Fidèles à notre mission d'informer sans tabous, et souvent à contre-courant, nous avons souhaité rapporter quelques faits à propos du Professeur Raoult, nouvelle star des réseaux sociaux, et maintenant des médias.
Notre propos ne sera pas sur ce site, de trancher la question de l'efficacité de la chloroquine, c'est un débat que nous laissons aux médecins, seuls compétents pour en juger. Nous nous interdisons même d'avoir un avis sur ce sujet. Cela n'est pas de notre ressort, l'efficacité d'un traitement ne relevant pas du débat d'opinion, mais de la science. Ce médicament semble être une piste intéressante, et nous espérons, comme tout le monde, qu'il s'agira du traitement miracle qui nous aidera à sortir de cette crise.
Nous sommes donc heureux qu'un très grand essai clinique soit en cours (comme dans d'autres pays, où la recherche n'attend pas la France pour avancer), car seul cet essai permettra d'apprécier l'efficacité réelle (mais aussi la dangerosité potentielle) de ce traitement.
En ce qui concerne les premiers essais menés par le Professeur Raoult, nous en parlerons plus en détail dans un prochain billet dédié. Ainsi, chacun pourra se faire sa propre opinion (et en discuter dans les commentaires de ce prochain billet)
Dans ce billet, nous allons nous intéresser au profil du docteur Raoult, désormais au cœur d'importantes polémiques. Notre but n'est en aucun cas de polémiquer, mais d'informer.
À la question, Didier Raoult est-il un génie incompris et antisystème ou un manipulateur malhonnête, nous répondons : probablement ni l'un ni l'autre. Cependant les éléments que vous retrouverez dans cet article nous portent à croire qu'il n'est pas bon de nous reposer uniquement sur son seul jugement, compte tenu de précédents assez stupéfiants et dramatiques le concernant.
Soyons prudents avec notre santé et respectons les règles scientifiques et éthiques, pour ne pas aggraver davantage la situation.
Alors, qui est donc Didier Raoult, ce médecin qui court-circuite toutes les autorités médicales, et communique désormais directement des consignes médicales à la population sur Twitter (comme 𝕏 ici ou 𝕏 là) ?
Alors, partons donc à la découverte du « plus grand chercheur français de microbiologie ». Qui est donc Didier Raoult, ce médecin qui court-circuite toutes les autorités médicales, et communique désormais directement des consignes médicales à la population sur Twitter (comme 𝕏 ici ou 𝕏 là) ?
Bonne lecture,
Olivier Berruyer
Être un grand chercheur ne procure pas une compétence universelle. Car il y a de nombreux très grands chercheurs français, et ils ne sont pas tous d'accord sur tout. Celui qui a raison sur un sujet un jour, peut avoir tort sur un autre sujet le lendemain. Etre spécialiste de la composition de l'ARN d'un virus ou de la façon dont il infecte une alvéole pulmonaire ne fait pas de vous un spécialiste d'épidémiologie pour prévoir la propagation du virus (comme on va le voir), ou des arbitrages à faire pour valider un médicament. Cela ne l'empêche pas non plus, mais il faut simplement valider la compétence sur ces points par la confrontation des prédictions avec la réalité.
Rappelons que le généralissime des Forces armées françaises au cours de la Seconde Guerre mondiale Maurice Gamelin (1872-1958) « était un des généraux les plus intellectuels de son époque. Il était respecté, même en Allemagne, pour son intelligence et sa subtilité. » ( Wikipédia). Cela ne l'a pas empêché de mener la France au désastre face à l'Allemagne.
Didier Raoult étant un des généraux français qui était donc en charge d'empêcher notre invasion par le coronavirus SRAS-2 du Covid-19, intéressons-nous à ses anticipations en janvier - et vous allez voir que la comparaison précédente va prendre tout son sens.
Sur le plan sanitaire, Didier Raoult peut donc être vu comme l'un des ''généraux'' français qui était en charge d'empêcher l'invasion de la France par le coronavirus (SRAS-Cov-2 ou Covid-19). Intéressons-nous donc à ses anticipations en janvier 2020 :
I. Quelle était l'analyse de Didier Raoult en janvier 2020 face à la menace pandémique ?
Le coronavirus SRAS-2 est donc apparu en novembre/décembre en Chine. Très vite, fort de l'expérience du pays face au dangereux SRAS-1, le gouvernement chinois s'est mobilisé et a pris des mesures drastiques :
- 17 janvier : 45 cas de Covid-19, 2 morts ;
- 20 janvier : 291 cas de Covid-19, 9 morts ;
- 22 janvier : 558 cas, 17 morts : confinement de la population de trois villes de la province de Hubei particulièrement impactées par le virus et dont elles seraient le berceau, afin de contenir les risques de pandémie : Wuhan, Huanggang et Ezhou, soit une population combinée de plus de vingt millions d'habitants.
- le 25 janvier, les autorités chinoises élargissent la zone de quarantaine à presque toute la province de Hubei, soit environ 56 millions d'habitants.
D'autres mesures très fortes sont prises en Chine, en particulier de désinfection, ce qui donne ce genre d'images édifiantes dans les journaux télévisés :
Interrogé face à cette incroyable réaction chinoise, et donc aux menaces d'épidémie, voici la réaction de Didier Raoult le 23 janvier aux actions du gouvernement chinois :
Question - Prof. Didier Raoult, une épidémie de coronavirus fait l'actualité en Chine. Doit-on craindre quelque chose ?
Raoult - Vous savez, c'est un monde de fou. Ce qui se passe, le fait que des gens soient morts de coronavirus en Chine, vous savez, je ne me sens pas tellement concerné. C'est vrai que le monde est devenu complètement fou, c'est-à-dire que il se passe un truc où il y a 3 Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale, l'OMS s'en mêle, ça passe à la radio, à la télévision. S'il y a un bus qui tombe au Pérou on va dire : « les accidents de la route tuent de plus en plus ». Tout ça est fou. C'est-à-dire qu'il n'y a plus aucune lucidité.
À chaque fois qu'il y a une maladie dans le monde on se demande si en France on va avoir la même chose. Ça devient complètement délirant. C'est tellement dérisoire que ça finit par être hallucinant.
Ça veut dire qu'il n'y a plus aucune connexion entre l'information et la réalité du risque. Mais aucune du tout. Comme ils sont 1,6 milliard, vous n'avez pas fini d'avoir des alertes. Je ne sais pas, les gens n'ont pas de quoi s'occuper, alors ils vont chercher en Chine de quoi avoir peur, parce qu'ils n'arrivent pas à regarder ce dont ils pourraient avoir peur en restant en France. Voilà, ce n'est pas sérieux.
Didier Raoult, 21 janvier 2020, Coronavirus en Chine : doit-on se sentir concerné ?Coronavirus en Chine : doit-on se sentir concerné ? de l'IHU Méditerranée Infection ( archive)
On saluera dans ces conditions le slogan de Raoult « Nous avons le droit d'être intelligents »...
Donc, eh bien, « voilà, ce n'est pas sérieux ».
Et il a continué dans la presse, ici le 1er février ( source) :
Il y a onze ans, en pleine crise H1N1, le professeur Bernard Debré ironisait dans le JDD : « Cela reste une grippette ». Le gouvernement en fait-il trop?
Ce virus n'est pas si méchant, ce n'est pas un meurtrier aveugle. Le taux de mortalité, estimé aujourd'hui aux environs de 2 % c'est-à-dire équivalent à celui de toutes les pneumonies virales présentes à l'hôpital, va probablement diminuer une fois que les cas qui n'ont pas donné de symptômes seront pris en compte. Sans être devin, je doute que le virus chinois fasse augmenter de manière très significative, chez nous tout au moins, les décès par pneumonie.
Mais on ne peut pas ne pas tenir compte de l'état de notre société, très émotive. À l'heure de l'hyper-réactivité des réseaux sociaux, les responsables politiques ont peur de ne pas en faire assez, alors ils en font parfois trop.
2 % de 20 000 000 = 400 000 morts - « pas si méchant »... Le problème de ce SRAS-2 du covid-19, n'est pas le taux de mortalité, mais le couple taux de mortalité x contagiosité. Il tue comme une pneumonie, mais il va toucher beaucoup plus de monde...
Mais Didier Raoult ne s'est pas contenté de sous-estimer gravement la menace. Cela a continué après l'invasion du coronavirus.
II. Quel était ensuite le message le Didier Raoult au début de la débâcle ?
Quand le virus a commencé à se développer en France, il a décidé de publier le 25 février (14 cas confirmés de Covid-19, 1 mort en France ce jour-là) cette vidéo sur http://youtube.com/watch?v=8L6ehRif-v8 (sic.) nommée, alors : « Fin de Partie pour le coronavirus ! » (re-sic.), pour faire de la publicité à la Chloroquine (nous n'en parlerons plus dans ce billet) :
Précisons que, a priori (nous allons confirmer), l'étude chinoise n'avançait apparemment pas de chiffres précis, se contentant de dire que ça pouvait aider ; mais ce n'était pas un essai clinique classique pouvant le prouver. Raoult a donc surtout dit :
- « Un scoop de dernière minute, une nouvelle très importante » ; « Fin de Partie pour le Coronavirus ! » : c'est la nouvelle « Recherches française« ™
- « C'est probablement l'infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes » ;
- « Ce n'est pas la peine de s'exciter » [ils sont vraiment fous ces Chinois, qui ont pourtant été les premiers à utiliser ce médicament, de continuer à confiner la population]... ;
- « Faites attention, il n'y aura bientôt plus de chloroquine dans les pharmacies » : au vu du succès de la vidéo de M. Raoult (plus de 550 000 vues), ceci a entraîné une rupture des stocks dans les pharmacies, privant de médicaments ceux qui avaient vraiment besoin de chloroquine (patients atteints de malaria ou de lupus).
