Hassan TARFAOUI
Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud a déposé une plainte contre Israël, l'accusant de commettre un génocide à Gaza.
Cette action soulève une question fondamentale pour toute personne préoccupée par la justice et suivant les souffrances du peuple palestinien : pourquoi cette démarche n'a-t-elle pas été entreprise par un pays arabe, musulman, voire par l'autorité palestinienne elle-même ? C'est pourtant l'Afrique du Sud qui a eu le courage de prendre cette initiative. Dans cette analyse, on s'attachera à apporter quelques éléments de réponse, en se concentrant sur les pays arabes et l'autorité palestinienne.
Afrique du Sud
Les peuples sud-africain et palestinien ont été confrontés à des événements dramatiquement similaires en 1948 : l'instauration de l'apartheid en Afrique du Sud et la création de l'État d'Israël en Palestine. Ces deux processus de colonisation ont été mis en place et soutenus par l'impérialisme occidental, principalement britannique, dans le but de servir ses propres intérêts. Dans la lutte contre la suprématie blanche qui prévalait à Pretoria, l'ANC (Congrès national africain) a établi des liens avec divers mouvements de libération de l'époque, notamment la résistance palestinienne. Il est souvent rappelé la déclaration de Nelson Mandela, faite en 1997 à l'occasion du 20e anniversaire de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien : "Nous savons très bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens." D'ailleurs, l'Apartheid et Israël avaient des relations très étroites, commerciales, militaires, politiques.
Le peuple noir d'Afrique du Sud a enduré humiliations, emprisonnements, tortures, bref, toutes les épreuves subies par les colonisés sous le joug du colonisateur tout au long de leur existence.
L'Afrique du Sud a acquis une compétence significative dans l'utilisation du droit international pour lutter contre le racisme institutionnalisé de l'apartheid. Ce pays détient deux atouts majeurs pour une telle démarche : il bénéficie d'un haut niveau de développement et partage une histoire similaire à celle des Palestiniens.
L'engagement de l'Afrique du Sud en faveur de la justice et des droits de l'homme dans sa lutte contre l'apartheid a démontré que la solidarité ne dépend pas de la religion ou de l'ethnicité, mais repose plutôt sur des principes universels d'humanisme et de justice.
Bien sûr, Israël a utilisé son accusation habituelle contre Pretoria en l'accusant d'antisémitisme, une arme déployée chaque fois qu'une critique est émise à l'encontre de sa colonisation destructrice. À ce sujet, un livre sur le Mossad, écrit par l'un de ses anciens agents, Victor Ostrovsky, relate une histoire très révélatrice sur les mensonges israéliens. Cet ancien agent prouve que, le 6 avril 1979, les services secrets israéliens ont détruit à Toulon deux réacteurs nucléaires de fabrication française, destinés à l'Irak. Les journaux ont attribué ce sabotage au Mossad, mais le gouvernement israélien a nié en qualifiant ces accusations d'antisémites.
Dans cette plainte déposée par Pretoria, nous avons une confrontation entre une nation arc-en-ciel, tournée vers l'avenir et la diversité, et une nation enracinée dans le passé, marquée par le racisme et attachée à son identité juive au détriment de la population palestinienne. Pretoria a choisi pour la représenter à La Haye Dikgang Ernest Moseneke, un compagnon de Nelson Mandela et un symbole de la lutte contre le colonialisme occidental et le racisme blanc.
En revanche, Tel-Aviv a désigné pour sa défense devant la Cour Internationale de Justice Aharon Barak, un juge ayant légitimé l'occupation israélienne et ses actions (1).
Il est notable de constater la diversité, parmi les juges représentant Pretoria, comprenant des personnes de différentes origines ethniques, de sexes variés, et portant des noms aux sonorités arabes, africaines et européennes. En revanche, ceux envoyés par Tel-Aviv sont tous de couleur blanche (malgré la présence de soldats noirs parmi les forces militaires participant aux opérations à Gaza, ainsi qu'un million de Juifs marocains au sein de la société israélienne, entre autres exemples de la diversité de cette société).
