par Djamel Labidi
En Ukraine l'escalade de l'horreur se poursuit, toujours plus haut, toujours plus loin, vers toujours plus de tueries, toujours plus de sang, toujours plus de haine déversée sans modérateurs sur les plateaux de la propagande.
Les États Unis viennent d'annoncer la livraison à l'armée ukrainienne de munitions à uranium appauvri. Il y a quelques temps, c'était la livraison de bombes à sous munitions, arme condamnée pourtant par 140 pays.
Dans les deux cas, les conséquences sont incalculables non seulement pour les soldats, mais aussi pour la population et l'environnement. Elles risquent de se manifester pendant des décennies. Sur un média français (LCI-2 septembre), on pouvait entendre un général français à la retraite dire qu'elles «présentaient plus d'avantages que d'inconvénients». Summum du cynisme. Mais il ne s'agit là bien sûr que de soldats ukrainiens et de soldats russes, comme il s'agissait hier d'Irakiens, donc pas de problème moral.
On est d'ailleurs, de façon générale, dans un discours, style «La fin justifie les moyens», où la victoire finale de l'Ukraine justifie tout, «quand la contre-offensive sera victorieuse, quand l'armée ukrainienne sera aux frontières de la Crimée, quand le régime de Poutine se sera alors écroulé» etc...où on suppose tous les problèmes à résoudre résolus, dans une autosuggestion permanente, et un remake continuel de la méthode Coué.
Mais le plus grave, c'est le point de vue des responsables ukrainiens. Misère de la logique, ils affirment que ces armes permettront de raccourcir la guerre et donc de limiter en fait la pollution causée par ces armes. Ils ne pensent pas une seconde que la paix pourrait mieux le faire. De telles idées aberrantes sont relayées complaisamment par l'information aux États Unis, et diffusées massivement dans les médias occidentaux. Que n'aurait-on pas dit en Occident si c'était la Russie qui avait utilisé ces armes. Qu'aurait-on dit du Vietnam s'il avait utilisé des défoliants ou l'agent chimique orange comme les Américains. Où a-t-on vu un pouvoir accepter délibérément de polluer ainsi son territoire pour des décennies, des siècles peut-être, d'hypothéquer ainsi l'avenir des générations futures, d'agir ainsi contre son propre peuple, son propre espace national. Les Américains, les Français, les Allemands le feraient-ils ? Le gouvernement ukrainien n'a-t-il pas conscience que ce faisant il perd du même coup toute légitimité patriotique.
Il y a tout un jeu autour de chaque nouvelle escalade, c'est chaque fois le même scénario : d'abord une nouvelle demande d'armement de Zelensky à qui on a suggéré d'évidence la liste, puis pressions voir colère de Zelensky devant les atermoiements ou les retards de livraison, puis pressions médiatiques occidentales pleines de sympathie pour la cause ukrainienne, hésitations réelles ou apparentes de Joe Biden, qui a l'air de répugner à une nouvelle escalade, et puis toujours le même résultat : le pas est franchi.
Une incroyable plaisanterie
La propagande occidentale dit que le président Zelensky lutte contre la corruption. On peut observer qu'il a mis du temps à le faire depuis son élection, il y a trois ans, et depuis presque deux années de guerre. On peut observer aussi que ce sont ses principaux amis qui sont accusés de corruption : son ami d'enfance, Ivan Bakanov, qui était à la tête des services de sécurité (SBU) avant son limogeage, le ministre de la Défense, Oleskii Resnikov, proche parmi les proches, dont même les bureaux de recrutement étaient corrompus et donnaient des billets soit vers la mort probable, soit vers la vie, par exemption du service militaire, contre dollars sonnants et trébuchants, son ami aussi, le principal oligarque ukrainien, Igor Kolomoisky, qui a construit la notoriété de l'acteur Zelensky d'abord au cinéma,, précisément en produisant une série télévisée puis un film («Serviteur du peuple») sur le thème de la lutte contre la corruption. Cet oligarque a financé ensuite la campagne électorale du parti de Zelensky, qui a le même nom, «Serviteur du peuple», que le film, et l'a soutenu grâce à son puissant réseau de médias, comme si tout cela avait été préparé de longue date.
Cette campagne électorale était apparue comme une incroyable plaisanterie, pour beaucoup d'Ukrainiens qui avaient voté en riant pour l'acteur, pour le héros de la série télévisée et du film. Mais la plaisanterie a conduit là à la guerre en Ukraine, à l'annulation des accords de Minsk, et à une atmosphère délirante de fin du monde, où on ne sait plus ce qui l'emporte, le spectacle de Zelensky, devenu entretemps Faust, dans un show occidental permanent, ou le spectacle atroce de la guerre.
