29 Août 2018
Article de : Marc Vandepitte
Karl Marx naissait il y a 200 ans. Peu de penseurs ont autant influencé l'histoire que lui. Sa critique aiguë et radicale du capitalisme est aujourd'hui toujours actuelle : crises économiques, exploitation, les caractéristiques de l'état, la lutte des classes, le rôle de la classe ouvrière, la pensée écologiste,...i
1. Crise économique
La crise financière de 2008 a eu des effets dévastateurs. La crise a creusé des gouffres dans les finances publiques et a coûté 20 % du pib aux pays de l'euro zone.ii Pour sauver les banques, les autorités nationales du monde entier ont libéré presque 9.000 milliards de dollars, soit l'équivalent de 65 ans d'aide au développement.iii
Cette grande récession a provoqué l'effondrement de tout le système financier. Le comble est que les économistes bourgeois ne l'ont même pas vu venir. Mais cela n'est pas étonnant car l'économie bourgeoise n'a tout simplement pas de théorie de la crise. Pour expliquer une crise économique, on a recours à des explications superficielles et psychologiques comme « des comportements irresponsables » ou « mauvaise évaluation » des acteurs économiques, «comportement irrationnel» des investisseurs ou «mauvaise communication» de la part des politiciens. Au mieux, on parle de « règles du jeu imparfaites ». Il n'y a pas d'analyse profonde, structurelle.
Pour Marx par contre, l'étude des crises est un élément essentiel de sa théorie. Pour lui, la crise n'est pas un phénomène dû au hasard ou à la cupidité. Au contraire, la crise fait partie de l'ADN du capitalisme. Elle fait partie intégrante de sa propre logique. « La limitation de la production capitaliste, c'est le capital lui-même. »iv Marx constatait que régulièrement le moteur du capitalisme tombait en panne. A ce moment-là une partie de l'appareil de production est détruit. Les crises « détruisent non seulement une grande partie des marchandises produites mais aussi les forces productives déjà développées. »v
Marx a été le premier économiste à expliquer pourquoi le capitalisme était régulièrement confronté à des crises. En quelques mots voici son explication. Les salariés produisent plus que ce qu'ils peuvent acheter avec leur salaire. Ou en d'autres termes, ils gagnent moins que la valeur qu'ils produisent par leur travail. (voir le point deux) Comme la production est plus importante que ce qui peut être consommé, une partie de la production ne peut être vendue. « Finalement, toutes les crises sont causées par la pauvreté et la limitation du pouvoir d'achat des masses face à la pression de la production capitaliste de développer les force productives comme si les limites n'étaient définies que par la force de consommation absolue de la société. »vi
De cette manière il se crée régulièrement un court-circuit entre la production et la consommation. Pendant la crise, ce court-circuit est supprimé. C'est une cure périodique d'assainissement, une purge dont le capital a besoin pour survivre. La crise est « une destruction violente de capital, pas à cause de relations externes mais comme une condition de survie. »vii La purge est brutale. A tous les coups, c'est la population des travailleurs qui endossera les frais de la crise. «Là où la société ne contraint pas le capital à tenir compte de la santé et de la durée de vie des travailleurs, il ne s'en préoccupe absolument pas. »viii La crise de 2008 a précipité dans l'extrême pauvreté 64 millions de personnes dans le monde. Pour Oxfam, il faudra de 10 à 25 ans pour que la pauvreté retrouve le niveau d'avant le crash.ix
Lors d'une crise on parle de surproduction, mais c'est considéré du point de vue du capital. En réalité, il s'agit de sous-consommation parce que, pour une grande partie de la population, beaucoup de besoins vitaux essentiels ne sont pas satisfaits malgré tout ce qui est produit. « Il n'y a pas de surproduction de biens de nécessité vitale pour la population, au contraire même. Il y a trop peu de production pour satisfaire dignement et humainement les désirs des masses. »x Voyez les longues listes d'attente pour obtenir un logement social, une place en crèche, des soins pour les handicapés et les personnes âgées. Et nous ne parlons même pas encore des défis énormes posés pour la production d'énergie verte.
Quelles sont les recettes pour s'attaquer à une crise économique ? Comment l'élite économique surmonte-t-elle les récessions périodiques ? « D'une part par la destruction contrainte d'une masse de forces productives. D'autre part par la conquête de nouveaux marchés, et par l'exploitation plus profonde encore des marchés anciens. »xi De nouveau, la dernière crise en est une belle illustration. Après 2008, les multinationales perdaient de par le monde 2.000 milliards de dollars de capacité de production et, au total, au moins 20 millions de jobs étaient détruits.xii Après 2008, et dans tous les pays capitalistes, les salaires étaient sérieusement rabotés. « Les crises offrent aussi des possibilités intéressantes. Nous pouvons obtenir des choses qui seraient impossibles sans elles. » disait Wolfgang Schäube, le ministre allemand des finances à l'apogée de la crise en Europe.xiii
Une autre tentative de sortir des crises récurrentes est le « doping financier » du système. Quand les attentes de profit dans la sphère de production sont faibles, le capitaliste a recours au secteur financier. « La spéculation se produit régulièrement dans des périodes où la surproduction est déclenchée pleinement. Elle prévoit des possibilités d'écoulement pour la surproduction. »xiv Après la crise de '73 nous sommes le témoin d'une véritable explosion financière. En 1980 les actifs financiers sont bons pour 120% du pib dans le monde entier. En 2014 c'est 370%, soit trois fois plus.xv Le marché dérivé représente aujourd'hui plus de 630.000 milliards de dollars,xvi cela revient à presque 90.000 dollars par personne sur la planète. Peu avant la crise de 2008 plus de 40% des bénéfices des grandes entreprises provenaient de la spéculation.xvii
Au sein de l'élite économique se niche une couche supérieure financière qui parasite le reste de l'économie. « Cela reproduit une nouvelle aristocratie financière, une nouvelle variété de parasites sous la forme de promoteurs, de spéculateurs et de CEO. C'est tout un système d'escroquerie et de tromperie au moyen de promotions, d'émission d'actions et de spéculation boursière. »xviii
Les tentatives de sortie de crise permettent un soulagement temporaire mais ne résolvent fondamentalement pas le problème, au contraire. Les contradictions à l'intérieur du capitalisme « sont en permanence surmontées mais aussi constamment ressuscitées ».xix « La production capitaliste tente sans arrêt de surmonter ses propres limites internes, mais elle les surmonte uniquement grâce à des moyens qui placent les limitations à une échelle encore plus grande. »xx On profite des crises pour baisser les salaires pour que les bénéfices puissent encore augmenter. Mais ceci est précisément la recette pour un futur court-circuit entre production et consommation.
Le dopage financier ne fait qu'aggraver le mal. « Cela ouvre provisoirement de nouvelles possibilités d'écoulement pour la surproduction, alors que c'est justement pour cette raison que l'arrivée de la crise est accélérée et que sa force en est amplifiée. »xxi La taille et la puissance des groupes financiers, et l'impact qu'ils ont sur la sphère de production, sont devenus tels qu'ils sont capables aujourd'hui de déstabiliser l'économie mondiale. C'est ce qui est arrivé en 1929, avec le crash de Wallstreet et en 2008 avec la crise financière. Depuis la financiarisation de l'économie en 1973 le lien avec l'économie réelle s'est perdu. Une gigantesque bulle financière est apparue qui peut éclater tôt ou tard, et qui éclate d'ailleurs régulièrement. Depuis les années 80, tous les deux ou trois ans, il y a une crise boursière, une crise banquière, un crash financier ou une crise d'endettement. Ces crises financières n'existent pas par elles-mêmes, elles sont la conséquence de la surproduction. « La crise elle-même éclate d'abord dans le domaine de la spéculation, ce n'est que plus tard qu'elle touche la production. Ce qui, pour l'observateur superficiel est la cause de la crise, n'est pas la surproduction mais l'excès de spéculation. Mais la spéculation elle-même n'est qu'un symptôme de la surproduction. » xxii
Sur quoi cela débouche-t-il ? « A la préparation de crises encore plus importantes et violentes. »xxiii Les crises des dernières décennies deviennent effectivement toujours plus profondes et elles ne sont pas nécessairement suivies de rétablissement ou de périodes de haute conjoncture. S'il y a quand même une période de haute conjoncture, elle est souvent de courte durée et elle est surtout causée par du « dopage financier » : des dettes ou de la spéculation. Désormais les crises ne sont plus des événements isolés qui reviennent à quelques années d'intervalle, elles ont un caractère quasi permanent.
2. L'exploitation du travail
Des fortunes fabuleuses d'un côté, de la misère sourde de l'autre. D'où cela vient-il, et ces deux phénomènes sont-ils liés ? Pendant une grande partie de sa vie, Marx a cherché une réponse à ces questions. Il était à la recherche du « fondement caché de la construction socio-économique »xxiv responsable aussi bien de gigantesques richesses que du fossé entre riches et pauvres. « Ce n'est qu'en connaissant les lois économiques qu'on peut comprendre le lien intime entre la faim de la plus grande partie de la population travailleuse et la consommation brute ou raffinée, démesurée, des riches basée sur l'accumulation capitaliste. »xxv
Après de longues études il a développé la théorie de la plus-value et de l'exploitation. « Le mobile et le but dominant du processus de production capitaliste est avant tout une auto-expansion du capital la plus grande possible, ce qui signifie l'exploitation la plus grande possible de la force du travail par le capitaliste. »xxvi
Le clou de l'affaire est que chaque travailleur produit plus de valeur que le salaire qu'il reçoit en échange. C'est aussi la condition pour que le capitaliste soit disposé à engager des gens. Supposons, par exemple, qu'un travailleur produise une valeur de 25€ (des biens ou des services). Son salaire sera de 15€.xxvii La différence, 10€, est ce que Marx appelle la plus-value. Cet argent va dans la poche du propriétaire de l'entreprise (le patron ou les actionnaires). Marx appelle le fait de s'attribuer cette plus-value par le capitaliste, exploitation.
Notre exemple est fictif mais il est proche de la réalité. Dans les 500 plus grandes entreprises de par le monde la plus-value moyenne par travailleur est d'environ 11€ de l'heure.xxviii
La création de plus-value explique pourquoi il y a de la richesse gigantesque au sein du capitalisme. Supposons que dans l'entreprise de notre exemple il y ait 100 travailleurs. Le patron empoche alors 1000€ par heure, ou 70 fois plus que son travailleur. La propriété des moyens de production amène donc une concentration démesurée de richesse dans les mains de quelques-uns. Dans notre exemple, un travailleur avec un salaire de 2.500€ devrait travailler 160.000 ans pour avoir la fortune d'Albert Frère.xxix Aujourd'hui dans le monde, 8 personnes possèdent autant que 3,6 milliards d'autres. En quelques mots : « ceux qui travaillent dans la société bourgeoise ne 'gagnent' pas et ceux qui y 'gagnent' ne travaillent pas. »xxx
Ce n'est pas pour rien que l'ouvrage principal de Marx Le Capital commence par la phrase suivante : « La richesse des sociétés où règne le mode de production capitaliste est une accumulation colossale de biens. »xxxi Aujourd'hui cela n'est pas différent. Jamais notre pays n'a produit autant de richesse qu'aujourd'hui. Le revenu moyen disponible d'un ménage belge avec deux enfants est de 8.650€ net par mois.xxxii
Avec une telle richesse, il est évident que nous pourrions tous vivre sans soucis, dans l'opulence. Et, malgré cela, il existe beaucoup de misère. 20% de nos ménages risquent de tomber dans la pauvreté, un quart des ménages a du mal à payer toutes ses dépenses médicales, 40% ne peuvent rien épargner et 70% des chômeurs ont du mal à boucler le mois.xxxiii
« Il n'y a pas d'argent, nous ne pouvons pas faire autre chose que d'épargner. » claironne la droite en chœur. Pas d'argent, comment ? Rien que ces trois dernières années, les entreprises belges ont éclusé 300 milliards d'euros vers les paradis fiscaux.xxxiv C'est une accumulation colossale d'argent avec lequel elles ne savent tout simplement pas quoi faire. Avec 1 milliard d'euros il est possible de mettre au travail 30.000 personnes pendant un an.xxxv Pour Marx, le problème n'est pas qu'il y a trop peu de richesse mais qu'elle est scandaleusement mal distribuée et que cela fait partie intégrante du capitalisme. « Le capital est la puissance économique dominante de la société bourgeoise. Il est nécessairement le point de départ et d'arrivée de la recherche."xxxvi
Depuis l'origine du capitalisme, la lutte pour la plus-value constitue le cœur de la lutte sociale. Parce que la plus-value est la seule source de bénéfices, elle est donc aussi le but ultime de tout capitaliste. Cependant, plus les salaires sont hauts, plus les bénéfices sont bas et vice versa. Le capitaliste fait tout pour faire travailler les salariés plus longtemps, plus durement et meilleur marché. De leur côté, les salariés s'efforcent d'obtenir une journée de travail plus courte, un salaire plus élevé et plus juste et un rythme de travail plus humain. Les intérêts sont incompatibles : un gain pour l'un est une perte pour l'autre. Marx décrit le capital comme « un vampire qui ne peut retrouver une nouvelle vie qu'en aspirant du travail vivant et qui vit d'autant plus longtemps qu'il en aspire de plus en plus. »xxxvii
Pour survivre, un travailleur doit nécessairement offrir sa force de travail sur le marché de l'emploi. Là où règne la loi de l'offre et de la demande. « Les travailleurs qui sont obligés de se vendre chaque jour sont une marchandise, un article commercial comme n'importe quel autre. Ils sont donc exposés à toutes les variations de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. »xxxviii
Plus il y a de travailleurs qui se présentent pour un même job, plus il y a de concurrence entre eux, plus ils seront enclins d'accepter de travailler pour un salaire moindre et dans des plus mauvaises conditions. Pour cette raison l'élite économique fait toujours en sorte qu'il y ait trop de travailleurs ou, selon les termes de Marx, une armée de réserve industrielle. « La quantité de force de travail disponible livrée par l'accroissement naturel de la population n'est absolument pas suffisante pour la production capitaliste. Pour évoluer librement,elle a besoin d'une armée de réserve industrielle, indépendante de ses frontières naturelles. »xxxix
Pour garder à niveau cette armée de réserve après la deuxième guerre mondiale, des travailleurs immigrés ont été attirés en Europe et on a incité les femmes à travailler. Aujourd'hui, cette armée de réserve dans les pays riches constitue 26% de la population active (voir le graphique). Dans le monde c'est même 58%.xl Depuis ces dernières années, on préserve le niveau de cette armée de réserve en faisant travailler les gens plus longtemps - âge de la pension plus élevé et suppression des prépensions - en obligeant les chômeurs à accepter un travail, en traquant les malades de longue durée pour qu'ils reprennent le travail le plus vite possible et en mettant plus d'étudiants au travail. « L'accumulation de richesse d'un côté entraîne donc accumulation de misère, harcèlement du travail..... de l'autre côté. »xli
Quand il s'agit de profits, le capital ne ménage absolument pas la santé ou le bien-être du travailleur. La formulation de Marx : dans sa « faim insatiable de plus-value » le capital commet « des extravagances démesurées ».xlii
Le rapport entre salaires et profits, ou le degré d'exploitation, est défini par les rapports de force entre le travail et le capital. Plus la population des travailleurs s'organise et se défend, meilleures sont les conditions salariales et les conditions de travail (voir point 5). Un outil important dans ce rapport de force est la grève. A ce moment-là la source de la plus-value et donc l'enrichissement du capitaliste est tarie et le capitalisme est touché au cœur. De là, selon Marx, « la rage furieuse » de l'élite économique « contre la grève ».xliii
3.Lutte des classes
Micheline est ouvrière dans une grande entreprise textile. Son patron est Mr Richard. Il a 600 salariés à son service. A première vue, Micheline et Mr Richard son des citoyens égaux, ayant les mêmes droits. Tous les deux sont libres de se rendre où ils veulent, de faire ce qu'ils ont envie de faire. Quand ils entrent dans un magasin, ils paient le même prix. Aux élections, ils ont chacun une voix et ils sont en principe égaux devant la loi.
Mais dès qu'elle passe la porte de l'entreprise, tout change comme par enchantement. Micheline n'a plus rien à dire et il n'est plus question de droits égaux. Pour pouvoir disposer d'un revenu, elle est obligée de vendre sa force de travail. Avoir le droit de travailler, combien d'heures par semaine, l'organisation de son travail, tout cela est déterminé entièrement par son patron. Mr Richard, de son côté, décide lui-même de ses propres investissements, de ses gains, ainsi que de tout ce qui concerne Micheline. Si cela lui chante, il investira son argent dans une autre entreprise qui jettera Micheline à la rue.
