13/08/2025 mondialisation.ca  11min #287116

 Naïm Kassem : le désarmement du Hezbollah accusé de servir Israël

Se pliant à un diktat des États-Unis, le gouvernement du Liban accepte de désarmer le Hezbollah

Par  Jean Shaoul

Le cabinet du premier ministre Nawaf Salam s'est publiquement engagé à désarmer le Hezbollah, une décision qui risque d'avoir des conséquences explosives pour le Liban. Ce petit pays est pris dans les filets des efforts de l'impérialisme américain visant à éliminer l'influence restante de l'Iran au Moyen-Orient.

Le Hezbollah est un groupe islamiste allié à Téhéran qui bénéficie du soutien du parti chiite libanais Amal et des masses chiites appauvries.

Le Hezbollah (Parti de Dieu) a été créé dans les années 1980, avec pour objectif la « lutte armée » contre Israël, alors que ce dernier occupait le Liban pendant la guerre civile de 1975-1990 – une guerre par procuration entre les puissances régionales et impérialistes rivales – et réprimait brutalement les Palestiniens. Soutenu par la Syrie et l'Iran, ce mouvement bourgeois religio-nationaliste a trouvé son soutien au Liban auprès des masses chiites appauvries auxquelles il fournit des services sociaux essentiels. Le parti prône le corporatisme, le paternalisme et l'obscurantisme religieux comme contrepoids à la lutte des classes. Avec ses alliés chiites et palestiniens, le Hezbollah constitue le plus grand bloc dans le système politique libanais fragmenté et sectaire.

La décision de désarmer le Hezbollah marque le rejet d'une politique menée depuis des décennies, dans le cadre de laquelle le Liban le reconnaissait comme la « résistance » semi-officielle à l'occupation israélienne du Liban et à la répression des Palestiniens, symbolisée par son slogan « le peuple, l'armée et la résistance ». Elle fait suite à la guerre punitive menée par Israël contre le Hezbollah, visant à mettre fin à son contrôle militaire et politique sur le pays et à établir le contrôle de facto d'Israël sur des pans entiers du territoire frontalier, avec le soutien de l'impérialisme américain, de ses alliés du Golfe et de la France.

Jeudi, le cabinet a exigé que l'armée prépare d'ici la fin du mois un plan de désarmement du Hezbollah qui devra être mis en œuvre d'ici la fin de l'année. Les cinq ministres du cabinet appartenant à Amal et au Hezbollah ont boycotté la réunion.

Le Hezbollah a dénoncé ces plans, déclarant que le désarmement ne pouvait être discuté que dans le cadre d'une « stratégie de défense nationale » plus large. Son chef, Naim Qassem, a déclaré : « Où est l'État qui protégera le Liban du désastre et où est l'armée qui protégera ses frontières ? »

Selon le Hezbollah, cela reviendrait à se soumettre aux diktats d'Israël et des États-Unis, alors même que les Forces de défense israéliennes (FDI) continuent de violer l'accord de cessez-le-feu de novembre dernier, avec des frappes aériennes quasi quotidiennes et l'occupation de cinq sites dans le sud du Liban.

La décision du cabinet fait suite aux visites à Beyrouth de l'ambassadeur américain en Turquie et envoyé spécial en Syrie et au Liban, Tom Barrack, du président français Emmanuel Macron et du chef du Commandement central américain, le général Michael Kurilla, qui ont clairement indiqué que sans l'engagement du gouvernement et du Hezbollah à désarmer, aucune aide ni aucun prêt ne seraient accordés à ce pays en faillite. Cela dément toute idée selon laquelle cet État de six millions d'habitants jouirait d'une quelconque indépendance politique ou souveraineté.

Le président Joseph Aoun a été propulsé à la présidence par Washington et ses alliés chrétiens et musulmans sunnites (l'ancienne Alliance du 14 mars) en janvier dernier, après plus de deux ans de vacance due à la crise politique et économique que traverse le pays.

Le cessez-le-feu imposé par Washington après la guerre américano-israélienne contre le Liban

Le cessez-le-feu imposé par Washington en novembre dernier visait à tirer parti de la défaite écrasante du Hezbollah par Israël. Après avoir lancé sa guerre génocidaire contre Gaza en octobre 2023, Israël a utilisé le soutien du Hezbollah aux Palestiniens pour attaquer ses forces, ses bases et ses armes au Liban et en Syrie, où il avait joué un rôle clé, avec l'Iran et la Russie, dans le soutien au régime Assad, aujourd'hui effondré.

