22/08/2025 reseauinternational.net  8min #288027

Repenser l'État

par Yann

Marcel Gauchet dans un interview  pour Le Figaro disait il y a peu «nos élites paraissent avoir 10 ou 15 ans de retard intellectuel. Il y a eu un consensus dans l'erreur sur des décennies qui devrait interroger radicalement notre système». Ce constat, nous pouvons le faire sur beaucoup de sujets et pas seulement sur les questions géopolitiques ou économiques où l'échec des prétendues élites françaises est absolument patent. Ma marotte dont je parle souvent puisque j'y suis confronté souvent avec ma pauvre mère c'est le système de santé français devenu complètement défaillant. Pendant pratiquement 50 ans, nos élites ont passé leur temps à réduire le nombre de médecins formés, souvent pour des calculs à très court terme, ou pour faire plaisir à des syndicats de médecins totalement irresponsables. Le résultat nous le voyons aujourd'hui, le manque de médecin est criant, car il manque toutes les personnes qui auraient très bien pu devenir médecins, mais qui n'ont pas pu à cause de ces décisions absurdes prises par quelques bureaucrates stupides.

La question du système de santé est véritablement parlant parce que son état résume l'extrême imbécillité du système collectif français actuel et en particulier de la technostructure bureaucratique française dirigée par des gens tout aussi inaptes à ces fonctions qu'ils sont diplômés. Et je ne fais pas là de l'anti-diplômé par jalousie, je suis moi-même diplômé du supérieur même si c'est dans les sciences et techniques. Je constate juste que la méritocratie française a accouché d'une élite incompétente en plus d'être très peu attachée à l'intérêt national. Les deux sont probablement liés d'ailleurs. Il devient aujourd'hui quand même très difficile de trouver un secteur où la France fonctionne encore correctement. Et même s'il existe encore des secteurs fonctionnels, ces derniers fonctionnent généralement moins bien qu'il y a quelques décennies. L'on pourrait ici y voir les effets du néolibéralisme et de la construction européenne et il est évident que cela joue. Cependant, je pense que le mal est plus profond et qu'il vient de notre façon de sélectionner les élites et de la façon dont nous formons les esprits.

Il faut d'ailleurs expliquer que si le néolibéralisme et la construction européenne se sont imposés c'est bien parce que nos élites ont choisi sciemment cette direction. Et donc le problème de sélection des élites date de bien avant la dérive eurolibérale. Rajoutons à cela que le gaullisme avait laissé la France relativement indépendante, contrairement à nos voisins totalement soumis aux USA. Ce sont bien nos dirigeants qui ont choisi la trahison à partir des années 70. L'on peut d'ailleurs voir la construction européenne non comme une contrainte, mais bien au contraire comme un outil pour imposer les véritables politiques voulues par nos dirigeants. Un programme qu'ils n'ont jamais ouvertement assumé, car il était peu vendeur sur le plan électoral. Le néolibéralisme et la globalisation ont été imposés au nom de la construction européenne, faut-il le rappeler ?

Alors bien évidemment nous pourrions faire un inventaire à la Prévert sur les échecs répétés de nos élites. Elles semblent très douées pour se servir et beaucoup moins pour servir. Remettant de plus en plus au goût du jour les mises en garde de Montesquieu sur l'effondrement des républiques. Celle-ci s'effondrant lorsque l'esprit patriotique disparaît, faisant de plus en plus de la chose publique le bien de quelques particuliers. Les politiques économiques ou énergétiques stupides et qui ont accéléré la désindustrialisation du pays sont symptomatiques de cette réalité. Que dire des subventions aux entreprises qui ont été mises en place sous Hollande avec le soutien d'un certain Emmanuel Macron et qui ont réussi à faire exploser les dépenses publiques sans avoir aucun effet positif sur la production française qui continue son déclin inéluctable. Rappelons qu'il s'agit ici, et de loin, du premier poste de dépense de l'État. Il faut dire que les idéologues bornés qui nous dirigent préféreraient sans doute faire exploser le pays que de reconnaître l'échec de l'euro et ses effets catastrophiques sur notre industrie et notre agriculture.

Toujours plus de subvention aux entreprises, et pourtant toujours moins d'industrie...

