28/03/2020 les-crises.fr  7min #171220

 Le Professeur Didier Raoult : Rebelle Anti-Système ou Mégalomane sans éthique ?

Ne vous laissez pas avoir par le compteur trompeur de Didier Raoult

Je tiens ici à lancer une alerte.

Cela fait quelques jours que, forcés par les évènements, ce site s'est penché sur le cas Didier Raoult dans le but de mettre en lumière les nombreuses incohérences dans son analyse de l'épidémie de Covid-19 et ses démonstrations en faveur de la Chloroquine, « son traitement » unique et radical contre le virus.

Nous avons donc du nouveau : Didier Raoult vient de lancer sur internet un compteur supposé nous permettre de suivre l'évolution de l'épidémie chez les patients traités au sein de son institut, avec de la Chloroquine. Or, comme nous allons vous le démontrer, ce compteur présente de grosses failles déontologiques et scientifiques.

I. Le compteur de Didier Raoult

Didier Raoult et l'IHU MI ont lancé  une page internet, nommée le Southern France Morning Post (sic.) :

Il la relaie complaisamment sur les réseaux sociaux :

On y trouve trois choses. Les deux premières sont simplement une reprise des chiffres de l'épidémie dans différents pays (chiffres du 26/03) :

Sur le fond, rien à dire, sur la forme, on retrouve le leitmotiv de Raoult : relativiser la menace et démobiliser la population. En effet, quel autre but que de publier un ratio de décès par million d'habitants au tout début d'une épidémie en croissance exponentielle - bien sûr que les chiffres seront bas. A peu près partout ailleurs - et c'est déjà critiquable statistiquement - on publie un ratio Décès / Cas positifs. Regardez la France : que penser de « 26 décès pour 1 million d'habitants » ? Rien de méchant. Mais dire que « 6 % des testés positifs sont déjà décédés«, cela donne une autre vision de l'épidémie. Mais passons.

Mais ce ne sont pas ces chiffres sans grand intérêt qui sont problématiques - ni ceux que Raoult diffuse, c'est ceux-ci (chiffres du 27/03) :

Détaillons.

Partie 1 : Chiffres mondiaux

Simple cumul mondial des cas et des décès. Machinalement, on fait le ratio dans sa tête : 4,5 % de létalité apparente (apparente, car les chiffres sont provisoires).

2e tableau : Chiffres de Marseille

Rien à redire, c'est même très intéressant.

Le premier chiffre a peu d'intérêt - l'IHU fait des tests pour d'autres régions.

Mais on apprend qu'il y a eu 14 101 testés, 1 577 positifs (le ratio est étrangement bas, 11 % de positifs), et 11 morts. Donc 0,7 % de létalité apparente à Marseille - mais l'épidémie commence juste, c'est normal (il y a un effet retard, sachant qu'il se passe environ 2 semaines entre le test et le décès).

Mais on en arrive au dernier tableau, qui est LE problème :


À l'IHU de Raoult :

  • Nombre de patients traités par Chloroquine : 701
  • Nombre de décès de patients traités par Chloroquine : 1

Donc un ratio miraculeux de : 0,14 % de létalité apparente.

Soit 4 fois moins que la moyenne à Marseille ! Mais c'est miraculeux ! Vite, il faut donner de la Chloroquine à tout le mond...

STOP ! STOP ! STOP !

De nombreuses personnes font cette erreur - et c'est tout à fait normal.

Il y a plusieurs points qui posent problème avec ce ratio.

1/ le dénominateur : les cas testés

701 c'est beaucoup. Mais, il y a 4 soucis.

1-1/ leur nombre

En fait, Raoult a décidé de tester largement la population, qui s'est ruée à l'IHU. Il y a donc eu un afflux très récent de beaucoup de personnes (si ça se trouve, lundi, il n'y avait que 50 traités à la chloroquine). Autrement dit, trop peu de temps s'est écoulé et les cas graves n'ont pas encore dégénéré en décès, ce qui fausse la statistique.

1-2/ leur état de santé

Question de bon sens : pour se ruer à l'IHU, il faut généralement être malade, mais pas atteint trop gravement (plus ou moins grosse fièvre, toux) car cela impose un déplacement, parfois de personnes ne vivant pas dans le coin.

Ces patients là ne sont pas testés ailleurs (il faudrait, mais c'est un autre débat, pour une autre fois).

Donc cette population a une très faible probabilité de décéder, ce qui fausse la statistique.

1-3/ leur âge

En lien avec le précédent point, cette population est probablement bien plus jeune que la moyenne testée ailleurs (qui sont souvent des personnes hospitalisées).