« Qu'est-ce que la richesse sinon le déploiement absolu de talents créatifs? » écrit Marx.xliv Micheline est une femme sociable, créative et entreprenante. Mais au sein de l'entreprise elle ne peut pas déployer ses talents, au contraire, elle doit les réprimer pour pouvoir continuer à y travailler. La seule chose qu'on attend d'elle est une prestation pour réaliser les attentes de bénéfices de son patron. Elle est réduite à un facteur de production, sa dignité humaine ou ses besoins ne sont nullement pris en compte. « Le travail comme pure satisfaction des besoins directs n'a rien à voir avec le capital, car ce n'est pas la moindre préoccupation du capital. »xlv
Micheline travaille à un rythme effréné, ses pauses-café sont chronométrées. Quand même, elle gagne vingt fois moins que son patron, qui organise entièrement seul son rythme de travail et ses vacances. Elle vivra en bonne santé 18 années de moins que la femme de Mr Richard.xlvi « La production produit l'homme non seulement comme une marchandise,... elle le produit comme un être déshumanisé aussi bien physiquement que mentalement. »xlvii
Micheline et Mr Richard personnifient la situation socio-économique très inégale de la société capitaliste. Prenez la situation en Belgique. Au bas de la pyramide il y a un tiers de la population qui ne peut pas épargner et qui a très peu de possessions. En haut, il y a 5% de super-riches. Ils possèdent autant que les 75% des plus pauvres. Quelques centaines de familles contrôlent la plus grande partie de l'économie belge.xlviii Marx a eu le mérite d'analyser avec précision cette contradiction flagrante, mais aussi de la situer dans une perspective historique et de voir comment cela peut être surmonté. Dans l'enchevêtrement de contradictions et de conflits sans fin il a découvert un patron fondamental qui survient régulièrement sous différents aspects. Selon lui, la contradiction entre travailleurs et patrons dans le capitalisme n'est pas un phénomène nouveau. Une semblable contradiction était déjà survenue sous différentes formes à plusieurs reprises dans l'histoire.
« L'histoire de toutes les sociétés jusqu'à aujourd'hui est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de guilde et compagnon, bref oppresseurs et opprimés ont été continuellement opposés les uns aux autres, ils ont mené une lutte ininterrompue, parfois de façon masquée, parfois ouvertement, une lutte qui se terminait chaque fois par un changement révolutionnaire de toute la société ou par un déclin des classes en lutte.... La société bourgeoise moderne issue du déclin de la société féodale n'a pas supprimé les contradictions de classes. Elle n'a fait que créer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à la place des anciennes. Notre époque, l'époque bourgeoise se caractérise cependant par le fait d'avoir simplifié les contradictions de classes. Toute la société se scinde de plus en plus en deux camps ennemis, en deux classes diamétralement opposées, la bourgeoisie et la classe ouvrière. »xlix
Cette lutte des classes est essentiellement une lutte autour du surplus économique. Pendant des centaines de milliers d'années, l'humanité a vécu en mode de survie. Il n'y avait pas d'excédents et tout était partagé équitablement. C'était la période des chasseurs cueilleurs et de l'agriculture débutante. A partir de 3.000 ans avant J.C. cette situation change. Les techniques d'agriculture s'améliorent et on produit plus que nécessaire pour survivre. La production excédentaire permet la création de catégories de population qui ne produisent pas : des dirigeants, des prêtres, des clercs, des juges, des soldats... Dans ces rangs se forme une couche qui attire le pouvoir, qui a en main les moyens de production les plus importants, et qui va s'approprier la plus-value.
Ainsi naît la scission de la société en une petite classe supérieure qui s'enrichit au détriment des classes inférieures. Ce schéma est récurrent dans l'histoire. Dans l'Antiquité les maîtres s'enrichissent grâce aux esclaves. Au Moyen Age la noblesse le fait grâce aux serfs. Dans le capitalisme ce sont les capitalistes qui s'enrichissent au détriment de la classe ouvrière.
Cet enrichissement, ou exploitation, n'est évidemment pas basé sur le consentement spontané des classes inférieures, il doit être forcé, cela suppose une lutte. De là la formulation de Marx qui parle de lutte des classes.
Parce que cette lutte concerne essentiellement la surproduction, le travail est organisé de telle manière pour que la classe dominante puisse écrémer le surplus économique. « La forme économique spécifique où le temps de travail non-payé est pompé directement des producteurs, détermine les rapports entre régnants et dominés. Ceci est le fondement de la société et, en même temps, sa forme politique spécifique. C'est toujours la relation directe entre les possesseurs des moyens de production et les producteurs directs... qui dévoile le secret le plus profond, le fondement caché de tout l'édifice socio-économique et donc aussi... la forme spécifique de l'état. »l
Dans l'appropriation de la surproduction, la possession des moyens de production est essentielle et c'est pour cette raison que Marx n'en veut pas. « Nous voyons comment la propriété privée peut achever maintenant sa domination sur l'homme et peut devenir une puissance de l'histoire mondiale, sous la forme la plus générale. »li Pour Marx, les classes ont à voir avec la sphère de production. Il s'agit de groupes de personnes dont l'un peut s'approprier le travail d'un autre comme conséquence du fait qu'il possède des moyens de production.
Pour Marx et Engels, la lutte des classes n'est pas un détail de l'histoire mondiale, c'est « la force motrice de l'histoire ».lii C'est la dynamique fondamentale qui fait avancer l'histoire. Pour Marx c'est un développement « dialectique » c.à.d. une dynamique basée sur des contradictions internes. « Parce que le fondement de la civilisation se base sur l'exploitation de l'un par l'autre, tout son développement évolue dans une contradiction continuelle. Tout progrès de la production est en même temps un recul des conditions de vie de la classe opprimée, c.à.d. de la grande majorité. »liii Cette loi « a la même signification pour l'histoire que la loi de la conservation de l'énergie pour la physique. »liv
Dans la vision de société de Marx et Engels, les intérêts contradictoires prennent une place centrale. Cela nuance leur opinion sur la politique. « Le pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d'une classe pour opprimer une autre. »lv Pour Marx, le conflit est central. La politique ne se fait pas pour chercher des solutions aux problèmes, mais pour s'occuper de situations de domination et d'oppression. Il ne peut être mis fin à cela qu'en s'attaquant aux causes. Pour Marx, la politique est en premier lieu une confrontation entre des groupes d'intérêt qu'il dénomme classes. « La société n'est pas constituée d'individus mais elle est la somme des relations entre personnes, ou la façon dont les personnes sont situées les unes par rapport aux autres. Comme si quelqu'un disait : du point de vue de la société, il n'y a pas d'esclaves ni d'hommes libres, ce sont tous des êtres humains. »lvi Micheline et Mr Richard seraient tous deux des êtres humains, ni plus ni moins...
Un véritable changement de société ne peut advenir que si on s'attaque aux contradictions fondamentales, et cela se situe au niveau de l'économie. « Sur cette base, les causes ultimes de tous les changements de société et des bouleversements politiques ne doivent pas être cherchées dans la tête des gens, dans leur compréhension plus profonde de vérité et de justice éternelles mais dans les modes de production et d'échange ; elles doivent être cherchées non pas dans la philosophie mais dans l'économie de la période concernée. »lvii
Ce n'est pas que Marx et Engels n'avaient pas d'intérêt pour la lutte des idées. A cela, ils ont eux-mêmes dédié presque toute leur vie. Mais c'est une illusion de penser qu'il est possible de modifier les fondements d'une société seulement par la persuasion, en faisant changer les gens d'opinion. La force seule de l'argumentation n'y arrivera pas, car les idées n'existent pas par elles-mêmes. « La production des idées... est en première instance directement enlacée dans l'activité matérielle de l'homme. »lviii Et cette activité matérielle n'est pas neutre mais est caractérisée par les rapports de force qui déterminent à leur tour les idées. « Les idées de la classe dominante, dans toutes les périodes, sont les idées dominantes. »lix Si on veut vaincre les idées dominantes, il faut détrôner la classe dominante, et pour cela modifier les rapports de force. Pour cela, la classe ouvrière est essentielle.
4. Le rôle de la classe ouvrière
Marx était un penseur stratégique. Il ne voulait rien savoir d'idéaux romantiques, éloignés de la réalité. Par contre, il était à la recherche de leviers et de forces dans la réalité qui pourraient mener vers un monde meilleur. « Ils ne doivent pas réaliser des idéaux, mais faire émerger des éléments d'une nouvelle société que l'ancienne société bourgeoise qui s'effondre porte en elle. »lx Plus précisément, il faut pouvoir faire usage « des fractures internes de la bourgeoisie. »lxi
La force sociale à l'intérieur du capitalisme capable de réaliser cela est la classe ouvrière. L'essence du capitalisme est, entre autres, l'accumulation de capital basée sur la plus-value et le travail salarié. Finalement, cela rend le capitaliste dépendant du travailleur. « La condition essentielle pour que la bourgeoisie existe et domine est l'accumulation de capital dans les mains de particuliers, la formation et l'augmentation du capital. La condition du capital c'est le travail salarié. » lxii Les ouvriers peuvent paralyser la production et toucher au cœur le capitalisme.
Parce que l'organisation de la production se fait de plus en plus dans de grandes unités, le capitalisme réunit de fait la population des travailleurs. « Le capital est ce qui les relie. »lxiii « Les progrès de l'industrie, dont la bourgeoisie est le représentant apathique et sans défense, remplace l'isolement des travailleurs, résultat de la concurrence, par leur organisation révolutionnaire dans des associations (syndicats).... Les travailleurs constituent des coalitions (syndicats) contre la bourgeoisie. Ils se réunissent pour défendre leur salaire. Ils créent eux-mêmes des associations durables pour constituer des provisions en cas de résistance. »lxiv
Ce rassemblement augmente aussi la conscience politique des travailleurs. « Avec le développement de l'industrie, le prolétariat augmente non seulement en nombre, il est aussi rassemblé dans de plus grandes masses, sa force grandit et il en est de plus en plus conscient. »lxv
C'est la ruse de l'histoire. Sans le savoir, le capitalisme produit « son propre fossoyeur ».lxvi
Dans la lutte pour une société plus juste, les travailleurs devront surtout compter sur eux-mêmes et pas sur la bourgeoisie ou la petite-bourgeoisie.lxvii « L'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre de la classe ouvrière elle-même. Pour cette raison, nous ne pouvons pas prendre la mer avec des gens qui disent ouvertement que les travailleurs ne sont pas formés pour se délivrer eux-mêmes et doivent être libérés par la grande et la petite bourgeoisie philanthropique. »lxviii Contrairement aux autres classes, les travailleurs « n'ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. »lxix Ce seront les travailleurs « qui par leur courage, leur fermeté et leur sens du sacrifice porteront la plus grande responsabilité pour la victoire. Tout comme dans le passé, la petite-bourgeoisie va hésiter le plus longtemps possible, va rester indécise et inactive. Mais, quand la victoire sera certaine, elle la revendiquera pour elle-même et appellera les travailleurs à rester réservés, à retourner au travail et à se comporter dignement et elle exclura le prolétariat des fruits de sa victoire. »lxx
Les ouvriers représentent aussi la plus grande majorité de la population. « Tous les mouvements étaient jusqu'à ce moment-là des mouvements de minorités ou au profit de minorités. Le mouvement ouvrier est le mouvement indépendant de la majorité écrasante dans l'intérêt de la majorité écrasante. Le prolétariat, la couche la plus basse de la société actuelle, ne peut pas se redresser sans que cela fasse sauter toute la superstructure des couches qui forment la société officielle. »lxxi
Pour Marx et Engels il n'y a pas de doute possible : « De toutes les classes face à la bourgeoisie, seule la classe ouvrière est réellement révolutionnaire ».lxxii
Les idées de Marx et Engels sont-elles encore valables aujourd'hui ?
La situation de la classe ouvrière, comparée à celle de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, a sans aucun doute changé profondément. Le nombre d'agriculteurs et d'ouvriers d'industrie a baissé fortement tandis que le secteur des services a fait un grand bond en avant. Mais, fondamentalement, la nature du capitalisme n'a pas changé. Bien au contraire, ces modifications n'ont fait que renforcer et consolider les relations capitalistes.
Le capital est toujours dans les mains de très peu de gens. Plus encore, la concentration de capital, comparée à celle du 19me siècle, a augmenté terriblement. Aujourd'hui, 147 super-entreprises contrôlent 40% de l'économie mondiale. 737 de ces « systems integrators » en contrôlent même 80%. Les 110 plus grandes entreprises ont un chiffre d'affaires plus grand que le pib de plus de 120 états nationaux.lxxiii Exactement comme l'avait prévu Marx, le nombre de salariés a systématiquement augmenté. Il n'y a jamais eu autant de salariés qu'aujourd'hui. Depuis 1990, il y a 1,2 milliards de travailleurs en plus dans le monde.lxxiv Les discussions à la mode sur « la fin de la classe ouvrière », le postcapitalisme ou le postmodernisme, ont pour but de miner la combativité du mouvement ouvrier. De toute façon, cela ne résiste pas à l'épreuve de la réalité.
Le plus grand nombre de travailleurs dans le monde n'a rien à perdre que ses chaînes. Plus de 700 millions de travailleurs travaillent pour des salaires ridicules, ce sont les « working poor ». A côté de cela, 1,4 milliard de travailleurs ont de très mauvaises conditions de travail, surtout du travail informel. 190 millions de personnes sont structurellement au chômage. En tout, cela représente plus de 70% de l'ensemble de la population active.lxxv Et la tendance actuelle ne va pas dans le bon sens. Depuis la crise bancaire de 2008, le nombre de revenus moyens a diminué dans beaucoup de pays.lxxvi Les nouveaux jobs sont de plus en plus temporaires ou à temps partiel. Aujourd'hui, une grande partie des revenus moyens est exposée à l'incertitude qui caractérisait le travail au 19me siècle. En augmentant les cadences et la flexibilité, les conditions de travail deviennent de plus en plus mauvaises pour la plupart des travailleurs.
La classe ouvrière ne doit toujours compter que sur elle-même et elle ne doit pas espérer trop des forces (petites-)bourgeoises ou des partis. C'est une coalition des Verts et des socio-démocrates qui avait lancé une attaque contre les salaires et les contrats de travail et a ainsi entraîné l'Europe entière dans une spirale descendante de destruction sociale.lxxvii Ce sont les populistes d'(extrême) droite ou nationalistes à la Trump, Le Pen, De Wever et Cie qui représentent soi-disant l'homme ordinaire, mais qui en fait sont les coursiers des grands groupes du capital.
5. L'importance de l'organisation et de l'unité
Pour Marx, la classe ouvrière est la véritable classe révolutionnaire, constituant le lien entre la vieille et la nouvelle société. Cependant, cette transformation vers une nouvelle société ne se produira pas spontanément. Elle ne se produira pas non plus par un grand changement de mentalités ou en adoptant un autre style de vie personnel. Les ouvriers se voient confronter à un ennemi fort, et ils devront tout faire pour construire des rapports de forces. Ils devront donc s'organiser. « Il va absolument de soi que, ne fût-ce que pour être en mesure de lutter, la classe ouvrière doit s'organiser en tant que classe. »lxxviii
L'histoire a démontré que l'organisation de la classe ouvrière était décisive pour les acquis sociaux. Dans la plupart des cas, ces acquis ont été arrachés aux parlements. Sans les grèves nationales, il n'y aurait pas de suffrage universel, et le travail des enfants serait toujours d'actualité. Le congé payé, le salaire minimum, les pensions, les allocations de chômage, les allocations familiales, etc. sont tous dus à la dure lutte sociale des générations antérieures.
Jusqu'aux années cinquante, ces grèves avaient un caractère offensif. Après, elles ont eu un caractère plus défensif : lutter pour préserver autant que possible l'Etat-providence. Dans la lutte sociale, le taux d'organisation est déterminant. Plus forts sont les syndicats, plus ils garantissent l'édification et la préservation de l'Etat-providence social. Les pays qui ont le plus haut taux de syndicalisation disposent des meilleurs systèmes de sécurité sociale et connaissent une pauvreté moindre. Inversement, les pays qui ont un faible taux de syndicalisation sont confrontés à plus de pauvreté et plus de problèmes au niveau de la criminalité, la santé, etc.lxxix
Pour Marx, organiser la classe ouvrière impliquait au moins trois choses.
D'abord, il faut avoir une vision et une stratégie à long terme. Certes, les ouvriers doivent se battre pour avoir de meilleures conditions de travail, mais toujours en ayant bien en vue le but final. « De temps à autre, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe passager. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union de plus en plus large des travailleurs. » lxxx Les travailleurs doivent prendre conscience du fait que « 'l'émancipation économique de la classe ouvrière est le but que tout mouvement politique doit poursuivre ».lxxxi
En deuxième lieu, l'unité est une condition décisive du succès. Confronté à une série de défaites, Marx constatait « que tous les efforts tendant vers ce but ont jusqu'ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des différentes professions dans un même pays et d'une union fraternelle entre les classes ouvrières des divers pays ».lxxxii L'élite aime à promouvoir cette division. Elle a tout intérêt à diviser la population travailleuse en interne et à monter les uns contre les autres. Le nationalisme et le racisme sont des outils pratiques pour aboutir à cette fin. Ils détournent l'attention des contradictions de classe et dissimulent l'élite. Ils amènent les ouvriers à se battre avec ceux d'en bas au lieu de ceux d'en haut. Ils font oublier la fracture scandaleuse entre les riches et les pauvres et le fait que la population travailleuse en fait les frais. Le nationalisme et le racisme constituent le tendon d'Achille du mouvement ouvrier.