Mais en plus de l'incompétence crasse s'ajoute maintenant la corruption et une absence totale de tout bon sens commun. La preuve par la direction de l'INA. La noble institution de l'INA, qui est censée s'occuper de notre patrimoine audiovisuel, ce qu'elle fait parfois, tout en refaisant payé au contribuable des programmes amortis depuis longtemps et payés justement par le contribuable L'INA, donc, accumule les dirigeants toxiques. Ainsi le dernier dirigeant de l'INA vient juste d'être arrêté pour  possession de cocaïne. Vous savez la substance qu'on trouve aussi souvent à l'Assemblée nationale. Et le plus drôle c'est que ce n'est pas la première fois que l'INA a des dirigeants aux pratiques légèrement illégales et  visiblement c'est même une tradition. Quoi de plus démonstratif de l'effondrement des élites que ce genre d'affaires, surtout lorsqu'elles se multiplient.

Changer complètement notre système

De fait, nos élites sont le problème de la France en réalité et Marcel Gauchet l'a très bien expliqué. La construction européenne et le néolibéralisme ne sont que quelques-unes de leurs très nombreuses forfaitures. La question est de savoir comment résoudre le problème. Je n'ai pas la prétention d'avoir une réponse toute faite à la question. Car à la question de la formation des élites s'ajoute la particularité de notre époque et qui est au centre des évolutions récentes de nos sociétés, celle d'une éducation supérieure généralisée qui a fabriqué en gros 30% de la population en diplômé. Une population qui peut désormais vivre en vase clos, ce qui n'était pas du tout le cas autrefois. Comme l'a bien montré Emmanuel Todd, c'est cette évaluation qui a fabriqué en quelque sorte la tour d'ivoire des élites. Si l'on y rajoute la panne de l'ascenseur social depuis 50 ans, on peut comprendre comment une élite autiste a pu se fabriquer.

Ces populations qui vivent essentiellement entre elles ont fini par produire une culture et une vision du monde qui est complètement détachée de celle du reste de la population. Une partie de la situation de nos élites s'explique par ce phénomène. À cela il faut ajouter un paramètre dont on parle rarement. Si en France l'endogamie sociale régresse chez les couches populaires. Ce qui veut dire qu'entre les couches sociales moyennes et populaires il y a des mélanges plus courants qu'avant entre ces milieux sociaux. Et globalement la société française est beaucoup plus égalitaire et ouverte qu'avant dans ce domaine. Mais ce n'est pas le cas de la fine couche qui dirige le pays. Les plus riches, eux, se séparent de plus en plus du reste de la population et se mélangent de moins en moins. C'est un autre paradoxe de l'époque. Alors que la France n'a jamais été aussi égalitaire et ouverte entre les couches sociales,  les 5% d'en haut se séparent et se renferment de plus en plus dans leur milieu. C'est ce que l'on peut constater sur le  graphique de l'INSEE concernant l'homogamie sociale.

S'il va être difficile de lutter contre cette dérive l'on pourrait déjà commencer par introduire quelques mécanismes pour éviter cette endogamie au sein de l'État. J'en avais déjà parlé dans un autre texte, mais je suis un fervent partisan du tirage au sort. Car le hasard vaut mieux qu'un biais de relation personnelle. Le hasard est à la fois égalitaire et neutre sur les relations personnelles. L'on peut donc imaginer ne plus recruter nos hauts fonctionnaires à la tête du client ou par des concours pipés comme c'est souvent le cas aujourd'hui, mais par le tirage au sort parmi des listes potentielles de gens capables. Ce genre de méthode nous protégerait contre les pratiques récentes consistant à mettre des copains à certains postes comme à la Cour des comptes ou au Conseil constitutionnel. Le tirage au sort permettrait ainsi de garantir la véritable indépendance des institutions entre elles au passage. Il va falloir également rompre avec le culte du diplôme en France. Un diplôme n'est qu'un bout de papier qui dit qu'à un moment donné de votre vie vous avez eu des connaissances d'un certain niveau sur un domaine particulier. Cela ne fait pas de vous un surhomme omnipotent. Cette tendance française à l'adulation des diplômés est probablement liée à notre passé féodal, les diplômés ayant remplacé quelque part les titres de noblesse. Mais rien ne vaut l'expérience en réalité. Surtout lorsque vous dirigez un pays ou une entreprise. Quoiqu'il en soit, il va nous falloir réellement réfléchir à une nouvelle manière de nous organiser, car l'échec répété de nos élites n'est plus un accident, c'est structurel.

source :  Le Bondosage

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