14/08/2020 les-crises.fr  10min #178009

 170 ans de prison : les Etats-Unis annoncent 17 nouvelles inculpations contre Julian Assange

Quand Transparency International reste silencieux sur le sort de Julian Assange

Source :  Consortium News, Patrick Maynard
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Patrick Maynard fait le lien entre l'influence américaine et britannique et l'indifférence de la principale ONG occidentale de lutte contre la corruption à l'égard du fondateur de WikiLeaks emprisonné.

Par une fraîche journée de juillet, le quartier de Berlin où se trouve le siège mondial de Transparency International donne l'impression d'être à mille lieues de la prison de Belmarsh à Londres. Mais ce n'est pas seulement le cadre agréable, à quelques pâtés de maisons de la rivière Spree, qui fait que l'influente organisation non gouvernementale semble si détachée du plus célèbre détenu du pénitencier de sécurité maximale, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange.

Transparency International s'est fait entendre pour défendre des militants de l'opposition emprisonnés dans des États tels que le Zimbabwe, la Russie et le Venezuela. Mais lorsqu'il s'agit d'Assange - de loin le plus éminent militant de la transparence emprisonné au monde - l'ONG n'a pas dit un mot depuis la semaine qui a suivi son arrestation en avril 2019.

Lorsque Transparency International a mentionné l'arrestation d'Assange, c'était sous la forme d'un billet de blog à la langue bien pendue qui qualifiait le fondateur de WikiLeaks de « polarisant » et ne condamnait pas sa persécution.

Il se trouve que Transparency International est financé par le gouvernement britannique, qui emprisonne actuellement M. Assange, et par le département d'État américain, dirigé par Mike Pompeo, l'ancien directeur de la CIA, qui a ordonné une campagne d'opérations secrètes pour détruire WikiLeaks.

Beaucoup de choses ont changé depuis la dernière déclaration de Transparency International sur Assange. Un rapporteur spécial des Nations Unies a trouvé des preuves qu'Assange a pu être torturé. Le juge chargé de l'affaire a été remplacé après la découverte d'importants conflits d'intérêts.

La peine de 50 semaines de prison infligée à Assange pour violation de sa liberté conditionnelle a aussi pris fin en avril, ce qui signifie que pendant de nombreuses semaines, les Britanniques l'ont détenu uniquement pour rendre service à leurs alliés américains, sans qu'Assange ne soit formellement accusé d'un crime au Royaume-Uni. Et, ce qui est peut-être le plus important dans cette affaire, 36 membres du Parlement européen ont récemment demandé qu'Assange soit libéré de Belmarsh pour des raisons humanitaires et de liberté de la presse.

Contrairement à Transparency International, plusieurs autres grandes ONG se sont exprimées sur cette affaire au cours de la dernière année. Parmi ces organisations figurent Amnesty International, l'Union américaine pour les libertés civiles, la Courage Foundation, Reporters sans frontières et la Freedom of the Press Foundation. Au total, 40 groupes de défense des droits ont récemment signé une lettre ouverte demandant la libération d'Assange.

Le plus éminent militant de la transparence emprisonné

Julian Assange s'est fait connaître pour la première fois lorsque WikiLeaks a publié une série de précieux documents qui ont embarrassé les États-Unis et leurs alliés. Plusieurs divulgations d'informations militaires ont révélé de possibles crimes de guerre de la part de soldats américains, tandis qu'un ensemble de câbles du département d'État de 1966 à 2010 montrait que des diplomates américains étaient manipulés pour agir au nom de sociétés américaines à l'étranger.

Peu de temps après ces diffusions, Assange a fait l'objet d'une enquête sur une possible agression sexuelle en Suède. Assange et son équipe ont craint que l'enquête ne soit un prétexte pour le détenir et l'extrader vers les États-Unis. Ils ont donc proposé de le faire témoigner par liaison vidéo depuis la Grande-Bretagne. Les autorités suédoises ont refusé. Assange enfreint sa liberté conditionnelle accordée par le Royaume-Uni et se réfugie à l'ambassade équatorienne, où il a vécu pendant près de sept ans. L'enquête sur l'agression sexuelle a ensuite été abandonnée.

