Le rejet par les parlementaires britanniques du projet d'accord portant sur les conditions du Brexit était attendu. Son ampleur - 432 votes contre sur 650 députés - a cependant surpris nombre d'observateurs. Une chose est certaine : le « feuilleton » est loin d'être terminé.
A l'issue du scrutin, le premier ministre, Theresa May, a pris acte du « message » des parlementaires, mais noté que ce vote de la Chambre des Communes « ne dit rien sur la manière dont celle-ci entend honorer la décision du peuple britannique ».
Pour comprendre l'impasse actuelle, il faut remonter au référendum de juin 2016 qui avait vu 52% des citoyens se prononcer pour la sortie de l'Union européenne - un événement historique sans précédent. Or pas moins de 70% des membres du parlement actuel avaient pris position à l'époque pour rester dans l'Union.
Face à la force du verdict populaire cependant, il était politiquement difficile de passer outre. Mais dès lors que les pourparlers en vue d'une sortie négociée du Royaume-Uni se sont engagés avec Bruxelles, Mme May s'est retrouvée sous une immense pression, de la part de toutes les forces pro-UE en Grande-Bretagne, conjuguée à celle des Vingt-sept Etats membres.
Elle a fait le choix politique de négocier des concessions pour éviter un Brexit sans accord, acceptant notamment de rester au sein de l'union douanière pendant une période provisoire, mais dont le terme dépendait de la bonne volonté des dirigeants européens. Les Vingt-sept ont en particulier joué sur le levier de la frontière entre les deux Irlande, dramatisant un problème qui aurait pu être réglé de manière technique sans difficulté majeure.
Les concessions de Theresa May à Bruxelles ont heurté nombre de députés pro-Brexit
Ces concessions (y compris financières) non négligeables ont heurté nombre de députés pro-Brexit, particulièrement au sein même du parti conservateur. Theresa May s'est donc retrouvée prise en étau entre élus pro-UE d'un côté, et partisans d'un Brexit radical de l'autre. Cette coalition contre-nature et de circonstance a abouti au vote du 15 janvier, et redonné aux partisans de l'intégration européenne, des deux côtés de la Manche, l'espoir de pouvoir inverser le référendum de 2016. Ils rêvent pour ce faire de multiples scénarios, dont le recours à une seconde consultation.
Souvenirs...
A ce stade, ce coup de force est très hypothétique, tant pour des questions de délai - il est désormais question de repousser l'échéance de la sortie prévue le 29 mars - que du fait de l'impossibilité de trouver une formulation consensuelle de la question à poser.
Il reste que cette configuration rappelle quelques souvenirs à plusieurs peuples : au Danemark, en Irlande, aux Pays-Bas, et bien sûr en France, l'histoire des référendums portant sur des questions liées à l'UE est l'histoire de verdicts électoraux finalement inversés ou piétinés par l'acharnement conjugué de Bruxelles et des dirigeants nationaux.
En France, le projet de « constitution européenne » de 2005 était soutenu par 80% des parlementaires au moment où le peuple rejetait massivement ce traité.
Ainsi, en France, le projet de « constitution européenne » de 2005 était soutenu par 80% des parlementaires au moment où le peuple rejetait massivement ce traité. En matière de contradiction entre volonté populaire et engagement de ceux qui sont censés la représenter, le Royaume-Uni n'a donc pas l'exclusivité... On sait comment les dirigeants européens ont délibérément contourné le vote des Français (et des Néerlandais).
Comme l'affirme Mme May qui, à juste titre, refuse la tenue d'un nouveau référendum, celui-ci constituerait un scandale démocratique. Cela signifierait que la volonté populaire peut être piétinée quand elle s'exprime contre l'idée européenne, mais qu'elle est définitive dès lors qu'elle irait dans le sens de celle-ci. Car les partisans de cette consultation excluent évidemment une troisième manche si le résultat leur était favorable.
Ce qui, au demeurant, serait très loin d'être assuré. Les sondages affirment aujourd'hui que ceux qui souhaitent rester dans l'Union seraient légèrement majoritaires. Mais les mêmes instituts avaient pronostiqué en 2016 une défaite du Brexit...
Les Britanniques qui se sont prononcés pour que leur pays recouvre sa souveraineté n'ont pas changé d'avis
En réalité, les Britanniques qui se sont prononcés pour que leur pays recouvre sa souveraineté n'ont pas changé d'avis. Et s'il est vrai que nombre de citoyens sont épuisés ou agacés par la situation actuelle, ce n'est pas qu'ils rejettent désormais le Brexit (qui n'a pas encore eu lieu) mais plutôt le processus interminable dont on ne voit pas la fin.
On peut même affirmer que le soutien à l'UE est bien inférieur à la moitié de la population qui a voté contre la sortie de l'Union. Simplement, en 2016 et plus encore aujourd'hui, les europhiles n'ont jamais cessé leur chantage à la peur du vide et au chaos.
« C'est mon devoir de mettre en œuvre les instructions (des électeurs en 2016) et j'ai l'intention de le faire » - Theresa May
Après le vote aux Communes, Mme May, certes fragilisée, reste ferme sur son refus d'une nouvelle consultation, ainsi que sur sa volonté : « c'est mon devoir de mettre en œuvre les instructions (des électeurs en 2016) et j'ai l'intention de le faire ».
Depuis 2005, les temps ont profondément changé. En France par exemple, les Gilets jaunes ont surgi, semant la terreur dans les allées du pouvoir. Si, par hypothèse d'école, les dirigeants européens réussissaient, à force de manœuvres, à garder un pays dans la secte européenne contre sa volonté, ce serait - un victoire qui leur serait probablement fatale : la « vague populiste » qu'ils redoutent déjà, notamment à l'occasion des prochaines élections européennes, pourrait alors prendre une ampleur qu'il n'imaginent même pas...
Mais pour l'heure, on peut encore l'affirmer : l'incertitude est plus forte que jamais quant à ses conditions et délais, mais le Brexit aura bel et bien lieu.
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