Marx en parlait à l'occasion des tensions entre les ouvriers anglais et irlandais en Angleterre. Au 19e siècle, la Grande-Bretagne comptait beaucoup de travailleurs étrangers venus d'Irlande. Les Irlandais parlaient la même langue que les Britanniques, mais ils étaient beaucoup plus pauvres et pratiquaient une autre religion. L'élite britannique attisait sciemment les tensions afin de renforcer sa propre position et affaiblir le mouvement ouvrier. « Tous les centres industriels et commerciaux d'Angleterre ont maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais en tant que concurrent qui abaisse son niveau de vie.... Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l'ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près comme les Blancs pauvres vis à vis des Noirs dans les anciens Etats esclavagistes des États-Unis.... L'Irlandais voit en lui à la fois le complice et l'instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C'est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste qui s'en rend parfaitement compte. »lxxxiii
Aux États-Unis, la division au sein de la classe ouvrière n'était pas tellement basée sur la religion ou la nationalité mais notamment sur la couleur. Au 19e siècle avancé, une grande partie de la population noire vivait en esclavage. Le racisme et la discrimination y pullulaient. Selon Marx, la classe ouvrière blanche devait s'occuper du sort de ses frères et sœurs noirs. L'émancipation de la classe ouvrière était l'affaire de tous les ouvriers. Tant qu'une partie était opprimée, aucun soulagement pour le reste n'était possible. « Aux États-Unis d'Amérique du Nord, tout mouvement ouvrier autonome a été paralysé tant que l'esclavage défigurait une partie de la république. Le travail des blancs ne peut pas s'émanciper là où le travail des noirs demeure marqué d'infamie. » lxxxiv
Ce sont des paroles d'une actualité brûlante. Les politiques de droite et d'extrême-droite s'amusent à opposer les divers groupes de la population l'un contre l'autre. Le mouvement ouvrier ne peut pas se faire piéger. Etant divisée, la classe ouvrière ne pourra pas affronter l'élite. En revanche, une attitude de solidarité peut justement lui donner des ailes. C'était en tout cas la leçon des Etats-Unis. « Mais la mort de l'esclavage a aussitôt fait éclore une vie nouvelle et régénérée. Le premier fruit de la guerre civile a été la lutte pour la journée de travail de 8 heures. »lxxxv
Outre l'unité et une vision à long terme, le mouvement ouvrier a aussi besoin d'un relais politique. « Contre ce pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. »lxxxvi Au milieu du 19e siècle, le mouvement ouvrier se trouvait encore dans un stade embryonnaire. Les ouvriers étaient encore principalement organisés au niveau local et sectoriel ; ils ne disposaient pas encore d'un propre parti ouvrier. S'ils voulaient devenir un facteur significatif et savoir résister à leur puissant ennemi, ils devaient créer un parti révolutionnaire. Marx et Engels arrivent à cette conclusion après les révoltes révolutionnaires échouées de 1848 dans une série de villes européennes. « Ce n'est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s'est frayé la voie ; au contraire, c'est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire. »lxxxvii Les syndicats sont nécessaires pour les luttes directes, comme les revendications salariales et les conditions de travail. Mais, pour arriver au but final, une société juste où l'exploitation n'existe plus, il faut un parti politique. « La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier pour sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs. »lxxxviii
6. L'État du 1 %
Dans les points 2 et 3, nous avons vu que la population travailleuse se trouve dans une position faible et soumise par rapport aux capitalistes. Elle a cependant un grand avantage : elle représente l'écrasante majorité de la population. Et puisque la production s'organise de plus en plus dans des grandes unités, le capitalisme a, pour ainsi dire, 'réuni' les ouvriers et les employés, ce qui constitue une menace potentielle pour les rapports d'exploitation.
C'est à ce point que la classe dirigeante fait appel à l'Etat pour protéger son pouvoir et ses privilèges. Nul autre qu'Adam Smith, le fondateur du libéralisme classique, ne l'a dit avec moins d'équivoque. « Le gouvernement civil, institué pour défendre la propriété, est en réalité institué pour défendre les riches contre les pauvres, ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent rien. »lxxxix
L'appareil de l'État fut un des sujets centraux chez Marx et Engels : « Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé aux fins d'asservissement social, d'un appareil de domination d'une classe. »xc Ils concluent : « Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ».xci
L'État doit permettre aux capitalistes d'encaisser un maximum de profit. Cela signifie protéger la propriété privée des moyens de production et créer les conditions favorables à l'usurpation de la plus-value. Ce dernier est réalisé par L'État, entre autres, en délimitant les marges des négociations salariales, en limitant la position de pouvoir des syndicats, en fixant la marge de manœuvre légale en cas de conflits sociaux (grèves, occupations des lieux de travail) etc.
En clair, la classe capitaliste règne, mais elle ne gouverne pas. En règle générale, la classe dominante laisse la gestion à une caste politique censée servir ses intérêts à long terme. Dans une lettre à Karl Marx, Engels parle d'une « oligarchie capable de s'occuper de la gestion de l'Etat et de la société défendant les intérêts de la bourgeoisie en échange d'une indemnisation convenable ».xcii L'élite économique ne gouverne pas de façon directe mais cherche du personnel politique pour le faire. « La richesse y exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires,... d'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse. »xciii
L'État est une sorte de cloche politique qui sert à neutraliser et à couvrir les contradictions économiques. La cohésion, impossible dans la sphère économique à cause de la contradiction entre le travail et le capital, se créé dans la sphère politique. « Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se détruisent pas, elles-mêmes et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre ». Ce pouvoir, issu de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État. »xciv
Le fait que la classe dominante sous-traite cette mission à des 'tiers', qui en outre sont élus, permet de sauver les apparences de la neutralité et de l'impartialité. On fait semblant que l'État est au-dessus des classes et qu'il représente 'l'intérêt général' : « Ne fût-ce que pour parvenir à ses fins, la classe dominante est obligée de présenter son intérêt comme étant l'intérêt commun de tous les membres de la société. »xcv
Le mythe de la neutralité et de l'intérêt général est vite détruit. 'L'union entre le gouvernement et la bourse' à elle seule le démontre déjà. Ainsi, Jean-Luc Dehaene, ancien premier ministre de la Belgique, siégeait dans plusieurs entreprises, comme Umicore, Lotus, Dexia et AB Inbev. Sigfried Bracke, président de la Chambre, était - avant d'avoir été obligé de démissionner - un conseiller auprès de Telenet, une grande société belge de télécommunications. Karel de Gucht, ancien commissaire européen du Commerce, siège dans Proximus et ArcelorMittal, et José Manuel Barroso, l'ancien président de la Commission, travaille désormais chez la banque d'affaires Goldman Sachs, un des responsables de la crise financière de 2008.
Pas étonnant que les multinationales paient moins d'impôts que les femmes de nettoyage qui y travaillent. L'élite fait de son mieux pour mettre en avant la neutralité de l'État, mais ce n'est qu'une façade. L'Etat choisit son camp, à chaque fois. La police et la justice ne protègent pas les sans-abris contre les spéculateurs, elles ne protègent pas les grévistes contre les briseurs de grève, elles ne protègent pas les travailleurs licenciés contre des chefs d'entreprises qui veulent réaliser ailleurs un pourcent de profit en plus, elles ne poursuivent pas les hauts banquiers qui ont pillé notre économie en 2008, etc.
L'État assume une position neutre tant que le statu quo n'est pas en jeu et tant que les classes subalternes ne l'emportent pas. Au moment où cela risque de se passer, elles seront confrontées aux canons à eau et au gaz lacrymogène, ou les fonds sont coupés. Et si tout cela ne suffit pas, des tanks interviendront. « La civilisation et la justice de l'ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice apparaissent comme une cruauté sans masque et une vengeance sans loi. »xcvi Au moment où les intérêts du capital sont en danger « l'État enserre, contrôle, réglemente, surveille et tient sous tutelle la société civile, de ses manifestations les plus larges jusqu'à ses mouvements les plus infimes ».xcvii
La classe capitaliste est capable, si elle le veut, de tenir à la gorge l'économie d'un pays. C'est ce qui s'est passé au Chili, juste avant le coup d'état en 1973, au Venezuela en 2003 et en Grèce en 2015. L'État bourgeois est, pour ainsi dire, mené en laisse par le capital. La laisse peut être longue ou courte et donne une idée de la marge de manœuvre du gouvernement, mais finalement la laisse est bien là.
À cause de cette laisse, Marx n'avait pas une haute opinion des élections. « Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante va « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devrait être au service du peuple. »xcviii Marx estimait que la démocratie était trop précieuse pour la confier seulement à des politiciens professionnels ou à des parlements. La démocratie doit être ancrée au niveau local, proche du peuple et émanant du peuple. Selon lui, le procès décisionnel devait être porté par ce qu'on appellerait aujourd'hui la société civile. Son modèle était celui de la Commune de Paris, une révolte populaire à Paris, en 1871, que l'armée française réprimait dans le sang après deux mois.
Ce qui n'empêche pas que la lutte électorale et le parlement soient des instruments utiles pour la lutte ouvrière. Engels dit en 1895 : « Avec l'agitation électorale, il [le suffrage universel] nous a fourni un moyen qui n'a pas son égal pour entrer en contact avec les masses populaires là où elles sont encore loin de nous, pour contraindre tous les partis à défendre devant tout le peuple leurs opinions et leurs actions face à nos attaques. Et il a ouvert à nos représentants au Reichstag une tribune du haut de laquelle ils ont pu parler à leurs adversaires au Parlement ainsi qu'aux masses au dehors, avec une tout autre autorité et une tout autre liberté que dans la presse et dans les réunions.... En utilisant ainsi efficacement le suffrage universel le prolétariat avait mis en œuvre une méthode de lutte toute nouvelle et elle se développa rapidement. »xcix
Mais, finalement, il faudra renverser les rapports de force. « Le but immédiat... est la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par les travailleurs. »c
7. Le socialisme à l'ordre du jour
« De là la grande influence civilisatrice du capital ; il a produit un niveau de civilisation tel que toutes les autres ont semblé être des développements locaux de l'humanité et une idolâtrie de la nature. »ci
Tout au long de l'histoire mondiale, l'humanité a vécu la privation et la misère noire. Depuis la révolution agricole, il y a bien eu une production excédentaire, mais celle-ci n'était pas investie dans l'économie. Elle était prélevée par l'élite pour construire des palais ou des temples, pour vivre une vie de luxe et pour entretenir une armée. Pendant des siècles, la richesse produite restait constante et n'augmentait uniquement en fonction de la croissance de la population. Ce n'est qu'au moment où la plus-value est réinvestie dans la sphère de la production que l'histoire s'accélère. Du capital nouveau permet d'acquérir de nouvelles et meilleures machines et de développer la production. Ce basculement s'est produit plus au moins au milieu du dix-neuvième siècle. A partir de là, la création de la richesse sur cette planète a explosé.cii
Marx a analysé ce processus historique en détail. « La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l'Amérique. Le marché mondial a accéléré prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication. Ce développement a influencé en retour l'extension de l'industrie. »ciii Marx constatait que les forces productives (outils, machines) avaient une tendance historique à devenir meilleures et plus efficaces. « Le résultat est une tendance au développement général des forces productives, de la richesse en tant que telle. »civ Il fallait de moins en moins de temps « pour produire du blé, du bétail...... Gagner du temps, voilà à quoi se résume finalement toute économie. »cv
La bourgeoisie avait la mission historique de réaliser cette accélération dans l'histoire. « Depuis un siècle à peine, la bourgeoisie a créé des forces productives plus nombreuses et plus gigantesques que ne l'avaient fait toutes les générations passées réunies. »cvi Cependant, à un moment donné, le capitalisme a « atteint son but historique. Dès que ce but était atteint, le développement ultérieur est apparu comme un déclin. »cvii Le capitalisme rencontre ses propres limites et la bourgeoisie n'est plus en mesure de continuer à jouer son rôle historique. « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. »cviii
Dans le capitalisme, la production ne vise uniquement que l'appât du gain d'un petit groupe de propriétaires privés et ne se fabrique pas en fonction des besoin sociaux ou des opportunités de développement de la grande majorité. « Le monopole du capital devient une entrave au mode de production qui a mûri en même temps que lui et sous sa domination. »cix
C'est plus que jamais d'actualité. Jamais l'abîme entre ce qui est possible et ce qui est vraiment réalisé n'a été aussi grand qu'aujourd'hui. Plus que jamais les rapports de production empêchent un développement digne. Au niveau mondial, la richesse produite aujourd'hui permet à chaque famille de deux adultes et trois enfants de disposer d'un revenu potentiel de 3.500 euros. cx En d'autres termes, il existe assez de richesse pour que tout le monde mène une vie plus que décente. Or, un tiers de la population mondiale ne dispose pas de sanitaire de base, et un quart ne dispose pas d'électricité. Un septième vit dans un bidonville et un neuvième ne dispose pas d'eau potable.cxi
L'industrie alimentaire, d'une valeur de 4000 milliards de dollars, est entre les mains de quelques monopoles. Ils contrôlent presque toute la chaîne alimentaire, du début jusqu'à la fin, et n'opèrent qu'en fonction de leurs profits. Ce sont leurs anticipations de bénéfices et non les besoins et nécessités qui déterminent qui pourra ou non disposer de nourriture dans ce monde. A présent, plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim alors qu'il est possible de produire de l'alimentation pour 12 milliards de personnes. Aux États-Unis, la nourriture jetée suffirait à elle seule à nourrir tous les affamés.cxii La faim dans le monde n'est pas une question de trop peu de capacité mais de mauvais rapports de propriété.
Le FAO, l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, a calculé qu'un investissement public annuel de 24 milliards de dollars - soit 0,6 % du produit annuel du secteur agricole - complété d'investissements privés, permettrait d'augmenter le produit mondial brut de 120 milliards de dollars. La raison est que les personnes concernées vivent plus longtemps et en meilleure santé et peuvent donc produire plus.cxiii Il s'agit donc d'un rendement de 500 pourcent ! Et ne parlons même pas des millions de vies humaines que nous pourrions sauver. Or, le capitalisme est incapable de faire cet investissement évident et nécessaire.
La situation sanitaire est aussi hallucinante. Au début de cette année, le géant pharmaceutique Pfizer a décidé d'arrêter les recherches sur les maladies d'Alzheimer et Parkinson. Non pas parce que cela ne serait plus nécessaire, au contraire, près de 60 millions de personnes souffrent d'une de ces deux maladies, mais parce que le bénéfice est trop insuffisant. Ces dernières années, des millions de personnes sont décédées du sida parce que les entreprises pharmaceutiques ont bloqué l'accès à des médicaments bon marché. Chaque année, environ 600.000 personnes meurent de malaria. Cette maladie aurait pu être éradiquée il y a longtemps mais, là aussi, il y a trop peu à gagner. Pour maîtriser la maladie, il suffirait de 2,4 milliards de dollars supplémentaires par an. Quelque 32.000 milliards de dollars sont parqués dans les paradis fiscaux... Les entreprises pharmaceutiques dépensent 19 fois plus en marketing qu'à la recherche fondamentale. C'est tout dire.cxiv
Et puis le travail ! Marx constatait que, au fil du temps, la productivité continuait à augmenter, libérant ainsi plus de temps pour l'épanouissement intégral de l'individu. « Moins une société a besoin de temps pour produire du blé, du bétail, etc., plus elle a du temps pour d'autres productions, matérielles ou spirituelles.... Le gain de temps sur le travail revient à avoir plus de temps libre, c.à.d. du temps pour l'épanouissement de l'individu.... Du temps libre aussi bien pour paresser que pour des activités plus évoluées. »cxv Le faitque l'on ne vit plus pour travailler, mais inversement, créé, selon Marx, un nouveau type d'homme : « ce temps libre transforme son possesseur en un sujet différent. »cxvi Le niveau culturel augmente, le plaisir est plus sophistiqué. Le travailleur éprouve « un plaisir plus grand, même mentalement, il s'investit dans son propre intérêt, il lit des journaux, assiste à des conférences, éduque ses enfants, développe ses goûts, etc. »cxvii
En 1830, un ouvrier belge travaillait 72 heures par semaine. En 1913, c'était 60 heures de travail hebdomadaire, en 1940, 48 heures, et, en 1970, 40 heures.cxviii La raison est très simple : la productivité, ce qu'un ouvrier créé en valeur par heure en moyenne, n'a pas cessé d'augmenter. Et c'est toujours le cas. En 1970, un ouvrier produisait en moyenne huit fois plus qu'il y a cent ans. Au début de ce siècle, c'était déjà 14 fois plus.cxix On pourrait donc s'attendre à ce que le temps de travail au travers le temps continue à diminuer. Keynes, un des économistes les plus renommés, prévoyait déjà en 1930 que ses petits-enfants ne devraient travailler que 15 heures par semaine pour mener une vie confortable.cxx Mais c'était sans tenir compte des rapports de propriété capitalistes. Au lieu de faire diminuer le nombre d'heures de travail, on nous oblige à travailler toujours plus et plus longtemps pour satisfaire à la « fringale insatiable de surtravail ».cxxi (Le surtravail est le travail non rémunéré qui est la base du profit du capitaliste, voir point 2).
Le capitalisme a incontestablement produit beaucoup de richesse, mais de façon très inégale. Or, combien de temps voulons-nous encore attendre de satisfaire les besoins de base de tous ? Le capitalisme se comporte de façon inhumaine et antisociale lorsque le profit l'exige. Il détruit la nature et le climat si le profit le nécessite. Sous les rapports de propriété capitalistes, il est impossible de nourrir tout le monde, de prévoir des médicaments à un prix raisonnable pour tous, de travailler pour vivre au lieu du contraire. « La propriété privée moderne, la propriété bourgeoise, est l'ultime et la plus parfaite expression du mode de production et d'appropriation qui repose sur des antagonismes de classe, sur l'exploitation des uns par les autres. »cxxii Ces propos sont plus actuels que jamais.
Le capitalisme a créé assez de plus-value pour éliminer définitivement la pénurie et donc l'existence de classes. Or, seul le socialisme est capable de le réaliser. « Si l'homme est formé par son environnement, il faut faire en sorte que les circonstances soient humaines. »cxxiii Pour réaliser cela, il faudra que l'économie ne soit plus entre les mains d'une petite élite. « Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.... En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette seule formule : suppression de la propriété privée. »cxxiv
8. Intérêt pour la nature
La conscience écologique au sein du monde industriel s'est créée il y a cinquante ans, notamment sous l'impulsion du Club de Rome. Ces dix dernières années, la dégradation climatique a mis au point cette conscience. Au 19e siècle, une telle conscience n'était pas encore présente. Il régnait alors une croyance dans le progrès, basée sur les grandes percées technologiques de l'époque. Marx était un enfant de son temps, et un certain optimisme technologique ne lui était pas étranger. Cependant, en même temps, on trouve dans ses écrits aussi une analyse profonde de l'impact de l'homme sur la nature, ce qui est assez unique dans son temps. Il constate que la domination illimitée de l'homme sur la nature est inhérente au capitalisme. Il était un des rares penseurs du 19e siècle qui a abordé si franchement l'intérêt pour la nature. Ce qui fait de lui un pionnier de la pensée écologique actuelle.