En 2018, le gouvernement équatorien en a apparemment eu assez d'être ostracisé au nom d'Assange. Le gouvernement du président Lenin Moreno a entamé des pourparlers à l'été 2018, en prélude à l'extraction d'Assange de l'ambassade et à sa détention, qui ont eu lieu en avril 2019. Un grand jury fédéral aux États-Unis a rendu un verdict de 18 chefs d'accusation inculpant Assange pour intrusion informatique et violation de la loi américaine sur l'espionnage de 1917.

Un élément clé de l'affaire du gouvernement américain est l'idée que, en publiant des informations fuitées, WikiLeaks a porté atteinte à la sécurité à l'étranger de personnes favorables à la cause américaine. Le Grayzone a demandé par courriel au département de la Justice (DOJ) si ce dernier était prêt à nommer une seule personne qui avait été tuée ou blessée à la suite de la publication d'informations de WikiLeaks, mais le DOJ a refusé de commenter.

Le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni et l'influence des entreprises

Il y a eu une première vague de solidarité internationale après l'arrestation d'Assange, avec des journaux comme le New York Times et le Washington Post qui ont commenté la façon dont les accusations d'espionnage menaçaient la liberté de la presse. Quelques grandes ONG internationales de défense des droits de l'Homme se sont également exprimées.

Ce soutien a toutefois été inégal au cours des quinze derniers mois environ. Après l'explosion initiale de la couverture médiatique, les audiences sont passées à l'arrière-plan, peu d'organisations médiatiques américaines ou britanniques de premier plan rendant compte des liens de la juge Lady Emma Arbuthnot avec les services de renseignement et de défense britanniques alors qu'elle présidait les audiences préalables à l'extradition.

À la question de savoir si Transparency International avait fait des déclarations sur les conflits apparents de la juge, le porte-parole de Transparency, Paul Bell, a déclaré à The Grayzone que le secrétariat international « n'a fait aucune déclaration concernant Lady Emma Arbuthnot ».

Le silence de l'organisation au cours de l'année écoulée contraste avec les périodes précédentes où elle s'était exprimée sur la liberté d'expression et n'avait pas hésité à utiliser le nom d'Assange comme accroche pour ses articles de blog sur le sujet.

Il peut être difficile de cerner l'influence extérieure sur Transparency International, car l'organisation compte plus de 100 sections indépendantes dans le monde entier. La section américaine de l'organisation a honoré le géant des services pétroliers Bechtel, connu pour être un profiteur de guerre, en lui décernant son « Corporate Leadership Award » [prix du leadership d'entreprise, NdT] en 2016. Deux ans plus tôt, Transparency USA avait honoré le fabricant d'armes Raytheon « pour ses efforts de lutte contre la corruption ». Bechtel et Raytheon étaient tous deux des donateurs majeurs de l'organisation à l'époque.

En 2017, Transparency USA a finalement été désaccrédité pour avoir encouragé des relations apparentes de paiement à l'acte sous le couvert de la lutte contre la corruption. Cependant, le secrétariat de Transparency a défendu l'honneur que la section américaine a rendu à Hillary Clinton en lui décernant son « prix de l'intégrité » face aux révélations de trafic d'influence de la Clinton Global Initiative.

La base de données Little Sis, qui suit les relations des organisations en analysant leurs donateurs, les membres de leurs conseils d'administration et leurs dirigeants, indique que Transparency a partagé des contiguïtés avec des organisations telles que la Chambre de commerce américaine, l'Agence américaine pour le développement international (USAID) et Infraguard - un « partenariat entre le FBI et le secteur privé » qui est « consacré au partage d'informations et de renseignements pour prévenir des actes hostiles contre les États-Unis ».

Transparency International répertorie actuellement les financements du département d'État américain, dont le chef actuel, Pompeo, aurait autorisé les activités d'espionnage qui ont pris Assange pour cible à l'intérieur de l'ambassade équatorienne. L'organisation reçoit également le soutien du département du Développement international du gouvernement britannique, qui poursuit actuellement Assange. En fait, une grande partie du financement de l'ONG provient des gouvernements de l'UE.