Sous la pression de l'opinion publique, Zelensky a donc été obligé de se séparer de ses amis, qui l'avaient suivi au pouvoir. Mais encore faudrait-il être soi-même irréprochable pour mener la guerre contre la corruption, comme le disent les adversaires à Zelensky, qui se souviennent de l'affaire des «Pandora Papers», dans laquelle il a été impliqué, en compagnie des mêmes amis, et où il a été établi qu'il possédait des biens immobiliers de luxe à Londres et d'autres lieux en Occident, cela même qu'il reproche aux oligarques russes.
Les moyens d'information occidentaux cherchent à vendre la lutte actuelle contre la corruption en Ukraine comme une preuve de vitalité de la démocratie ukrainienne, une démocratie soudaine qui aurait émergé donc ex nihilo grâce... à la guerre, alors même que celle-ci favorise encore plus la corruption.
L'Ukraine un pays pauvre, vulnérable à la corruption
L'Ukraine est un pays pauvre. Avant la guerre, en avril 2019, à l'élection de Zelensky, elle était avec la Moldavie, l'un des deux États les plus pauvres d'Europe, en terme de PIB par habitant (Atlas sociologique mondial, avril 2019). Trente ans après son indépendance, l'Ukraine était devenue un pays sous-développé, probablement en partie à cause de la corruption. Un indicateur terrible de cette pauvreté est qu'elle était devenue le principal marché d'Europe de la gestation pour autrui («mères porteuses»). Un autre indice est que, dès l'annonce de la guerre, des millions d'Ukrainiens se sont rués vers les frontières. Ils sont aujourd'hui 4,5 millions, essentiellement dans les autres pays européens. C'est moins à cause de la guerre, qui ne s'était pas encore développée, qu'à cause de cette ouverture large des frontières occidentales aux Ukrainiens, et de cette occasion inédite historiquement créée par les avantages et l'aide donnée par les États-Unis et l'Union européenne à l'émigration ukrainienne. De ce fait, la population ukrainienne a fortement baissé et le gouvernement ukrainien en est réduit actuellement à demander à ses alliés occidentaux de faire la chasse aux Ukrainiens mobilisables pour la guerre.
La propagande visant à présenter l'Ukraine comme un pays de cocagne, un pays déjà occidental, n'a donc rien à voir avec la réalité. Les rares images, qui parviennent de la situation, notamment des campagnes le montrent.
L'Ukraine était donc un pays fragile, vulnérable, une proie facile à la corruption, à la corruption interne, mais aussi et surtout à la corruption venant de l'extérieur. C'est un point crucial à ne pas négliger. En novembre 2022 déjà, l'institut économique allemand (IFW) de Kiel décomptait 113,1 milliards d'euros de soutien à l'Ukraine, soit l'équivalent du PIB de l'Ukraine en 2018 (1). Le 8 avril 2022, la Banque mondiale, profondément impliquée dans la guerre, annonçait déjà qu'elle débloquerait 170 milliards de dollars sur 15 mois pour l'Ukraine (2). Selon le dernier rapport de l'Institut allemand Kiel, publié le 7 septembre 2023, les pays qui soutiennent l'Ukraine se sont engagés à verser au moins 230 milliards d'euros d'aide militaire. Ces chiffres sont hallucinants pour un pays de la taille de l'Ukraine. Ils sont à rapprocher du budget militaire russe (86 milliards de dollars) en 2023, du budget militaire chinois (292 milliards) et même du budget militaire des États-Unis (877 milliards) (3) à la même date.
Un État entretenu
Le soutien occidental concerne tous les domaines d'activité, économique, militaire, commercial, financier : prise en charge du budget de l'État ukrainien, paiement des fonctionnaires, prise en charge du service de la dette, importations des biens et des services, produits de consommation alimentaire, formation, notamment des soldats ukrainiens, santé etc.. Bref les Ukrainiens n'ont plus besoin de travailler. On ne leur demande que de se battre et de mourir pour leurs bienfaiteurs. L'Ukraine est un État entretenu. La pluie de dollars qui s'est déversée sur l'Ukraine a été capable de noyer toute autre considération et de donner, à une corruption déjà endémique, une dimension encore jamais connue. À la lumière de toutes ces données, on aboutit alors, en dernière analyse, à une conclusion : ce sont les États-Unis et l'Union européenne qui corrompent l'Ukraine, ce sont eux qui sont le principal vecteur de la corruption dans ce pays. Les déclarations des États-Unis ou de l'Union européenne sur la nécessité pour l'Ukraine de répondre aux critères anticorruption de l'Europe ne sont donc qu'hypocrisies.