Déjà dans ses premiers écrits, Marx intégrait les facteurs géographiques et climatologiques dans son analyse, ainsi que l'effet de l'homme sur ces facteurs. « Toute historiographie doit partir de facteurs naturels et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire. »cxxv La théorie de la valeur, qui est au centre de l'œuvre de Marx, ne se limite pas uniquement au travail. Le travail ET la nature sont les sources de la plus-value. « Le travail... n'est pas la seule source de richesse matérielle. Comme disait William Petty, la richesse a pour père le travail et pour mère la terre. »cxxvi
Pour survivre, l'homme doit travailler et maîtriser la nature. Contrairement à l'animal, « l'homme modifie la nature et il la domine »,cxxvii disait Engels. Marx et Engels rejetaient toute approche romantique ou sentimentale de la mère la terre. « La science moderne et l'industrie moderne ont révolutionné toute la nature et ont mis fin à l'attitude enfantine de l'homme vis à vis de la nature et à d'autres formes d'immaturité. »cxxviii
L'homme étant subordonné à la nature, il en dépend aussi et il doit en prendre soin. « 'L'homme vit de la nature.' Cela signifie que la nature est son corps avec lequel il doit maintenir continuellement un processus d'échange pour ne pas mourir. »cxxix « Ainsi les faits nous rappellent à chaque instant que nous ne régnons absolument pas sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous en faisons partie et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »cxxx « Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n'en ont que l'usufruit, la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l'avoir améliorée en bon père de famille. »cxxxi Cette dernière citation a été écrite il y a 150 ans, mais elle aurait pu être extraite d'un discours lors d'un sommet récent sur le climat.
Marx constatait que le développement économique dans son temps avait un grand impact négatif sur l'environnement. « Avec la croissance de la production et l'augmentation de la productivité du travail... on voit s'accroître la quantité de matières premières utilisées dans le processus de production quotidien. »cxxxii « La croissance de l'exploitation et de l'industrie en général a provoqué une telle destruction des forêts, que tout ce qui est fait pour son maintien ou pour sa réhabilitation semble infime. »cxxxiii L'équilibre entre l'homme et la nature est perturbé, ce qui s'exprime, entre autres, par le tarissement des terres agricoles. « Avec la prépondérance toujours croissante de la population urbaine qu'elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste amasse d'un côté la force motrice historique de la société et perturbe d'un autre côté le métabolisme entre l'homme et la terre, c'est-à-dire le retour au sol des composantes de celui-ci usées par l'homme sous forme de nourriture et de vêtements. La production capitaliste détruit donc l'éternelle condition naturelle d'une fertilité durable du sol. »cxxxiv « L'exploitation et le gaspillage des ressources des sols... remplacent la culture consciente et rationnelle... ce qui est une condition nécessaire pour l'existence et la perpétuation de la chaîne alimentaire pour les générations futures de l'homme. »cxxxv
Sa conclusion est claire : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison des processus de production sociaux qu'en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur.... Plus un pays - comme par exemple les États-Unis d'Amérique - part de la grande industrie comme fondement de son développement et plus ce processus de destruction est rapide. »cxxxvi Engels nous met en garde : « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge de chacune d'elles. »cxxxvii
Marx ne se contente pas de cette conclusion. Il cherche aussi pourquoi le capitalisme exploite la nature à outrance. Dans son appât de gain, le capital réduit tout à une marchandise. Les biens sont réduits à leur valeur d'échange, au détriment de leur valeur d'usage. « Un produit devient une marchandise qui peut être échangée. Une marchandise est transformée en valeur d'échange... en argent. »cxxxviii Rien n'échappe à cette cupidité pas même « les ossements des Saints ». La nature aussi disparaîtdans « la grande cuve à distiller de la société pour en ressortir comme monnaie de cristal ».cxxxix Le capitalisme ne voit pas l'environnement naturel comme quelque chose à chérir et à savourer, mais comme un moyen de soif du gain et à atteindre encore plus d'accumulation de capital. « Pour la première fois, la nature est devenue un pur objet utilitaire pour l'homme : elle n'est plus reconnue comme une force existant par elle-même. »cxl
Un système poussé par l'accumulation de capital est un système qui ne s'arrête jamais. Le capitalisme est comme une bicyclette qui doit toujours rouler sous peine de se renverser. Tôt ou tard, la finitude de la nature entre en contradiction avec le soif de profit insatiable. « Telle est la loi [la loi de la concurrence qui mène à l'accumulation] qui rejette constamment la production bourgeoise hors de son ancienne voie et qui contraint toujours le capital à tendre les forces de production du travail.... La loi qui ne lui accorde aucun repos et lui murmure continuellement à l'oreille : Avance ! Avance ! »cxli La contrainte d'accumulation suite à la concurrence fait que les capitalistes ont peu de scrupules. « Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. »cxlii
Pour mettre fin à cette déprédation, il faut, selon Marx, abroger la propriété privée. « Du point de vue d'une organisation économique meilleure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe terrestre paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d'un individu sur un autre. »cxliii La relation perturbée entre l'homme et la nature ne pourra être réparée que si la force aveugle de l'accumulation de capital est maîtrisée et que les moyens de production sont devenus propriété commune. « Ce communisme... est la solution définitive pour supprimer l'opposition entre l'homme et la nature, et des hommes entre eux. »cxliv
Naomi Klein, écrivaine et activiste renommée, arrive à une conclusion semblable. Dans son livre sur le climat, elle dit que le monde se voit confronter à un choix décisif : soit on sauve le capitalisme, soit on sauve le climat.cxlv Ce choix se pose de façon très nette dans le secteur de l'énergie fossile, principal responsable de l'émission du CO2. Les 200 plus grandes sociétés de pétrole, gaz et charbon ont une valeur de marché commune de 4.000 milliards de dollars et font des bénéfices annuels de dizaines de milliards.cxlvi Si nous voulons maintenir l'augmentation de la température en dessous de 2 °C, nos géants énergétiques ne doivent pas toucher à 60 à 80 % de leurs réserves.cxlvii Dans le cadre du capitalisme, c'est désastreux pour les perspectives de profit. Cela ferait immédiatement s'effondrer leur valeur boursière.
Ces géants ne tolèrent aucune atteinte à leur empire économique ou financier, même s'il y a des considérations écologiques, voire si l'avenir de la planète est menacé. Chaque année, sans qu'on y fasse obstacle, ils investissent encore des centaines de milliards de dollars dans la recherche de nouvelles réserves.cxlviii Entretemps, les valeurs boursières des monopoles énergétiques se portent très bien. En accord avec les marchés financiers et les actionnaires, ils supposent, comme si de rien n'était, que le monde politique ne fera pas ce qu'il promet en ce qui concerne les objectifs climatiques. D'après Jeffrey Sachs, conseiller aux Nations Unies « les lobbys sont en train de gagner et... le reste du monde en train de perdre, surtout parce que les lobbys des combustibles fossiles sont bien organisés.... Ceci doit changer d'urgence avant qu'il ne soit trop tard. »cxlix
Dans le cadre de la logique de profit, le réchauffement climatique ne peut pas être arrêté. Selon The Economist, porte-parole de l'élite économique mondiale, le prix financier est trop élevé pour stopper le réchauffement climatique. De là leur conclusion cynique : « une action globale n'arrêtera pas le changement climatique. Le monde doit chercher comment vivre avec ». Or, ne nous laissons pas abattre pour autant, suite au réchauffement climatique, il y a, d'après The Economist encore beaucoup de profit à faire. Avec toutes ces nouvelles digues à construire, les entreprises de la construction ont un bel avenir devant elles. Avec toutes les catastrophes à venir, les sociétés d'assurances feront de belles affaires. Le réchauffement climatique sera aussi une bonne chose pour la médecine tropicale... cl Après nous le déluge, à prendre très littéralement.
La politique climatique est trop importante pour la laisser à des géants énergétiques et à leur logique du profit. Il faut briser leur toute puissance afin de créer une marge pour une politique climatique responsable. Ou, selon les termes de Marx, il importe « de réguler les échanges avec la nature de façon rationnelle. Nous devons les soumettre à un contrôle collectif au lieu qu'elles nous contrôlent comme une puissance aveugle. »cli Voilà le grand défi auquel est confrontée la génération actuelle.
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Notes
i Nous nous concentrons en premier lieu sur les textes de Marx. Nous les complétons avec des citations de Friedrich Engels, son ami et compagnon d'armes. Ils partagèrent les mêmes idées et écrivirent ensemble un grand nombre de textes. Friedrich Engels rédigea et édita aussi beaucoup d'œuvres importantes de Marx. La plupart des citations sont des traductions propres; les bonnes traductions existantes en français ont été reprises.
ii Le pib - le produit intérieur brut - est la production annuelle de biens et de services d'un pays. En 2016, le pib de la zone euro était 20% en dessous des tendances avant la crise. Financial Times 11 novembre 2015, p. 9; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/373793a2-86cf-11e5-9f8c-a8d619fa707c.html.
iii Financial Times, 16 septembre 2009, p. 13;. http://www.ft.com/intl/cms/s/0/b24477de-a226-11de-9caa-00144feabdc0.html#axzz2niuBeAH0.
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v Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, 1844, ucc.ie, p. 11.
vi Marx K., Le Capital, Livre III, p. 222.
vii Marx K., Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie (Rohentwurf), 1858, dhcm.inkrit.org , p. 661.
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ixhttp://siteresources.worldbank.org/EXTPREMNET/Resources/TDAT_Book.pdf, p. 261; oxfamsol.be, p. 22.
x Marx K., Le Capital, Livre III, p. 124.
xi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 11.
xii Financial Times, 3 janvier 2013; http://www.ft.com/intl/cms/s/2/dafa4a2c-486e-11e2-a1c0-00144feab49a.html#axzz2KIkH3LkW ; Deshpande A. & Nurse K. (eds.), The Global Economic Crisis and the Developing World: Implications and Prospects for Recovery and Growth, New York, 2012, p. 1.
xiii Financial Times, 1-2 Novembre 2011, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/473f53da-0310-11e1-899a-00144feabdc0.html#axzz2UDYGNQV0.
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xvi bis.org. Un dérivé, ou produit dérivé, est une appellation générale de produits boursiers dont le taux est basé sur un autre placement sous-jacent. Les dérivés financiers sont utilisés afin de réduire les risques, mais surtout à des fins de spéculation. Les principales formes des dérivés sont les options, futures, swaps et forwards. Cfr. Vandepitte M. en Callewaert C., %Attac% tegen de dictatuur van het kapitaal, Attac-Vlaanderen, 2000, p. 39-40; http://nl.wikipedia.org/wiki/Financiële_derivaten.
xvii http://blogs.ft.com/martin-wolf-exchange/2011/10/24/the-threat-of-the-volatility-junkie/ ; cfr. iii.co.uk.
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xx Marx K., Capital. Volume III, p. 121.
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xxii Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxiii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 11.
xxiv Marx K., Le Capital, Livre III, p. 357.
xxv Marx K., Le Capital. Livre I, p.788.
xxvi Marx K., Le Capital. Livre I, p. 422.
xxvii Pour simplifier, nous faisons abstraction d'impôts et de salaire différé (partie du salaire consacrée aux pensions, la sécurité sociale,...).
xxviii Les 500 plus grandes sociétés au niveau mondial occupent 65 millions de personnes et ont généré, en 2014, un profit de 1.700 milliards de dollars. fortune.com
xxix La fortune de Frère est estimée à 4,9 milliards d'euros. hln.be.
xxx Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 20.
xxxi Marx K., Le Capital Critique de l'économie politique. Livre I, p. 89.
xxxii En Belgique, le revenu disponible net s'élève à 28.700 dollars par personne sur base annuelle. Converti en euros, cela revient à 8.650 euros par mois pour un ménage de deux enfants et deux adultes. Source: oecdbetterlifeindex.org.
xxxiii http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/binnenland/1.2281491 ; Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid, Gezondheidsenquête 2013. Rapport 3: Gebruik van gezondheids- en welzijnsdiensten, Brussel 2015, https://his.wiv-isp.be/nl/Gedeelde%20%20documenten/Summ_HC_NL_2013.pdf, p. 36; hln.be.
xxxiv standaard.be ; standaard.be.
xxxv Un emploi coûte environ 50.000 euros par an. Cela fait 20.000 emplois par milliard d'euros. Avec les retombées des impôts, contributions à la sécurité sociale d'un côté et moins d'allocations de l'autre côté, cela peut facilement s'élever à 30.000 emplois et plus. En outre, ces nouveaux emplois contribuent à la relance économique.
xxxvi Marx K, Grundrisse, p. 58.
xxxvii Marx K., Le Capital. Livre I, p. 309.
xxxviii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 10-11.
xxxix Marx K., Le Capital. Livre I, p. 762.
xl Jamil Jonna R. & Bellamy Foster J., 'Marx's Theory of Working-Class Precariousness. Its Relevance Today', Monthly Review, 1 avril 2016, monthlyreview.org
xli Marx K., Le Capital. Livre I, p. 774-5.
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xliii Marx K., The Belgian Massacres, marxists.org
xliv Marx K., Grundrisse, p. 411.
xlv Marx K., Grundrisse, p. 211
xlvii Marx K., Manuscrits de 1844, 1844, classiques.uqac.ca, p. 56.
xlviii hln.be ; hln.be ; knack.be.
xlix Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 6-7.
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liii Engels F., L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'état, 1884, matricien.files.wordpress.com, p. 78.
liv Marx K., Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1851, classiques.uqac.ca, p. 12.
lv Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 24.
lvi Marx K., Grundrisse, p. 204-5. Dans le texte, Marx employait le terme 'citizen' pour identifier les citoyens 'libres' dans une société esclavagiste.
lvii Engels F., 1880, Socialisme utopique et socialisme scientifique, marxists.org, p. 41.
lviii Engels F. & Marx K., L'idéologie allemande, 1845, classiques.uqac.ca, p. 17.
lix Engels F. & Marx K., L'idéologie allemande, p. 31.
lx Marx K., La guerre civile en France, 1871,http://www.karlmarx.fr/documents/marx-1871-guerre-civile-france.pdf, p. 15.
lxi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 14.
lxii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 16.
lxiii Marx K., Grundrisse, p. 507.
lxiv Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 14.
lxv Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 13.
lxvi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 16.
lxvii Le terme petit-bourgeois vient de l'allemand et se réfère à la couche sociale entre la classe ouvrière et la 'grande' bourgeoisie. Il s'agit de contremaîtres, petits paysans, petits entrepreneurs, etc.
lxviii Engels F. & Marx K., Lettre à Bebel, Liebknecht, Bracke.
lxix Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 35.
lxx Marx K. & Engels F., Adresse du Comité Central à la Ligue des communistes, 1850, marxists.org
lxxi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 15.
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lxxiii arxiv.org cfr. http://www.forbes.com/sites/bruceupbin/2011/10/22/the-147-companies-that-control-everything/ ; dstevenwhite.com.
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lxxxii Marx K., Statuts de l'Association Internationale des Travailleurs.
lxxxiii Marx K., Lettre à Siegfried Meyer et August Vogt, 9 avril 1870, dans Marx K. & Engels F., Textes sur le colonialisme, Moscou 1977, 352-355 ; p. 354-5.
lxxxiv Marx K., Le Capital. Livre I, p. 386.
lxxxv Marx K., Le Capital. Livre I, p. 386.
lxxxvi Marx K. & Engels F., Les prétendues scissions dans l'Internationale, 1872, marxists.org
lxxxvii Marx K., Les luttes des classes en France, 1850, piketty.pse.ens.fr, p. 22.
lxxxviii Marx K. & Engels F., Les prétendues scissions dans l'Internationale.
xc Marx K., La guerre civile en France, p. 11.
xci Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 8.
xcii Engels F., Brief aan Karl Marx, 13 avril 1866, marxists.org.
xciii Engels F., L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'état, p. 76.
xciv Engels F., L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'état, p. 75.
xcv Engels F. & Marx K., L'idéologie allemande, p. 32.
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xcvii Marx K., Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p. 53.
xcviii Marx K., La guerre civile en France, p.13.
xcix Engels F., Introduction à 'Les luttes de Classes en France', 1895, marxists.org
c Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 18.
ci Marx K., Grundrisse, p. 339.
cii Les premiers capitalistes étaient des capitalistes commerciaux. À partir de la fin du quinzième siècle, ils ont gagné de l'argent grossier grâce au pillage, au vol, à la piraterie, au commerce des esclaves, etc. Mais en tant que tels, ils n'ont pas augmenté la richesse mondiale. Ce n'est que lorsqu'ils commencent à investir leur capital dans la sphère de la production que l'accumulation de capital, et donc le capitalisme, prend réellement forme. Source du graphique : krusekronicle.com
ciii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 8.
civ Marx K., Grundrisse, p. 462.
cv Marx K., Grundrisse, p. 119.
cvi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 10.
cvii Marx K., Grundrisse, p. 257 et 461
cviii Marx K., Contribution à la critique de l'économie politique, 1859, karlmarx.fr, p. 9.
cix Marx K., Le Capital. Livre I, p. 906.
cx Le calcul pour la famille moyenne repose sur l'hypothèse plausible que le revenu disponible des ménages est de 70% du pib. Nous utilisons le produit mondial brut: 122 000 milliards de dollars en 2016. Ce chiffre, exprimé en dollars PPA, tient compte des différences de prix entre pays pour les mêmes biens ou services et exprime le pouvoir d'achat réel. Nous avons converti ce chiffre en euros selon la méthode de calcul de la Banque mondiale: pour la Belgique, 1 $ PPA ~ 0,808 euro.