Comme les Décodeurs du Monde ont, à raison, classé la vidéo comme « partiellement fausse », Raoult l'a renommée « Coronavirus : vers une sortie de crise ? » (supprimant ce statut). Mais l'original était bien ceci, largement relayé par l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille qui n'y a vu aucun problème déontologique (𝕏 source - archive - 𝕏 @aphm_actu) :
N'en restant pas là, il est allé ensuite dans les médias porter son message, comme ici dans 20 Minutes (nous enlevons la plupart des parties concernant la chloroquine, ce n'est pas notre axe d'analyse ici, mais plus d'analyser son expression verbale et son éthique médicale) :
Coronavirus : « Ce serait une faute médicale que de ne pas donner de chloroquine contre le virus chinois », selon le professeur Didier Raoult
Note OB : rappelons que les principes de l'OMS visent à ne plus donner de nom de pays aux virus et maladies - cf. ce qui s'est passé au début de l'épidémie pour nos ressortissants d'origine chinoise stigmatisés sans raison
Source : 20 minutes, Mathilde Ceilles, 26-02-2020
INTERVIEW Le professeur Didier Raoult, directeur de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille, envisage désormais d'utiliser un traitement contre le paludisme pour soigner le coronavirus, compte tenu des dernières découvertes scientifiques
- Des scientifiques chinois affirment dans une publication qu'un traitement contre le paludisme peut soigner le coronavirus.
- Fortes de cette étude, les équipes de l'Institut Méditerranée Infection à Marseille envisagent désormais d'utiliser la chloroquine pour soigner la maladie.
- Pour son directeur, Didier Raoult, les réserves émises par certains confrères sont hors de propos.
Edit le 27 février : Dans un tweet, le ministère de la Santé indique que « aucune étude rigoureuse, publiée dans une revue internationale à comité de lecture indépendant, ne démontre l'efficacité de la chloroquine pour lutte contre l'infection au coronavirus chez l'être humain ».
A Marseille, l'Institut Méditerranée Infection (IHU), centre de référence unique en France pour la prise en charge des maladies infectieuses dont le Covid-19, a décidé en conséquence de commander un stock de chloroquine, dans l'optique de soigner d'éventuels futurs malades du coronavirus chinois. « Coronavirus : Fin de partie ! », titre même l'IHU sur son site Internet dans un article sur les bienfaits de la chloroquine. Le professeur Didier Raoult, directeur de l'IHU et passablement agacé par les réserves, critiques et autres commentaires suscités par cette décision, explique à 20 Minutes ce choix....
Certains scientifiques sont moins enthousiastes que vous sur les bienfaits de la chloroquine contre le coronavirus, à l'image du professeur Astrid Vabret dans « Sciences et Avenir »...
Les ragots des uns et des autres, je m'en fous. Ça ne m'intéresse pas. Mon métier, c'est les maladies infectieuses, et ce depuis quarante ans. Je me sens obligé, car je crois que c'est maintenant nécessaire, de communiquer ce que je sais, et non pas des opinions, sur la recherche en maladie infectieuse. Après, ce que vous en faites, je ne suis pas prophète. Je m'en fous. J'essaie d'être le plus clair possible. Quand on a montré qu'un médicament marchait sur une centaine de personnes alors que tout le monde est en train de faire une crise de nerfs, et qu'il y a des andouilles qui disent qu'on n'est pas sûr que ça marche, ça ne m'intéresse pas !
Allez-vous utiliser la chloroquine à l'IHU pour soigner contre le coronavirus ?
Les scientifiques chinois sont des gens très sérieux. Ce ne sont pas des zozos, et ils ont montré que la chloroquine marche. Ça serait honnêtement une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine au coronavirus chinois. Ça n'a pas de sens. Soyons sérieux. Demain, vous commencez à être essoufflé. Vous avez un coronavirus chinois et vous avez 40 de fièvre. Et les gens vous disent : « Vous savez, je n'y crois pas à la chloroquine contre le coronavirus chinois ». Qu'est-ce que vous faites ?
A l'IHU, nous allons mettre en place un protocole thérapeutique. Nous, ce qu'on veut, c'est soigner les malades. Il y a des gens qui arrivent avec une maladie grave, et on a montré que le seul traitement contre cette maladie, c'est la chloroquine. Donc, pour pas donner de la chloroquine, il faut être farci ! Donc on va prévenir le ministre pour lui dire que si les gens qui arrivent ont un coronavirus chinois, on va les traiter par la chloroquine parce que c'est le seul traitement dont on a eu la démonstration qu'il marchait. C'est tout ! C'est pas mystérieux, c'est de la médecine, pas des potins de télévision !
Source : 20 minutes, Mathilde Ceilles, 26-02-2020
Et le même jour, M. Raoult, qui ne semble pas trop brimé par les médias, donne une interview dans la Marseillaise, « Pour lutter contre le coronavirus, il faut être efficace sur le diagnostic » ( source) :
Enfin... Il faut dire qu'ils ont changé le titre le 18 mars :
Pas de chance, suivant depuis un moment ce sujet, j'avais déjà repéré et archivé cette pépite :
Voilà. Il serait donc éthique que la Marseillaise ait la décence de remettre le titre original - même s'il dessert l'image de l'enfant du pays.
Dans cette interview il disait en effet ceci :
La Marseillaise : Le coronavirus Covid-19 est-il plus dangereux qu'un virus responsable d'une épidémie de grippe saisonnière ?
Didier Raoult :
Il ne l'est pas.
Commentaire OB : Poke Michel Symes. La Chine mets rapidement 60 millions de personnes en quarantaine, l'OMS déclare une urgence de santé mondiale pour le SRAS-2, mais c'est juste pour une « mauvaise grippe » - sacrés « chercheurs français »™...
Il y a eu dans la zone de Wuhan une mortalité relativement élevée que les Chinois ont estimé à 5,6 %. Si vous sortez de cette zone, la mortalité est plus proche des valeurs de 0,5 à 0,6 %,... Par ailleurs, la surmortalité pour les formes sévères dans la zone de Wuhan est liée, d'après la Chine, à un niveau d'équipement hospitalier insuffisant, c'est pourquoi ils ont construit un hôpital en dix jours. Il y aurait donc une surmortalité liée à une mauvaise prise en charge médicale, et il est vraisemblable que ce scénario se soit répété ailleurs.
Commentaire OB : de l'intérêt, donc, qu'il n'y ait pas de grosse épidémie saturant les hôpitaux. Hélas cela semble arriver dans 9 pays sur 10... Et donc cette mortalité pourrait bien être assez élevée.
Quelle stratégie thérapeutique vous semble la plus adéquate pour lutter contre le virus ?
D.R. : Concernant les vaccins, ils sont destinés à prévenir de vraies maladies, qui concernent des centaines de milliers de cas.
Commentaire OB : Raoult doit donc considérer que nous avons à faire a une « fake maladie ». Qui est portant en croissance exponentielle, qui a déjà contaminé 375 000 personnes et tué 16 000 personnes ( source)
J'attends plutôt des Chinois qu'ils testent chez les patients le médicament le plus simple et le moins toxique au monde qu'est la chloroquine, dont ils ont prouvé l'efficacité en laboratoire. Ce serait le meilleur candidat, plutôt qu'un nouveau médicament qui nécessiterait plusieurs années avant une autorisation de mise sur le marché.
On comprend donc que tout ceci ait pu participer à démobiliser les pouvoirs publics.
III. La France : Raoult fut néanmoins récompensé par le Gouvernement
Bien que ses propos aient participé à relativiser la menace et à démobiliser le public, Didier Raoult, ce grand « mandarin à la française » fut intégré parmi les 11 membres du Conseil scientifique gouvernemental, le 11 mars 2020 ( source) :
C'est même un des 2 seuls infectiologues.
En réalité, il est peu surprenant de le voir à cette place, car le Président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy appartient lui aussi au conseil d'administration de l'IHU IM.
Bref, Raoult n'est pas vraiment brimé ni « hors-système ».
Même si, au vu des polémiques, il a annoncé le 24 mars ne plus participer au Conseil scientifique réuni autour d'Emmanuel Macron (mais il n'en a pas démissionné).
Rappelons d'ailleurs que c'est ce conseil qui a confirmé à Macron qu'il n'y avait aucun problème à organiser les municipales - ce que ne partageaient pas d'autres médecins :
Bilan : des assesseurs ont été contaminés le jour du vote...
IV. Quel est le message de Didier Raoult en pleine débâcle ?
Didier Raoult a ensuite réalisé un essai de chloroquine sur 26 personnes, et a publié les résultats dans une très prestigieuse revue internationale à comité de lecture dans une vidéo Youtube le 16 mars (et par une publication le 17 - source). Nous nous intéresserons à cet essai dans un prochain billet.Nous continuons simplement à analyser ses déclarations dans la presse, qui se sont multipliées suite à l'essai. Florilège - en commençant par mon préféré :
« La chloroquine guérit le Covid-19 » : Didier Raoult, l'infectiologue qui aurait le remède au coronavirus
Source : Marianne, Etienne Campion, 19-03-2020
[Marianne] L'homme nous confie être encore amer quant au mépris dont il dit avoir été victime. Sans baisser les bras pour autant : « Je discute beaucoup avec le gouvernement et avec des personnes au plus haut niveau de l'Etat. Je comprends ce qui fait partie de l'écosystème des décideurs, ce n'est pas une surprise que d'avoir été mis de côté. »
OB : « Mis de côté » : oui, enfin, en tant membre du Comité scientifique, il fait partie des 11 conseillers du gouvernement...
[Marianne] Quant aux accusations de « fake news » ? « Préférer les opinions aux faits est une maladie. Mais je n'en veux à personne, changer d'avis, c'est mieux que de rester idiot. »...
Mais, s'il explique « continuer sa série de tests cliniques«, Didier Raoult précise : « Je ne fais pas de communication avant d'avoir prévenu le ministère de la Santé. Dès que j'aurai un nouvel article à faire paraître, je communiquerai de façon transparente pour informer la population, pas avant. »
OB : C'est à dire que, maintenant, le « Chercheur Français »™, dès qu'il a deux résultats provisoires, il fait des vidéos Youtube pour « informer la population » avant d'avoir convaincu ses pairs.
[Marianne] Sur les 300.000 médicaments à base de chloroquine que compte offrir Sanofi à la France, il confie : « Ça, croyez-moi, j'étais au courant avant vous !«.
OB : ah, ben, il en sait des choses Didier Raoult... Mais du coup, vu les relations de l'IHU IM et de Sanofi, on comprend mieux... Sanofi qui en profite donc pour se faire une énorme opération de communication - pour un gigantesque marché potentiel.
