09/04/2021 reseauinternational.net  12min #188018

 Cpi : l'enquête contre les crimes israéliens enfin ouverte !

Palestine/conseil des Droits de l'Homme de l'Onu : à propos d'un vote récent exigeant la justice pour les victimes palestiniennes

par Nicolas Boeglin.

Durant les derniers jours de sa session annuelle à Genève, le Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies a adopté la résolution (A/HRC/46/L.31) intitulée « Situation des droits de l'homme dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice » (voir le  texte intégral).

Il s'agit, comme chaque année, d'un rappel concernant les diverses obligations en matière de droits de l'homme et de droit international humanitaire qu'Israël viole en toute impunité, et ce depuis de nombreuses années.

Le contenu de la résolution de 2021 en bref

Dans cette résolution adoptée le 23 mars 2021, on y lit que le Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies :

4. Déplore qu'Israël persiste dans son refus de coopérer avec les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales et les autres mécanismes des Nations unies cherchant à enquêter sur les violations présumées du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et lui demande de coopérer pleinement avec lui et à toutes ses procédures spéciales, mécanismes pertinents et enquêtes, ainsi qu'avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme ;

5. Exige qu'Israël, Puissance occupante, mette fin à toutes les actions menées illégalement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, notamment la construction de colonies, la démolition d'habitations, y compris les démolitions à titre punitif, l'expulsion d'habitants palestiniens et le retrait, en vertu de plusieurs lois discriminatoires, des permis de résidence de Palestiniens vivant à Jérusalem-Est, les travaux d'excavation réalisés sur des sites religieux et historiques et à proximité, et toutes les autres mesures unilatérales tendant à modifier le caractère, le statut et la composition démographique du territoire dans son ensemble, qui toutes ont, notamment, des conséquences graves pour les droits de l'homme du peuple palestinien et pour les perspectives d'un règlement juste et pacifique ;

Parmi les paragraphes ajoutés à ceux habituellement réunis dans cette résolution annuelle, on peut lire que le Conseil des Droits de l'Homme pour cette session de 2021 :

18. Engage Israël, Puissance occupante, à respecter immédiatement les obligations qui lui incombent au regard du droit international à l'égard de population occupée protégée, et à garantir l'accès, sans discrimination aucune, aux vaccins contre la maladie à coronavirus (COVID-19) dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, notamment en coordination avec le Gouvernement de l'État de Palestine.

Comme l'indique la lecture intégrale du texte (fortement recommandée) le Conseil des Droits de l'Homme des Nations unies ne fait que réitérer sa profonde inquiétude face à la situation dans le territoire palestinien occupé, en exhortant la Puissance occupante à remplir ses obligations et à enquêter et sanctionner les responsables d'exactions commises contre la population civile palestinienne.

Image de bombardements israéliens à Gaza extraite de cette note de France24, intitulée « Israël bombarde massivement Gaza, l'ONU appelle à éviter la guerre », édition du 20/07/2014 et note mortuaire publiée par l'ONG Save the Children au Royaume Uni en août 2014

De quelques tentatives diplomatiques pour contrer cette résolution

Comme à son habitude, Israël (qui n'est pas membre du Conseil des Droits de l'Homme) ainsi que son fidèle allié américain (qui ne l'est pas non plus) ont déployé d'intenses efforts diplomatiques pendant les semaines antérieures au vote de ce 23 mars 2021, afin d'essayer d'obtenir un résultat plus favorable parmi les 47 États Membres du Conseil des Droits de l'Homme (voir  composition actuelle).

On se souviendra que les États-Unis se sont retirés en juin 2018 en signe de défiance de cet organe, suite à une résolution de celui-ci créant une commission pour enquêter les exactions commises par les forces de sécurité israéliennes contre les manifestants palestiniens désarmés participant à la « Grande Marche du Retour » : à cette occasion, les deux seuls États à voter contre furent l'Australie et les États Unis. Déplorée par nombre d'organes aux Nations unies (voir  communiqué officiel des Nations unies) ainsi que par l'Union européenne (voir  communiqué officiel) ou encore par le Royaume Uni (voir  communiqué officiel), cette décision nord-américaine fut saluée officiellement par un seul État : Israël.

Quelques jours avant le vote de cette résolution à Genève le 23 mars 2021, le Président israélien en personne a réalisé une tournée en Europe pour y visiter ses pairs en Allemagne, en Autriche et en France, dans le cadre de la campagne menée par Israël dirigée contre une décision récente de la justice pénale internationale (voir par exemple cette  dépêche de l'agence chinoise Xinhua).

