par Thomas Arrighi.
Passé hier en procédure accélérée en Conseil des Ministres, un texte vise à pérenniser l'état d'urgence sanitaire. Le gouvernement voit dans ce cadre législatif un moyen de mieux lutter contre le Covid. Pour certains, le scénario d'un glissement vers une restriction officielle des libertés individuelles doit être pris au sérieux.
« Ce projet de loi va nous faire changer de paradigme », s'inquiète maître René Boustany au micro de Sputnik. Pour le cofondateur du Cercle Droit et Liberté, « l'état d'exception actuel va entrer dans le droit commun et devenir la norme », ce qui « est gravissime pour nos libertés ». Une inquiétude partagée sur les réseaux sociaux depuis la présentation en Conseil des Ministres, lundi, d'un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.
Pour stabiliser l'état d'urgence actuel, le gouvernement entend instaurer un cadre législatif « dotant les pouvoirs publics des moyens adaptés » afin de faire face aux « situations sanitaires exceptionnelles ». Parmi ces mesures, l'inscription dans la loi d'un « régime de crise sanitaire » calqué sur l'état d'urgence sanitaire actuel, mais agrémenté de mesures « dont l'expérience a révélé la nécessité ». Assignation à résidence, interdiction d'ouverture de commerces, limitation voire interdiction de la liberté de circulation : autant de restrictions qui pourraient bien être intégrées au droit commun.
« En clair, le gouvernement tente d'ancrer dans la loi des mesures prises depuis mars sous l'état d'urgence sanitaire, en les inscrivant dans le marbre législatif afin de les normaliser. Le plus grave, c'est que cela se fait sans débat et sans le moindre consentement de la population », explique maître René Boustany.
L'état d'urgence sanitaire, en tant que mesure exceptionnelle, avait été décidé en Conseil des Ministres en mars pour une durée d'un mois. Au-delà de ce délai, sa prorogation doit être autorisée par la loi, en passant donc devant le Parlement.
Un état d'urgence généralisé pour l'avenir ?
La loi du 14 novembre est la dernière en date à avoir autorisé une nouvelle fois la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Elle l'a prolongé jusqu'au 16 février 2021. Dans son projet de loi, le gouvernement se défend par avance de vouloir introduire l'état d'urgence sanitaire dans le droit commun afin de court-cicuiter le Parlement. Le texte prévoit, en effet, la mise en place de plusieurs dispositifs procéduraux contraignants à l'égard de l'exécutif.
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Prorogation de l’état d’urgence sanitairePresentation de l'Assemblee nationale, du palais Bourbon, de ses membres (deputes), de son fonctionnement et de son actualite : agenda, travaux en cours (amendements, rapports, commissions, lois), textes et dossiers (legislatifs ou d'actualite)...
Le déclenchement de ce nouveau « régime de crise sanitaire » devra être « déclaré par décret simple » afin de faire face à « une menace ou une situation sanitaire grave ». Il sera renouvelable tous les deux mois « par décret en Conseil des Ministres » et fondé sur « avis public du Haut Conseil de la Santé Publique ». Enfin, le projet de loi prévoit que le Parlement sera mieux informé par « la remise d'un rapport » si l'état de crise sanitaire est déclaré « pendant plus de six mois ».
Ces précautions oratoires n'ont guère convaincu René Boustany. Selon, lui, le gouvernement use de cet « argumentaire textuel » pour dissimuler « un passage en force » et la normalisation d'un état d'exception.
« Il saute aux yeux que ces restrictions sont très limitées », ajoute l'avocat. « L'avis [du Haut Conseil de la Santé Publique] n'aura rien de contraignant et il n'y aura aucun contrôle sérieux. Certes, textuellement, ce n'est pas du droit commun. Mais, dans la réalité, il suffira d'un décret en Conseil des Ministres conforme à cette nouvelle loi pour passer en état d'urgence sanitaire pour une durée indéterminée ».
Une procédure législative suspecte
Le contenu du projet de loi interroge autant que le processus d'adoption amorcé par le gouvernement. Passé en procédure accélérée, le texte déposé hier soir à l'Assemblée nationale n'empruntera pas le circuit habituel de la navette parlementaire entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Il ne fera l'objet que d'une lecture devant chaque chambre avant adoption. Pour René Boustany, si le texte sera « effectivement discuté par les deux chambres », il n'y aura toutefois que « très peu de retouches ».
« Des amendements seront proposés par l'opposition. La plupart seront rejetés par la majorité parlementaire, ajoute-t-il. Le projet de loi ne sera pas amandé sur le fond et l'esprit liberticide du texte sera maintenu ».
En cas d'adoption, le texte pourrait néanmoins se voir retoqué par le Conseil constitutionnel, notamment en raison d'un passage spécifique. Le projet de loi prévoit de confier au premier ministre la possibilité de « subordonner les déplacements des personnes » et « l'exercice de certaines activités » à la « présentation des résultats d'un test de dépistage », mais aussi « au suivi d'un traitement préventif, y compris à l'administration d'un vaccin ou d'un traitement curatif ».
Une telle disposition pourrait porter atteintes aux libertés individuelles et contredire la promesse du président de la République de ne pas rendre le vaccin obligatoire en France. Pour maître Boustany, il est à prévoir que « la défiance envers l'autorité publique et les institutions » atteigne des sommets.
source : fr.sputniknews.com