[Marianne] Concernant les bémols émis quant à la méthodologie de ses récents essais cliniques : « C'est contre-intuitif, mais plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes.Si on a besoin d'un tel échantillonnage, il y a des risques qu'on se trompe. Avec 10.000 personnes, quand les différences sont faibles, parfois, elles n'existent pas.«
OB : Oui ! Didier Raoult a clairement dit cette énormité qui choquera principalement les lecteurs scientifiques : « Plus l'échantillon d'un test clinique est faible, plus ses résulats sont significatifs » - une véritable insulte à la Loi des Grands nombres ; une « Loi de Raoult » que l'on pourrait résumer ainsi : « Testons - non pas sur un grand nombre - mais sur un seul patient et nous aurons la meilleure robustesse statistique possible pour apprécier l'efficacité du traitement et anticiper les effets secondaires ! Et donnons-le à tous les malades dès le lendemain sans l'accord des autorités médicales ! ».
Bien sûr les grands chercheurs internationaux (ici un spécialiste suisse) n'en sont pas revenus (𝕏 source) :
Eh oui, on parle bien ici du conseiller du Gouvernement français sur la crise actuelle... Retweeté par Donald Trump !
Mais bon, si Trump avait fait de la recherche plutôt que de la politique, cela devrait - dans la forme - ressembler plus ou moins à ce que fait Raoult.
Source : Marianne, Etienne Campion, 19-03-2020
On a également affaire à un bien bel humaniste :
Coronavirus : « Je ne suis pas un outsider, je suis en avance », entretien avec le professeur marseillais Didier Raoult
source : La Provence, Alexandra Ducamp, 21-03-2020
627 morts en une journée et 40 000 cas de Covid-19 en Italie, on n'en est plus à la « grippette » dont vous parliez il y a quelques semaines...
Pr Didier Raoult : Vraisemblablement, vous ne comprenez pas du premier coup. Toutes les situations doivent être mises en perspective. Sur quelle maladie infectieuse toute la presse s'est-elle excitée l'année dernière ? La rougeole. À la fin, il y a eu 1 000 cas avec un mort et il y avait une annonce tous les jours dans les médias. Le monde de l'information vit dans un monde parallèle au mien, celui de l'observation. On est passé d'une exagération à une déconnection. Il y a dans le monde 2,6 millions de morts d'infections respiratoires par an, vous imaginez que les 5 000, 10 000 ou même 100 000 vont changer les statistiques ?
On ne parle pas de statistiques, on parle d'êtres humains, de populations entières confinées...
Pr Didier Raoult : De quoi voulez-vous parler d'autres ? Les gens meurent, oui. La plus grande surmortalité de ces dernières années en France, c'était en 2017 : 10 000 morts supplémentaires en hiver, on ne sait pas même pas si c'est de la grippe. 10 000 morts, c'est beaucoup. Mais là, on en est à moins de 500. On va voir si on arrive à en tuer 10 000, mais ça m'étonnerait.
OB : « Et puis on verra... »
L'argument statistique est donc le seul prisme...
Pr Didier Raoult : À Marseille, nous avons diagnostiqué 120 cas positifs, il y avait deux morts de plus de 87 ans. Ils mourraient aussi l'année dernière. Sur 100 prélèvements de gens qui ont une infection respiratoire, ce sont plutôt des cas graves, quand on teste 20 virus et 8 bactéries, il y en a 50 % dont on ne sait pas ce qu'ils ont, c'est notre grande ignorance. Pour tous les autres, il y a 19 virus saisonniers, qui tuent aussi. Les coronavirus endémiques tuent plus ici que le chinois. Je confronte en permanence les causes de mortalité dans toute la région à cette espèce de soufflet anxiogène qui monte : pour l'instant, on a plus de chance de mourir d'autres choses que du Covid-19.
OB : ah, oui, si c'est le critère, on n'est pas près d'y être en effet.
Le grand âge, les comorbidités et la prise en charge tardive sont des facteurs de mortalité. C'est peut-être inentendable, mais c'est la réalité. La seule chose qui m'intéresse sont les datas, les données brutes. Les données vont rester, les opinions, elles, changent...... Je ne dis pas l'avenir, mais je ne suis absolument pas terrifié.
OB : ça, on l'avait bien compris...
« Dans mon monde, je suis une star mondiale »
Comment expliquez-vous la situation dans l'est de la France ?
Pr Didier Raoult : Je suis scientifique, c'est ce qui manque dans ce pays ; une grande partie du monde politique et administratif réagit comme vous (les médias, NDLR). Nous, nous ne devons pas réagir comme ça. Les seules données qui m'intéressent ce sont les données d'observation, je n'ai pas d'opinion. Il n'y a que la presse qui parle de ce qui se passe dans l'Est, moi, je n'ai pas de données. Pour l'Italie, on disait pis que pendre, j'ai reçu une analyse, c'est comme ailleurs, ce sont des gens de plus de 75 ans.
OB : bah oui. Ils peuvent tous crever, où est le problème ? C'est quoi 5 ou 10 ans d'espérance de vie en plus ?
... Vous êtes en permanence à contre-courant du discours...
Pr Didier Raoult : Ce n'est pas parce qu'il y a quelques personnes qui pensent certaines choses à Paris, que je suis à contre-courant. Dans mon monde, je suis une star mondiale, je ne suis pas du tout à contre-courant. Je fais de la science, pas de la politique. Les maladies infectieuses, ce n'est pas très compliqué, c'est diagnostic et traitement. C'est le B-A ba, si les gens ne connaissent pas le B-A ba des maladies infectieuses ou de la chloroquine qui s'apprend en troisième année de médecine, je n'y peux rien. Je vais pas refaire l'éducation de ceux qui refont le monde sur les plateaux-télé. Je me fous de ce que pensent les autres. Je ne suis pas un outsider, je suis celui qui est le plus en avance. La vraie question est : comment ce pays est arrivé dans un tel état que l'on préfère écouter les gens qui ne savent pas que plutôt ceux qui savent ?... Si vous avez des doutes sur ma crédibilité, ce n'est pas mon problème. Il y a des gens soignés dans le monde entier, je ne me sens pas plus responsable des malades de Paris que de Corée. Ce seront les plus intelligents qui seront le mieux soignés. Je n'essaie pas d'être arrogant. Si les gens ne veulent pas regarder les chiffres, je n'y peux rien.
OB : qui « savent » annoncer à temps l'épidémie du siècle en la voyant venir de loin, par exemple ?
24 patients sont suivis dans l'essai clinique, combien de personnes ont été traitées depuis...
Pr Didier Raoult : On en a traitées d'autres mais je ne vous dirai pas combien. J'en informerai d'abord le ministère.
OB : Ok, il traite donc des gens sans en avoir informé le ministère, tout va bien.
Quid des effets secondaires du traitement à l'hydroxy-chloroquine ?
Pr Didier Raoult : Ce qu'on dit sur les effets secondaires est tout simplement délirant. Ce sont des gens qui n'ont pas ouvert un livre de médecine depuis des années. Plus d'un milliard de gens en ont bouffé, les personnes qui souffrent de lupus en prennent pendant des décennies... Je connais très bien ces médicaments, j'ai traité 4 000 personnes au Plaquénil depuis 20 ans. Ce n'est pas moi qui suis bizarre, ce sont les gens qui sont ignorants. On ne va pas m'apprendre la toxicité de ce médicament.
OB : je me demande quand même comment on peut déjà connaitre les effets secondaires lorsque le médicament est donné à un patient atteint du Covid-19... L'aspirine et les antiinflammatoires aussi on connait bien, et pourtant, il ne faut pas en prendre.
source : La Provence, Alexandra Ducamp, 21-03-2020
Raoult a même démobilisé pour le confinement :
[Vidéo] Un membre du conseil scientifique Covid-19 dénonce l'inefficacité du confinement
Pour le professeur Didier Raoult, l'Italie, la France et l'Espagne suivent la mauvaise route en empruntant la voie du confinement total.
Alors que la France entière est confinée depuis maintenant deux jours, l'avis du professeur Didier Raoult est dissonant. Cet infectiologue, membre du conseil scientifique Covid-19 mandaté par le gouvernement, refuse de céder à la panique. Dans une vidéo, celui qui est directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille explique d'ailleurs que les dernières mesures prises par le gouvernement français, mais également par les gouvernements espagnols et italiens, ne règlera pas le problème immédiat du coronavirus. Pour lui, un constat s'impose : « Il faut garder raison et faire comme pour les maladies infectieuses en général : du diagnostic ».
Source : Valeurs actuelles, 19-03-2020
V. Plus de 1 000 morts : le parfait moment pour sortir un livre !
En pleine épidémie, en plein test pharmaceutique, Didier Raoult vient d'annoncer qu'il sort un livre dans les prochains jours ( source) pour encore démobiliser :
On croit rêver... Et la presse semble ne pas y voir de problème ( source) :
On comprend mieux pourquoi son essai sur la chloroquine est aussi bancal (nous vous le démontrerons dans le prochain billet) : il était probablement occupé à écrire son livre...
Florilège :
Il apparaît dans les tous premiers mots de ce court ouvrage destiné à surfer sur le drame actuel, que Didier Raoult a un grand but dans la vie : démobiliser les population face au risque exceptionnel de faible fréquence mais de forte intensité (du genre du Covid-19).
Pourtant, comme le rappelle fort justement Nassim Nicholas Taleb (qui est, sur ce point de gestion du risque, clairement plus dans son domaine d'expertise que Didier Raoult) dans cet article que nous avons repris :
« Il faut raisonner par l'inconnu, et non par le connu. C'est une erreur grave, parce qu'on sait qu'une grippe saisonnière ne se multiplie pas comme le coronavirus, et si c'est le cas, elle est bénigne.... face à un tel événement, il faut réagir pour parer au pire. C'est une nécessité.... il y a des risques qu'il ne faut pas prendre.... Même si on panique pour rien deux fois par an, ça vaut le coup pour la fois où on paniquera avec raison.... Sans paranoïa, pas de survie ! » [Nassim Nicholas Taleb, mars 2020]
Mais le pire est cette phrase purement mensongère :
M. Raoult a le droit d'estimer qu'elle est très faible, mais, un scientifique ne peut décemment dire qu'elle est nulle.
Que ce soit du point de vue théorique ou pratique - le coronavirus SRAS-2 a bel et bien changé les statistiques de Bergame en Italie. Et tout l'enjeu du combat est que la France ne devienne pas un gros Bergame...
