09/08/2023 dedefensa.org  10min #232341

 Le patron de Wagner exprime sa «joie» à propos de Victoria Nuland

Tintin au Niger

 Bloc-Notes  

• Délaissant ses centres de villégiature habituels, plutôt dans le centre de l'Europe et autour de le monstrueuse Russie, Nuland, fraîchement nommée n°2 du Département d'État, a effectué un petit séjour au Niger. • Elle venait y apporter l'offre d'un apport US au rétablissement de la stabilité et de la paix civile, comme d'habitude. • Sur son sourire engageant, on lisait : "regime change". • Il semble que les putschistes n'aient pas reculé. • Cet intérêt soudain pour l'Afrique laissée d'habitude aux sous-fifres montre que la progression russe les inquiète horriblement.

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L'Afrique n'est pas une terre de prédilection pour Victoria Nuland, qui porte bien le titre de ‘The Queen of Neocon', en concurrence avec Hillary Clinton que  Diana Johnstone a baptisé (titre de son livre) ‘The Queen of Chaos'... L'on comprend que ces deux titres de gloire s'équivalent parfaitement, ‘Neocon' valant bien ‘Chaos' et vice-versa.

... Pourtant, Nuland, devenue entretemps adjointe directe d'un Secrétaire d'État qui lui laisse facilement la vedette, est bien allée au Niger. L'état d'esprit ? Une ‘Tintin au Congo' femme-scoute, postmoderne-déconstructionniste, et sans Hergé. Le style ? Gros sabots lourdement maniés et conversation de type ‘ carpet bombing', mais pas vraiment réussis tout cela...

« S'adressant aux journalistes lors d'un briefing spécial lundi, Mme Nuland a révélé qu'elle avait rencontré le chef de la défense du gouvernement militaire, Moussa Barmou, et trois autres commandants de haut rang. Elle a décrit les négociations comme étant "extrêmement franches et parfois très difficiles". »

On trouvera divers comptes-rendus et remarques des diverses sources que nous consultons habituellement (Korybko, Larry S. Johnson/‘SputnikNews', RT.com,). Dans une de ces consultations nous avons noté la remarque suivante, assez goûteuse et bonne mesure aussi bien de l'état des deux puissances impliquées, – alors que l'on sait bien la grande importance pour la catastrophique France macroniste des liens avec le Niger, – beaucoup plus grande que pour les USA :

« Dans cette affaire, alors que la France est extrêmement embarrassée, politiquement et militairement pour faire pression sur le Niger, on peut dire que les USA, via Nuland, agisse comme le ‘proxy' de la France... »

La remarque est plaisante comme une plaisanterie, mais au demeurant sans doute pas si fausse. Il nous semble tout à fait concevable que Macron, qui a beaucoup d'ennuis avec l'Afrique et parvient  à se faire non-inviter au sommet BRICS de Johannesbourg après avoir clamé qu'il voulait y être invité, est intervenu avec insistance, comme il sait le faire en comptant sur son adresse et son empressement, pour que les USA fassent pression sur les militaires au pouvoir au Niger (fournisseur vital d'uranium à la France) ; et surtout, surtout, que ce soit Nuland-la-Terrible qui s'en charge, les bras chargés de friandises-McDo et de menaces-Pentagone. Les USA, un ‘proxy' vous dit-on...

... D'où ce coup de fil de la presse et même la presseSystème  à Prigojine pour des commentaires, avec en réponse la satisfaction affichée et presque complètement-rigolarde du spécialiste du non-regime change via le PMC Wagner. Il y a pour expliquer sa jubilation, le fait de la terreur que son groupe semble inspirer chez les Occidentaux-tardifs, ce groupe musical dont l'un des généraux putschistes (le général Salifou Moody) aurait demandé l'aide. Prigojine en ricane de joie.

« Lors d'un entretien téléphonique avec des journalistes mardi, M. Prigozhin a été invité à commenter la visite personnelle de Mme Nuland au Niger et le conseil qu'elle a donné au nouveau gouvernement de ne pas conclure d'accords avec Wagner.

» "Je suis fier de mes garçons de Wagner", a répondu Prigozhin. "Rien que de penser à eux, ISIS et Al-Qaïda deviennent de petits garçons obéissants et très doux. Et les États-Unis ont reconnu un gouvernement qu'ils ne reconnaissaient pas hier, juste pour éviter de rencontrer le PMC Wagner dans le pays".