Les résultats du vote de la dite résolution

La résolution a finalement été adoptée avec 32 votes pour (dont ceux de l'Allemagne et de la France), 6 contre (dont l'Autriche) et 8 abstentions : un État du Moyen Orient et membre du Conseil des Droits de l'Homme particulièrement observé, Bahreïn, a choisi de ne pas participer au vote (absence de son délégué au moment du vote, ou encore « No Show »). En 2019, le projet de résolution (voir  texte intégral) avait été déposé par plusieurs États, dont Bahreïn. Comme on s'en souvient, le 15 septembre 2020, Bahreïn et Israël ont signé un accord de normalisation de leurs relations à Washington, en présence du locataire de la Maison Blanche.

Cette année 2021, Israël n'a pu compter que sur les voix de l'Autriche, de la Bulgarie, du Brésil, du Cameroun, du Malawi et du Togo (qui ont voté contre le texte) comme le montre le tableau (disponible 𝕏 ici) concernant les votes recueillis reproduit ci-dessous :

Pour ce qui concerne les États d'Amérique latine et des Caraïbes, à l'exception du Brésil qui a voté contre, les autres États de la région ont voté en faveur de la résolution (Argentine, Bolivie, Cuba, Mexique, Uruguay et Venezuela), les Bahamas ayant choisi de s'abstenir (tout comme les Philippines, l'Inde, les Iles Marshall, le Népal, le Royaume-Uni, la République Tchèque et l'Ukraine).

On notera qu'en juin 2020, lors du vote d'une résolution similaire, parmi les 17 abstentions recueillies figuraient l'Allemagne, la Corée du Sud, le Danemark, l'Italie, le Japon, la Pologne, le Sénégal et l'Uruguay : 8 États qui auront donc changé de position entre 2020 et 2021, passant de l'abstention au vote affirmatif en faveur du texte.

Le vote d'une résolution sur la justice et la responsabilité dans le territoire occupé palestinien en 2021

Contrairement aux années antérieures, ce vote du 23 mars 2021 au sein de la plus haute instance des droits de l'homme des Nations unies revêt une importance toute particulière pour la Palestine, pour les victimes et les organisations palestiniennes qui réclament depuis longtemps que justice soit rendue face aux crimes et aux exactions israéliennes de toute sorte commises sur le territoire palestinien : le 5 février dernier, une lueur porteuse de bien des espoirs a vu le jour. En effet, la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI) a décidé que la CPI est pleinement compétente pour examiner ce qui s'est passé dans tous les territoires palestiniens, sans aucune exception, depuis le 13 juin 2014.

Comme prévisible, cette décision a provoqué les gesticulations désormais habituelles des plus hautes autorités israéliennes (voir à ce sujet notre brève note intitulée : « Palestine/Cour pénale internationale (CPI) : brèves remarques à propos de l'attitude d'Israël contre la décision de la Chambre préliminaire du 5 février 2021 », disponible  ici).

Un récent wébinaire avec des juristes francophones (le professeur Eric David - Belgique - et le magistrat Ghislain Poissonnier - France -) organisé par l'AURDIP (Association des Universitaires pour le Respect du Droit international en Palestine) a analysé la portée de cette décision historique en date du 5 février 2021 de la justice pénale internationale (voir  programme et Webinaire de l’AURDIP : la Palestine à la Cour pénale internationaleWebinaire de l’AURDIP : la Palestine à la Cour pénale internationale du wébinaire réalisé le 30/03/2021).

On notera au passage que c'est le prochain 9 avril qu'expire le délai fixé par la CPI aux autorités israéliennes (et palestiniennes) pour répondre à la notification envoyée le 9 mars : le principe de complémentarité  ici1oblige la CPI à solliciter dans un premier temps à l'État incriminé de lui communiquer la liste des enquêtes menées sur les mêmes faits (ce afin de ne pas dupliquer les efforts des entités judiciaires nationales antérieurs). Il se trouve qu'en ces premiers jours d'avril 2021, la stratégie d'Israël ne semble pas être très claire pour certains commentateurs israéliens (voir par exemple cette  note du Jerusalem Post du 1/04/2021 intitulée « Israel has no planned approach, response to ICC, with 9 days to go » et cette  tribune publiée dans Haaretz intitulée « Israel and the ICC : Denial Isn't Just a River in Egypt »). Si Israël répond formellement à la CPI sur les éventuelles enquêtes internes menées en relation avec les faits sur lesquels la CPI veut enquêter, il légitimerait la décision du 5 février dernier, qu'Israël considère officiellement comme illégitime, partiale et même « antisémite » ici2 ; et s'il ne répond pas à la CPI, il habiliterait alors juridiquement les enquêteurs de la CPI à examiner eux-mêmes tous les faits, sans exception d'aucune sorte. Il convient également de noter que le 3 avril 2021, la CPI a salué le retrait des sanctions à son encontre par la nouvelle administration américaine (voir le  communiqué officiel de la CPI). Comme on le sait, le seul État à avoir félicité officiellement les États-Unis pour cette décision insolite prise en juin 2020 est Israël (voir cet  article du Times of Israel du 11/06/2020) : nous avions eu l'occasion d'expliquer que les justifications officielles données par les États-Unis en annonçant ces sanctions en cachaient une autre, moins explicite, liée à Israël.