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cxv Marx K, Grundrisse, p. 119 en 625.
cxvi Marx K., Grundrisse, p. 119 et 625.
cxvii Marx K., Grundrisse, p. 226.
cxix Calculé sur la base de Maddison A., Contours of The World Economy, I-2030AD, Oxford 2007, p. 377 en 379.
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cxxi Marx K., Le Capital. Livre I, p. 312.
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cl Adapting to climate change. Facing the consequences, The Economist 27 novembre 2010, p. 79-82; economist.com
cli Marx K., Le Capital, Livre III, p. 370.
Marc Vandepitte
Traduction : M. Lauwers, E. Carpentier, L. Ragugini
Karl Marx naissait il y a 200 ans. Peu de penseurs ont autant influencé l'histoire que lui. Sa critique aiguë et radicale du capitalisme est aujourd'hui toujours actuelle : crises économiques, exploitation, les caractéristiques de l'état, la lutte des classes, le rôle de la classe ouvrière, la pensée écologiste,...i
1. Crise économique
La crise financière de 2008 a eu des effets dévastateurs. La crise a creusé des gouffres dans les finances publiques et a coûté 20 % du pib aux pays de l'euro zone.ii Pour sauver les banques, les autorités nationales du monde entier ont libéré presque 9.000 milliards de dollars, soit l'équivalent de 65 ans d'aide au développement.iii
Cette grande récession a provoqué l'effondrement de tout le système financier. Le comble est que les économistes bourgeois ne l'ont même pas vu venir. Mais cela n'est pas étonnant car l'économie bourgeoise n'a tout simplement pas de théorie de la crise. Pour expliquer une crise économique, on a recours à des explications superficielles et psychologiques comme « des comportements irresponsables » ou « mauvaise évaluation » des acteurs économiques, «comportement irrationnel» des investisseurs ou «mauvaise communication» de la part des politiciens. Au mieux, on parle de « règles du jeu imparfaites ». Il n'y a pas d'analyse profonde, structurelle.
Pour Marx par contre, l'étude des crises est un élément essentiel de sa théorie. Pour lui, la crise n'est pas un phénomène dû au hasard ou à la cupidité. Au contraire, la crise fait partie de l'ADN du capitalisme. Elle fait partie intégrante de sa propre logique. « La limitation de la production capitaliste, c'est le capital lui-même. »iv Marx constatait que régulièrement le moteur du capitalisme tombait en panne. A ce moment-là une partie de l'appareil de production est détruit. Les crises « détruisent non seulement une grande partie des marchandises produites mais aussi les forces productives déjà développées. »v
Marx a été le premier économiste à expliquer pourquoi le capitalisme était régulièrement confronté à des crises. En quelques mots voici son explication. Les salariés produisent plus que ce qu'ils peuvent acheter avec leur salaire. Ou en d'autres termes, ils gagnent moins que la valeur qu'ils produisent par leur travail. (voir le point deux) Comme la production est plus importante que ce qui peut être consommé, une partie de la production ne peut être vendue. « Finalement, toutes les crises sont causées par la pauvreté et la limitation du pouvoir d'achat des masses face à la pression de la production capitaliste de développer les force productives comme si les limites n'étaient définies que par la force de consommation absolue de la société. »vi
De cette manière il se crée régulièrement un court-circuit entre la production et la consommation. Pendant la crise, ce court-circuit est supprimé. C'est une cure périodique d'assainissement, une purge dont le capital a besoin pour survivre. La crise est « une destruction violente de capital, pas à cause de relations externes mais comme une condition de survie. »vii La purge est brutale. A tous les coups, c'est la population des travailleurs qui endossera les frais de la crise. «Là où la société ne contraint pas le capital à tenir compte de la santé et de la durée de vie des travailleurs, il ne s'en préoccupe absolument pas. »viii La crise de 2008 a précipité dans l'extrême pauvreté 64 millions de personnes dans le monde. Pour Oxfam, il faudra de 10 à 25 ans pour que la pauvreté retrouve le niveau d'avant le crash.ix
Lors d'une crise on parle de surproduction, mais c'est considéré du point de vue du capital. En réalité, il s'agit de sous-consommation parce que, pour une grande partie de la population, beaucoup de besoins vitaux essentiels ne sont pas satisfaits malgré tout ce qui est produit. « Il n'y a pas de surproduction de biens de nécessité vitale pour la population, au contraire même. Il y a trop peu de production pour satisfaire dignement et humainement les désirs des masses. »x Voyez les longues listes d'attente pour obtenir un logement social, une place en crèche, des soins pour les handicapés et les personnes âgées. Et nous ne parlons même pas encore des défis énormes posés pour la production d'énergie verte.
Quelles sont les recettes pour s'attaquer à une crise économique ? Comment l'élite économique surmonte-t-elle les récessions périodiques ? « D'une part par la destruction contrainte d'une masse de forces productives. D'autre part par la conquête de nouveaux marchés, et par l'exploitation plus profonde encore des marchés anciens. »xi De nouveau, la dernière crise en est une belle illustration. Après 2008, les multinationales perdaient de par le monde 2.000 milliards de dollars de capacité de production et, au total, au moins 20 millions de jobs étaient détruits.xii Après 2008, et dans tous les pays capitalistes, les salaires étaient sérieusement rabotés. « Les crises offrent aussi des possibilités intéressantes. Nous pouvons obtenir des choses qui seraient impossibles sans elles. » disait Wolfgang Schäube, le ministre allemand des finances à l'apogée de la crise en Europe.xiii
Une autre tentative de sortir des crises récurrentes est le « doping financier » du système. Quand les attentes de profit dans la sphère de production sont faibles, le capitaliste a recours au secteur financier. « La spéculation se produit régulièrement dans des périodes où la surproduction est déclenchée pleinement. Elle prévoit des possibilités d'écoulement pour la surproduction. »xiv Après la crise de '73 nous sommes le témoin d'une véritable explosion financière. En 1980 les actifs financiers sont bons pour 120% du pib dans le monde entier. En 2014 c'est 370%, soit trois fois plus.xv Le marché dérivé représente aujourd'hui plus de 630.000 milliards de dollars,xvi cela revient à presque 90.000 dollars par personne sur la planète. Peu avant la crise de 2008 plus de 40% des bénéfices des grandes entreprises provenaient de la spéculation.xvii
Au sein de l'élite économique se niche une couche supérieure financière qui parasite le reste de l'économie. « Cela reproduit une nouvelle aristocratie financière, une nouvelle variété de parasites sous la forme de promoteurs, de spéculateurs et de CEO. C'est tout un système d'escroquerie et de tromperie au moyen de promotions, d'émission d'actions et de spéculation boursière. »xviii
Les tentatives de sortie de crise permettent un soulagement temporaire mais ne résolvent fondamentalement pas le problème, au contraire. Les contradictions à l'intérieur du capitalisme « sont en permanence surmontées mais aussi constamment ressuscitées ».xix « La production capitaliste tente sans arrêt de surmonter ses propres limites internes, mais elle les surmonte uniquement grâce à des moyens qui placent les limitations à une échelle encore plus grande. »xx On profite des crises pour baisser les salaires pour que les bénéfices puissent encore augmenter. Mais ceci est précisément la recette pour un futur court-circuit entre production et consommation.
Le dopage financier ne fait qu'aggraver le mal. « Cela ouvre provisoirement de nouvelles possibilités d'écoulement pour la surproduction, alors que c'est justement pour cette raison que l'arrivée de la crise est accélérée et que sa force en est amplifiée. »xxi La taille et la puissance des groupes financiers, et l'impact qu'ils ont sur la sphère de production, sont devenus tels qu'ils sont capables aujourd'hui de déstabiliser l'économie mondiale. C'est ce qui est arrivé en 1929, avec le crash de Wallstreet et en 2008 avec la crise financière. Depuis la financiarisation de l'économie en 1973 le lien avec l'économie réelle s'est perdu. Une gigantesque bulle financière est apparue qui peut éclater tôt ou tard, et qui éclate d'ailleurs régulièrement. Depuis les années 80, tous les deux ou trois ans, il y a une crise boursière, une crise banquière, un crash financier ou une crise d'endettement. Ces crises financières n'existent pas par elles-mêmes, elles sont la conséquence de la surproduction. « La crise elle-même éclate d'abord dans le domaine de la spéculation, ce n'est que plus tard qu'elle touche la production. Ce qui, pour l'observateur superficiel est la cause de la crise, n'est pas la surproduction mais l'excès de spéculation. Mais la spéculation elle-même n'est qu'un symptôme de la surproduction. » xxii
Sur quoi cela débouche-t-il ? « A la préparation de crises encore plus importantes et violentes. »xxiii Les crises des dernières décennies deviennent effectivement toujours plus profondes et elles ne sont pas nécessairement suivies de rétablissement ou de périodes de haute conjoncture. S'il y a quand même une période de haute conjoncture, elle est souvent de courte durée et elle est surtout causée par du « dopage financier » : des dettes ou de la spéculation. Désormais les crises ne sont plus des événements isolés qui reviennent à quelques années d'intervalle, elles ont un caractère quasi permanent.
2. L'exploitation du travail
Des fortunes fabuleuses d'un côté, de la misère sourde de l'autre. D'où cela vient-il, et ces deux phénomènes sont-ils liés ? Pendant une grande partie de sa vie, Marx a cherché une réponse à ces questions. Il était à la recherche du « fondement caché de la construction socio-économique »xxiv responsable aussi bien de gigantesques richesses que du fossé entre riches et pauvres. « Ce n'est qu'en connaissant les lois économiques qu'on peut comprendre le lien intime entre la faim de la plus grande partie de la population travailleuse et la consommation brute ou raffinée, démesurée, des riches basée sur l'accumulation capitaliste. »xxv
Après de longues études il a développé la théorie de la plus-value et de l'exploitation. « Le mobile et le but dominant du processus de production capitaliste est avant tout une auto-expansion du capital la plus grande possible, ce qui signifie l'exploitation la plus grande possible de la force du travail par le capitaliste. »xxvi
Le clou de l'affaire est que chaque travailleur produit plus de valeur que le salaire qu'il reçoit en échange. C'est aussi la condition pour que le capitaliste soit disposé à engager des gens. Supposons, par exemple, qu'un travailleur produise une valeur de 25€ (des biens ou des services). Son salaire sera de 15€.xxvii La différence, 10€, est ce que Marx appelle la plus-value. Cet argent va dans la poche du propriétaire de l'entreprise (le patron ou les actionnaires). Marx appelle le fait de s'attribuer cette plus-value par le capitaliste, exploitation.
Notre exemple est fictif mais il est proche de la réalité. Dans les 500 plus grandes entreprises de par le monde la plus-value moyenne par travailleur est d'environ 11€ de l'heure.xxviii
La création de plus-value explique pourquoi il y a de la richesse gigantesque au sein du capitalisme. Supposons que dans l'entreprise de notre exemple il y ait 100 travailleurs. Le patron empoche alors 1000€ par heure, ou 70 fois plus que son travailleur. La propriété des moyens de production amène donc une concentration démesurée de richesse dans les mains de quelques-uns. Dans notre exemple, un travailleur avec un salaire de 2.500€ devrait travailler 160.000 ans pour avoir la fortune d'Albert Frère.xxix Aujourd'hui dans le monde, 8 personnes possèdent autant que 3,6 milliards d'autres. En quelques mots : « ceux qui travaillent dans la société bourgeoise ne 'gagnent' pas et ceux qui y 'gagnent' ne travaillent pas. »xxx
Ce n'est pas pour rien que l'ouvrage principal de Marx Le Capital commence par la phrase suivante : « La richesse des sociétés où règne le mode de production capitaliste est une accumulation colossale de biens. »xxxi Aujourd'hui cela n'est pas différent. Jamais notre pays n'a produit autant de richesse qu'aujourd'hui. Le revenu moyen disponible d'un ménage belge avec deux enfants est de 8.650€ net par mois.xxxii
Avec une telle richesse, il est évident que nous pourrions tous vivre sans soucis, dans l'opulence. Et, malgré cela, il existe beaucoup de misère. 20% de nos ménages risquent de tomber dans la pauvreté, un quart des ménages a du mal à payer toutes ses dépenses médicales, 40% ne peuvent rien épargner et 70% des chômeurs ont du mal à boucler le mois.xxxiii
« Il n'y a pas d'argent, nous ne pouvons pas faire autre chose que d'épargner. » claironne la droite en chœur. Pas d'argent, comment ? Rien que ces trois dernières années, les entreprises belges ont éclusé 300 milliards d'euros vers les paradis fiscaux.xxxiv C'est une accumulation colossale d'argent avec lequel elles ne savent tout simplement pas quoi faire. Avec 1 milliard d'euros il est possible de mettre au travail 30.000 personnes pendant un an.xxxv Pour Marx, le problème n'est pas qu'il y a trop peu de richesse mais qu'elle est scandaleusement mal distribuée et que cela fait partie intégrante du capitalisme. « Le capital est la puissance économique dominante de la société bourgeoise. Il est nécessairement le point de départ et d'arrivée de la recherche."xxxvi
Depuis l'origine du capitalisme, la lutte pour la plus-value constitue le cœur de la lutte sociale. Parce que la plus-value est la seule source de bénéfices, elle est donc aussi le but ultime de tout capitaliste. Cependant, plus les salaires sont hauts, plus les bénéfices sont bas et vice versa. Le capitaliste fait tout pour faire travailler les salariés plus longtemps, plus durement et meilleur marché. De leur côté, les salariés s'efforcent d'obtenir une journée de travail plus courte, un salaire plus élevé et plus juste et un rythme de travail plus humain. Les intérêts sont incompatibles : un gain pour l'un est une perte pour l'autre. Marx décrit le capital comme « un vampire qui ne peut retrouver une nouvelle vie qu'en aspirant du travail vivant et qui vit d'autant plus longtemps qu'il en aspire de plus en plus. »xxxvii
Pour survivre, un travailleur doit nécessairement offrir sa force de travail sur le marché de l'emploi. Là où règne la loi de l'offre et de la demande. « Les travailleurs qui sont obligés de se vendre chaque jour sont une marchandise, un article commercial comme n'importe quel autre. Ils sont donc exposés à toutes les variations de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. »xxxviii
Plus il y a de travailleurs qui se présentent pour un même job, plus il y a de concurrence entre eux, plus ils seront enclins d'accepter de travailler pour un salaire moindre et dans des plus mauvaises conditions. Pour cette raison l'élite économique fait toujours en sorte qu'il y ait trop de travailleurs ou, selon les termes de Marx, une armée de réserve industrielle. « La quantité de force de travail disponible livrée par l'accroissement naturel de la population n'est absolument pas suffisante pour la production capitaliste. Pour évoluer librement,elle a besoin d'une armée de réserve industrielle, indépendante de ses frontières naturelles. »xxxix
Pour garder à niveau cette armée de réserve après la deuxième guerre mondiale, des travailleurs immigrés ont été attirés en Europe et on a incité les femmes à travailler. Aujourd'hui, cette armée de réserve dans les pays riches constitue 26% de la population active (voir le graphique). Dans le monde c'est même 58%.xl Depuis ces dernières années, on préserve le niveau de cette armée de réserve en faisant travailler les gens plus longtemps - âge de la pension plus élevé et suppression des prépensions - en obligeant les chômeurs à accepter un travail, en traquant les malades de longue durée pour qu'ils reprennent le travail le plus vite possible et en mettant plus d'étudiants au travail. « L'accumulation de richesse d'un côté entraîne donc accumulation de misère, harcèlement du travail..... de l'autre côté. »xli
Quand il s'agit de profits, le capital ne ménage absolument pas la santé ou le bien-être du travailleur. La formulation de Marx : dans sa « faim insatiable de plus-value » le capital commet « des extravagances démesurées ».xlii
Le rapport entre salaires et profits, ou le degré d'exploitation, est défini par les rapports de force entre le travail et le capital. Plus la population des travailleurs s'organise et se défend, meilleures sont les conditions salariales et les conditions de travail (voir point 5). Un outil important dans ce rapport de force est la grève. A ce moment-là la source de la plus-value et donc l'enrichissement du capitaliste est tarie et le capitalisme est touché au cœur. De là, selon Marx, « la rage furieuse » de l'élite économique « contre la grève ».xliii
3.Lutte des classes
Micheline est ouvrière dans une grande entreprise textile. Son patron est Mr Richard. Il a 600 salariés à son service. A première vue, Micheline et Mr Richard son des citoyens égaux, ayant les mêmes droits. Tous les deux sont libres de se rendre où ils veulent, de faire ce qu'ils ont envie de faire. Quand ils entrent dans un magasin, ils paient le même prix. Aux élections, ils ont chacun une voix et ils sont en principe égaux devant la loi.
Mais dès qu'elle passe la porte de l'entreprise, tout change comme par enchantement. Micheline n'a plus rien à dire et il n'est plus question de droits égaux. Pour pouvoir disposer d'un revenu, elle est obligée de vendre sa force de travail. Avoir le droit de travailler, combien d'heures par semaine, l'organisation de son travail, tout cela est déterminé entièrement par son patron. Mr Richard, de son côté, décide lui-même de ses propres investissements, de ses gains, ainsi que de tout ce qui concerne Micheline. Si cela lui chante, il investira son argent dans une autre entreprise qui jettera Micheline à la rue.