La décision de l'Afrique du Sud de traduire Israël devant la Cour internationale de Justice a eu un impact significatif, ébranlant le mur d'impunité derrière lequel Israël a souvent agi. Cela a mis en lumière la nécessité d'une responsabilité internationale pour les violations des droits de l'homme et du droit international, renforçant ainsi le mouvement mondial en faveur des droits des Palestiniens.
Les pays arabes
"On ne jette pas de pierres quand on vit dans une maison de verre" est un proverbe bien compris et appliqué par les dirigeants des pays arabes pour éviter que l'Oncle Sam et Israël ne démolissent leurs maisons. On distingue trois raisons pour lesquelles il n'y a pas eu de plainte arabe contre Tel-Aviv.
Premièrement, il est important de souligner que le soutien affiché par les dirigeants arabes à la cause palestinienne est souvent teinté d'opportunisme politique. Plutôt que de défendre les droits des Palestiniens de manière authentique, ces potentats ont souvent utilisé la question palestinienne comme un outil pour consolider leur propre pouvoir et détourner l'attention de leurs problèmes internes. En brandissant des slogans enflammés et en dénonçant le sionisme, ils parviennent à canaliser les frustrations de leur population, tout en évitant de s'attaquer aux vrais problèmes tels que la corruption, le pillage des richesses du pays, la démocratie et l'état de droit.
La perception d'injustice dans le traitement du conflit israélo-palestinien par la communauté internationale alimente le ressentiment des peuples arabes envers Israël. Les gouvernements arabes exploitent habilement ce sentiment, utilisant le conflit comme un catalyseur pour détourner l'attention des problèmes intérieurs. Au lieu de boycotter toute relation avec les Israéliens, ils préfèrent maintenir des échanges commerciaux avec eux tout en tenant un discours virulent contre Israël. Ce stratagème leur permet d'avoir l'illusion d'être en phase avec leurs peuples, qui soutiennent la lutte du peuple palestinien contre l'occupation sioniste.
Deuxièmement, tous les pays arabes dépendent des États-Unis, ce qui limite leur capacité à engager des hostilités avec Israël, perçu comme le 51ème État des EU. De plus, ces pays ne sont pas des modèles de démocratie et de respect des droits de l'homme. Pratiquement tous les gouvernements, sans exception, recourent à la torture et emprisonnent leurs opposants. Par exemple, l'Arabie saoudite ne peut pas se permettre de comparaître devant la Cour de La Haye pour les 377 000 morts yéménites causés par sa guerre contre les Houthis. Le maréchal auto-proclamé Al-Sissi en Égypte doit garder un profil bas en raison de son coup d'État de 2013 visant à évincer le président démocratiquement élu Morsi, suivi de milliers d'arrestations et d'exécutions d'opposants pour étouffer toute voix dissidente. De même, le Maroc, les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan ont signé les accords d'Abraham avec Israël, les excluant ainsi de toute action potentielle contre ce pays. Il reste l'Algérie, mais elle est mal placée pour prendre une telle initiative, ayant soutenu Bachar Al-Assad dans ses crimes contre sa propre population en Syrie. Et elle continue à faire des affaires avec Israël... (2)
Le gouvernement tunisien prétend ne pas reconnaître Israël, ce qui pourrait l'empêcher de porter plainte contre ce pays. Cependant, il a fait marche arrière en proposant puis retirant une loi criminalisant la normalisation des relations avec Israël, sous la pression américaine.
Le Qatar occupe une place distinctive dans le paysage médiatique arabe grâce à sa chaîne d'information en continu par satellite, Al-Jazeera. Cette chaîne représente une source d'information unique au monde concernant les boucheries sanglantes se déroulant à Gaza, étant donné que l'accès des journalistes y est interdit par la seule "démocratie au Moyen-Orient". Cette interdiction permet aux sionistes de remettre en question le nombre de civils assassinés, en arguant que les chiffres sont publiées par le ministère de la Santé de Gaza et non vérifiés.
Les autres pays arabes sont souvent affaiblis par les interventions des États-Unis et de leurs alliés, ainsi que par des conflits internes (tels que ceux en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen). Ils manquent généralement de la volonté et du courage nécessaires pour contrarier leurs protecteurs américano-occidentaux.
