dit: «Nous on est solidaires de toutes les personnes qui sont opprimées, qui n'ont plus d'argent. Partout en Europe, on a des conversations avec des 'gilets jaunes' de l'étranger. Ça risque de devenir un mouvement européen et ça sera beaucoup plus grave à mon avis, ça rassemblera beaucoup plus de monde. Ça fait huit semaines qu'on est dans la rue et qu'on a rien, c'est toujours la même chose.»
Près de Bastille, Manu a dit au WSWS pourquoi il se mobilise: «On paie de trop et on n'a plus rien à la fin du mois. On est le combien, le 12? Je n'ai déjà plus rien, et je travaille. Il n'y a pas que moi, c'est tout le monde, toute la France.»
Interrogé sur le rôle des syndicats, Manu a répondu qu'ils ne sont pas différents des partis politiques établis: «Non, il n'y a personne qui nous aide. On est seuls. Il faut qu'ils dégagent, il n'y a plus que cela à faire. Nous on trime tous les mois pour avoir des salaires de misère, ils reçoivent des choses et pour leur famille. Il faut arrêter, quoi.»
Thibault, un étudiant en physique, a parlé au WSWS place de la République. Il a dit, «Notre vote est utilisé comme système de légitimation pour des choses qu'on a même pas voté. Ce qui a déclenché la mouvement et le nerf de la guerre, c'est qu'on assiste à une sizaine d'années à une explosion des inégalités dans le monde. En France on a vu les dividendes augmenter de 23 pour cent pour les actionaires dans les entreprises, le nombre des millionnaires augmenter et l'ISF supprimé.»
Il a ajouté qu'il ne s'attendait pas à un changement d'orientation de Macron: «Cette violence policière est continuellement occultée, il y a des blessés graves, des membres arrachés. C'est évidemment pas normal, et c'est évidemment la posture d'un gouvernement qui a décidé d'aller jusqu'au bout.»
Il a réfuté ceux qui disent que les «gilets jaunes» sont d'extrême-droite: «J'ai vu des personnes avec des drapeaux monarchistes. Je veux croire que c'est une frange extrêmement minoritaire du mouvement, car les revendications qui ont été portées par le mouvement jusqu'ici sont précisément en contradiction avec l'extrême-droite aujourd'hui. Que les gens viennent nous dire que les problèmes sont causés par l'immigration, ça je ne veux pas en entendre parler.»
Le WSWS a aussi parlé aux «stylos rouges» qui manifestaient à Paris. Aline s'est moquée du porte parole du gouvernment, Benjamin Griveaux, dont les «gilets jaunes» ont défoncé la porte du ministère.
Elle a dit, «L'Éducation nationale est en danger depuis très longtemps, 2.600 suppressions de postes prévus à la rentrée prochaine, des milliers de postes supprimés depuis 25 ans, des classes surchargées, des locaux on ne peut plus dégradés. Moi ça me fait rire quand j'entends les gens du ministère de Benjamin Griveaux se plaindre d'une porte défoncée, quand on voit les portes dans mon lycée. Je viens de Drancy, je vous invite à voir dans quel préfabriqué nous travaillons, trous dans le plancher, portes fracturées.»
Elle a ajouté, «Dans l'Éducation nationale le point d'indice est gelé depuis à peu près 20 ans. On a perdu 20 pour cent de pouvoir d'achat en 20 ans, environ. Un débutant commence à 1.350 euros quand il est titulaire, sans parler de tous les contractuels qui ne sont payés pendant les vacances... C'est ça qui est en train de s'installer dans l'Éducation nationale comme ce qu'il y a dans le privé.»
Mélanie a dit au WSWS, «Les 'gilets jaunes', c'est un mouvement populaire qui a initié celui des 'stylos rouges', ça nous a motivés à essayer de faire quelque chose.» Elle a expliqué, «On a très peu de moyens dans nos écoles, on achète beaucoup de moyens de notre poche. J'apporte plein de jeux de mes enfants à l'école. A la rentrée on achète nos propres stylos, on achète nos propres matériels, nos agendas, nos feuilles, nos cartouches d'encre, on mobilise également les parents pour faire si possible des photocopies».
Elle a ajouté, «A un certain moment, il va falloir prendre l'argent là où il y en a, c'est-à-dire il y a ceux qui touchent des salaires mirobolants.»
Dénonçant les critiques des enseignants dans les médias, elle a dit: «on est pas des nantis, on n'est pas des fainéants.... Le salaire de départ c'est 1.400 euros.» Elle a expliqué que c'était un travail fait par conviction, non pour de l'argent: «Moi j'ai voulu être enseignante depuis le CM2. J'ai eu une enseignante formidable... Sa vocation, son dévouement envers les élèves m'a abasourdie. Depuis ce jour-là, je me suis dit dès ce jour-là que je voulais enseigner, je voulais aider les enfants en difficulté et je veux oeuvrer au développement des citoyens.»
Elle a souligné sa solidarité avec les enseignants mobilisés à Los Angeles: «Ça commence, là-bas aux Etats-Unis. J'ai vu que les enseignants aux Etats-Unis commencent aussi à prendre la parole. C'est nécessaire, il faut que ce soit international parce que ce n'est pas qu'en France, il n'y a pas que nous et je pense que c'est à peu près partout pareil, l'éducation est délaissée face à d'autres postes. A un certain moment, il faut que ça s'arrête et forcément je suis solidaire de leurs luttes.»
Alexandre Lantier
La source originale de cet article est wsws.org
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