Bell, le porte-parole de Transparency, a déclaré dans un courriel adressé à The Grayzone que le conseil d'administration international de son organisation n'a pas reçu de pressions concernant les audiences d'extradition d'Assange de la part d'entités américaines ou britanniques, y compris des gouvernements.

Principe et précédent en jeu

Assange s'est fait de puissants ennemis au fil des ans. Il a mis en colère les Républicains en exposant des vérités dérangeantes derrière les interventions militaires initiées par le président George W. Bush, et a rendu furieux les Démocrates en déversant un lot de courriels embarrassants du serveur personnel d'Hillary Clinton juste avant l'élection de 2016.

Parker Higgins, directeur du plaidoyer à la Freedom of the Press Foundation, estime que les sentiments individuels à l'égard d'Assange ne devraient pas empêcher de voir clairement la gravité de l'affaire d'extradition.

« L'importance de cette affaire va bien au-delà des faits concernant l'identité de Julian Assange et ce qu'il est supposé avoir fait », a déclaré Higgins dans un courriel adressé à The Grayzone. « Il y a un principe et un précédent en jeu qui sont des considérations importantes pour la liberté de la presse, peu importe ce que vous pensez de Julian Assange lui-même ».

Higgins a affirmé que les grands pays tentent maintenant d'étendre leur propre juridiction au niveau mondial - en particulier sur ce qu'il appelle les « questions sans frontières » comme la censure - et qu'une extradition d'Assange serait un approfondissement de cette tendance.

La Chine, par exemple, a récemment tenté d'affirmer que les non-citoyens dans les pays étrangers sont soumis à sa nouvelle loi de sécurité nationale concernant les propos tenus sur Hong Kong. Cela a refroidi l'activisme jusqu'au Canada. Dans le cas d'Assange, les États-Unis tentent d'appliquer leur loi de 1917 sur l'espionnage, rarement utilisée, à un journaliste australien opérant en Europe, affirment les militants. Ce faisant, disent-ils, le gouvernement américain étend sa juridiction et met en place un modèle potentiellement dangereux pour les générations futures.

Espionnage, refus d'accès légal, « torture et négligence »

Il y a d'autres aspects de l'affaire qui inquiètent de nombreux observateurs proches.

L'avocat d'Assange, Edward Fitzgerald QC, a déclaré en avril qu'il n'avait pas eu « d'accès direct » à son client depuis « plus d'un mois ». Cette situation s'est aggravée à mesure que l'épidémie de Covid-19 s'est poursuivie, avec une récente audience au cours de laquelle Assange était littéralement enfermé dans un contenant en verre, à travers lequel il était difficile d'entendre.

À l'époque où Assange avait un accès régulier à un avocat - pendant son séjour à l'ambassade équatorienne - ses interactions avec d'autres personnes étaient secrètement enregistrées par un entrepreneur espagnol ayant des liens avec la CIA, comme l'a documenté en détail Max Blumenthal de The Grayzone. Dans la plupart des affaires judiciaires américaines, la surveillance des rencontres avocat-client entraînerait immédiatement l'annulation du procès.

En outre, la santé d'Assange est en déclin. Le mois dernier, 216 médecins de 33 pays ont écrit au journal médical The Lancet pour protester contre ce qu'ils ont appelé « la torture et la négligence médicale de Julian Assange » et pour déclarer « qu'en vertu de la Convention contre la torture, ceux qui agissent à titre officiel peuvent être tenus pour complices et responsables non seulement de la perpétration de la torture, mais aussi de leur acquiescement et consentement silencieux ».

Alors que certains journalistes ont fait valoir que l'extradition d'Assange ne créerait pas de précédent pour les actions en justice engagées contre d'autres journalistes, puisqu'Assange est accusé d'avoir aidé une source à craquer un mot de passe, M. Higgins affirme que les futurs juges ne sont pas nécessairement susceptibles d'analyser cette différence.

« Il n'y a aucune garantie que la ligne qu'un journaliste trace maintenant sera celle que les futurs juges suivront », a déclaré M. Higgins. « La menace de poursuites pénales pour avoir parlé aux sources aura certainement un effet dissuasif. »

Source :  Consortium News, Patrick Maynard

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