« Qu'est-ce que la richesse sinon le déploiement absolu de talents créatifs? » écrit Marx.xliv Micheline est une femme sociable, créative et entreprenante. Mais au sein de l'entreprise elle ne peut pas déployer ses talents, au contraire, elle doit les réprimer pour pouvoir continuer à y travailler. La seule chose qu'on attend d'elle est une prestation pour réaliser les attentes de bénéfices de son patron. Elle est réduite à un facteur de production, sa dignité humaine ou ses besoins ne sont nullement pris en compte. « Le travail comme pure satisfaction des besoins directs n'a rien à voir avec le capital, car ce n'est pas la moindre préoccupation du capital. »xlv
Micheline travaille à un rythme effréné, ses pauses-café sont chronométrées. Quand même, elle gagne vingt fois moins que son patron, qui organise entièrement seul son rythme de travail et ses vacances. Elle vivra en bonne santé 18 années de moins que la femme de Mr Richard.xlvi « La production produit l'homme non seulement comme une marchandise,... elle le produit comme un être déshumanisé aussi bien physiquement que mentalement. »xlvii
Micheline et Mr Richard personnifient la situation socio-économique très inégale de la société capitaliste. Prenez la situation en Belgique. Au bas de la pyramide il y a un tiers de la population qui ne peut pas épargner et qui a très peu de possessions. En haut, il y a 5% de super-riches. Ils possèdent autant que les 75% des plus pauvres. Quelques centaines de familles contrôlent la plus grande partie de l'économie belge.xlviii Marx a eu le mérite d'analyser avec précision cette contradiction flagrante, mais aussi de la situer dans une perspective historique et de voir comment cela peut être surmonté. Dans l'enchevêtrement de contradictions et de conflits sans fin il a découvert un patron fondamental qui survient régulièrement sous différents aspects. Selon lui, la contradiction entre travailleurs et patrons dans le capitalisme n'est pas un phénomène nouveau. Une semblable contradiction était déjà survenue sous différentes formes à plusieurs reprises dans l'histoire.
« L'histoire de toutes les sociétés jusqu'à aujourd'hui est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de guilde et compagnon, bref oppresseurs et opprimés ont été continuellement opposés les uns aux autres, ils ont mené une lutte ininterrompue, parfois de façon masquée, parfois ouvertement, une lutte qui se terminait chaque fois par un changement révolutionnaire de toute la société ou par un déclin des classes en lutte.... La société bourgeoise moderne issue du déclin de la société féodale n'a pas supprimé les contradictions de classes. Elle n'a fait que créer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte à la place des anciennes. Notre époque, l'époque bourgeoise se caractérise cependant par le fait d'avoir simplifié les contradictions de classes. Toute la société se scinde de plus en plus en deux camps ennemis, en deux classes diamétralement opposées, la bourgeoisie et la classe ouvrière. »xlix
Cette lutte des classes est essentiellement une lutte autour du surplus économique. Pendant des centaines de milliers d'années, l'humanité a vécu en mode de survie. Il n'y avait pas d'excédents et tout était partagé équitablement. C'était la période des chasseurs cueilleurs et de l'agriculture débutante. A partir de 3.000 ans avant J.C. cette situation change. Les techniques d'agriculture s'améliorent et on produit plus que nécessaire pour survivre. La production excédentaire permet la création de catégories de population qui ne produisent pas : des dirigeants, des prêtres, des clercs, des juges, des soldats... Dans ces rangs se forme une couche qui attire le pouvoir, qui a en main les moyens de production les plus importants, et qui va s'approprier la plus-value.
Ainsi naît la scission de la société en une petite classe supérieure qui s'enrichit au détriment des classes inférieures. Ce schéma est récurrent dans l'histoire. Dans l'Antiquité les maîtres s'enrichissent grâce aux esclaves. Au Moyen Age la noblesse le fait grâce aux serfs. Dans le capitalisme ce sont les capitalistes qui s'enrichissent au détriment de la classe ouvrière.
Cet enrichissement, ou exploitation, n'est évidemment pas basé sur le consentement spontané des classes inférieures, il doit être forcé, cela suppose une lutte. De là la formulation de Marx qui parle de lutte des classes.
Parce que cette lutte concerne essentiellement la surproduction, le travail est organisé de telle manière pour que la classe dominante puisse écrémer le surplus économique. « La forme économique spécifique où le temps de travail non-payé est pompé directement des producteurs, détermine les rapports entre régnants et dominés. Ceci est le fondement de la société et, en même temps, sa forme politique spécifique. C'est toujours la relation directe entre les possesseurs des moyens de production et les producteurs directs... qui dévoile le secret le plus profond, le fondement caché de tout l'édifice socio-économique et donc aussi... la forme spécifique de l'état. »l
Dans l'appropriation de la surproduction, la possession des moyens de production est essentielle et c'est pour cette raison que Marx n'en veut pas. « Nous voyons comment la propriété privée peut achever maintenant sa domination sur l'homme et peut devenir une puissance de l'histoire mondiale, sous la forme la plus générale. »li Pour Marx, les classes ont à voir avec la sphère de production. Il s'agit de groupes de personnes dont l'un peut s'approprier le travail d'un autre comme conséquence du fait qu'il possède des moyens de production.
Pour Marx et Engels, la lutte des classes n'est pas un détail de l'histoire mondiale, c'est « la force motrice de l'histoire ».lii C'est la dynamique fondamentale qui fait avancer l'histoire. Pour Marx c'est un développement « dialectique » c.à.d. une dynamique basée sur des contradictions internes. « Parce que le fondement de la civilisation se base sur l'exploitation de l'un par l'autre, tout son développement évolue dans une contradiction continuelle. Tout progrès de la production est en même temps un recul des conditions de vie de la classe opprimée, c.à.d. de la grande majorité. »liii Cette loi « a la même signification pour l'histoire que la loi de la conservation de l'énergie pour la physique. »liv
Dans la vision de société de Marx et Engels, les intérêts contradictoires prennent une place centrale. Cela nuance leur opinion sur la politique. « Le pouvoir politique au sens propre est le pouvoir organisé d'une classe pour opprimer une autre. »lv Pour Marx, le conflit est central. La politique ne se fait pas pour chercher des solutions aux problèmes, mais pour s'occuper de situations de domination et d'oppression. Il ne peut être mis fin à cela qu'en s'attaquant aux causes. Pour Marx, la politique est en premier lieu une confrontation entre des groupes d'intérêt qu'il dénomme classes. « La société n'est pas constituée d'individus mais elle est la somme des relations entre personnes, ou la façon dont les personnes sont situées les unes par rapport aux autres. Comme si quelqu'un disait : du point de vue de la société, il n'y a pas d'esclaves ni d'hommes libres, ce sont tous des êtres humains. »lvi Micheline et Mr Richard seraient tous deux des êtres humains, ni plus ni moins...
Un véritable changement de société ne peut advenir que si on s'attaque aux contradictions fondamentales, et cela se situe au niveau de l'économie. « Sur cette base, les causes ultimes de tous les changements de société et des bouleversements politiques ne doivent pas être cherchées dans la tête des gens, dans leur compréhension plus profonde de vérité et de justice éternelles mais dans les modes de production et d'échange ; elles doivent être cherchées non pas dans la philosophie mais dans l'économie de la période concernée. »lvii
Ce n'est pas que Marx et Engels n'avaient pas d'intérêt pour la lutte des idées. A cela, ils ont eux-mêmes dédié presque toute leur vie. Mais c'est une illusion de penser qu'il est possible de modifier les fondements d'une société seulement par la persuasion, en faisant changer les gens d'opinion. La force seule de l'argumentation n'y arrivera pas, car les idées n'existent pas par elles-mêmes. « La production des idées... est en première instance directement enlacée dans l'activité matérielle de l'homme. »lviii Et cette activité matérielle n'est pas neutre mais est caractérisée par les rapports de force qui déterminent à leur tour les idées. « Les idées de la classe dominante, dans toutes les périodes, sont les idées dominantes. »lix Si on veut vaincre les idées dominantes, il faut détrôner la classe dominante, et pour cela modifier les rapports de force. Pour cela, la classe ouvrière est essentielle.
4. Le rôle de la classe ouvrière
Marx était un penseur stratégique. Il ne voulait rien savoir d'idéaux romantiques, éloignés de la réalité. Par contre, il était à la recherche de leviers et de forces dans la réalité qui pourraient mener vers un monde meilleur. « Ils ne doivent pas réaliser des idéaux, mais faire émerger des éléments d'une nouvelle société que l'ancienne société bourgeoise qui s'effondre porte en elle. »lx Plus précisément, il faut pouvoir faire usage « des fractures internes de la bourgeoisie. »lxi
La force sociale à l'intérieur du capitalisme capable de réaliser cela est la classe ouvrière. L'essence du capitalisme est, entre autres, l'accumulation de capital basée sur la plus-value et le travail salarié. Finalement, cela rend le capitaliste dépendant du travailleur. « La condition essentielle pour que la bourgeoisie existe et domine est l'accumulation de capital dans les mains de particuliers, la formation et l'augmentation du capital. La condition du capital c'est le travail salarié. » lxii Les ouvriers peuvent paralyser la production et toucher au cœur le capitalisme.
Parce que l'organisation de la production se fait de plus en plus dans de grandes unités, le capitalisme réunit de fait la population des travailleurs. « Le capital est ce qui les relie. »lxiii « Les progrès de l'industrie, dont la bourgeoisie est le représentant apathique et sans défense, remplace l'isolement des travailleurs, résultat de la concurrence, par leur organisation révolutionnaire dans des associations (syndicats).... Les travailleurs constituent des coalitions (syndicats) contre la bourgeoisie. Ils se réunissent pour défendre leur salaire. Ils créent eux-mêmes des associations durables pour constituer des provisions en cas de résistance. »lxiv
Ce rassemblement augmente aussi la conscience politique des travailleurs. « Avec le développement de l'industrie, le prolétariat augmente non seulement en nombre, il est aussi rassemblé dans de plus grandes masses, sa force grandit et il en est de plus en plus conscient. »lxv
C'est la ruse de l'histoire. Sans le savoir, le capitalisme produit « son propre fossoyeur ».lxvi
Dans la lutte pour une société plus juste, les travailleurs devront surtout compter sur eux-mêmes et pas sur la bourgeoisie ou la petite-bourgeoisie.lxvii « L'émancipation de la classe ouvrière doit être l'œuvre de la classe ouvrière elle-même. Pour cette raison, nous ne pouvons pas prendre la mer avec des gens qui disent ouvertement que les travailleurs ne sont pas formés pour se délivrer eux-mêmes et doivent être libérés par la grande et la petite bourgeoisie philanthropique. »lxviii Contrairement aux autres classes, les travailleurs « n'ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. »lxix Ce seront les travailleurs « qui par leur courage, leur fermeté et leur sens du sacrifice porteront la plus grande responsabilité pour la victoire. Tout comme dans le passé, la petite-bourgeoisie va hésiter le plus longtemps possible, va rester indécise et inactive. Mais, quand la victoire sera certaine, elle la revendiquera pour elle-même et appellera les travailleurs à rester réservés, à retourner au travail et à se comporter dignement et elle exclura le prolétariat des fruits de sa victoire. »lxx
Les ouvriers représentent aussi la plus grande majorité de la population. « Tous les mouvements étaient jusqu'à ce moment-là des mouvements de minorités ou au profit de minorités. Le mouvement ouvrier est le mouvement indépendant de la majorité écrasante dans l'intérêt de la majorité écrasante. Le prolétariat, la couche la plus basse de la société actuelle, ne peut pas se redresser sans que cela fasse sauter toute la superstructure des couches qui forment la société officielle. »lxxi
Pour Marx et Engels il n'y a pas de doute possible : « De toutes les classes face à la bourgeoisie, seule la classe ouvrière est réellement révolutionnaire ».lxxii
Les idées de Marx et Engels sont-elles encore valables aujourd'hui ?
La situation de la classe ouvrière, comparée à celle de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, a sans aucun doute changé profondément. Le nombre d'agriculteurs et d'ouvriers d'industrie a baissé fortement tandis que le secteur des services a fait un grand bond en avant. Mais, fondamentalement, la nature du capitalisme n'a pas changé. Bien au contraire, ces modifications n'ont fait que renforcer et consolider les relations capitalistes.
Le capital est toujours dans les mains de très peu de gens. Plus encore, la concentration de capital, comparée à celle du 19me siècle, a augmenté terriblement. Aujourd'hui, 147 super-entreprises contrôlent 40% de l'économie mondiale. 737 de ces « systems integrators » en contrôlent même 80%. Les 110 plus grandes entreprises ont un chiffre d'affaires plus grand que le pib de plus de 120 états nationaux.lxxiii Exactement comme l'avait prévu Marx, le nombre de salariés a systématiquement augmenté. Il n'y a jamais eu autant de salariés qu'aujourd'hui. Depuis 1990, il y a 1,2 milliards de travailleurs en plus dans le monde.lxxiv Les discussions à la mode sur « la fin de la classe ouvrière », le postcapitalisme ou le postmodernisme, ont pour but de miner la combativité du mouvement ouvrier. De toute façon, cela ne résiste pas à l'épreuve de la réalité.
Le plus grand nombre de travailleurs dans le monde n'a rien à perdre que ses chaînes. Plus de 700 millions de travailleurs travaillent pour des salaires ridicules, ce sont les « working poor ». A côté de cela, 1,4 milliard de travailleurs ont de très mauvaises conditions de travail, surtout du travail informel. 190 millions de personnes sont structurellement au chômage. En tout, cela représente plus de 70% de l'ensemble de la population active.lxxv Et la tendance actuelle ne va pas dans le bon sens. Depuis la crise bancaire de 2008, le nombre de revenus moyens a diminué dans beaucoup de pays.lxxvi Les nouveaux jobs sont de plus en plus temporaires ou à temps partiel. Aujourd'hui, une grande partie des revenus moyens est exposée à l'incertitude qui caractérisait le travail au 19me siècle. En augmentant les cadences et la flexibilité, les conditions de travail deviennent de plus en plus mauvaises pour la plupart des travailleurs.
La classe ouvrière ne doit toujours compter que sur elle-même et elle ne doit pas espérer trop des forces (petites-)bourgeoises ou des partis. C'est une coalition des Verts et des socio-démocrates qui avait lancé une attaque contre les salaires et les contrats de travail et a ainsi entraîné l'Europe entière dans une spirale descendante de destruction sociale.lxxvii Ce sont les populistes d'(extrême) droite ou nationalistes à la Trump, Le Pen, De Wever et Cie qui représentent soi-disant l'homme ordinaire, mais qui en fait sont les coursiers des grands groupes du capital.
5. L'importance de l'organisation et de l'unité
Pour Marx, la classe ouvrière est la véritable classe révolutionnaire, constituant le lien entre la vieille et la nouvelle société. Cependant, cette transformation vers une nouvelle société ne se produira pas spontanément. Elle ne se produira pas non plus par un grand changement de mentalités ou en adoptant un autre style de vie personnel. Les ouvriers se voient confronter à un ennemi fort, et ils devront tout faire pour construire des rapports de forces. Ils devront donc s'organiser. « Il va absolument de soi que, ne fût-ce que pour être en mesure de lutter, la classe ouvrière doit s'organiser en tant que classe. »lxxviii
L'histoire a démontré que l'organisation de la classe ouvrière était décisive pour les acquis sociaux. Dans la plupart des cas, ces acquis ont été arrachés aux parlements. Sans les grèves nationales, il n'y aurait pas de suffrage universel, et le travail des enfants serait toujours d'actualité. Le congé payé, le salaire minimum, les pensions, les allocations de chômage, les allocations familiales, etc. sont tous dus à la dure lutte sociale des générations antérieures.
Jusqu'aux années cinquante, ces grèves avaient un caractère offensif. Après, elles ont eu un caractère plus défensif : lutter pour préserver autant que possible l'Etat-providence. Dans la lutte sociale, le taux d'organisation est déterminant. Plus forts sont les syndicats, plus ils garantissent l'édification et la préservation de l'Etat-providence social. Les pays qui ont le plus haut taux de syndicalisation disposent des meilleurs systèmes de sécurité sociale et connaissent une pauvreté moindre. Inversement, les pays qui ont un faible taux de syndicalisation sont confrontés à plus de pauvreté et plus de problèmes au niveau de la criminalité, la santé, etc.lxxix
Pour Marx, organiser la classe ouvrière impliquait au moins trois choses.
D'abord, il faut avoir une vision et une stratégie à long terme. Certes, les ouvriers doivent se battre pour avoir de meilleures conditions de travail, mais toujours en ayant bien en vue le but final. « De temps à autre, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe passager. Le véritable résultat de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union de plus en plus large des travailleurs. » lxxx Les travailleurs doivent prendre conscience du fait que « 'l'émancipation économique de la classe ouvrière est le but que tout mouvement politique doit poursuivre ».lxxxi
En deuxième lieu, l'unité est une condition décisive du succès. Confronté à une série de défaites, Marx constatait « que tous les efforts tendant vers ce but ont jusqu'ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des différentes professions dans un même pays et d'une union fraternelle entre les classes ouvrières des divers pays ».lxxxii L'élite aime à promouvoir cette division. Elle a tout intérêt à diviser la population travailleuse en interne et à monter les uns contre les autres. Le nationalisme et le racisme sont des outils pratiques pour aboutir à cette fin. Ils détournent l'attention des contradictions de classe et dissimulent l'élite. Ils amènent les ouvriers à se battre avec ceux d'en bas au lieu de ceux d'en haut. Ils font oublier la fracture scandaleuse entre les riches et les pauvres et le fait que la population travailleuse en fait les frais. Le nationalisme et le racisme constituent le tendon d'Achille du mouvement ouvrier.
