07/12/2018 reseauinternational.net  7min #149304

 De la crise symbolique à la crise politique

Quid du mouvement des Gilets Jaunes ?

par Leslie Varenne

Cette courte note est destinée aux nombreux lecteurs étrangers francophones de l’IVERIS qui se questionnent sur les événements en France.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce mouvement des Gilets Jaunes qui se dit apolitique est extrêmement politique et porte les vraies questions : sociales, économiques, démocratiques. En remettant au goût du jour le sens des mots, peuple, pauvre, services publics, représentativité, horizontalité, fraternité,  ce mouvement renoue avec la tradition française égalitaire (1).

En jetant aux orties, toutes les questions sociétales que sont le communautarisme, les LGBTQ, PMA et autres « me too », les Gilets Jaunes renouent également avec les revendications universelles. Partage des richesses, accès à l’éducation, à la santé et à une meilleure représentation démocratique, sont des problématiques largement partagées par tous les pays du monde. Dès lors, il n’est pas surprenant que la contestation fasse tache d’huile, elle est présente, certes dans de moindres mesures, en Allemagne, en Belgique, en Serbie, en Bulgarie, aux Pays-Bas. Une manifestation contre l’augmentation du prix du carburant et la vie chère a également eu lieu il y a quelques jours au Burkina-Faso.

Semaine après semaine et malgré toutes les tentatives de dé-légitimation organisées par Emmanuel Macron et son gouvernement, le soutien du peuple français aux Gilets Jaunes reste massif, 72% lors du dernier sondage, cette majorité d’opinion est remarquable.

Ce que ce mouvement n’est pas

Ce mouvement n’a rien à voir avec un quelconque problème de consentement à l’impôt comme cela a pu être écrit ici ou là. Les Français ont une excellente aptitude à supporter la pression fiscale, à tel point que c’est un marqueur dont les agences de notation tiennent compte lorsqu’elles attribuent la note de la France. Jusque dans un passé récent, les impôts étaient pour les citoyens une composante de la solidarité nationale. Or, depuis l’élection d’Emmanuel Macron et la suppression de l’impôt sur les grandes fortunes, les Français ont le sentiment de devoir être solidaires des plus fortunés.

L’IVERIS a souvent été questionné sur la spontanéité de ce mouvement. Correspondrait-il à une révolution de couleur ? Serait-il manipulé de l’étranger ? Il n’en est rien. Les Gilets Jaunes sont enracinés dans les petites agglomérations, les villes moyennes et les campagnes, leur révolte est spontanée et correspond une fois encore à une très ancienne culture française dite « éruptive ». Le feu couve sous la cendre parfois pendant des années et s’enflamme à un moment inattendu. Néanmoins, ce mouvement n’est pas un épiphénomène, il s’inscrit dans la durée, les chasubles jaunes s’organisent pour tenir sur le long terme. Sur certains ronds-points des arbres de Noël sont installés, sur d’autres des cabanes en dur sont construites, après trois semaines de lutte, la détermination reste intacte…

L’inconséquence présidentielle

Si tous les problèmes qui explosent aujourd’hui, en sidérant une grande partie des observateurs étrangers, ne sont pas nouveaux, la gestion de la crise par le gouvernement et la personnalité du président de la République ont jeté de l’huile sur le feu. Les propos d’Emmanuel Macron distillés au fil de ces 18 mois de présidence sur les « gens qui ne sont rien », « les gaulois réfractaires » « les fainéants et les cyniques » ont blessé les Français et cristallisé le ressentiment sur sa personne. D’autres présidents avant lui avant eu des sorties « malheureuses » telles celle de Nicolas Sarkozy qui voulait « karchériser » la banlieue, ou encore François Hollande qui, en privé, nommait les pauvres les « sans dents ». Mais, l’actuel président a réitéré ses saillies à intervalles réguliers et le plus souvent depuis l’étranger. L’arrogance et le mépris de classe sont très mal supportés dans l’Hexagone, les anciens premiers ministres, Edouard Balladur, Alain Juppé, Lionel Jospin ou plus récemment Manuel Valls en ont fait les frais. Un président devrait savoir cela.

Quelle sera la suite ?

A cette heure, personne n’est en capacité de dire ce qui surviendra dans les jours prochains. Le samedi 8 décembre sera, de toute évidence, une journée à hauts risques. Cependant, il paraît déjà acquis que le mandat d’Emmanuel Macron est terminé, même s’il arrive à se maintenir au pouvoir, sa gestion de la crise, le pourcentage de Français qui ne lui font plus confiance, lui ôte, d’ores et déjà, toute légitimité pour conduire des réformes dans le pays.

Quoiqu’il advienne de ce mouvement, les Gilets Jaunes ont déjà gagné sur de nombreux tableaux. D’une part, ils ont réussi à faire reculer le gouvernement sur la hausse des taxes et augmenter, faiblement certes, le salaire minimum. D’autre part, ils ont également permis de réorienter les débats de la campagne des prochaines élections européennes, qui s’annonçaient nauséabonds. Exit donc la confrontation voulue par Emmanuel Macron entre « progressistes » et « nationalistes » entre les gentils « libéraux » et les méchants « illibéraux », place aux questions centrales de la répartition des richesses, de la gestion démocratique et de la souveraineté des nations.

Enfin, au regard de la faible proportion de Français, 20% selon un dernier sondage, lui accordant encore un peu de crédit, Emmanuel Macron ne peut plus engager le pays dans une confrontation militaire, si celle-ci s’annonçait par ces temps troublés sur le plan international. Il n’en a plus la légitimité.

Les jours prochains seront, sans aucun doute, décisifs…

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(1) A écouter :  45 mn avec Emmanuel Todd sur France Culture, évoquant les Gilets aunes

 Cartographie des colères françaises avec Emmanuel Todd

Photo: Avenue Kléber le 1er décembre. Crédit photo : IVERIS 

source: iveris.eu

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