En tant que sous-traitant de l'impérialisme américain dans cette région riche en ressources, Israël a cherché à éliminer le Hezbollah en tant que force militaire et politique dans le cadre des préparatifs plus larges de Washington en vue d'une guerre contre l'Iran, élément essentiel de sa lutte contre la Russie et la Chine. Dans le même temps, les États-Unis et le Royaume-Uni ont pris pour cible le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien, la Force Qods et les milices soutenues par l'Iran en Irak, en Syrie et au Yémen afin d'encercler l'Iran en vue d'une guerre totale contre Téhéran.

Israël a détruit les systèmes de communication du Hezbollah, faisant exploser des centaines de bipeurs et de talkies-walkies utilisés par ses agents et blessant des milliers de personnes avant de lancer une invasion terrestre dévastatrice de deux mois au Liban. L'armée israélienne a assassiné les hauts dirigeants du Hezbollah, dont Hassan Nasrallah et son successeur Hashem Safieddine, a frappé les installations financières, administratives et médiatiques du groupe et a bombardé une grande partie de ses stocks d'armes et de missiles au Liban et en Syrie.

L'invasion terrestre du sud du Liban par l'armée israélienne en octobre a détruit ou endommagé près de 250 000 maisons et 20 000 bâtiments publics, dont 13 hôpitaux, et contraint plus de 1,2 million de personnes, dont 400 000 enfants, à fuir leurs foyers. Elle a fait environ 4000 morts, principalement des civils, et plus de 16 000 blessés. Israël a poursuivi ses frappes aériennes sur le Liban au mépris du cessez-le-feu. Le coût de la reconstruction est estimé à 13 milliards de dollars, dont environ la moitié en dommages directs et le reste en répercussions économiques plus larges.

Cette dévastation survient dans un contexte d'effondrement économique et financier du Liban, marqué par le défaut de paiement de ses emprunts internationaux en mars 2020, causé par le pillage des richesses du pays par la poignée de milliardaires qui le dirigent depuis la fin de la guerre civile en 1990. La chute de la monnaie, la flambée de l'inflation, la pandémie de COVID-19 et le taux de chômage élevé qui a suivi ont plongé 80 % de la population dans la pauvreté. En août 2020, l'horrible explosion du port de Beyrouth, causée par le stockage de produits chimiques dangereux pendant six ans sans mesures de sécurité appropriées, a tué plus de 200 personnes, détruit les quartiers est de la ville et déclenché une immense colère.

L'accord de cessez-le-feu exigeait que le Hezbollah démantèle ses positions fortifiées dans le sud du Liban et retire ses forces au nord du fleuve Litani, à 20 kilomètres au nord de la frontière avec Israël. Cet accord reprenait en grande partie la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui avait mis fin à la guerre largement infructueuse menée par Israël contre le Hezbollah en 2006. Il chargeait l'armée libanaise de commencer à désarmer les « acteurs non étatiques » – le Hezbollah et les factions palestiniennes présentes dans les 12 camps de réfugiés du Liban – avant la fin du mois d'août, et d'achever l'opération dans un délai de 90 jours, avec le soutien des États-Unis, de la France et de plusieurs États arabes.

Les États-Unis ont accepté de mettre des fonds supplémentaires à la disposition des Forces armées libanaises. Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les dépenses totales des FAL se sont élevées à 241 millions de dollars l'année dernière, dont environ la moitié a été fournie par les États-Unis, qui ont donné plus de 2,5 milliards de dollars au cours des 20 dernières années, ce qui en fait le plus grand donateur. Selon Reuters, l'administration Trump a informé le Congrès qu'elle détournait 95 millions de dollars de l'armée égyptienne vers les FAL.

L'accord comprenait également une lettre des États-Unis accordant à Israël le droit de « prendre des mesures militaires » si « le Hezbollah semblait préparer une attaque ». Tel-Aviv pouvait reprendre les hostilités dès qu'Israël et les États-Unis le jugeaient opportun.

Le cessez-le-feu a libéré Israël des attaques à sa frontière nord, lui permettant de poursuivre sa guerre d'extermination contre les Palestiniens à Gaza et dans les territoires syriens occupés, tandis que les États-Unis et le Royaume-Uni continuaient leurs attaques contre des cibles soutenues par l'Iran au Yémen, en Irak et en Syrie. Le Hezbollah étant désormais neutralisé, l'allié islamiste de Washington, Hayat Tahrir al-Cham (HTC), a pu prendre Damas et son chef Ahmed al-Charaa a été déclaré président par intérim.