Cette interaction entre corruption et guerre est extrêmement inquiétante, car l'Ukraine est le nœud des contradictions internationales actuelles et ce qui s'y passe a forcément des répercussions sur le monde entier. La corruption ne peut que favoriser la guerre et sa poursuite, car elle en vit. Elle peut amener aussi à l'absence totale de repères politiques et moraux, jusqu'à accepter d'utiliser soi-même des armes nocives à son propre pays. Elle constitue donc un danger majeur dans une configuration inédite historiquement où la guerre peut à chaque instant, à chaque dérapage, à chaque incident, devenir nucléaire.
Fermez la !
Arrogance. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères a enjoint dernièrement, le 31 août en Espagne, ses alliés occidentaux «de la fermer» sur leurs critiques de l'offensive ukrainienne. Mais les dirigeants ukrainiens pourraient-ils mener cette offensive sans les armes occidentales ? Pourraient-ils ne compter que sur le patriotisme du peuple ukrainien et mener comme au Vietnam, et ailleurs, en Algérie, ou en Afghanistan par exemple, une guerre de partisans appuyée par la population ? Parions qu'alors l'opinion publique mondiale serait mieux disposée envers l'Ukraine car ce serait bien là la preuve qu'il ne s'agit pas d'une guerre par procuration des États-Unis et de l'Occident contre la Russie.
Toutes ces questions sont à poser pour bien évaluer l'essence de cette guerre, que les alliés de l'Ukraine ne semblent apprécier que parce qu'elle est menée contre la Russie, désignée adversaire géostratégique de l'Occident. Mais il y a plus. Ce ton envers les alliés occidentaux ne relève pas, en réalité, seulement d'une arrogance des dirigeants ukrainiens. Il révèle la conscience chez eux que les États-Unis et leurs alliés ne peuvent se passer d'eux. De ce point de vue, c'est le pouvoir ukrainien qui est en position de force. car lui se bat, «il paie le prix du sang pour la défense des valeurs occidentales», comme il le répète sans cesse à un Occident bien au chaud dans ses frontières «défendues par l'OTAN». Il ne reste en définitive, derrière les belles paroles sur la défense de valeurs communes, que les calculs sordides d'alliés surtout intéressés à utiliser au moindre coût l'Ukraine pour des objectifs géostratégiques.
L'Ukraine absente
En effet, l'Ukraine, malgré les apparences, est étrangement absente de la couverture médiatique occidentale. En témoigne, l'absence pratiquement totale d'images et de reportages sur la vie en Ukraine, sur ses problèmes, ses souffrances, dans les grands médias occidentaux. Étonnamment, quand on y regarde de près, tout le temps d'émission est consacré à la Russie dans la couverture de la guerre en Ukraine. On ne sait rien du peuple ukrainien si ce n'est l'affirmation qu'il est tout entier uni dans la résistance à la Russie et pour libérer ses territoires. Les gens travaillent-ils ? Les enfants vont-ils à l'école ? Les universités fonctionnent-elles ? Il y a eu, une seule fois, des images quasi clandestines qui avaient soulevé des polémiques, celles à Kiev d'une jeunesse se dorant dans des piscines, de milieux menant la «dolce vita». Ces images avaient étonné. Rien à voir avec «le génocide» que la Russie est accusée de perpétrer, et les descriptions de Kiev et autres villes «dévastées par les bombardements terroristes visant les civils».
Pourquoi ce blackout sur la vie réelle et l'atmosphère en Ukraine en dehors du front. Est-ce parce que la réalité n'a rien à voir avec la propagande ? Ou bien est-ce qu'au fond, l'Ukraine, la vraie, n'intéresse pas les médias de propagande qui n'ont d'attention que pour l'incidence de la guerre sur la Russie, l'objectif réel étant son affaiblissement pour des décennies, comme cela avait été proclamé, d'ailleurs, par le président Biden et le secrétaire d'État à la défense américain, dès le début du conflit.