Marx en parlait à l'occasion des tensions entre les ouvriers anglais et irlandais en Angleterre. Au 19e siècle, la Grande-Bretagne comptait beaucoup de travailleurs étrangers venus d'Irlande. Les Irlandais parlaient la même langue que les Britanniques, mais ils étaient beaucoup plus pauvres et pratiquaient une autre religion. L'élite britannique attisait sciemment les tensions afin de renforcer sa propre position et affaiblir le mouvement ouvrier. « Tous les centres industriels et commerciaux d'Angleterre ont maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais en tant que concurrent qui abaisse son niveau de vie.... Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l'ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près comme les Blancs pauvres vis à vis des Noirs dans les anciens Etats esclavagistes des États-Unis.... L'Irlandais voit en lui à la fois le complice et l'instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme est le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de son organisation. C'est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste qui s'en rend parfaitement compte. »lxxxiii
Aux États-Unis, la division au sein de la classe ouvrière n'était pas tellement basée sur la religion ou la nationalité mais notamment sur la couleur. Au 19e siècle avancé, une grande partie de la population noire vivait en esclavage. Le racisme et la discrimination y pullulaient. Selon Marx, la classe ouvrière blanche devait s'occuper du sort de ses frères et sœurs noirs. L'émancipation de la classe ouvrière était l'affaire de tous les ouvriers. Tant qu'une partie était opprimée, aucun soulagement pour le reste n'était possible. « Aux États-Unis d'Amérique du Nord, tout mouvement ouvrier autonome a été paralysé tant que l'esclavage défigurait une partie de la république. Le travail des blancs ne peut pas s'émanciper là où le travail des noirs demeure marqué d'infamie. » lxxxiv
Ce sont des paroles d'une actualité brûlante. Les politiques de droite et d'extrême-droite s'amusent à opposer les divers groupes de la population l'un contre l'autre. Le mouvement ouvrier ne peut pas se faire piéger. Etant divisée, la classe ouvrière ne pourra pas affronter l'élite. En revanche, une attitude de solidarité peut justement lui donner des ailes. C'était en tout cas la leçon des Etats-Unis. « Mais la mort de l'esclavage a aussitôt fait éclore une vie nouvelle et régénérée. Le premier fruit de la guerre civile a été la lutte pour la journée de travail de 8 heures. »lxxxv
Outre l'unité et une vision à long terme, le mouvement ouvrier a aussi besoin d'un relais politique. « Contre ce pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. »lxxxvi Au milieu du 19e siècle, le mouvement ouvrier se trouvait encore dans un stade embryonnaire. Les ouvriers étaient encore principalement organisés au niveau local et sectoriel ; ils ne disposaient pas encore d'un propre parti ouvrier. S'ils voulaient devenir un facteur significatif et savoir résister à leur puissant ennemi, ils devaient créer un parti révolutionnaire. Marx et Engels arrivent à cette conclusion après les révoltes révolutionnaires échouées de 1848 dans une série de villes européennes. « Ce n'est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s'est frayé la voie ; au contraire, c'est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire. »lxxxvii Les syndicats sont nécessaires pour les luttes directes, comme les revendications salariales et les conditions de travail. Mais, pour arriver au but final, une société juste où l'exploitation n'existe plus, il faut un parti politique. « La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier pour sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs. »lxxxviii
6. L'État du 1 %
Dans les points 2 et 3, nous avons vu que la population travailleuse se trouve dans une position faible et soumise par rapport aux capitalistes. Elle a cependant un grand avantage : elle représente l'écrasante majorité de la population. Et puisque la production s'organise de plus en plus dans des grandes unités, le capitalisme a, pour ainsi dire, 'réuni' les ouvriers et les employés, ce qui constitue une menace potentielle pour les rapports d'exploitation.
C'est à ce point que la classe dirigeante fait appel à l'Etat pour protéger son pouvoir et ses privilèges. Nul autre qu'Adam Smith, le fondateur du libéralisme classique, ne l'a dit avec moins d'équivoque. « Le gouvernement civil, institué pour défendre la propriété, est en réalité institué pour défendre les riches contre les pauvres, ceux qui possèdent contre ceux qui ne possèdent rien. »lxxxix
L'appareil de l'État fut un des sujets centraux chez Marx et Engels : « Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé aux fins d'asservissement social, d'un appareil de domination d'une classe. »xc Ils concluent : « Le gouvernement moderne n'est qu'un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière ».xci
L'État doit permettre aux capitalistes d'encaisser un maximum de profit. Cela signifie protéger la propriété privée des moyens de production et créer les conditions favorables à l'usurpation de la plus-value. Ce dernier est réalisé par L'État, entre autres, en délimitant les marges des négociations salariales, en limitant la position de pouvoir des syndicats, en fixant la marge de manœuvre légale en cas de conflits sociaux (grèves, occupations des lieux de travail) etc.
En clair, la classe capitaliste règne, mais elle ne gouverne pas. En règle générale, la classe dominante laisse la gestion à une caste politique censée servir ses intérêts à long terme. Dans une lettre à Karl Marx, Engels parle d'une « oligarchie capable de s'occuper de la gestion de l'Etat et de la société défendant les intérêts de la bourgeoisie en échange d'une indemnisation convenable ».xcii L'élite économique ne gouverne pas de façon directe mais cherche du personnel politique pour le faire. « La richesse y exerce son pouvoir d'une façon indirecte, mais d'autant plus sûre. D'une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires,... d'autre part, sous forme d'alliance entre le gouvernement et la Bourse. »xciii
L'État est une sorte de cloche politique qui sert à neutraliser et à couvrir les contradictions économiques. La cohésion, impossible dans la sphère économique à cause de la contradiction entre le travail et le capital, se créé dans la sphère politique. « Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se détruisent pas, elles-mêmes et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre ». Ce pouvoir, issu de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État. »xciv
Le fait que la classe dominante sous-traite cette mission à des 'tiers', qui en outre sont élus, permet de sauver les apparences de la neutralité et de l'impartialité. On fait semblant que l'État est au-dessus des classes et qu'il représente 'l'intérêt général' : « Ne fût-ce que pour parvenir à ses fins, la classe dominante est obligée de présenter son intérêt comme étant l'intérêt commun de tous les membres de la société. »xcv
Le mythe de la neutralité et de l'intérêt général est vite détruit. 'L'union entre le gouvernement et la bourse' à elle seule le démontre déjà. Ainsi, Jean-Luc Dehaene, ancien premier ministre de la Belgique, siégeait dans plusieurs entreprises, comme Umicore, Lotus, Dexia et AB Inbev. Sigfried Bracke, président de la Chambre, était - avant d'avoir été obligé de démissionner - un conseiller auprès de Telenet, une grande société belge de télécommunications. Karel de Gucht, ancien commissaire européen du Commerce, siège dans Proximus et ArcelorMittal, et José Manuel Barroso, l'ancien président de la Commission, travaille désormais chez la banque d'affaires Goldman Sachs, un des responsables de la crise financière de 2008.
Pas étonnant que les multinationales paient moins d'impôts que les femmes de nettoyage qui y travaillent. L'élite fait de son mieux pour mettre en avant la neutralité de l'État, mais ce n'est qu'une façade. L'Etat choisit son camp, à chaque fois. La police et la justice ne protègent pas les sans-abris contre les spéculateurs, elles ne protègent pas les grévistes contre les briseurs de grève, elles ne protègent pas les travailleurs licenciés contre des chefs d'entreprises qui veulent réaliser ailleurs un pourcent de profit en plus, elles ne poursuivent pas les hauts banquiers qui ont pillé notre économie en 2008, etc.
L'État assume une position neutre tant que le statu quo n'est pas en jeu et tant que les classes subalternes ne l'emportent pas. Au moment où cela risque de se passer, elles seront confrontées aux canons à eau et au gaz lacrymogène, ou les fonds sont coupés. Et si tout cela ne suffit pas, des tanks interviendront. « La civilisation et la justice de l'ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice apparaissent comme une cruauté sans masque et une vengeance sans loi. »xcvi Au moment où les intérêts du capital sont en danger « l'État enserre, contrôle, réglemente, surveille et tient sous tutelle la société civile, de ses manifestations les plus larges jusqu'à ses mouvements les plus infimes ».xcvii
La classe capitaliste est capable, si elle le veut, de tenir à la gorge l'économie d'un pays. C'est ce qui s'est passé au Chili, juste avant le coup d'état en 1973, au Venezuela en 2003 et en Grèce en 2015. L'État bourgeois est, pour ainsi dire, mené en laisse par le capital. La laisse peut être longue ou courte et donne une idée de la marge de manœuvre du gouvernement, mais finalement la laisse est bien là.
À cause de cette laisse, Marx n'avait pas une haute opinion des élections. « Au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante va « représenter » et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devrait être au service du peuple. »xcviii Marx estimait que la démocratie était trop précieuse pour la confier seulement à des politiciens professionnels ou à des parlements. La démocratie doit être ancrée au niveau local, proche du peuple et émanant du peuple. Selon lui, le procès décisionnel devait être porté par ce qu'on appellerait aujourd'hui la société civile. Son modèle était celui de la Commune de Paris, une révolte populaire à Paris, en 1871, que l'armée française réprimait dans le sang après deux mois.
Ce qui n'empêche pas que la lutte électorale et le parlement soient des instruments utiles pour la lutte ouvrière. Engels dit en 1895 : « Avec l'agitation électorale, il [le suffrage universel] nous a fourni un moyen qui n'a pas son égal pour entrer en contact avec les masses populaires là où elles sont encore loin de nous, pour contraindre tous les partis à défendre devant tout le peuple leurs opinions et leurs actions face à nos attaques. Et il a ouvert à nos représentants au Reichstag une tribune du haut de laquelle ils ont pu parler à leurs adversaires au Parlement ainsi qu'aux masses au dehors, avec une tout autre autorité et une tout autre liberté que dans la presse et dans les réunions.... En utilisant ainsi efficacement le suffrage universel le prolétariat avait mis en œuvre une méthode de lutte toute nouvelle et elle se développa rapidement. »xcix
Mais, finalement, il faudra renverser les rapports de force. « Le but immédiat... est la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par les travailleurs. »c
7. Le socialisme à l'ordre du jour
« De là la grande influence civilisatrice du capital ; il a produit un niveau de civilisation tel que toutes les autres ont semblé être des développements locaux de l'humanité et une idolâtrie de la nature. »ci
Tout au long de l'histoire mondiale, l'humanité a vécu la privation et la misère noire. Depuis la révolution agricole, il y a bien eu une production excédentaire, mais celle-ci n'était pas investie dans l'économie. Elle était prélevée par l'élite pour construire des palais ou des temples, pour vivre une vie de luxe et pour entretenir une armée. Pendant des siècles, la richesse produite restait constante et n'augmentait uniquement en fonction de la croissance de la population. Ce n'est qu'au moment où la plus-value est réinvestie dans la sphère de la production que l'histoire s'accélère. Du capital nouveau permet d'acquérir de nouvelles et meilleures machines et de développer la production. Ce basculement s'est produit plus au moins au milieu du dix-neuvième siècle. A partir de là, la création de la richesse sur cette planète a explosé.cii
Marx a analysé ce processus historique en détail. « La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l'Amérique. Le marché mondial a accéléré prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication. Ce développement a influencé en retour l'extension de l'industrie. »ciii Marx constatait que les forces productives (outils, machines) avaient une tendance historique à devenir meilleures et plus efficaces. « Le résultat est une tendance au développement général des forces productives, de la richesse en tant que telle. »civ Il fallait de moins en moins de temps « pour produire du blé, du bétail...... Gagner du temps, voilà à quoi se résume finalement toute économie. »cv
La bourgeoisie avait la mission historique de réaliser cette accélération dans l'histoire. « Depuis un siècle à peine, la bourgeoisie a créé des forces productives plus nombreuses et plus gigantesques que ne l'avaient fait toutes les générations passées réunies. »cvi Cependant, à un moment donné, le capitalisme a « atteint son but historique. Dès que ce but était atteint, le développement ultérieur est apparu comme un déclin. »cvii Le capitalisme rencontre ses propres limites et la bourgeoisie n'est plus en mesure de continuer à jouer son rôle historique. « A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. »cviii
Dans le capitalisme, la production ne vise uniquement que l'appât du gain d'un petit groupe de propriétaires privés et ne se fabrique pas en fonction des besoin sociaux ou des opportunités de développement de la grande majorité. « Le monopole du capital devient une entrave au mode de production qui a mûri en même temps que lui et sous sa domination. »cix
C'est plus que jamais d'actualité. Jamais l'abîme entre ce qui est possible et ce qui est vraiment réalisé n'a été aussi grand qu'aujourd'hui. Plus que jamais les rapports de production empêchent un développement digne. Au niveau mondial, la richesse produite aujourd'hui permet à chaque famille de deux adultes et trois enfants de disposer d'un revenu potentiel de 3.500 euros. cx En d'autres termes, il existe assez de richesse pour que tout le monde mène une vie plus que décente. Or, un tiers de la population mondiale ne dispose pas de sanitaire de base, et un quart ne dispose pas d'électricité. Un septième vit dans un bidonville et un neuvième ne dispose pas d'eau potable.cxi
L'industrie alimentaire, d'une valeur de 4000 milliards de dollars, est entre les mains de quelques monopoles. Ils contrôlent presque toute la chaîne alimentaire, du début jusqu'à la fin, et n'opèrent qu'en fonction de leurs profits. Ce sont leurs anticipations de bénéfices et non les besoins et nécessités qui déterminent qui pourra ou non disposer de nourriture dans ce monde. A présent, plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim alors qu'il est possible de produire de l'alimentation pour 12 milliards de personnes. Aux États-Unis, la nourriture jetée suffirait à elle seule à nourrir tous les affamés.cxii La faim dans le monde n'est pas une question de trop peu de capacité mais de mauvais rapports de propriété.
Le FAO, l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, a calculé qu'un investissement public annuel de 24 milliards de dollars - soit 0,6 % du produit annuel du secteur agricole - complété d'investissements privés, permettrait d'augmenter le produit mondial brut de 120 milliards de dollars. La raison est que les personnes concernées vivent plus longtemps et en meilleure santé et peuvent donc produire plus.cxiii Il s'agit donc d'un rendement de 500 pourcent ! Et ne parlons même pas des millions de vies humaines que nous pourrions sauver. Or, le capitalisme est incapable de faire cet investissement évident et nécessaire.
La situation sanitaire est aussi hallucinante. Au début de cette année, le géant pharmaceutique Pfizer a décidé d'arrêter les recherches sur les maladies d'Alzheimer et Parkinson. Non pas parce que cela ne serait plus nécessaire, au contraire, près de 60 millions de personnes souffrent d'une de ces deux maladies, mais parce que le bénéfice est trop insuffisant. Ces dernières années, des millions de personnes sont décédées du sida parce que les entreprises pharmaceutiques ont bloqué l'accès à des médicaments bon marché. Chaque année, environ 600.000 personnes meurent de malaria. Cette maladie aurait pu être éradiquée il y a longtemps mais, là aussi, il y a trop peu à gagner. Pour maîtriser la maladie, il suffirait de 2,4 milliards de dollars supplémentaires par an. Quelque 32.000 milliards de dollars sont parqués dans les paradis fiscaux... Les entreprises pharmaceutiques dépensent 19 fois plus en marketing qu'à la recherche fondamentale. C'est tout dire.cxiv
Et puis le travail ! Marx constatait que, au fil du temps, la productivité continuait à augmenter, libérant ainsi plus de temps pour l'épanouissement intégral de l'individu. « Moins une société a besoin de temps pour produire du blé, du bétail, etc., plus elle a du temps pour d'autres productions, matérielles ou spirituelles.... Le gain de temps sur le travail revient à avoir plus de temps libre, c.à.d. du temps pour l'épanouissement de l'individu.... Du temps libre aussi bien pour paresser que pour des activités plus évoluées. »cxv Le faitque l'on ne vit plus pour travailler, mais inversement, créé, selon Marx, un nouveau type d'homme : « ce temps libre transforme son possesseur en un sujet différent. »cxvi Le niveau culturel augmente, le plaisir est plus sophistiqué. Le travailleur éprouve « un plaisir plus grand, même mentalement, il s'investit dans son propre intérêt, il lit des journaux, assiste à des conférences, éduque ses enfants, développe ses goûts, etc. »cxvii
En 1830, un ouvrier belge travaillait 72 heures par semaine. En 1913, c'était 60 heures de travail hebdomadaire, en 1940, 48 heures, et, en 1970, 40 heures.cxviii La raison est très simple : la productivité, ce qu'un ouvrier créé en valeur par heure en moyenne, n'a pas cessé d'augmenter. Et c'est toujours le cas. En 1970, un ouvrier produisait en moyenne huit fois plus qu'il y a cent ans. Au début de ce siècle, c'était déjà 14 fois plus.cxix On pourrait donc s'attendre à ce que le temps de travail au travers le temps continue à diminuer. Keynes, un des économistes les plus renommés, prévoyait déjà en 1930 que ses petits-enfants ne devraient travailler que 15 heures par semaine pour mener une vie confortable.cxx Mais c'était sans tenir compte des rapports de propriété capitalistes. Au lieu de faire diminuer le nombre d'heures de travail, on nous oblige à travailler toujours plus et plus longtemps pour satisfaire à la « fringale insatiable de surtravail ».cxxi (Le surtravail est le travail non rémunéré qui est la base du profit du capitaliste, voir point 2).
