11/04/2019 mondialisation.ca  15 min #154582

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika démissionne

Révolution du 22 février en Algérie: Les défis de la Iie République

«En politique, quand un évènement vous paraît advenir par hasard, vous pourrez être sûr qu'il a été minutieusement préparé.»

Franklin Delanoë Roosevelt, ancien président des Etats-Unis (1932-1945)

Nous vivons depuis le 22 février 2019 une époque exceptionnelle en se sens que la parole est libérée, le mur de la peur s'est fissuré. Cela rappelle les quelques mois qui ont suivi octobre 1988, où l'exubérance, des idées et l'atmosphère soixante-huitarde donnait l'illusion à l'Algérienne et à l'Algérien frondeurs de naissance, que nous étions définitivement libres. Cruelle erreur s'il en est! Nous avons alors, mis le cap inexorablement sur l'irrationnel et nous en avons pris pour 10 ans. Nous en avons pris ensuite pour 20 ans avec le système précédent. Même peuple plus nombreux de 13 millions avec une composante plus jeune, même système, mêmes méthodes, sauf que cette fois-ci l'Internet et les réseaux sociaux sont d'un apport indéniable pour le meilleur et pour le pire...

Une Révolution spontanée?

Cependant, on peut s'interroger sur cette spontanéité soudaine et l'apparition de hauts-parleurs idéologiques jaillis de nulle part que Facebook plébiscite, il n'en demeure pas moins qu'il y a une attente Elle est inquiète pour son avenir. Elle attend et donne rendez-vous au pouvoir tous les vendredi en donnant chaque fois des preuves de son génie «constructeur» parce qu'il carbure à l'espoir. Le peuple surtout des jeunes semble sensible à des «bergers» qui le poussent aux dernières extrêmités. Cela nous rappelle les révolutions colorées et les révolutions arabes où on s'aperçoit que les meneurs, les porte-voix appelés aussi les influenceurs qui captent les imaginaires des jeunes ont à des degrés divers des relations avec l'extérieur qui les finance.

Le professeur Ahmed Bensaada bien connu pour avoir écrit un ouvrage percutant sur les non dits des révolutions arabes et autres fomentées dans les officines occidentales a dans une nouvelles contribution exhaustive, déconstruit encore une fois la mécanique des printemps arabes en expliquant que rien n'arrive par hasard et que tous les printemps qu'ils soient en Europe centrale (Maïdan et autres ou les nombreux printemps arabes ont tous une adresse: les Thinks Thanks de l'Empire américain et à un degré moindre celles de ses vassaux européens. Aucune des révoltes ou Révolution, celle de la place Tahrir comme celle du Jasmin -et peut être celle du 22 février 2019- n'a pas d'une façon ou d'une autre subi une influence externe.

Le professeur Benssada écrit: justement à propos de la spontanéité des manifestations du 22 février

«(...) Dès le début des manifestations, les noms de personnes susceptibles de 'guider le destin du pays » ont inondé le cyberespace. Les uns avançaient un pion, les autres un autre, comme s'il s'agissait de voter pour un candidat de téléréalité. Aucun programme présenté, aucune vision expliquée, ni aucun embryon d'agenda politique. Les messages, les photos et les vidéos partagés à satiété (probablement par des trolls cyberactivistes), propulsent certaines personnes au statut suprême de sauveur de la nation. Et pourquoi ne pas proposer un gouvernement clés en main pendant qu'on y est? (...)» (1) Le professeur Bensaâda cite le nom de trois personnes que le cyberespace porte aux nues et met en garde. Il ajoute que: «D'anciens membres du Cncd ainsi que de notoires islamistes sont sortis de leur hibernation politique, surfant sur la vague de la contestation et se trémoussant sur les flonflons des 'Irhal » et 'Dégage ». Les médias sociaux nous ont aussi inondés de «candidatures» étonnantes comme celles d'animateurs de talk-shows ou des commentateurs sportifs comme si la capacité à gérer un pays se mesurait avec la vigueur des onomatopées émises lorsqu'un but est marqué. Alors que l'Algérie vit des moments critiques, cette course aux fauteuils et ce retournement de veste conjoncturel est bassement indécent. On ne peut pas critiquer un système électoral basé sur la «chkara» et le remplacer par un autre basé sur le «like». (1)

«Les manifestations pacifiques qui ont secoué notre pays et qui ont ébranlé le 'système' délétère qui le gouvernait ont montré un visage très positif de notre jeunesse. Réussir à 'dégager » un pouvoir politique moribond dans la joie et la bonne humeur, sans aucun incident notable, est non seulement exemplaire, mais aussi salutaire pour l'avenir de l'Algérie.