Statistiquement, celle population mourra donc moins que la moyenne.

2/ le numérateur : les décès

1 décès donc.

2-1/ pas assez de recul

Il est bien évident que si 600 personnes pas trop mal portantes ont commencé à être traitées cette semaine, aucune n'a eu le temps de mourir (si tel est son destin final). Donc il faudrait plus de temps pour connaitre les morts correspondant à ces 700. Mais comme l'échantillon augmente (et qu'il y aura 900 le lendemain par exemple) vous décalez sans cesse l'horizon ou vous pourrez avoir une statistique fiable.

Ce n'est pas clair ? Prenons un exemple. Raoult vient de sortir un papier, qui donne une autre statistique, car elle doit avoir été faite en début de semaine (nous y reviendrons dans un prochain billet) :

Il avait donc 80 patients sous traitement et :

Dont 1 est mort

Il y a une semaine son traitement avait donc un score royal de 1 mort pour 80 patients soit un taux de létalité de 1,25 %, soit 80 % supérieur à celui de la moyenne marseillaise.

Du coup, il a fait rentrer 620 patients pas trop mal portants, et donc le taux n'est plus que de 0,14 % une semaine plus tard.

Chapeau !

2-2/ les patients sont perdus de vue

Le but du tableau de suivi, ce serait de mettre en rapport les patients traités décédés avec les patients traités.

Mais la plupart des 700 traités sont plutôt bien portants, et non hospitalisés (il n'y a pas autant de place - 75 lits environ à l'IHU selon Chabrière...).

Imaginons que la santé d'un des 700 empire à la maison ; il se sent mal, commence à s'étouffer. Il appelle les secours. Il a toutes les chances d'être envoyé dans un hôpital proche et, par malheur, d'y mourir (puisque des 10 des 11 malades marseillais décédés ne sont pas morts à l'IHU).

Dès lors, il est probable que ce mort ne figure jamais dans le suivi de Raoult, et que son ratio apparaisse longtemps merveilleux...

2-3/ et tant qu'on y est, on bidouille encore...

Avez-vous noté ceci dans le suivi ?

Ok, il ne compte pas les morts avant le 4e jour de traitement (strictement supérieur à 3).

Pourquoi ?

Hmmmm... Parce que !

C'est stupéfiant, car imaginez que, dans de très rares cas, la Chloroquine réagisse super mal avec le Covid-19 en présence d'un gène particulier, et que le malade meure en 48 heures de la chloroquine. Eh bien il ne sera jamais comptabilisé dans le suivi Raoult ! Ce qui est aux antipode de la rigueur scientifique.

Et c'est assez intéressant, car dans l'essai Raoult d'il y a 10 jours, il est écrit ceci à propos d'un des patients traités à la chloroquine :

Alors c'est ennuyeux, car on ne sait pas si on parle du même patient que précédemment, ou si c'est un de plus (ce qui ferait deux morts), a priori non pris dans le critère des > 3 jours.

Bref, encore une bien belle réalisation de Didier Raoult, financée par l'argent public.

Nous poursuivrons dans le prochain billet par l'analyse détaillée de son essai, hautement critiquable.

Appel à l'entraide

Au vu des dernières productions que j'ai survolées, il semble clair que Didier Raoult est en voie de devenir un des principaux producteurs de « Fake science » du pays, car indépendamment de ce que vaut la Chloroquine qui est en étude un peu partout dans le monde (et qui peut-être marche, simplement, nous n'en savons rien), le professeur Raoult semble tout à fait à l'aise avec l'idée de pourfendre toute déontologie en présentant au grand public des démonstration fallacieuses.

Nous recherchons donc des volontaires pour nous aider.

Les structures étatiques, scientifiques et médiatiques ne réagissant pas ou pas assez, nous lançons un Groupe de travail citoyen de scientifiques pour contrôler les déclarations et travaux de Raoult et de son équipe de l'IHU. Sans personnalisation, de façon neutre et rigoureuse, sans instruire uniquement à charge, dont le but sera simplement de veiller à ce que la population dispose d'informations fiables et rigoureuses.

Nous cherchons donc des profils de scientifiques chevronnés, rigoureux, à l'aise avec l'analyse d'articles en anglais, à l'aise avec la biologie, les essais cliniques et/ou la fake science, sachant rédiger, afin d'exercer un contrôle de cet Institut.

Vous pouvez  nous contacter ici - merci, votre aide est vraiment précieuse !

Olivier Berruyer

 les-crises.fr