06/04/2020 les-crises.fr  4min #171777

 Le Professeur Didier Raoult : Rebelle Anti-Système ou Mégalomane sans éthique ?

Pour Xavier Lescure, infectiologue à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard (Paris), l'étude du professeur Raoult « est une honte scientifique ».

Source :  Le Point, Jérôme Vincent

Xavier Lescure est infectiologue à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard à Paris. Cet établissement référent face aux menaces épidémiques est confronté au coronavirus depuis deux mois. C'est ici que le premier décès en France a été constaté. Tendu, le professeur commence par nous engueuler au téléphone ce matin du jeudi 26 mars, quand nous lui demandons si l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est au bord de la rupture, avant de reprendre comme d'habitude son ton calme et ses explications franches de la situation.

Le Point : Êtes-vous inquiet ?

Pr Xavier Lescure : À Bichat, nous sommes presque saturés. Nous manquons déjà de pousse-seringues, parfois de respirateurs, de sédatifs. De tenues de protection, aussi. Tout l'hôpital s'est mis au Covid-19. On a poussé les murs tous les jours pour trouver de la place pour accueillir les patients infectés. Au nord de Paris, les difficultés du confinement sont plus prononcées qu'à Neuilly ou dans les Hauts-de-Seine, nous accueillons donc beaucoup de patients, en plus d'être site de référence. Et l'équation est encore plus complexe puisqu'il nous faut tout de même maintenir une activité ordinaire indispensable, en particulier d'accueil des urgences, les accidents, les infarctus... Bref, nous avons entre 45 et 50 lits de réanimations et 160 à 200 lits d'hospitalisation occupés par des patients testés positifs au Covid-19.

À quelles difficultés principales devez-vous faire face ?

Des collègues médecins d'autres services sont venus nous aider. Ça fait du bien. Nous avons pu nous concentrer sur les malades graves. Outre la pénurie naissante de certains matériels, nous manquons surtout d'infirmiers et d'infirmières en salles d'hospitalisation où les patients sont à surveiller comme le lait sur le feu. Où nous savons que certains malades n'auront pas de bénéfice à être transférés en réanimation et à qui nous tentons de donner toutes leurs chances de survie en les gardant en hospitalisation. Des médecins réanimateurs nous manquent, il va sans doute falloir dans les jours à venir intuber des malades hors de la réanimation.

Les membres du personnel de l'hôpital sont-ils fatigués ?

Je ne suis pas en pleine forme. Mais nous avons une équipe géniale. Chacun est à son poste. Il y a une union sacrée. Quel que soit le nombre d'heures de sommeil des uns et des autres, cette relation nous porte.

Avez-vous dû abaisser le niveau de qualité des soins prodigués ?

Non, pour le moment nous n'avons pas dégradé notre qualité des soins. Ça va juste plus vite. Nous n'avons rien changé au plan clinique et éthique. Les patients à qui nous ne proposons pas la réanimation aujourd'hui, nous ne leur aurions pas proposé en temps habituel. Ce qui a été dégradé dans la prise en charge des malades et de leurs proches, c'est la restriction, voire l'interdiction des visites, c'est la limitation du temps d'accompagnement des familles endeuillées.

Allez-vous demander de l'aide à d'autres établissements ?

On ne va pas demander assistance, en matériel ou en moyens humains, à d'autres hôpitaux de l'AP-HP qui vont être dans la même situation que nous dans une dizaine de jours. On réfléchit à des établissements en dehors de l'Île-de-France.

Vous me disiez que vous manquez d'un traitement contre le virus, mais c'est général, partout c'est comme cela ?

Je suis très affecté en tant que chercheur, enseignant et médecin par la polémique sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine. Je passe sur l'étude pilote, à propos de quelques patients seulement,  présentée par le professeur Didier Raoult, qui est méthodologiquement délirante. Ce n'est pas un essai thérapeutique randomisé, avec des patients tirés au sort, ils sont sélectionnés sans qualité, certains sont asymptomatiques et n'ont pas à recevoir un traitement, certains évoluent défavorablement vers la réanimation ou la mort et sont exclus de l'étude, etc. C'est une honte scientifique. Un chercheur peut avoir des convictions, mais pas de certitude. Le doute doit le guider.

À l'instant où je vous parle, c'est surtout le médecin que je suis, au pied du lit des malades, qui est affecté. Tout le monde veut du Plaquenil maintenant, alors que ce traitement peut entraîner une évolution défavorable de l'état de santé de nos patients infectés. Et nous avons toutes les difficultés du monde à mener les essais cliniques rigoureux qui ont été commencés sur plusieurs molécules, car les patients veulent « leur » Plaquenil. Cette communication débridée risque de ralentir l'inclusion de patients dans les essais cliniques de médicaments contre le Covid-19, car nous devons maintenant passer beaucoup de temps pour les réinformer. Enfin, je suis également affecté comme enseignant, la communication sur ces molécules va à l'encontre de tout ce qu'on m'a appris et que je transmets à mes étudiants. Allons à l'essentiel, il n'y a pas de temps à des controverses inutiles.

Source :  Le Point, Jérôme Vincent

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