Ainsi, le « Général de la santé » Didier Raoult a contribué à plusieurs reprises à relativiser la menace et à diminuer la mobilisation de la population en pleine offensive du coronavirus. Il a donc participé à notre défaite face à la propagation du virus. Espérons cependant qu'il participera à notre victoire finale sur sa mortalité...
VI. Didier Raoult : chercheur ou manager ?
Mais revenons sur le parcours de Didier Raoult. Comme le rappelle sa page Wikipedia :
Didier Raoult, né le 13 mars 1952 à Dakar au Sénégal, est un infectiologue et professeur de microbiologie français spécialiste des maladies infectieuses tropicales émergentes à la faculté de médecine de Marseille....Mauvais élève, Didier Raoult part travailler à 17 ans, pendant deux ans, sur des bateaux....
En 1972, il passe un baccalauréat littéraire en candidat libre puis s'inscrit en faculté de médecine....
Devenu professeur, il dirige des thèses sur les maladies infectieuses à la faculté de médecine de Marseille. Il est président de l'université de la Méditerranée - Aix-Marseille II de 1994 à 1999....
Il dirige de 2008 à 2017 l'unité Urmite (Unité de recherche en maladies infectieuses et tropicales émergentes) à Marseille
Grand prix Inserm 2010 pour l'ensemble de sa carrière, il a décrit, avec son équipe marseillaise, des virus complexes. Il est l'un des chercheurs français les plus cités, avec de nombreuses publications scientifiques à son actif....
Grâce à la subvention la plus élevée accordée en France pour la recherche médicale (72,3 millions d'euros portés par l'ANR dans le cadre du PIA), Didier Raoult fait construire un nouveau bâtiment pour accueillir l'Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille ou IHU Méditerranée Infection (« Institut MI »), inauguré en 2018. Cet institut est dédié au diagnostic, à la prise en charge et à l'étude des maladies infectieuses y compris les soins, la recherche et l'enseignement. L'Institut MI a pour membres fondateurs : université d'Aix-Marseille, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, BioMérieux, l'Établissement français du sang, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service de santé des armées. Il bénéficie de l'aide de l'Union européenne et de la région ainsi que de nombreux partenariats.
Nous vous renvoyons vers sa page Wikipedia pour voir l'impressionnante liste des recherches de l'Institut, et ici pour la liste de ses publications ( source, chercher « Raoult D[Author] »).
Par ailleurs, et comme on l'a vu sur l'image précédente il est en effet un des chercheurs français les plus fréquemment cité. Mais en fait, ce n'est pas vraiment son seul nom qui est « cité », mais les études qu'il a signées. Et co-signées. Et il co-signe vraiment beaucoup :
Comme on voit qu'il co-signe depuis 2012 près d'un article chaque jour ouvré, cela signifie qu'il utilise une pratique assez répandue, mais à large échelle : la « stratégie du coucou », où il co-signe pratiquement chaque article de n'importe lequel de ses (centaines de) subordonnés.
Signataires de l'essai de l'hydroxychloroquine dont Raoult a publié les résultats le 16 mars
Comme Didier Raoult est à la tête d'un des plus grands centres de recherche européens sur les maladies infectieuses, co-signant presque tous les travaux, il est donc finalement assez logique d'arriver à ce genre de communiqué de presse tapageur ( source) :
Il chapeaute d'ailleurs depuis longtemps de grandes équipes. Mais il a une vision très productiviste de la recherche, comme on le voit ici en 2008 :
« Logé dans les étages de la faculté de médecine, son laboratoire emploie 140 personnes dont 45 chercheurs qui publient entre 150 et 200 papiers par an.... En moyenne, chaque thésard qui passe là produit cinq articles. « Nous sommes 75 % plus productifs qu'un laboratoire de l'Inserm », a calculé Didier Raoult. Avec un budget annuel de 10 millions d'euros, le coût de revient d'une publication dans son unité ne dépasse pas 80.000 euros contre 200.000 en moyenne (pour une publication d'impact 3,5) dans l'établissement public.Si le scientifique est si proche de ses sous, c'est qu'il doit se battre chaque année pour remplir les caisses..... Cette année, deux autres projets, jugés hors champ, ont encore été retoqués. « C'est irritant et incompréhensible, se révolte Didier Raoult. Sous prétexte d'égalitarisme, le système français prétend donner autant à tous. Or la recherche est une compétition. Comme des sportifs de haut niveau, les chercheurs doivent être évalués objectivement et individuellement. Les outils existent, faciles d'accès. Manque la volonté de comparer. Or c'est la seule alternative possible si on entend privilégier la promotion et le financement des chercheurs les plus efficaces et les plus dynamiques. » [ Les Echos, 29/10/2008]
20 minutes précise au passage la vraie spécialité de Raoult : « Spécialiste mondial des Rickettsies, ces bactéries intracellulaires à l'origine notamment du typhus, Didier Raoult a aussi décrypté le génome de la bactérie à l'origine de la maladie de Whipple, près d'un siècle après l'apparition de cette pathologie. Le professeur marseillais a même donné son nom à deux nouvelles bactéries pathogènes qu'il a découvertes, Raoultella planticola et Rickettsia raoultii. »
Ainsi, on peut en conclure plusieurs choses :
- bien qu'ayant un style disons « très personnel », le professeur Raoult est indubitablement un grand chercheur français sur les virus.
- Didier Raoult n'est pas un « petit chercheur » hors du système, ayant raison contre le reste du monde, c'est une très haute figure de la santé française à qui a été confié un budget de plus d'une centaine de millions d'euros pour créer un des plus grands centres de recherche d'Europe, dans le cadre du grand emprunt ;
- il n'a rien d'isolé : il dispose de nombreux soutiens de poids dans la recherche, l'administration, mais aussi la politique (en particulier chez LR : « C'est un garçon qui peut avoir le prix Nobel, lance même son ami médecin de longue date, le président LR de la région Paca Renaud Muselier. Il est brillantissime. »... Face à ces critiques, Renaud Muselier se fait son meilleur avocat : « Quand on est classé numéro 1, dire qu'on est le meilleur, est-ce de la mégalomanie ou simplement faire un constat ? » - source 20 minutes)
- Didier Raoult avec toutes les autorités politiques locales et régionales lors de l'inauguration de l'IHU, le 27 mars 2018 ( source)|
- c'est donc surtout maintenant un manager, qui dirige un des centres de référence du pays - que nous allons analyser plus avant.
« Le meilleur » ? Nous allons voir...
VII. Didier Raoult et les IHU
Didier Raoult, en raison de sa grande influence politique en France, a joué un rôle central dans la création des IHU, comme le rappelle un rapport de 2015 de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) du Ministère de la Santé ( archive) :
« En 2003, peu après la crise liée à l'anthrax, dans un rapport remis aux ministres chargés de la santé (Jean-François Mattei) et de la recherche (Claudie Haigneré), le professeur Didier Raoult propose la création de sept infectiopôles [... -] structures intégrées regroupant des équipes multidisciplinaires (recherche fondamentale, soins, diagnostic, épidémiologie et valorisation) sur un site géographique unique....En 2006, le professeur Raoult développe dans un nouveau rapport le projet de création d'un premier infectiopôle implanté à Marseille, sur le site de la Timone.... » [Rapport IGAS]
Ses préconisations ont été suivies d'effets :
« La création d'Instituts hospitalo-universitaires (IHU) a été préconisée par deux commissions successives en 2009 et 2010, qui ont fixé les contours des IHU : la réunion en un lieu unique des fonctions de soins, de recherche et de formation, rassemblées au lit du malade. Ces rapports en ont préconisé les principes structurants : être en nombre limité, viser un niveau d'excellence internationale, être conçus autour de talents reconnus mondialement,... disposer d'un statut spécifique permettant d'attirer et de retenir les meilleurs talents internationaux et de simplifier les collaborations entre la recherche et l'industrie pour une durée suffisamment longue, intégrer un objectif de transfert de technologies, passant par des relations étroites avec les acteurs industriels et enfin, inclure un partenariat et donc un cofinancement systématique par le secteur privé. En pratique, 850 M€ ont été ouverts par la loi de finances rectificatives de mars 2010 au profit des IHU. [NdR : dans le cadre du « Grand Emprunt »]Le jury international a auditionné neuf projets au total et en a retenu six. » [Rapport IGAS]
Ces 6 IHU se sont donc développés au milieu des années 2010 grâce au Fond d'Investissement d'avenir mis en place en 2009 (« Grand Emprunt »).
Concernant ces structures, Marianne rappelait ceci en 2017, en raisons de tensions entre elles et l'Inserm :
« Les IHU ont été créés en 2010, sous Nicolas Sarkozy et sur conseil de Jacques Attali, Alain Juppé et Michel Rocard, afin de stimuler la recherche médicale, alors moribonde en France. L'objectif était de créer des centres de recherche de haut niveau échappant aux pesanteurs des structures existantes. Pour ce faire, ils bénéficient depuis leur création du statut de « fondation » indépendante.... Or, ce statut est discuté depuis plusieurs années en ce qu'il pose des questions sur la viabilité du modèle économique et les liens avec les institutions partenaires de l'IHU.Yves Levy est un des plus fervents contempteurs du modèle « fondation ». Dans son édition de ce mercredi 11 octobre, Le Canard enchaîné révèle que le patron de l'Inserm a envoyé le 9 septembre une note aux équipes candidates, dans laquelle il prône le remplacement du statut de fondation par un simple « contrat ». Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d'un groupement d'intérêt public. La différence entre les deux statuts ? Le statut de fondation permet aux IHU de prendre des décisions rapidement, après consultation de leur conseil d'administration. Dans les groupements d'intérêt public (GIP), chaque institution partenaire dispose d'un droit de regard sur les décisions de l'IHU. Or, l'Inserm est partenaire et membre fondateur de cinq des six premiers IHU.
Dans ceux-ci, l'Institut met à disposition ses chercheurs, certains de ses laboratoires, et participe aux conseils d'administration. Sans avoir de droit de veto. Il y a aussi un enjeu en termes de brevets. Les IHU ne pouvant être en déficit, les brevets qu'ils déposent et vendent à des grandes entreprises participent à leur modèle économique. Au sein d'un GIP, la répartition de la manne devra être renégociée, devenant potentiellement plus favorable à une institution comme l'Inserm. » [ Marianne, 11/10/2017]
Maintenant que nous avons mieux saisi les enjeux autour de ces structures (je renvoie les passionnés vers un autre rapport de l'IGAS de 2016 : « Le modèle économique » des IHU), analysons plus en détail les problèmes à Marseille.