Cependant, le modus operandi de ces manifestations conforme aux principes fondamentaux de la lutte non-violente de Canvas montre que 19 ans après la Serbie et 8 ans après le début du «printemps» arabe, l'Algérie connaît à son tour une révolution colorée. Ce mode opératoire témoigne ainsi de l'existence d'un groupe de cyberactivistes formé par des officines d'«exportation de la démocratie» et actif aussi bien dans l'espace que dans le cyberespace.» (1)

Cependant, un fait : le fond rocheux de ces manifestations nous montre une Algérie ouverte, tolérante, apte à la modernité et il serait injuste de dire que tout est faux. De bons cœurs les Algériennes et Algériens ont manifesté leur refus de l'ordre établi et je ne pense pas que si les Algériennes et Algériens étaient retors à tout dialogue à toute civilité, ces belles expressions du meilleur de nous même aient réussi. Disons seulement que les éventuels manipulateurs ont surfé sur un corps social mûr pour le changement. Faisons le changement dans le sens de l'histoire

Cependant si nous tardons trop longtemps à résoudre nos problèmes, dans cet entre deux comme l'écrit si bien Antonio Gramsci, apparaissent les monstres car nous ne sommes pas une exception qu'il faut ménager et on ne peut exclure une manipulation de grande ampleur pour créer le chaos. Toute l'intelligence à faire comme au Judo, utiliser cette formidable force dans le sens que nous, nous voulons et non celle peut être programmée poirr nous. Nous devons rester en éveil et déjouer les complots faire de cette Révolution un réel nouveau départ d'une République démocrate où les libertés sont gravées dans le marbre et où compte la seule valeur ajoutée de chacun à l'édification de l'Etat, en dehors de tout népotisme, régionalisme.

L'Algérie à la croisée des chemins

Maintenant que le président a été contraint de démissionner, maintenant que la voie est libre vers la mise en place de structures nouvelles, voilà que l'on n'invoque plus l'application de l'article 102 Le peuple a encore une fois ce 5 avril donné son avis: Non à l'application d'une Constitution qui n'a pas été votée, qui a été triturée plusieurs fois par le système. Non au tryptique reliquat du système; Les 3 B : Bensalah, Bedoui, Belaïz Les jeunes sont en attente, mais malheureusement ils peuvent être sensibles au discours démagogique qui consiste à prôner un discours extrême - casser les structures de l'Etat - avec une formule qui me paraît dangereuse «ga'3 irouhou!», (Tous doivent dégager!) sans penser à une alternative est dangereux.

C'est un fait, le peuple a encore une fois de plus tranché. Il ne veut pas des 3 B. D'un autre côté, la lecture littérale de la Constitution nous conduit vers une impasse, même si certains prévoient des possibilités de tordre le cou en douceur à la Constitution qui en a tellement vu tout en rappelant que cette Constitution a été malmenée plusieurs fois. La situation actuelle me paraît dangereuse si elle venait à perdurer! Mon sentiment est qu'il faille sortir de ce dilemme qui nous mène de Charybde en Scylla: ou on respecte la Constitution et le peuple se voit imposer des personnalités du premier cercle avec tout ce que cela comporte comme perpétuation de l'ordre ancien qui a tant fait mal au pays et dénaturé le fond rocheux de ce pays, ou par contre on sort du carcan constitutionnel et on respecte le peuple et son choix de tourner le dos au passé.

Il reste un troisième scénario entre les deux, qui pourrait se faire si le « nouveau président » élu démissionne ce qui ouvre la voie constitutionnelle à la recherche de personnalités pour mener à bien la transition. Nous devons alors trouver rapidement les voies et moyens de pallier l'apesanteur des institutions en plébiscitant des personnalités car il ne suffit pas de dire non au système, il faut, et c'est le moment, faire en sorte qu'on ne perde plus de temps, tout mettre en oeuvre pour aller vers une solution quand bien même elle ne serait pas optimale, mais elle permettrait de sauver cette belle révolution. Le futur président aura la charge d'ouvrir la chantier de l'élaboration d'une Constitution et on prévoira un dernier article stipulant que la Constitution est inviolable!!