De fait, les médias occidentaux sont branchés en permanence sur ce qui se passe en Russie. Ils sont à l'affut d'une image qui va les rassurer, un air maussade de Poutine, un visage déprimé du ministre de la défense russe, un signe de démoralisation sur les visages des débateurs russes à la télévision. Périodiquement on parle d'une maladie grave de Poutine ou d'un autre responsable. Ce n'est pas seulement de la propagande, c'est un souhait. Tout cela dévoile en réalité beaucoup de choses et d'abord un manque de confiance sur l'issue de cette guerre. Il y a comme une addiction qui s'est développée chez les commentateurs occidentaux au fur et à mesure de cette propagande déchainée. À force, la Russie devient une obsession, elle les habite désormais, ils y sont «accrocs». L'Occident est malade de la Russie. Un journaliste qui vit continuellement dans ce climat d'intense propagande, qui consent à ce travail, ne peut en sortir indemne.
Par contre quand ils parlent, parfois de l'Ukraine, les médias mainstream ne tarissent pas d'éloges sur la créativité, l'inventivité ukrainienne, notamment à propos des drones et les attaques de drones marins dans la mer Noire et sur Sébastopol. Ils rappellent à l'envi, qu'au temps de l'URSS, c'étaient les Ukrainiens qui avaient les meilleurs ingénieurs et qui impulsaient l'industrie aérospatiale soviétique. L'URSS avait donc du bon pour l'Ukraine ! Mais pour tous les maux, réels ou prétendus, il s'agit bien sûr de l'héritage soviétique. Amusant.
Le délire réserve parfois des moments d'une incohérence comique. Ainsi, un des éléments du récit de la propagande occidentale sont les oligarques russes. Ils servent à toutes les sauces. Quand ils ne sont pas mystérieusement «suicidés», ils sont décrits dans leur vie de luxe dans les capitales occidentales et autre lieux de villégiatures coûteuses : Londres, Paris, Miami, Courchevel, la Cote d'Azur française etc.. On lorgne vers leurs yachts et le moment où on va le leur confisquer. Et le comique, c'est quand l'Occident libéral en devient alors carrément communiste, pourfendant les milliardaires russes et se portant au secours du peuple russe, j'allais dire soviétique.
«Traquez-les !»
Sur les plateaux guerriers de la propagande, la haine ne cesse de se déverser.. Un exemple édifiant : le 15 septembre au soir, sur LCI, chaine française d'information, l'émission Brunet et compagnie, diffuse un spot de propagande ukrainien montrant Moscou en flammes et Napoléon contemplant l'incendie. Tout se mélange alors sur le plateau, dans un délire total, l'histoire de France, celle de l'URSS, celle de la Russie, des images quasi psychédéliques..., une atmosphère de fin du monde. Une Franco-ukrainienne, Alla Poedie commente et dit de l'image de Moscou en flammes, que c'est «le plaisir des Ukrainiens de voir Moscou en flammes, et que leur plus grand désir est que Moscou disparaisse». Cette dame, Alla Poedie s'était déjà fait remarquer dans le même style. Elle avait dit par exemple «que les Russes étaient des rats et des cafards et qu'il fallait qu'on les écrase». Ce même soir un peu plus tard, et suite à l'appel d'une dirigeante de la garde nationale ukrainienne, à «traquer» les journalistes russes, elle justifiera cet appel et dira que ceux-ci sont des «propagandistes», et donc «des cibles légitimes». Songe-t-elle un instant qu'on pourrait elle aussi la qualifier de propagandiste, comme d'ailleurs ses compagnons habituels de plateau ? Cécité totale. On atteint des sommets dans l'aveuglement haineux.
En Russie aussi ?
Reste à savoir ce qui se passe de l'autre côté sur les plateaux des médias russes. Y a-t-il sur les plateaux russes des appels au meurtre des journalistes ukrainiens et occidentaux ? Y a -t-il des appels au meurtre du président des États-Unis ou d'autres dirigeants occidentaux comme c'est le cas dans la propagande médiatique occidentale concernant Vladimir Poutine ? Pas à ma connaissance. On a peu d'images de la télé russe à part celles sélectionnées par les médias occidentaux, pour les besoins de la cause. Mais on entrevoit parfois des propos qui font frémir, comme ceux d'animateurs d'émissions à grande écoute qui envisagent l'option de «rayer de la carte» Londres, Paris, les capitales des pays occidentaux impliqués dans cette guerre. Les nouvelles de ce côté, de l'autre propagande, ne sont pas bonnes. Il faut bien comprendre dans quel écheveau de haine ce conflit en Ukraine entraine le monde.
Tout cela ne présage rien de bon. Il faut renoncer désormais à une approche où chacun pense être dans son bon droit et avoir raison. Cette question est désormais secondaire. Si on continue ainsi, la seule chose qui sera sûre, c'est la défaite pour tous, la fin pour tous.