Troisièmement, il convient de noter que la plupart des dirigeants arabes expriment le souhait de voir la résistance armée palestinienne, en particulier le Hamas, anéantie, comme l'a déclaré le sioniste Dennis Ross, ancien envoyé américain au Moyen-Orient (3).
Lors de la conférence de presse (18/10/2023) avec le chancelier allemand Olaf Schulz, Al-Sissi avait suggéré que « les habitants de la bande palestinienne de Gaza soient transférés dans le désert du Néguev, afin qu'Israël accomplisse sa mission déclarée, à savoir la liquidation de la résistance ou les groupes armées à Gaza » (4).
Les gouvernements arabes n'ont jamais pleinement soutenu la résistance palestinienne : elle était considérée comme trop laïque dans les années 70 et trop islamiste dans les années 2000.
L'autorité palestinienne
Son titre n'est que symbolique : une poignée de personnes qui défendent leurs propres intérêts sous la supervision de l'occupant israélien. Son président, Mahmoud Abbas, tout comme son prédécesseur Yasser Arafat, se réclament de cette appellation prestigieuse, fruit d'une longue série de compromis aux dépens du peuple palestinien. L'image qui vient à l'esprit est celle de la France sous l'occupation allemande de Pétain : une collaboration avec l'occupant pour gérer les affaires quotidiennes en réprimant et en exécutant tous les opposants qui osent perturber cette collaboration entre l'occupant et l'occupé (5). Ce n'est pas la première fois qu'on établit cette comparaison, Edward Saïd avait qualifié Yasser Arafat de « Pétain de la Palestine ».
Il est important de souligner que ce peuple n'a pas eu la chance qu'il méritait, c'est-à-dire qu'il n'a jamais bénéficié d'un leader tel que Nelson Mandela, par exemple. L'injustice envers le peuple palestinien, ressentie par la population arabe, a été enfouie ou mise en veilleuse avec les accords d'Oslo, expliquant ainsi l'éclipse de la cause palestinienne sur la scène internationale. Le parcours de Yasser Arafat est très éloquent pour illustrer le désastre de cette situation : il a débuté sa carrière politique en tant que leader "révolutionnaire" bourgeois pour finalement devenir le bras armé des Israéliens. Il convient de rappeler qu'en 2001, lors du siège de Ramallah, Arafat, afin de sauver sa propre vie, a arrêté et livré le dirigeant du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine, mouvement marxiste-léniniste), Ahmad Saadat, à Ariel Sharon, son ennemi de longue date qui l'avait contraint à quitter le Liban en 1982.
La Douzième chaîne israélienne a rapporté le 7 février 2024 que le chef du service de sécurité nationale israélien, Tzachi Hanegbi, le chef du Shin Bet, Ronen Bar, et le coordinateur des activités du gouvernement israélien en Cisjordanie occupée, Ghassan Alian, se sont secrètement réunis à Tel Aviv la veille, mardi 6 février, en compagnie de Majed Faraj, chef des services de renseignement de l'Autorité palestinienne, et de Hussein al-Sheikh, ministre des Affaires civiles. Cette réunion, appelée pompeusement "efforts conjoints", avait pour objectif de contenir la révolte en Cisjordanie et de pacifier la situation sur le terrain avant le mois de Ramadan (6).
Pendant ce temps, les opérations militaires israéliennes se poursuivent à Gaza. Il est à noter que les Israélo-Américains, bien qu'ils ne soient pas les seuls, ont tendance à utiliser des termes euphémiques ou flatteurs pour dissimuler leurs actions violentes. Par exemple, les bombardements au Yémen par les forces américano-britanniques sont baptisés "Gardien de la prospérité". Ce slogan peut être interprété comme signifiant "prospérité pour nous" (les États-Unis et leurs alliés) et "mort pour vous" (les Palestiniens, les Libanais, les Yéménites, les Cubains, etc.).
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(1) agencemediapalestine.fr
(2) algeria-watch.org
(3) nytimes.com
(4) realites.com.tn
(5) amnesty.org
(6) fr.timesofisrael.com