VIII. L'IHU Marseille Infection, « bébé » de Didier Raoult
Le rapport IGAS nous indique la suite de la création de l'IHU de Marseille :
« Une première fondation de coopération scientifique a été créée en 2007 pour abriter les activités du centre thématique de recherche et de soins (CRTS), sous le nom d'Infectiopôle Sud. Le professeur Didier Raoult en était le président et le docteur Yolande Obadia la directrice....[Finalement retenu], le projet d'IHU de Marseille est celui des projets d'IHU qui a bénéficié du financement le plus important. Le coût total sur la période des huit années du projet d'IHU prévu dans le document soumis au jury international est affiché à hauteur de 172,5 M€....
Le projet d'IHU de Marseille se caractérise par la part très importante, plus des 2/3, des fonds versés par l'ANR [Agence Nationale pour la Recherche] utilisée pour financer la construction d'un bâtiment : 48,8 M€ sur 72,3 M€. »
Comme le rappelle 20 Minutes, « il faudra toutefois attendre la fin d'année 2016, soit une quinzaine d'années plus tard, pour que Didier Raoult inaugure son « bébé », l'IHU Méditerranée Infection, dans un bâtiment de 24 000 m2 tout près de la Timone ».
Raoult est donc à la tête de l'Institut hospitalo-universitaire de Marseille. Il exerce à la fois la fonction de Directeur de la Fondation Marseille Infection qui coiffe l'IHU IM, mais il en est également administrateur ( source) :
Organigramme de l'IHU IM
La fondation marseillaise est présidée par Yolande Obadia, qui est médecin spécialiste de santé publique.
Didier Raoult gère donc depuis des années un énorme budget (plus de 150 millions d'euros) et chapeaute près de 800 salariés. ( source 1, source 2)
Budget de l'IHU MI
Alors que la situation financière de l'IHU était très difficile au début, elle a fini par s'améliorer récemment : l'IHU est désormais largement bénéficiaire ( source) :
Avec plus de 11 millions d'euros de bénéfice (en augmentation de 79 % en un an), Didier Raoult semble avoir trouvé de très bons partenaires pour financer son IHU. Hélas, comme nous n'avons pas trouvé de budget détaillé (malgré la page dédiée) pour comprendre l'origine d'un tel bénéfice, ni d'éléments financiers sur la fondation de l'IHU (pas grand chose sur la page dédiée) et ses structures backup.mediterranee-infection.com.
Mais il y a un « mais ».
D'abord il est à noter que cet IHU, comme les autres, nécessite une large participation du secteur privé, dont bien évidemment, les laboratoires pharmaceutiques mais aussi les banques :
Les partenaires de l'IHU-IM backup.mediterranee-infection.com.
Notez bien que Sanofi Aventis finance l'Institut, donc Raoult est forcément régulièrement en contact avec eux (c'est le 3e plus gros laboratoire pharmaceutique du monde ; il faut simplement connaitre ces liens - source).
Ces partenariats sont très importants, car, la pérennité du financement de ces structures IHU, à cheval entre le public et le privé, inquiétait déjà l'IGAS il y a 5 ans :
« À partir de 2020, c'est-à-dire après l'arrêt des subventions de l'ANR [Agence Nationale de la Recherche], le modèle économique de l'IHU est inexistant. Cette situation n'est pas spécifique à l'IHU de Marseille mais soulève de multiples questions, en particulier sur la capacité de l'IHU en maladies infectieuses à trouver des nouvelles ressources fondées sur la recherche contractuelle et la valorisation [NdR : trouver des ressources du secteur privé] et susceptibles de pallier l'arrêt du subventionnement public. » [ Rapport IGAS, 2015]
IX. L'avis de l'IGAS sur la gestion de l'IHU de Marseille par Didier Raoult
En réalité, le rapport de 2015 de l'IGAS était en fait un audit consacré à l'IHU de Marseille :
Il se poursuit sur la gouvernance :
« Conformément aux préconisations du rapport Marescaux sur les IHU, le support juridique et organisationnel de l'IHU de Marseille est une fondation de coopération scientifique.... En 2011, les statuts de la fondation Infectiopôle Sud ont été modifiés afin d'élargir son champ d'activité à l'IHU et la fondation a pris alors le nom de « fondation Méditerranée Infection ». Les statuts modifiés ont été approuvés par décret du 30 novembre 2011 et publiés au Journal officiel du 2 décembre 2011. Le docteur Yolande Obadia a été élue présidente de la fondation et le professeur Didier Raoult nommé directeur. »
Raoult et Obadia ont donc inversé leurs rôles respectifs. Le rapport se poursuit, pointant une incroyable succession de problèmes de gouvernance :
« 4.2 La gouvernance et le management de l'IHU sont inadaptés
4.2.1 Un conseil d'administration qui ne fonctionne pas de façon satisfaisante
À cette fin, la première qualité d'un conseil d'administration se trouve dans l'équilibre de sa composition ainsi que dans la compétence et l'éthique de ses membres. Ses membres doivent être soucieux de l'intérêt social, avoir une qualité de jugement qui repose sur l'expérience, avoir une capacité d'anticipation leur permettant d'identifier les risques et les enjeux stratégiques et être présents, actifs et impliqués. Ils doivent également ne pas avoir de conflits d'intérêts.
Or le conseil d'administration de la fondation Méditerranée Infection ne satisfait pas suffisamment aux standards requis à cet égard.
Les administrateurs de la fondation représentant les membres fondateurs sont très peu présents personnellement, et très systématiquement représentés par un tiers. La présence des personnalités qualifiées est, elle-même, contrastée...
Le choix des présidents des conseils d'administration des IHU s'est à juste titre porté, en général, sur une personnalité nationale et extérieure à l'institut, ayant une forte expérience politico-administrative au plus haut niveau de l'État, qui présente des garanties d'indépendance et apporte de la crédibilité, de l'autorité sur les membres du conseil d'administration ainsi que des capacités de vision stratégique et de soutien managérial.
On peut s'interroger sur l'autorité et l'indépendance de la présidente du conseil d'administration vis-à-vis du directeur, le professeur Didier Raoult, alors que celle-ci était auparavant la directrice de la fondation Infectiopôle Sud dont le professeur Didier Raoult était le président. Le cumul entre les fonctions de présidente du conseil d'administration et les fonctions de responsable d'une unité de recherche qui est partie intégrante de l'IHU, est également discutable....
S'agissant du profil des trésoriers, c'est un choix similaire qui s'est imposé dans les autres IHU... : celui de personnalités issues du monde de la finance (ministère des Finances, Cour des comptes) ou de l'entreprise.... Par ailleurs, le cumul constaté entre les fonctions de trésorier et celles de directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (Jean-Paul Ségade puis Jean-Jacques Romatet ont été élus trésoriers) paraît inopportun....
Le directeur de l'IHU, [NdR Didier Raoult]... qui siège en principe selon l'article 3 des statuts au conseil d'administration avec voix consultative, est en pratique membre titulaire du conseil d'administration depuis sa création : d'abord désigné à titre de personnalité qualifiée, il a ensuite été élu administrateur de plein exercice en tant que représentant des enseignants-chercheurs. Ce cumul de fonctions (directeur et administrateur) est contraire aux statuts-types des fondations reconnues d'utilité publique, qui s'imposent aux fondations de coopération scientifique et qui ont été approuvés par le Conseil d'Etat et érigés en directives (CE, 2010, n° 305649, « Postel-Vinay » depuis qualifiées de « lignes directrices » par le CE dans une décision de 2014 n° 364385 « M. J »). L'article 8 de ces statuts-types dispose qu'aucun administrateur ne peut exercer les fonctions de direction, afin d'éviter la confusion entre l'organe collégial décisionnaire et les fonctions exécutives de direction. Le cumul actuel doit donc cesser sans délai.
De façon générale, et selon les observations convergentes de plusieurs de ses membres, le conseil d'administration s'apparente trop à une chambre d'enregistrement des décisions prises par le directeur et ne peut remplir pleinement le rôle qui lui est imparti par le droit des fondations.
Deux administrateurs et membres fondateurs ainsi que le commissaire du gouvernement ont souligné que les conditions dans lesquelles les documents préparatoires étaient diffusés, les débats se déroulaient et les comptes-rendus étaient élaborés n'étaient pas propices à leur garantir la sérénité et la densité nécessaires....
La mission a pu constater, en effet, sur le dossier du financement de la construction du bâtiment combien les documents fournis aux administrateurs ont été succincts et changeants, en dépit de l'importance des enjeux financiers. Elle a également pu constater, au vu des comptes rendus du conseil d'administration, que les débats sur le sujet ont été trop limités....
Les membres fondateurs ne se réunissent pas jusqu'à présent en collège, avant les conseils d'administration, afin d'en préparer les débats et arrêter une ligne....
Il n'existe pas pour l'instant de bureau du conseil d'administration, qui devrait réunir le président, l'AP-HM, l'AMU, une personnalité qualifiée ou deux et le commissaire du gouvernement....
Dans le même esprit, en raison des défis actuels auxquels doit faire face la fondation, le conseil d'administration mériterait de se réunir plus de deux fois par an, compte tenu des enjeux nombreux auxquels la fondation et ses membres doivent faire face. » [Rapport IGAS]
Un tel cumul d'entorses élémentaires à l'éthique de la gouvernance d'une structure publique au budget de près de 200 millions d'euros est vertigineux. Et encore, ce n'était que le Conseil d'administration ! Le rapport se poursuit sur le management :
« 4.2.2 Une organisation et un management de l'IHU qui ont des caractéristiques menaçant la bonne mise en oeuvre du projetL'organisation et le management de l'IHU de Marseille soulèvent plusieurs problèmes qui ont été constatés par la mission.
4.2.2.1 Un défaut de formalisation et de clarté dans l'organisation
La mission a constaté au cours de ses investigations un très grand manque de formalisation de la part des responsables de l'IHU, ce qui a compliqué les travaux de la mission mais obère surtout le déroulement d'un projet complexe sur le plan administratif et financier.