Au Liban, la défaite du Hezbollah a permis à Washington de faire pression sur ses alliés sunnites et chrétiens pour assurer l'élection d'un président, le général Joseph Aoun, en violation de la loi libanaise interdisant à un militaire en service d'exercer cette fonction, après plus de deux ans sans chef d'État. Cela a permis la nomination d'un premier ministre, Nawaf Salam, à qui l'on pouvait confier la préservation des intérêts géostratégiques de Washington et de ses alliés régionaux et la fin de l'influence de longue date de l'Iran dans le pays via le Hezbollah et ses alliés.

Le gouvernement Salam suit la ligne dictée par Washington

Salam est le descendant d'une famille influente de Beyrouth, dont deux membres ont occupé le poste de premier ministre après la guerre. Avocat, diplomate et juge à la Cour internationale de justice des Nations unies, sa seule expérience politique consiste à avoir présidé la décision provisoire, tout aussi inefficace, de cette cour inefficace, selon laquelle Israël commettait vraisemblablement un génocide à Gaza – l'audience complète n'est pas prévue avant début 2028.

Depuis son arrivée au pouvoir, il a promu la ligne américaine, rejetant la résistance armée – libanaise et palestinienne – et plaidant pour la paix suivie d'une normalisation avec Israël. Il a cherché à renforcer le contrôle le long des frontières avec la Syrie, sans rien faire pour empêcher Israël de violer le cessez-le-feu de novembre.

À la suite de la visite du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas en mai, qui a appelé Beyrouth à désarmer les Palestiniens vivant dans les camps de réfugiés au Liban et a convenu que les factions palestiniennes n'utiliseraient pas le territoire libanais comme base pour lancer des attaques contre Israël, Salam a créé un groupe chargé d'élaborer un plan pour leur désarmement. Cette initiative fait suite à la prise de contrôle par l'armée de six bases armées palestiniennes à la fin de l'année dernière.

Washington impose sa loi

Mais les efforts de Salam pour contenir le Hezbollah, réduire son emprise sur le sud du Liban et le port et l'aéroport de Beyrouth, n'ont pas été assez rapides ni suffisants pour garantir l'aide financière promise, les États-Unis insistant sur le démantèlement complet de l'arsenal d'armes lourdes du Hezbollah.

En juillet, Barrack, envoyé spécial des États-Unis en Syrie et au Liban et magnat de l'immobilier multimilliardaire d'origine libanaise, a tweeté : «Tant que le Hezbollah conservera ses armes, les mots ne suffiront pas. »

Barrack a averti qu'avec le départ de l'Iran, Israël à l'offensive et la Syrie s'affirmant désormais « si rapidement que si le Liban n'agit pas, ce sera à nouveau Bilad al-Sham ». Sa référence à la région historique de Syrie qui comprenait autrefois le Liban et une grande partie de la Palestine était une menace implicite pour l'existence même du Liban.

L'administration Trump exige que l'armée libanaise commence à désarmer les « acteurs non étatiques » d'ici la fin du mois d'août et achève l'opération dans un délai de 90 jours. Washington sait que cela pourrait précipiter une guerre civile, dans un contexte où l'armée libanaise manque à la fois de personnel et d'armement pour réprimer le Hezbollah. Elle refuse de forcer Israël à se retirer du territoire libanais ou à mettre fin à ses attaques aériennes. Barrack a affirmé que la Maison-Blanche « ne peut pas contraindre Israël à faire quoi que ce soit », ajoutant que « l'Amérique n'est pas là pour contraindre Israël à faire quoi que ce soit ».

Le chef du Hezbollah, Naim Qassem, a rejeté le délai fixé pour le désarmement du groupe et a rejeté les exigences de Washington. Il a menacé que si Israël lançait une nouvelle guerre totale contre le Liban, « des missiles tomberaient » sur Israël. Même si le gouvernement a accepté la proposition de Barrack, les forces armées libanaises ont été déployées dans les zones clés pour réprimer toute opposition populaire, tandis que l'armée israélienne frappait les sites du Hezbollah dans le sud du Liban.

L'acceptation du plan américain par le gouvernement n'a pas satisfait Barrack, car elle n'avait pas été approuvée par l'ensemble du cabinet, cinq ministres ayant quitté la salle avant le vote. Il a menacé que sans un vote complet, il n'y aurait pas d'aide financière et Israël aurait les mains libres pour faire ce qu'il veut au Liban.

Jean Shaoul

Article paru initialement en anglais, WSWS, le 10 août 2025

Image en vedette : Combattants du Hezbollah dans le sud du Liban, mai 2023 [Photo by Tasnim News Agency /  CC BY 4.0]

La source originale de cet article est  wsws.org

Copyright ©  Jean Shaoul,  wsws.org, 2025

Par  Jean Shaoul

 mondialisation.ca