Le bras de fer qui se profile par l'imposition de monsieur Bensalah comme président intérimaire, risque de précipiter le pays dans une situation inextricable. C'est une boite de pandore qui s'ouvre Je crois qu'il nous faut sortir du logiciel de la constitution et inventer une forme de gouvernance transitoire de quelques mois avec un Conseil de sages qui aura toutes latitudes pour mener à bien la préparation des élections.

De quoi sera fait demain?

Nous n'avons pas encore évalué à sa juste dimension l'immensité de la tâche qui nous attend. Nous sommes une économie de rente. Nos finances sont dans le rouge. Le gouvernement tétanisé continue sur sa lancée et, à ce rythme sans cap, sans gouvernail et ce qui nous reste des 1000 milliards sera dépensé au plus tard à ce rythme de gaspillage. Nous serions inexorablement amenés à passer sous les fourches caudines du FMI et on connaît le remède: suppression brutale des subventions, moins de politique sociale. Bref, nous accepterons la tutelle avec tout ce que cela comporte de renoncement à l'indépendance... Nous allons zoomer rapidement sur deux problèmes qui paraissent importants.

La tragédie du gaspillage de la rente pétrolière

A bien des égards sans remonter aux années de la présidence Chadli et à la decennie noire, je veut simplement zoomer sur cette dernière période caractérisée par un gaspillage sans nom. Dans cet ordre, dire que dans 20 ans, qu'il n'y aura pas de pétrole pour assurer le vivre est-ce être un prophète de malheur? Nous n'avons pas de temps à perdre concernant la mise en place d'une stratégie énergétique qui nous permette d'éviter de brûler ce qui reste de gaz et de pétrole. Il faut savoir qu'un rapide calcul nous a fait perdre depuis 20 ans au moins 100 milliards de m3 de gaz si on avait mis en place, à marche forcée, le plan énergie renouvelable. Ces réserves qu'on aurait pu laisser aux générations futures ou encore auraient permis de financer une partie du plan solaire avec le gaz naturel non consommé soit environ 30 milliards de dollars. Nous nous retrouvons en 2019 avec une capacité solaire de 2%.

Modestement, je veux porter témoignage en tant que professeur de thermodynamique et d'économie pétrolière, de mes incessants rappels à ceux qui nous gouvernent de la nécessité d'avoir une vision du futur une stratégie à 2030 par la mise en place d'un modèle énergétique flexible prônant une transition énergétique et écologique vers le Développement Humain Durable qui permette de sortir « par le haut de la malédiction de la rente » Sachant que le plus grand gisement énergétique du pays est celui des économies d'énergie. Ceci n'a pas vu le plus petit début de concrétisation même le Plan de 22.000 MW à 2030 s'avère être un gigantesque canular. La capacité installée en solaire étant, malgré les efforts, de SKTM de 400 MW soit 2 %. Des modèles énergétiques réalisées par mes élèves ingénieurs avec intégration graduelle des énergies renouvelables (30 % et 50%) ont été présentés aux décideurs lors de 23 Journées (depuis 1996) à la date symbolique du 16 avril de chaque années en vain !

Par contre soucieux de pomper au maximum dans l'amont, nous donnons des gages à nos partenaires sans contre partie dans l'aval Ainsi dans cette période délicate que nous vivons les milieux internationaux s'inquiètent du cap et des réformes retardées dans le secteur des hydrocarbures. Pour eux le président de Sonatrach qui devait présider une session au Congrès LNG du 1er au 5 avril n'est pas parti (empêché?). S&P Global Platt résume cette inquiétude: «Algerian President's resignation brings energy sector into focus» «La démission du président algérien met l'énergie au premier plan!» (2)

Il nous faut rapidement reprendre contact avec nos partenaires traditionnels et les rassurer que l'Algérie remplira ses obligations Dans le même temps il nous faut revoir fondamentalement la stratégie énergétique en mettant en œuvre la transition énergétique et chaque m3 de gaz épargné est un viatique pour les générations futures.

