23/01/2019 entelekheia.fr  6min #151150

 Brexit : le « feuilleton » continue, mais ceux qui rêvent d'inverser le verdict populaire seront déçus

Promettons la lune comme Theresa May : un 'Plan C' pour le Brexit

Par George Galloway
Paru sur  RT sous le titre Moonwalking with Theresa May: Unboxing Brexit 'Plan C' - George Galloway

Pendant que le Premier ministre zombie britannique quittait la Chambre des communes lundi, une lune de sang, également appelée « lune du loup », rougissait le ciel. Pour la première fois en 187 ans, Vénus était alignée sur Mars avec Saturne en ascendant.

Personne n'a la moindre idée ce que cela signifie, mais tout le monde savait clairement que le plan B de Theresa May ressemblait remarquablement à son plan A, celui-là même qui a été descendu en flammes la semaine dernière, pire que par un météore.

À moins qu'elle ne sache quelque chose au sujet d'un éventuel recul de l'UE qui n'ait pas encore été révélé au reste d'entre nous, elle a mis fermement la Grande-Bretagne en orbite vers un Brexit sans accord, dans quelques semaines seulement.

Chercher à ressusciter son accord raté en y ajoutant les quelques ajustements qu'elle a annoncés lundi semble être un acte de foi, un triomphe de l'enthousiasme religieux sur les faits. Mais il a envoyé la majorité des « Remainers » de la politique britannique dans une terrible impasse. Si le plan B de Mme May est adopté, nous quittons l'UE selon ses conditions (1) ou alors, deuxième option, nous quittons tout simplement l'UE. Ce sont les deux seules possibilités qui ont aujourd'hui des chances de succès. Le reste - retarder l'application de l'article 50 et arrêter l'horloge et/ou ne pas tenir compte de l'électorat de la dernière fois et organiser un nouveau référendum - est maintenant une suite d'élucubrations fantasmagoriques. À moins que...

A moins que l'univers parlementaire ne soit entièrement refondu, c'est-à-dire restructuré autour d'une scission formelle des deux principaux partis (2) et de la création d'un « gouvernement national » pour « sauver » le pays d'un Brexit sans accord auquel s'opposent, en fait, toutes les forces capitalistes mondialisées - notamment les banques, la fonction publique de l'UE, l'État profond, la grande majorité des médias et notamment la BBC, la chaîne publique.

J'insiste sur le fait que c'est la plus improbable des trois options, mais il peut être intéressant d'étudier à quoi elle pourrait ressembler et de rappeler que cela s'est déjà produit.

Le premier gouvernement travailliste de Ramsay MacDonald a été démoli par la « Lettre Zinoviev » en 1924. La lettre, qui consistait censément en instructions au Parti travailliste envoyées du Kremlin par le chef du « Komintern », s'est par la suite  avérée un faux fabriqué par des émigrés « russes blancs » et les services de sécurité britanniques.

Mais MacDonald est revenu au pouvoir en 1929 - à la faveur des premières élections au suffrage universel en Grande-Bretagne.

Il a repris ses fonctions au moment même où Wall Street s'effondrait et où la Grande dépression avait gelé le monde capitaliste tout entier. Perdu en mer sur des icebergs, MacDonald s'est agrippé au canot de sauvetage offert par les conservateurs de l'opposition et a déserté la majorité de son parti pour former un « gouvernement national » qu'il dirigeait, mais que les conservateurs maintenaient à flot.

Si cela devait se reproduire, il faudrait que le président du Parlement en soit complice et que la Reine l'accepte. Ce ne sont pas des obstacles insurmontables (c'est le moins qu'on puisse dire). (3)

Il y a 317 députés conservateurs. Au moins 100 d'entre eux sont des Brexiters qui ne disparaîtraient pas tranquillement dans la nuit. Mais 200 d'entre eux pourraient suivre si cela signifiait : a) éviter un Brexit sans accord et b) éviter des élections générales.

Il y a 256 députés travaillistes. La plupart d'entre eux sont catégoriquement contre le Brexit et nombre d'entre eux sont également et tout aussi catégoriquement contre l'idée d'élections générales, parce qu'elles amèneraient immanquablement leur propre leader au pouvoir. (4) En nous souvenant que le nom de MacDonald est devenu synonyme de trahison dans le mouvement travailliste et que « partout dans le pays, les travaillistes avaient retourné son portrait contre le mur » à la suite de sa trahison, imaginons 100 députés travaillistes actuels opérant un retournement de veste à la MacDonald et trahissant leur bannière. Cela nous donnerait un résultat de 300 députés, grosso modo, dans une Chambre de 650 membres. Cela ferait d'eux de loin le « plus grand parti » du Parlement et leur donnerait le droit de demander la reconnaissance du président du Parlement et de la Reine en tant que « gouvernement » du Royaume-Uni.

Si l'on tient compte du soutien (assuré) des 11 libéraux démocrates, des 35 nationalistes écossais (si l'accord leur convient), des 8 indépendants (assuré), des 4 nationalistes gallois (assuré), du député vert (assuré), et de l'abstention assurée des 7 députés du Sinn Fein (républicains irlandais qui ne peuvent pas prêter serment d'allégeance à la Reine et ne peuvent donc pas occuper leurs sièges), cela donnerait au bloc du « gouvernement national » 359 députés dans une Chambre de 640 membres (650, moins les sept Sinn Fein, un président et deux vice-présidents), ce qui reviendrait à un gouvernement beaucoup plus « fort et stable » que Theresa May ne pourrait même en rêver. Leur but: annuler le Brexit. C'est un scénario capillotracté, oui. Et difficile ? Affreusement difficile.

Comme alunir sur la lune de sang.

George Galloway a été membre du Parlement britannique pendant presque trente ans. Il présente des émissions de radio et de télévision (y compris sur RT). C'est un célèbre réalisateur, écrivain et tribun.

Traduction Entelekheia
Photo Pixabay

Notes de la traduction :

(1) Conditions inacceptables, c'est pourquoi le plan de May a été torpillé par le Parlement : il reviendrait à laisser le Royaume-Uni sous contrôle de l'UE, mais en lui ôtant tout pouvoir de décision. D'où le chaos actuel.

(2) Chaque parti comprenant une frange pro-Brexit et une frange pro-Remain, il faudrait effectivement que les Remainers des deux camps s'unissent dans un bloc néolibéral-européiste droite-gauche similaire à LREM en France. (3) La Reine d'Angleterre, qui occupe une fonction purement décorative, accepte toujours tout. (4) Le Parti travailliste (Labour) est scindé en deux camps, les blairites (partisans de la ligne néolibérale de Tony Blair, proches de l'esprit d'Hillary Clinton, du PS français et de LREM) et les corbynistes, beaucoup plus à gauche anticapitaliste/antimondialiste. Les blairites n'ont qu'une peur : voir le leader actuel du Labour, Jeremy Corbyn, accéder à la place de Premier ministre, ce qui en cas d'élections générales serait un résultat écrit d'avance.

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