Le capitalisme a incontestablement produit beaucoup de richesse, mais de façon très inégale. Or, combien de temps voulons-nous encore attendre de satisfaire les besoins de base de tous ? Le capitalisme se comporte de façon inhumaine et antisociale lorsque le profit l'exige. Il détruit la nature et le climat si le profit le nécessite. Sous les rapports de propriété capitalistes, il est impossible de nourrir tout le monde, de prévoir des médicaments à un prix raisonnable pour tous, de travailler pour vivre au lieu du contraire. « La propriété privée moderne, la propriété bourgeoise, est l'ultime et la plus parfaite expression du mode de production et d'appropriation qui repose sur des antagonismes de classe, sur l'exploitation des uns par les autres. »cxxii Ces propos sont plus actuels que jamais.
Le capitalisme a créé assez de plus-value pour éliminer définitivement la pénurie et donc l'existence de classes. Or, seul le socialisme est capable de le réaliser. « Si l'homme est formé par son environnement, il faut faire en sorte que les circonstances soient humaines. »cxxiii Pour réaliser cela, il faudra que l'économie ne soit plus entre les mains d'une petite élite. « Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.... En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette seule formule : suppression de la propriété privée. »cxxiv
8. Intérêt pour la nature
La conscience écologique au sein du monde industriel s'est créée il y a cinquante ans, notamment sous l'impulsion du Club de Rome. Ces dix dernières années, la dégradation climatique a mis au point cette conscience. Au 19e siècle, une telle conscience n'était pas encore présente. Il régnait alors une croyance dans le progrès, basée sur les grandes percées technologiques de l'époque. Marx était un enfant de son temps, et un certain optimisme technologique ne lui était pas étranger. Cependant, en même temps, on trouve dans ses écrits aussi une analyse profonde de l'impact de l'homme sur la nature, ce qui est assez unique dans son temps. Il constate que la domination illimitée de l'homme sur la nature est inhérente au capitalisme. Il était un des rares penseurs du 19e siècle qui a abordé si franchement l'intérêt pour la nature. Ce qui fait de lui un pionnier de la pensée écologique actuelle.
Déjà dans ses premiers écrits, Marx intégrait les facteurs géographiques et climatologiques dans son analyse, ainsi que l'effet de l'homme sur ces facteurs. « Toute historiographie doit partir de facteurs naturels et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire. »cxxv La théorie de la valeur, qui est au centre de l'œuvre de Marx, ne se limite pas uniquement au travail. Le travail ET la nature sont les sources de la plus-value. « Le travail... n'est pas la seule source de richesse matérielle. Comme disait William Petty, la richesse a pour père le travail et pour mère la terre. »cxxvi
Pour survivre, l'homme doit travailler et maîtriser la nature. Contrairement à l'animal, « l'homme modifie la nature et il la domine »,cxxvii disait Engels. Marx et Engels rejetaient toute approche romantique ou sentimentale de la mère la terre. « La science moderne et l'industrie moderne ont révolutionné toute la nature et ont mis fin à l'attitude enfantine de l'homme vis à vis de la nature et à d'autres formes d'immaturité. »cxxviii
L'homme étant subordonné à la nature, il en dépend aussi et il doit en prendre soin. « 'L'homme vit de la nature.' Cela signifie que la nature est son corps avec lequel il doit maintenir continuellement un processus d'échange pour ne pas mourir. »cxxix « Ainsi les faits nous rappellent à chaque instant que nous ne régnons absolument pas sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous en faisons partie et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. »cxxx « Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n'en ont que l'usufruit, la jouissance et doivent la léguer aux générations futures après l'avoir améliorée en bon père de famille. »cxxxi Cette dernière citation a été écrite il y a 150 ans, mais elle aurait pu être extraite d'un discours lors d'un sommet récent sur le climat.
Marx constatait que le développement économique dans son temps avait un grand impact négatif sur l'environnement. « Avec la croissance de la production et l'augmentation de la productivité du travail... on voit s'accroître la quantité de matières premières utilisées dans le processus de production quotidien. »cxxxii « La croissance de l'exploitation et de l'industrie en général a provoqué une telle destruction des forêts, que tout ce qui est fait pour son maintien ou pour sa réhabilitation semble infime. »cxxxiii L'équilibre entre l'homme et la nature est perturbé, ce qui s'exprime, entre autres, par le tarissement des terres agricoles. « Avec la prépondérance toujours croissante de la population urbaine qu'elle entasse dans de grands centres, la production capitaliste amasse d'un côté la force motrice historique de la société et perturbe d'un autre côté le métabolisme entre l'homme et la terre, c'est-à-dire le retour au sol des composantes de celui-ci usées par l'homme sous forme de nourriture et de vêtements. La production capitaliste détruit donc l'éternelle condition naturelle d'une fertilité durable du sol. »cxxxiv « L'exploitation et le gaspillage des ressources des sols... remplacent la culture consciente et rationnelle... ce qui est une condition nécessaire pour l'existence et la perpétuation de la chaîne alimentaire pour les générations futures de l'homme. »cxxxv
Sa conclusion est claire : « La production capitaliste ne développe la technique et la combinaison des processus de production sociaux qu'en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur.... Plus un pays - comme par exemple les États-Unis d'Amérique - part de la grande industrie comme fondement de son développement et plus ce processus de destruction est rapide. »cxxxvi Engels nous met en garde : « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge de chacune d'elles. »cxxxvii
Marx ne se contente pas de cette conclusion. Il cherche aussi pourquoi le capitalisme exploite la nature à outrance. Dans son appât de gain, le capital réduit tout à une marchandise. Les biens sont réduits à leur valeur d'échange, au détriment de leur valeur d'usage. « Un produit devient une marchandise qui peut être échangée. Une marchandise est transformée en valeur d'échange... en argent. »cxxxviii Rien n'échappe à cette cupidité pas même « les ossements des Saints ». La nature aussi disparaîtdans « la grande cuve à distiller de la société pour en ressortir comme monnaie de cristal ».cxxxix Le capitalisme ne voit pas l'environnement naturel comme quelque chose à chérir et à savourer, mais comme un moyen de soif du gain et à atteindre encore plus d'accumulation de capital. « Pour la première fois, la nature est devenue un pur objet utilitaire pour l'homme : elle n'est plus reconnue comme une force existant par elle-même. »cxl
Un système poussé par l'accumulation de capital est un système qui ne s'arrête jamais. Le capitalisme est comme une bicyclette qui doit toujours rouler sous peine de se renverser. Tôt ou tard, la finitude de la nature entre en contradiction avec le soif de profit insatiable. « Telle est la loi [la loi de la concurrence qui mène à l'accumulation] qui rejette constamment la production bourgeoise hors de son ancienne voie et qui contraint toujours le capital à tendre les forces de production du travail.... La loi qui ne lui accorde aucun repos et lui murmure continuellement à l'oreille : Avance ! Avance ! »cxli La contrainte d'accumulation suite à la concurrence fait que les capitalistes ont peu de scrupules. « Après moi le déluge ! Telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. »cxlii
Pour mettre fin à cette déprédation, il faut, selon Marx, abroger la propriété privée. « Du point de vue d'une organisation économique meilleure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe terrestre paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d'un individu sur un autre. »cxliii La relation perturbée entre l'homme et la nature ne pourra être réparée que si la force aveugle de l'accumulation de capital est maîtrisée et que les moyens de production sont devenus propriété commune. « Ce communisme... est la solution définitive pour supprimer l'opposition entre l'homme et la nature, et des hommes entre eux. »cxliv
Naomi Klein, écrivaine et activiste renommée, arrive à une conclusion semblable. Dans son livre sur le climat, elle dit que le monde se voit confronter à un choix décisif : soit on sauve le capitalisme, soit on sauve le climat.cxlv Ce choix se pose de façon très nette dans le secteur de l'énergie fossile, principal responsable de l'émission du CO2. Les 200 plus grandes sociétés de pétrole, gaz et charbon ont une valeur de marché commune de 4.000 milliards de dollars et font des bénéfices annuels de dizaines de milliards.cxlvi Si nous voulons maintenir l'augmentation de la température en dessous de 2 °C, nos géants énergétiques ne doivent pas toucher à 60 à 80 % de leurs réserves.cxlvii Dans le cadre du capitalisme, c'est désastreux pour les perspectives de profit. Cela ferait immédiatement s'effondrer leur valeur boursière.
Ces géants ne tolèrent aucune atteinte à leur empire économique ou financier, même s'il y a des considérations écologiques, voire si l'avenir de la planète est menacé. Chaque année, sans qu'on y fasse obstacle, ils investissent encore des centaines de milliards de dollars dans la recherche de nouvelles réserves.cxlviii Entretemps, les valeurs boursières des monopoles énergétiques se portent très bien. En accord avec les marchés financiers et les actionnaires, ils supposent, comme si de rien n'était, que le monde politique ne fera pas ce qu'il promet en ce qui concerne les objectifs climatiques. D'après Jeffrey Sachs, conseiller aux Nations Unies « les lobbys sont en train de gagner et... le reste du monde en train de perdre, surtout parce que les lobbys des combustibles fossiles sont bien organisés.... Ceci doit changer d'urgence avant qu'il ne soit trop tard. »cxlix
Dans le cadre de la logique de profit, le réchauffement climatique ne peut pas être arrêté. Selon The Economist, porte-parole de l'élite économique mondiale, le prix financier est trop élevé pour stopper le réchauffement climatique. De là leur conclusion cynique : « une action globale n'arrêtera pas le changement climatique. Le monde doit chercher comment vivre avec ». Or, ne nous laissons pas abattre pour autant, suite au réchauffement climatique, il y a, d'après The Economist encore beaucoup de profit à faire. Avec toutes ces nouvelles digues à construire, les entreprises de la construction ont un bel avenir devant elles. Avec toutes les catastrophes à venir, les sociétés d'assurances feront de belles affaires. Le réchauffement climatique sera aussi une bonne chose pour la médecine tropicale... cl Après nous le déluge, à prendre très littéralement.
La politique climatique est trop importante pour la laisser à des géants énergétiques et à leur logique du profit. Il faut briser leur toute puissance afin de créer une marge pour une politique climatique responsable. Ou, selon les termes de Marx, il importe « de réguler les échanges avec la nature de façon rationnelle. Nous devons les soumettre à un contrôle collectif au lieu qu'elles nous contrôlent comme une puissance aveugle. »cli Voilà le grand défi auquel est confrontée la génération actuelle.
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Notes:
i Nous nous concentrons en premier lieu sur les textes de Marx. Nous les complétons avec des citations de Friedrich Engels, son ami et compagnon d'armes. Ils partagèrent les mêmes idées et écrivirent ensemble un grand nombre de textes. Friedrich Engels rédigea et édita aussi beaucoup d'œuvres importantes de Marx. La plupart des citations sont des traductions propres; les bonnes traductions existantes en français ont été reprises.
ii Le pib - le produit intérieur brut - est la production annuelle de biens et de services d'un pays. En 2016, le pib de la zone euro était 20% en dessous des tendances avant la crise. Financial Times 11 novembre 2015, p. 9; http://www.ft.com/intl/cms/s/0/373793a2-86cf-11e5-9f8c-a8d619fa707c.html.
iii Financial Times, 16 septembre 2009, p. 13;. http://www.ft.com/intl/cms/s/0/b24477de-a226-11de-9caa-00144feabdc0.html#axzz2niuBeAH0.
iv Marx K., Le Capital, Livre III, Le procès d'ensemble de la production capitaliste, 1894, inventin.lautre.net, p. 121.
v Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, 1844, ucc.ie, p. 11.
vi Marx K., Le Capital, Livre III, p. 222.
vii Marx K., Grundrisse der Kritik der politischen Ökonomie (Rohentwurf), 1858, dhcm.inkrit.org , p. 661.
viii Marx K., Le Capital Critique de l'économie politique. Livre I; 1867, inventin.lautre.net, p. 351.
ixhttp://siteresources.worldbank.org/EXTPREMNET/Resources/TDAT_Book.pdf, p. 261; oxfamsol.be, p. 22.
x Marx K., Le Capital, Livre III, p. 124.
xi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 11.
xii Financial Times, 3 janvier 2013; http://www.ft.com/intl/cms/s/2/dafa4a2c-486e-11e2-a1c0-00144feab49a.html#axzz2KIkH3LkW ; Deshpande A. & Nurse K. (eds.), The Global Economic Crisis and the Developing World: Implications and Prospects for Recovery and Growth, New York, 2012, p. 1.
xiii Financial Times, 1-2 Novembre 2011, http://www.ft.com/intl/cms/s/0/473f53da-0310-11e1-899a-00144feabdc0.html#axzz2UDYGNQV0.
xiv Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung. Politisch-ökonomische Revue, 1850, mlwerke.de.
xv hbr.org ; uk.businessinsider.com ; data.worldbank.org.
xvi bis.org. Un dérivé, ou produit dérivé, est une appellation générale de produits boursiers dont le taux est basé sur un autre placement sous-jacent. Les dérivés financiers sont utilisés afin de réduire les risques, mais surtout à des fins de spéculation. Les principales formes des dérivés sont les options, futures, swaps et forwards. Cfr. Vandepitte M. en Callewaert C., %Attac% tegen de dictatuur van het kapitaal, Attac-Vlaanderen, 2000, p. 39-40; http://nl.wikipedia.org/wiki/Financiële_derivaten.
xvii http://blogs.ft.com/martin-wolf-exchange/2011/10/24/the-threat-of-the-volatility-junkie/ ; cfr. iii.co.uk.
xviii Marx K., Le Capital, Livre III, p. 204.
xix Marx K., Grundrisse, p. 335.
xx Marx K., Capital. Volume III, p. 121.
xxi Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxii Marx K. & Engels F., Neue Rheinische Zeitung.
xxiii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 11.
xxiv Marx K., Le Capital, Livre III, p. 357.
xxv Marx K., Le Capital. Livre I, p.788.
xxvi Marx K., Le Capital. Livre I, p. 422.
xxvii Pour simplifier, nous faisons abstraction d'impôts et de salaire différé (partie du salaire consacrée aux pensions, la sécurité sociale,...).
xxviii Les 500 plus grandes sociétés au niveau mondial occupent 65 millions de personnes et ont généré, en 2014, un profit de 1.700 milliards de dollars. fortune.com
xxix La fortune de Frère est estimée à 4,9 milliards d'euros. hln.be.
xxx Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 20.
xxxi Marx K., Le Capital Critique de l'économie politique. Livre I, p. 89.
xxxii En Belgique, le revenu disponible net s'élève à 28.700 dollars par personne sur base annuelle. Converti en euros, cela revient à 8.650 euros par mois pour un ménage de deux enfants et deux adultes. Source: oecdbetterlifeindex.org.
xxxiii http://deredactie.be/cm/vrtnieuws/binnenland/1.2281491 ; Wetenschappelijk Instituut Volksgezondheid, Gezondheidsenquête 2013. Rapport 3: Gebruik van gezondheids- en welzijnsdiensten, Brussel 2015, https://his.wiv-isp.be/nl/Gedeelde%20%20documenten/Summ_HC_NL_2013.pdf, p. 36; hln.be.
xxxiv standaard.be ; standaard.be.
xxxv Un emploi coûte environ 50.000 euros par an. Cela fait 20.000 emplois par milliard d'euros. Avec les retombées des impôts, contributions à la sécurité sociale d'un côté et moins d'allocations de l'autre côté, cela peut facilement s'élever à 30.000 emplois et plus. En outre, ces nouveaux emplois contribuent à la relance économique.
xxxvi Marx K, Grundrisse, p. 58.
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xxxviii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 10-11.
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xlvihttp://www.knack.be/nieuws/belgie/voorpublicatie-de-grote-pensioenroof-ze-pakken-onze-beste-jaren-af/article-longread-979693.html.
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lvi Marx K., Grundrisse, p. 204-5. Dans le texte, Marx employait le terme 'citizen' pour identifier les citoyens 'libres' dans une société esclavagiste.
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lxiv Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 14.
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lxvi Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 16.
lxvii Le terme petit-bourgeois vient de l'allemand et se réfère à la couche sociale entre la classe ouvrière et la 'grande' bourgeoisie. Il s'agit de contremaîtres, petits paysans, petits entrepreneurs, etc.
lxviii Engels F. & Marx K., Lettre à Bebel, Liebknecht, Bracke.
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c Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 18.
ci Marx K., Grundrisse, p. 339.
cii Les premiers capitalistes étaient des capitalistes commerciaux. À partir de la fin du quinzième siècle, ils ont gagné de l'argent grossier grâce au pillage, au vol, à la piraterie, au commerce des esclaves, etc. Mais en tant que tels, ils n'ont pas augmenté la richesse mondiale. Ce n'est que lorsqu'ils commencent à investir leur capital dans la sphère de la production que l'accumulation de capital, et donc le capitalisme, prend réellement forme. Source du graphique : krusekronicle.com
ciii Engels F. & Marx K., Manifeste du Parti communiste, p. 8.
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cix Marx K., Le Capital. Livre I, p. 906.
cx Le calcul pour la famille moyenne repose sur l'hypothèse plausible que le revenu disponible des ménages est de 70% du pib. Nous utilisons le produit mondial brut: 122 000 milliards de dollars en 2016. Ce chiffre, exprimé en dollars PPA, tient compte des différences de prix entre pays pour les mêmes biens ou services et exprime le pouvoir d'achat réel. Nous avons converti ce chiffre en euros selon la méthode de calcul de la Banque mondiale: pour la Belgique, 1 $ PPA ~ 0,808 euro.
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Traduit du néerlandais par M. Lauwers, E. Carpentier, L. Ragugini
Source : Investig'Action