La descente aux enfers du système éducatif

L'école a été un échec car les ministres qui se sont succédé ont procédé à des réformettes sans s'attaquer au problème de fond qui est celui de la modernité, de la rationalité. Le combat c'est celui de mettre du rationnel dans les enseignements en développant à marche forcée les mathématiques, les sciences, l'ouverture sur l'universel. Le bac math et la technologie c'est 2% des effectifs en Algérie, en Iran 25% en Allemagne 35%! Résultat des courses: bac lettres et bac sciences avec des coefficients égaux pour toutes les disciplines M.P.C, Sciences, Lettres. Voilà le constat. Il faut bien l'avouer, le système éducatif a été pour ces jeunes un échec. L'Education nationale est une machine à fabriquer des perdants de la vie, elle n'a pas été un ascenseur social. L'enseignement supérieur souffre des mêmes travers, là aussi il est important de réhabiliter.

Quand la jeunesse verra que l'on récompense les enseignants qui sont la colonne vertébrale de la société, que ces derniers sont traités dignement, quand ils verront qu'on peut réussir dans la vie autrement que par la voie parallèle, elle prendra goût à l'effort, aux études, elle ne le fera pas avec le pouvoir actuel qui flatte les classes dangereuses, celles de la facilité la triche, la corruption, bref, toutes les voies immorales qui font tant de mal à l'image du pays.? Le vrai combat c'est celui qui consiste à aller vers le savoir rationnel. Le premier verset du Coran est «Iqra», il appelle en de nombreux sourates à la connaissance rationnelle.

Comment en définitive, inscrire l'Algérie dans la modernité sans paternalisme en mettant en oeuvre les vraies valeurs? Une Algérie qui ne fait pas de la religion ou de la révolution des fonds de commerce ? Nous avons besoin d'une utopie où les jeunes et plus généralement les Algériennes et Algériens se reconnaissent, se sentent concernés, revendiquent et portent réellement leur pierre à l'édifice de l'Etat-Nation, un Etat de tous ses enfants. Une algérianité assumée est le premier ressort de la dynamique chez la jeunesse. Comment être fidèles à la Révolution de Novembre et enclencher une deuxième Révolution basée sur le savoir en appelant aux légitimités du neurone Cette économie de la connaissance qui double tous les deux ans. C'est le seul combat qui vaut la peine d'être mené. Il faut choisir entre inculquer l'esprit critique d'ouverture à l'universel ou faire de la scolastique. Voulons-nous former des «moutons» qui ne pensent pas ou des «aigles» qui inventent l'avenir? C'est cela le combat de l'Ecole du futur.

Conclusion

Le monde nous regarde, il ne nous attendra pas. Il faut faire vite et bien. il faut aller vers le XXIe siècle dans le calme, la sérénité et la non-violence pour donner une utopie à cette jeunesse. Cette « belle révolution » doit montrer à la face du monde que les Algériennes et Algériens ont décidé d'être acteurs de leur destin. Veillons à éviter les provocations et les récupérations malsaines. Les Algériennes et les Algériens seraient reconnaissants à tous ceux qui leur indiquent le chemin de l'effort en les appelant à patienter en donnant du temps au temps. Une Algérie de nos rêves, fière de ses identités multiples, ancrée dans son islam maghrébin fait de tolérance, mais résolument tournée vers le progrès est à notre portée. Il faut avant tout redonner de la fierté à la jeunesse en lui traçant un chemin, un cap, une espérance, un destin et un cordon ombilical avec sa mère patrie.

Il est temps de se mettre au travail, en réhabilitant l'effort On ne peut pas rentrer dans la modernité par effraction ou par une quelconque baraka qui n'est pas le fruit de la sueur de l'effort, de l'application sur l'ouvrage pour aboutir au bout d'un long parcours du combattant à la satisfaction d'un travail bien fait. Plus que jamais, nous avons besoin de réhabiliter le patriotisme qui n'est pas passé de mode, la fierté d'être algérien autrement que par des chi'arate. (slogans manipulateurs) mais par des actes au quotidien. Sauver l'Algérie devrait être pour chacun de nous un plébiscite de tous les jours. Ceci se fera avec l'affection de toutes et tous unis dans une vision généreuse de l'avenir à ces jeunes en panne d'espérance.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

Notes

1.Ahmed Bensaada,  Huit ans après : la « printanisation » de l'Algérie

2. spglobal.com

Article de référence :  lexpressiondz.com

La source originale de cet article est Mondialisation.ca
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