"Cela nous met en joie, Madame Nuland", a-t-il plaisanté. »

Voilà... Les évènements étant ce qu'ils sont, la situation au Niger n'a pas vraiment changé jusqu'ici après la visite de Nuland. On peut s'employer en attendant à en lire et écouter quelques commentaires.

Une escapade douteuse

Nous avons donc choisi de reprendre des extraits de commentateurs déjà citée, des personnes qui ont en général notre confiance et qui se placent résolument hors des sentiers de la presseSystème, battus par les consignes et la moraline.

• Répondant  à ‘SputnikNews', voici une anlyse générale de Larry S. Johnson concernant spécifiquement la visite de Nuland. Il y est question de rouler des mécaniques (celles de Nuland) sans obtenir l'effet escompté.

« "L'envoyer dans ce genre de visite a pour but d'envoyer un message selon lequel il s'agit d'une grande priorité pour les États-Unis. Je pense qu'elle espérait essentiellement intimider les dirigeants du coup d'État, les menacer et leur faire savoir que les États-Unis ne laisseraient pas passer cela et qu'ils brandiraient la menace d'une invasion ou d'une action militaire... Le fait qu'elle dise que la réunion a été difficile signifie, je pense, que les putschistes nigériens, le gouvernement actuel, ont refusé d'acquiescer à ses demandes". »

D'une façon plus générale dans le sens de la référence historique, Johnson remarque combien cette équipée de Nuland au Niger constitue un fait nouveau par rapport aux habitudes "africaines" assez rares des coups fourrés US. Cela vaut notamment concernant le Niger.

Ce pays, qui est surtout sous influence française, n'a plus guère intéressé les USA depuis l'ésuipée de l'ambassadeur Wilson en 2002 ; il s'agissait pour lui de trouver la preuve de la livraison d'uranium nigérien à Saddam, et il en rapporta la preuve de la non-livraison, comme il l'avait lui-même prédit. Cela mit sa femme, officier de la CIA, dans un grand embarras, et provoqua le scandale Plame-Wilson qui n'avait vraiment qu'un rapport occasonnel avec le Niger. Pour vous en expliquer, à propos de ce désintérêt US brusquement interrompu par le voyage de Nuland, on vous conseille de jeter un coup d'œil vers la Russie, via Wagner pour le coup.

« Si vous revenez sur l'histoire récente du Niger, au cours des 20 dernières années, le Niger est apparu en 2001 à cause de l'uranium sous forme de yellowcake qu'il aurait fait passer en contrebande à Saddam Hussein. Il s'est avéré que c'était un mensonge. Depuis lors, le Niger a connu de multiples coups d'État. A aucun moment les États-Unis ne se sont sentis obligés d'essayer d'intervenir ou de menacer les chefs des coups d'État précédents pour, vous savez, restaurer le gouvernement original qu'ils avaient renversé. Je pense que ce à quoi nous assistons est le résultat de l'influence croissante de la Russie dans la région. Les États-Unis et la France font tout ce qu'ils peuvent pour tenter de conserver le contrôle colonial en place depuis près de 100 ans. Les Nigériens et les populations du Mali et du Burkina Faso se lèvent et disent : "Ecoutez, nous en avons assez. Nous ne voulons plus être sous la coupe de l'Occident". Nuland tente d'empêcher cela. Mais je ne pense pas qu'elle y parvienne". »

 Andrew Korybko, autre commentateur sollicité, est également plutôt pas-trop pessimiste, estimant lui aussi que les putschistes ont repoussé les "avances" plus ou moins menaçantes de Nuland. Il dresse ainsi ce qu'il juge être un bilan de ce déplacement, y incluant d'autres aspects dont aucun n'est pourtant décisif :

« Les principales conclusions de la visite sont les suivantes :
• les États-Unis font un effort public d'une sincérité douteuse pour montrer au monde qu'ils ne veulent pas d'une guerre régionale ;
• sa rencontre
[de Nuland] avec la "société civile" nigérienne signifie qu'une révolution colorée ne peut être exclue ;
• le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas malgré le fait que son nouveau chef de la défense soit un partenaire étroit du Pentagone depuis des années ;
• les relations
envisagées [du gouvernement intérimaire] avec la Russie et Wagner après le coup d'État restent floues. »

Un aspect inédit de cette visite de Nuland est que ses discussions avec le ministre de la défense, – « extrêmement franches et parfois très difficiles »,– concernait, en la personne du général Barmou, un officier qui a été formé aux USA et a très longuement travaillé avec les forces spéciales US.