Des éléments fondamentaux faisaient, ou font toujours pour certains, défaut. Il en va ainsi par exemple du nombre et de la répartition des m² des locaux, du plan d'affectation des locaux...
D'autres éléments essentiels manquent énormément de clarté. Il en va ainsi de l'organigramme de la fondation ainsi que du rôle respectif du comité de pilotage, des départements, de l'articulation entre les work packages et l'organigramme, etc....
Un véritable comité exécutif de l'IHU fait défaut, le comité de pilotage en principe dédié à l'animation de la vie scientifique en faisant office
Le rôle des directeurs de départements, et leur association au management de l'IHU, ne sont pas apparus clairement à la mission.
4.2.2.2 Une extrême concentration des pouvoirs autour du directeur
Le management de la fondation et de l'ensemble du projet est tout entier dominé par le professeur Didier Raoult qui l'exerce selon un mode vertical fondé sur l'autorité et non sur la coopération et l'inclusion et selon un mode très centralisé, sans délégation ou presque. Toutes les décisions, scientifiques et non-scientifiques, remontent en pratique au professeur Didier Raoult qui décide selon des critères qui ne sont pas transparents pour un bon nombre des interlocuteurs de la mission....
Le professeur Didier Raoult cumule au demeurant les fonctions de directeur et de directeur scientifique de l'IHU, ce qui n'existe pas dans les autres instituts comparables. Cette situation de cumul n'est pas satisfaisante compte tenu de la multiplicité des projets scientifiques qui sont gérés et des ambitions qui sont celles de l'IHU.
En outre, la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un seul est contradictoire avec le caractère nécessairement fédératif et coopératif de l'IHU et conduit certaines parties prenantes à prendre des postures de méfiance - voire de défiance - à l'encontre de la direction, qui pourraient mettre en péril le projet, ou en tout cas lui faire prendre du retard.
Par ailleurs, les relations professionnelles parfois abruptes du professeur Didier Raoult ont suscité des polémiques, y compris en public ou par écrit, avec responsables de l'AP-HM, médecins et chercheurs. Cela n'a pas facilité la mise en oeuvre du projet jusqu'à présent, du moins au-delà du périmètre de l'URMITE et du pôle MIT. Ces polémiques doivent être absolument évitées à l'avenir dans la nouvelle phase du projet qui s'ouvre désormais.
4.2.2.3 L'absence de compétences administratives et financières au sein de la fondation
L'encadrement administratif et financier de la fondation est à ce jour très insuffisant au regard de la complexité des enjeux auxquels elle est confrontée. L'organisation actuelle explique les retards et les difficultés sur un grand nombre de dossiers administratifs et financiers importants évoqués ci-dessus.
Au moins deux secrétaires généraux, anciens directeurs d'hôpitaux, ont été successivement recrutés après avoir été proposés par la direction générale de l'AP-HM, mais ils n'ont pas pu trouver un point d'entente avec le directeur de la fondation et ont quitté celle-ci prématurément. Le recrutement d'un nouveau secrétaire général est prévu mais son profil, trop peu expérimenté, ne correspond pas aux besoins décrits ci-dessus par la mission. Les responsables de l'IHU ont fait le choix délibéré de limiter au maximum le nombre de salariés chargés des tâches administratives au sein de la fondation : seule une « assistante de gestion » y pourvoit....
4.2.3 Des processus et une organisation adaptés de conduite de projet qui font défaut, au détriment des interfaces avec l'AP-HM et les autres partenaires
L'IHU de Marseille ne s'est pas mis dans une logique de gestion de projet suffisamment efficace et opérationnelle qui permette de délivrer à échéance les livrables attendus et de créer les interfaces nécessaires avec ses grands partenaires, en particulier l'AP-HM et l'AMU. » [Rapport IGAS]
Le rapport indique même de façon étonnante :
« Il n'a pas été possible de réconcilier les chiffres figurant dans le dossier de réponse à l'appel d'offres [NdR : pour les 72 millions du Grand emprunt en 2011] avec les données budgétaires et financières disponibles aujourd'hui. »
C'était donc l'analyse de la gestion de Didier Raoult.
On comprend dès lors pourquoi la page de présentation du rapport IGAS indique :
« Ce rapport conjoint IGAS-IGAENR porte sur l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) en maladies infectieuses établi à Marseille.... Il analyse sa situation financière qui n'apparaît plus de nature à mettre en péril le projet. Il constate que la structuration du projet tant médical que de recherche de l'IHU n'est pas achevée sur des points importants et pèse sur l'ambition du projet. Enfin, il montre que la gouvernance et le management du projet sont inadaptés à ses enjeux actuels et que des changements rapides et profonds devraient être requis par les financeurs et les fondateurs. » [Rapport IGAS]
Terminons en regardant comment ont été traitées 3 des multiples recommandations de l'IGAS :
Recommandation n°25 : Désigner rapidement un trésorier qui ait une expérience et une autorité économique et financière fortes
L'IHU MI a donc fini par remplacer son trésorier médecin par une nouvelle trésorière :
Elle est « Directeur Investissements » à la caisse locale de la Caisse d'épargne :
Au vu du volume d'argent brassé par ce projet qui doit approcher les 250 millions d'euros, essentiellement publics, un membre de la Cour des comptes spécialistes de la comptabilité publique aurait semblé un choix peut être plus approprié.
Recommandation n°27 : Mettre un terme sans délai au cumul actuel des fonctions de directeur et de membre du conseil d'administration de plein exercice...
Didier Raoult a répondu ceci dans une interview ( source) :
AEF : Le rapport pointe le fait que vous cumuliez les fonctions de directeur et d'administrateur.Didier Raoult : Ils se trompent. On ne peut pas être à la fois administrateur et directeur si l'on est payé. Je suis directeur bénévole, il n'y a donc pas de conflits d'intérêts. Nous avons consulté un cabinet d'avocats spécialisés : personne ne peut être payé par une fondation de cette nature tout en étant administrateur.
Donc, face à une remarque de bon sens de l'IGAS, visant à éviter des conflits d'intérêts dus à « la confusion entre l'organe collégial décisionnaire et les fonctions exécutives de direction«, Didier Raoult a préféré utiliser son budget pour payer une consultation d'avocats pour ne pas démissionner d'une de ses fonctions. Les modèles de statuts évoqués indiquent que : « Aucun administrateur ne peut exercer des fonctions salariées de direction de la fondation. » Raoult joue sur le mot « salarié » (et explique que ce serait illégal à 1 € de salaire mais pas à 0), mais on comprend bien l'esprit de la loi : c'est un problème de contrôle et de bonne gouvernance plus que d'argent.
Mais pas de souci, Raoult a même cosigné en 2014 un xeme un papier, cette fois sur le conflit d'intérêts :
Recommandation n°24 : Désigner rapidement un président du conseil d'administration extérieur à l'IHU et ayant une expérience et une autorité (ancien ministre, dirigeant d'entreprise, dirigeant d'un grand établissement public, membre d'un corps d'inspection, du Conseil d'Etat ou de la Cour des Comptes) adaptées à un projet d'ampleur nationale et internationale
Force est de constater que Didier Raoult s'est assis, comme pour la précédente, sur cette recommandation, pour ne pas se séparer de Yolande Obadia. Et nous allons comprendre dans la partie suivante pourquoi...
X. Les drôles de « combines » à l'IHU Marseille Infection
La fondation de l'IHU IM est donc présidée depuis 2011 par Yolande Obadia,
L'excellent site d'investigation locale MarsActu racontait fin 2018 cette éloquente affaire :
« Les contrôleurs de l'agence française anti-corruption (AFA)... dans la plus grande discrétion, sont venus à Marseille, fin mai [2018], contrôler un des fleurons de la recherche française, l'Institut de recherche pour le développement (IRD)... dont le travail consiste à développer la recherche avec les pays du Sud....Les contrôleurs de l'AFA se sont particulièrement intéressés à une convention de quelques pages signée entre le PDG de l'IRD, Jean-Paul Moatti et sa femme, Yolande Obadia. À la clef, un chèque de 300 000 euros pour la fondation Méditerranée infection qu'elle préside.... Cette convention a toute l'apparence d'un conflit d'intérêts....
Plusieurs éléments étonnent. Le loyer, tout d'abord, semble cousu main, pour déboucher sur un chiffre miraculeusement rond de 250 000 euros. Or, le détail, étage par étage et laboratoire par laboratoire, laisse pourtant apparaître des montants bien plus précis. Ainsi, l'IRD entend verser 213 261 euros au principal laboratoire de l'IHU, l'Urmite, jusqu'ici piloté par son directeur Didier Raoult....
Ensuite, cet accord vient poursuivre un long compagnonnage économique et scientifique entre les deux entités. En effet, de 2007 à 2010 et sous l'impulsion de Jean-François Girard alors président de l'IRD, l'institut s'était déjà engagé à verser 250 000 euros au projet d'infectiopôle déjà porté par Didier Raoult. Ensuite, son successeur, Michel Laurent a poursuivi son effort en faveur de l'IHU en versant cette fois-ci 1 million d'euros sur cinq ans auxquels s'ajoutent 50 000 euros par an pendant six ans, à partir de 2013. En 2017, l'IHU ne touche donc plus que 50 000 euros par an. La convention et les loyers afférents semblent donc opportunément combler le trou par rapport aux années précédentes....
Au sein de l'IRD, aucun mécanisme de contrôle ne s'est activé : le montant de 300 000 euros est jugé trop peu élevé pour que son conseil d'administration en soit informé....
Jean-Paul Moatti, le PDG de l'IRD, connaît bien l'IHU. Il en a longtemps été un de ses directeurs de laboratoire. Quant à sa femme Yolande Obadia, elle en est partie prenante depuis le début....
Les membres du conseil d'administration de l'IRD que nous avons contactés nous ont confirmé que ce sujet d'un déport possible sur l'IHU n'avait jamais été abordé en conseil d'administration... Et pour cause, le financement des organismes extérieurs à l'IRD n'y est que très peu un sujet de débat. » [ MarsActu, 10/2018]
Opération de BTP de 75 millions d'euros, course aux partenariats privés, gouvernance calamiteuse, étonnants soutiens politiques très appuyés : il serait vraiment rassurant pour le contribuable que le préfet des Bouches-du-Rhône demande à la Cour des Comptes régionales un audit approfondi de l'IHU-IM, et le ministère un nouveau rapport de l'IGAS.