De quelques exercices similaires au sein du Conseil des Droits de l'Homme

En 2020, une résolution similaire (voir  texte intégral) avait été adoptée par le Conseil des Droits de l'Homme avec 22 votes en faveur (dont celui de Bahreïn), 8 contre et 17 abstentions (les États ayant voté contre étant l'Autriche, l'Australie, le Brésil, la Bulgarie, les Iles Fidji, la République Tchèque, le Togo et l'Ukraine).

En 2019 (voir  texte intégral), les résultats obtenus furent 23 votes en faveur, 8 contre et 15 abstentions.

En 2018, un texte similaire (voir  texte intégral) avait obtenu 27 votes en faveur, 4 contre (Australie, États-Unis, Togo et Royaume Uni) et 15 abstentions.

C'est dire si le résultat de ce vote de mars 2021 conforte la position de la Palestine et isole un peu plus Israël : une tendance qui devrait se confirmer lors de votes similaires au sein cette fois de l'Assemblée Générale des Nations unies en septembre/octobre 2021, ou cette fois seront concernés non pas 47 mais 193 États Membres des Nations unies.

En guise de conclusion

Au delà de l'embarras de la délégation du Bahreïn au moment de voter cette résolution en 2021, et du changement de position parmi la quinzaine d'États choisissant de s'abstenir, la comparaison des résultats obtenus depuis 2018 indique que le résultat du vote de 2021 de cette résolution constitue le plus mauvais score obtenu par Israël et par son fidèle allié nord-américain ces dernières années.

Ceci confirme (une fois de plus) l'effet contre-productif pour Israël du ton et de l'attitude adoptés par ses plus hautes autorités ces derniers temps, et qui consiste à défier ouvertement les bases de l'ordre juridique international.

source :  derechointernacionalcr.blogspot.com

  1. Le principe de complémentarité signifie que la CPI n'examine que les affaires qui n'ont pas fait l'objet d'enquêtes par les autorités judiciaires nationales ; ou bien, lorsqu'à travers de prétendues « enquêtes », la réticence de l'État à rechercher et à punir dûment les responsables des actes incriminés est manifeste : cf. C.-TOUSSIGNANT M., « L'instrumentalisation du principe de complémentarité de la CPI : une question d'actualité » RQDI (Revue québécoise de Droit international), Année 2012, pp.73-99. Texte intégral de l'article disponible  ici. En ce qui concerne le crime de guerre que constitue la colonisation illégale menée par Israël depuis de nombreuses années et qui fait l'objet de la requête adressée par la Palestine à la CPI, on a pu lire récemment de la part de spécialistes français que : « Le droit israélien considérant la colonisation comme légitime, aucune enquête nationale ne sera bien sûr menée sur les auteurs du crime de colonisation. Le bureau du procureur pourra donc enquêter sans délai sur ces faits, sans qu'Israël puisse lui opposer la règle de la « complémentarité », à savoir l'existence de procédures pénales menées dans un État contre les auteurs de crimes de guerre et qui peut faire obstacle à l'exercice de la compétence de la CPI, comme cela sera peut-être le cas dans les deux premiers types de crimes commis à Gaza » (cf. PICHET E. & POISSONNIER G., « Colonisation des territoires palestiniens : quelles conséquences peut entraîner l'ouverture de l'enquête de la CPI ? », The Conversation, édition du 17/03/2021, et disponible  ici).
  2. Cf. cette  note du Times of Israel, intitulée « Netanyahu : An ICC investigation of Israel would be 'pure anti-Semitism' » (édition du 6/02/2021) et cette tribune signée par le président israélien dans Le Figaro, le 18 mars 2021, disponible  ici.
  3. Cf. BOEGLIN N., « Sanciones de EEUU contra la Corte penal internacional (CPI) : algunos apuntes sobre sus verdaderas motivaciones », site de la Universidad de Costa Rica (UCR), Section Voz Experta, 24/09/2020, et disponible  ici.

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