« Un autre détail intriguant a été révélé lors de son briefing [de Nuland] : "Le général Barmou, l'ancien colonel Barmou, est quelqu'un qui a travaillé en étroite collaboration avec les forces spéciales américaines pendant de très nombreuses années. Nous avons donc pu examiner en détail les risques liés à certains aspects de notre coopération qui lui tiennent particulièrement à cœur". Il est remarquable qu'un proche allié militaire des États-Unis ait fini par participer au renversement de son dirigeant soutenu par les États-Unis, qu'il soit devenu le nouveau chef de la défense et qu'il n'ait pas fait marche arrière.

» Cela montre que même les hauts responsables militaires étrangers qui coopèrent étroitement avec certaines des forces les mieux entraînées des États-Unis "pendant de très nombreuses années" ne deviennent pas toujours leurs marionnettes, ce qui laisse supposer que d'autres responsables occupant une position similaire ailleurs en Afrique pourraient suivre les traces du général Barmou. Il n'est donc plus possible de tenir pour acquis que les programmes militaires américains à l'étranger conduisent avec succès à la formation d'élites mandataires. Ils se retournent parfois contre eux, comme le prouve ce cas particulier. »

Notre obsession russe

Il est évident que nul ne peut, à ce point, apprécier exactement l'importance de la visite de Nuland, et encore moins ses effets pour lasituation du Niger. Mais ce n'est pas là le pricipal sujet puisqu'en parlant du Niger, on régionalis le débat, ce qu'il faut éviter nécessairement. L'important est plus simplement dans le fait de la visite, et qu'accessoirement, – si cela se confirme comme nous le croyons, – cette visite ait été faite en ‘proxy', pour venir en aide aux Français. Nous croyons qu'il s'agit d'un point très caractéristique de l'état d'esprit : les USA agissent non plus pour leurs seuls intérêts ou pour se saisir des intérêts des autres comme ils ont toujours fait, mais pour renforcer partout où cela se peut les positions de l'Occident-fictif dans son entièreté, – et Dieu sait si Macron en fait partie... Mais "renforcer" contre qui ?

S'il n'avait pas été question de Wagner et de la Russie, Nuland n'aurait pas fait ce déplacement. Elle ne s'intéresse pas à l'Afrique et l'Afrique ne l'intéresse désiormais que parce qu'il y est aujourd'hui question de la Russie (encore plus que de la Chine, car pour elle la Russie, c'est la force militaire en action, et c'est le danger principal). On ignore si ce voyage va permettre la liquidation de la junte ou, au contraire, par effet-contraire, s'il va reforcer sa position en s'appuyant sur l'anti-américanisme. Par contre, on comprend que la présence et l'influence russes en Afrique, même si elles sont déjà importantes, vont se trouver propulsées et renforcées par les craintes occidentalistes. Le voyage de Nuland au Niger est de cette sorte qui renforce la Russie, – merci Nuland ! Il confirme à tout le monde :

1) que l'Afrique est un continent désormais d'une pleine et complète importance stratégique, de son propre fait, c'est-à-dire du fait qu'il occupe une place de choix dans l'équation stratégique mondiale, avec des pays africains capables de tenir un rôle stratégique ;

2). que la Russie occupe désormais une place très importante dans la partie, une place qui ne cesse d'être renforcée par la crainte qu'en ont les pays américanistes-occidentalistes ( bloc-BAO), qui croient la voir et la "voient" réellement, Wagner dans la poche arrière, dans tous les azimuts de ces régions autrefois chasse gardée de la civilisation américaniste-occidentaliste ;

3). que la Russie n'est ni impérialiste, ni expansionniste, et qu'elle occupe une place stratégique hors de sa zone d'abord et essentiellement parce que ses adversaires croient la voir et la deviner partout, et partout lui concèdent par avance cet avantage. La Russie est pour eux, partout, comme une menace latente parce qu'il faut bien que la peur extaordinaire de se voir emportés par leur propre déclin soit justifiée par une cause extérieure à eux-mêmes.

Mis en ligne le 9 août 2023 à 15H20

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