XI. Souffrances dans les équipes de Raoult
L'IHU IM a été mis à rude épreuve par des affaires de harcèlement, durant depuis des années. La CGT raconte longuement l'affaire dans cet article. En voici quelques extraits :
« L'Agence d'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (AERES), a audité l'unité URMITE à plusieurs reprises (notamment en 2008 et 2012). Lors d'au moins deux de ces audits, les ITA [NdR : Ingénieurs, Techniciens et Assistants] ont exprimé certaines de leurs souffrances au travail devant les représentants du comité d'audit. Cela n'a été suivi d'aucun effet. Plusieurs agents ont décrit leurs conditions de travail et exprimé leur mal-être et leur souffrance au sein de l'URMITE à la médecine du travail de plusieurs tutelles. Cela n'a eu aucun résultat concret....Nous sommes au courant de nombreuses demandes de mutation, formulées par des ITA, mais aussi des chercheurs, INSERM, CNRS et Aix-Marseille Université. Cela semble ne pas avoir alerté les tutelles sur la situation des personnels dans l'unité. Le responsable de l'école doctorale aurait eu à gérer un nombre non négligeable de réaffectations d'étudiants de l'URMITE dans d'autres unités, en cours, voire en fin de thèse.
En janvier 2017, le Haut Conseil de l'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES) a audité les projets des deux unités issues de l'URMITE, qui devraient voir le jour en janvier 2018. Les représentants élus des personnels techniques ont été écartés de ces deux audits. Ce dysfonctionnement, à l'initiative des futurs directeurs des deux unités en création, a entraîné la première action en externe de la CGT, qui a contacté les personnels techniques de l'unité pour leur demander s'ils avaient des problèmes ou des demandes à faire remonter aux tutelles.
Lors des deux audits, des ITA ont témoigné devant les deux comités HCERES, pour dénoncer, au moins partiellement, leurs conditions de travail et les rapports hiérarchiques au sein de l'URMITE. Ces témoignages, qui sont censés être confidentiels, ont été connus de la direction de l'URMITE, apparemment le soir même. On ne retrouvera, dans les deux rapports finaux de l'HCERES, aucune trace de ces témoignages....
La CGT a donc décidé de proposer aux ITA susceptibles d'accepter, de rédiger un courrier d'alerte et de demande d'intervention, à l'adresse des CHSCT des 4 tutelles. Le 3 avril, une lettre non signée de 12 personnels ITA de l'URMITE est envoyée aux secrétaires des CHSCT et aux tutelles. »
Ainsi, en avril 2017, les CHSCT du CNRS, de l'Inserm, de l'IRD, et d'Aix-Marseille université ont reçu ce courrier anonyme envoyé par des salariés de l'Urmite (Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes), dirigée par le même Didier Raoult ( source - en entier ici) :
En réaction, les syndicats s'organisent et informent les tutelles, dont l'INSERM le 1er juin 2017. Le Directeur de l'Inserm Yves Levy leur répond le 29 juin, en leur indiquant qu'il a demandé une inspection de l'Urmite par les CHSCT ( source) :
Poursuivons le récit de la CGT :
« Début Juin, Didier Raoult, qui avait déjà connaissance de la lettre des 12, apprend les avis négatifs... quant à la labellisation de ses deux unités filles. Il faut préciser que le contenu scientifique des projets est critiqué dans les deux cas et que cet avis négatif n'est pas rendu uniquement sur les problèmes de souffrance des personnels, loin s'en faut. Ces premières alertes provoquent une réaction de la direction de l'URMITE. [NdR : les conseils scientifiques des deux institutions ont rendu des avis défavorables, avis suivis par les deux directions]Les mesures de rétorsion à l'encontre des lanceurs d'alerte commencent le 8 juin. Didier Raoult remet à disposition des tutelles les deux ITA ayant critiqué le plus fortement, lors des visites HCERES, ce qui se passe dans l'URMITE. Des propos menaçants auraient été tenus vis à vis des 12. Le directeur intervient en assemblée générale pour moquer les avis rendus par la section 27 du CNRS et la CSS de l'INSERM, dénoncer l'action des 12 ITA et dire qu'il n'en resterait pas là. Dans ces conditions, pour beaucoup de personnes, la peur de témoigner devant les CHSCT se développe. » [CGT]
Une intersyndicale se forme alors, et alerte la ministre, ajoutant que la Direction serait en train de sanctionner les ingénieurs lanceurs d'alerte qu'elle pense avoir identifiés ( source) :
Le 7 juillet, l'inspection a lieu (voir ici MarsActu). Un autre article précise les choses quelques jours après ( source) :
« Peu à peu, les langues se délient, même si les témoignages se font toujours à mots couverts.... Les entretiens individuels, en particulier, ont permis de donner corps à des faits déjà soulevés par les syndicats. [« Ce mépris se traduit par des cris, des vexations, des insultes, le non-respect des règles les plus élémentaires de l'hygiène et de la sécurité. Les personnels, dont un très grand nombre est précaire et d'origine étrangère, vivent dans la peur.... »]
Dans un entretien accordé à l'agence de presse spécialisée AEF, qui évoquait le dossier cette semaine, Didier Raoult a pour la première fois commenté cette nouvelle période de remous. « À ma connaissance, ce genre de choses ne se passe pas, hormis une plainte, une histoire d'amour qui a mal tourné selon le rapport que j'ai eu de la police. Nous avons interdit à ces deux personnes de se rencontrer sans témoin. »...
« C'est délirant, déclare-t-il à nos confrères. Nous avons ouvert l'institut de recherche sur les maladies infectieuses le plus puissant au monde. Nous offrons des conditions de vie exceptionnelles. » Il évoque des « personnes amères », « cinq ou six grognons jaloux et mécontents du déménagement »avant de vanter les conditions de travail de l'IHU et le caractère exceptionnel des recherches menées en son sein : « La science, au niveau où je la pratique, c'est du sport de haut niveau. Il y a des tensions quand on le découvre, c'est la nature de l'excellence. »...
« Ce qui est délirant, c'est surtout de tenir des propos de ce type, réagit Jean Kister, secrétaire général adjoint du syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), en écho à Didier Raoult. Cela vient plutôt accréditer le mal-être ressenti par certains salariés. » [ MarsActu]
Le rapport du CHSCT est glaçant :
« À l'inverse, parmi certains anciens de l'Urmite, les langues ont commencé à se délier. Leurs témoignages anonymes que Marsactu a pu recueillir recoupent largement les points de vue soutenus dans le rapport. Un ancien ingénieur de recherche de l'Urmite, explique ainsi que Didier Raoult semble fonctionner « avec un tableau dans la tête ». « Un tableau à entrées multiples avec deux colonnes. Il vous considère plus ou moins bien selon votre statut, médecin, pharmacien, chercheur, ingénieur... Et plus ou moins bien selon que vous êtes un homme ou une femme, explique-t-il. Nous avions des réunions de groupe le vendredi et j'ai souvent vu des femmes partir en pleurs. »L'ingénieur aujourd'hui signifie ainsi que le directeur de recherche lui a clairement signifié « un ingénieur, ça ne publie pas » à l'arrivée dans son service. Il poursuit son portrait-charge : « Il manipule au mieux les plus soumis ou ceux qui ont les dents longues selon la vieille technique de la carotte et du bâton. Cela ne marchait pas pour moi parce que je n'ai pas forcément de grosse ambition. En revanche, cela se concrétisait par de longs mois au placard, ce qui entraînait forcément une démotivation. » L'ingénieur a fini par quitter le service et la ville....
Les personnels interrogés tout comme les écrits soulignent une grande frustration ressentie par certains. C'est ce que résume le rapport du CHSCT : « Certains ingénieurs et techniciens (IT) nous ont indiqué, oralement ou dans les témoignages écrits, avoir le sentiment que leur travail n'était pas reconnu par la hiérarchie. Lors de l'entretien avec les personnels chercheurs, un chef de service nous a clairement indiqué ne pas faire signer systématiquement tous les IT ayant participé aux expériences ». Ce constat se traduit sèchement par la recommandation suivante : « Rappeler les règles éthiques en termes de signature des articles scientifiques ». » [Source - MarsActu]
Finalement, c'est vraiment la stratégie du coucou : virer les méritants et prendre leur place dans les signatures...
« Ces tensions dans le travail sont également ressenties par certains doctorants qui décrivent des situations de harcèlement moral. « Notre directeur de recherche, proche de Didier Raoult, avait beaucoup de mal à supporter la pression que ce dernier lui mettait pour obtenir des résultats, explique l'un d'eux. Du coup, de manière pyramidale, cette pression retombait sur nous ». Il a ainsi le souvenir de réunions « work in progress » où les étudiants dont le travail ne convainquait pas étaient humiliés par les directeurs de recherche, Raoult en tête. « Après on ne les revoyait plus », dit-il....Mais le document validé par les quatre tutelles ne s'arrête pas qu'aux aspects humains des conditions de travail. Il décrit par le menu un certain nombre de manquements factuels dans l'organisation du laboratoire, y compris dans le respect des règles d'hygiène et de sécurité « basiques » au sein d'un laboratoire où les personnels manipulent des « agents biologiques pathogènes ». Cela vaut également pour les règles de confinement spécifiques associées à chaque type de micro-organisme selon leur dangerosité. Là encore, les normes en vigueur ne sont pas toutes respectées.
Ces éléments nombreux et répétés font état d'une mauvaise prise en compte des attentes des personnels dans la construction de l'Institut, de matériaux défectueux, inadaptés voire non conformes à la réglementation. » [Source - MarsActu]
XII. #TheyToo
Mais ce n'est hélas pas fini. Il y a également eu des accusations de harcèlement sexuel et même d'agression sexuelle subie au sein de l'Urmite, comme le raconte, à nouveau le site Marsactu ( abonnez-vous pour le soutenir, si vous pouvez, il le mérite). En effet, suite à la visite du CHSCT, 4 plaintes ont été déposées pour harcèlement sexuel :
« Le syndicat SNPTES a également été informé de ce que certains jeunes étudiants/chercheurs, le plus souvent de nationalité étrangère, ont été victimes depuis plusieurs années de faits pouvant revêtir la qualification de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles, ainsi que d'autres qualifications pénales, et qui se seraient produits là encore au sein de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU)...
Dominique Escalier confirme que le directeur de l'école doctorale avait bien eu connaissance de ces cas « mais qu'il n'en avait informé que le directeur de l'unité », en l'occurrence, Didier Raoult. « Nous aurions apprécié que ces dossiers soient au moins transmis au président de l'université » »
Nous vous renvoyons vers cet autre article de MarsActu, rempli de témoignes révoltants, tels que :
« Les rendez-vous ne se sont pas bien passés. J'ai eu l'impression que les faits que nous soulevions n'étaient pas pris au sérieux. On m'a également demandé si je comptais finir mon doctorat ce que j'ai pris comme une menace implicite ».
Nous vous recommandons également cet article de MarsActu pour lire la suite. La CGT précise :
« Il n'en reste pas moins que, à notre connaissance, ce sont au moins 6 femmes qui ont eu à subir, au sein de l'URMITE, des faits de ce que nous pensons être, au minimum, du harcèlement sexuel, et que cela nous amène à faire plusieurs commentaires....La tenue de propos graveleux semble être une pratique courante. Comme exemple qui nous a été rapporté, à une ITA qui portait une coudière, un chercheur aurait demandé si c'était « à force de branler ? ». On peut également citer, une phrase qui aurait été coutumière d'un autre chercheur « Il est 4 heures, c'est l'heure de ma pipe, qui est-ce qui s'y colle ? »....
Comment est-il possible que des faits supposés de harcèlement sexuel, portés à la connaissance du directeur d'unité (Didier Raoult a confirmé, devant les CHSCT, en avoir eu connaissance dès 2015 et ne pas en avoir informé la présidence de l'Université), puissent rester sans dénonciation officielle par la direction de l'unité pendant deux ans ? Comment peut-on considérer comme normal qu'une personne responsable du personnel qu'il a sous sa direction, qui plus est médecin, laisse en contact, pendant deux ans, des supposées victimes avec leur supposé agresseur ? Comment interpréter le fait que, dans les nouveaux locaux de l'IHU, les supposées victimes et celui qu'elles ont désigné comme leur agresseur soient installés dans des laboratoires contigus par la direction de l'unité ? Comment comprendre qu'un directeur d'unité n'ait jamais pris le temps de rencontrer, en deux ans, une étudiante qui a déclaré avoir été agressée dans les locaux de son unité, par un directeur de recherche sous sa direction (déclaration faite par Didier Raoult dans une lettre qu'il a signée et adressée aux supposées victimes) ?...
Aujourd'hui, nous pouvons dire que, loin de faire son examen de conscience, la direction de l'URMITE est dans le déni. Pour les cadres en place il n'est pas question d'entendre les faits reprochés, ils sont au contraire minimisés et les lanceurs d'alerte sont accusés de tous les maux....
Dans la deuxième moitié d'août, alors qu'elles sont en vacances, nous sommes avertis de menaces de renvoi ou d'interruption de bourse des supposées victimes sexuelles....
La pression et la stigmatisation continuent encore à l'heure actuelle. Lors de la dernière assemblée de l'URMITE, le 23/10/2017, plusieurs personnes nous ont rapporté les propos qui ont été tenus vis-à-vis des lanceurs d'alerte. Ils y auraient été désignés sous le vocable de voyous. Il aurait même été affirmé qu'ils ne feront pas longtemps les voyous. Leur dénonciation non signée de ce qu'ils affirment avoir subi aurait même été comparée à des méthodes de nazis.
Elles sont la démonstration qu'aucune volonté d'apaisement et de recherche de relations saines et respectueuses n'est actuellement à l'œuvre au sein de l'URMITE. La preuve en est, le professeur Jean-Louis Mège, qui a témoigné en faveur des victimes de harcèlement et d'agression sexuels lors de la CAP, aurait été retiré du poste de sous-directeur de l'unité Méphi et remplacé. Nous regrettons également que de nombreux personnels de l'URMITE, souffrant de mal-être au sein de leur unité, se voient contraints de partir rejoindre d'autres unités, alors que les responsables resteraient en place. » [ CGT, 23/11/17]
France 3 a bien évidemment rendu compte de l'affaire ( source) - appréciez la réaction de Didier Raoult face aux graves accusations contre ses collaborateurs :
Notons qu'en mars 2018, lors de l'inauguration officielle de l'IHU IM a également tenu ses propos :
« Quant aux accusations de harcèlement et agressions sexuelles portées par des employées de l'IHU à l'encontre de plusieurs chercheurs, il les balaie d'une formule : « Je vous remercie d'avoir décrit ce lieu comme un lupanar. J'ai fait installer un distributeur de préservatifs » « Mais vous n'êtes pas la justice, ni la police, s'emporte-t-il. Si le CNRS a voulu rendre la justice avant que celle-ci se prononce, ce n'est pas plus à vous de le faire ».Pour la CGT, ces paroles sont « le reflet d'un manque de considération de M.Raoult envers les victimes d'actes de harcèlements sexuels ou agressions sexuelles, mais aussi envers l'ensemble des personnels et étudiants travaillant à l'IHU ». Les deux syndicats précisent ainsi qu'ils continueront « leur action pour améliorer les conditions de travail et d'étude à l'IHU et faire tomber l'omerta qui y règne ».
XIII. Appel à témoignages sur Didier Raoult et ses unités
Dans le cadre de ce dossier, nous sommes preneurs de tout témoignage (public ou en off), information ou document sur la gestion de l'IHU par Didier Raoult et les faits précédemment évoqués.
Vous pouvez nous contacter ici.
XIV. (bonus) Didier Raoult négateur du réchauffement climatique
Soulignons, en passant, un autre combat de Didier Raoult depuis des années : démobiliser les populations du combat contre le réchauffement climatique (alors que ce n'est évidemment pas son domaine), comme ici en 2013 ( source) ;
et c'est vrai que c'est mal les prévisions erronées, comme nous le verrons ci-après.
Et encore ici, le Monde nous rappelle ses propos en juin 2014, dans l'hebdomadaire Le Point : « Après une poussée thermique notable dans les années 1990, la Terre a globalement arrêté de se réchauffer depuis 1998. » et « le réchauffement climatique est incertain et la responsabilité de l'homme discutable » ( source) !
Bref, Didier Raoult est un visionnaire responsable...
Mais du coup on comprend mieux pourquoi Raoult plait autant à Fox New et à Donald Trump...
XV. L'avis de la prestigieuse revue Science
En mars 2012, la revue Science a révélé ceci dans cette notice Didier Raoult ( source)
« Controversé et franc, Raoult a publié l'année dernière un livre scientifique populaire qui déclare catégoriquement que la théorie de l'évolution de Darwin est fausse. Et il a été temporairement interdit de publication dans une douzaine de grandes revues de microbiologie en 2006. » [Science, 02/03/2012]
Ce bannissement d'un an de toutes les revues éditées par la société savante de l'American Society for Microbiology était dû à une suspicion de fraude, concernant un article de l'équipe de Raoult.
XV. Une dernière question
Pour conclure, j'aimerais partager une dernière réflexion personnelle. À ce stade, elle n'a aucun lien avec Raoult. Elle est en lien avec les récents aveux d'Agnès Buzyn que nous avons rapportés dans ce billet.
« Le 30 janvier, j'ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. » [Agnès Buzyn]
Ces propos ont été confirmés par un témoin. Elle a donc lancé une importante alerte au Premier Ministre. Celui-ci a forcément passé le dossier à son conseiller, qui a dû enquêter. Il a très probablement obtenu d'une ou plusieurs personnes des retours apaisants. Ils ont dû être transmis en retour à Buzyn, qui a fini par se taire. Et, pour se faire, on peut donc imaginer que ces avis émanaient de hautes personnalités entourées d'une aura prestigieuse - assez pour faire taire la ministre.
La question que je me pose est : Raoult en faisait-il partie ? Raoult a-t-il été interrogé le 30 ou 31 janvier ou tout début février par les cabinets ministériels ? Et leur a-t-il tenu son leitmotiv « arrêtez de paniquer pour rien » - puisqu'on connait parfaitement sa position ce jour-là, avec ses vidéos...? Aurait-il contribué à désarmer le gouvernement ?
Il serait intéressant que des journalistes creusent ce point en interrogeant Raoult et Matignon... Car malgré les aveux de Buzyn, je n'ai encore vu aucune d'enquête sur : comment cette alerte n'a pas été prise en compte ?
[Message : vous, les témoins directs, intègres et courageux, qui êtes dans les structures d'État (et qui à ce stade avez bien compris qu'il y a un très très gros problème de gouvernance) : vous pouvez nous contacter ici- anonymat garanti]
Pour terminer
En conclusion, Didier Raoult, vrai grand chercheur, semble bénéficier d'une aura exagérée car il compte de nombreux échecs à son actif, dans les différents domaines que nous venons d'analyser (c'est-à-dire hors recherche médicale fondamentale). Loin d'être un chercheur isolé, on voit que ce « mandarin à la française » bénéficie de puissants soutiens, qui ont, semble-t-il, empêché de le sanctionner en tant que manager quand il le fallait.
« Général de la santé » ayant contribué à plusieurs reprises à diminuer la mobilisation de la population en plaine offensive du coronavirus - nous verrons jusqu'où plus tard - il a participé à notre défaite face à la propagation du virus. Espérons cependant qu'il participera à notre victoire finale sur sa mortalité. Nous le verrons dans le prochain billet, consacré à son essai rendu public le 16 mars.
Pour la Chloroquine, nous n'avons donc aucun avis ; croisons les doigts et attendons calmement le résultat des essais et les consignes des autorités médicales. N'imaginez donc pas de complots : un virus, c'est très « égalitaire », il touche tout le monde de la même façon - Macron, un SDF, Bernard Arnaud, vous... - ; donc 100 % des Français veulent trouver un remède au plus vite.
Occupons-nous plutôt de l'urgence impérieuse : ne pas nous faire contaminer, et #ResterChezNous.
Nous analyserons donc dans le prochain billet l'essai de Raoult - mais nous pouvons déjà vous dire que son professionnalisme et son éthique sont à la auteur du personnage que nous venons de décrire longuement dans ce billet.
Bonne journée - et « vous pouvez éteindre la télévision »... 🙂
Olivier Berruyer