
Sur la dialectique hégélienne du capitalisme
Le changement de paradigme des relations internationales est ce qui échappe et à la fois, ce contre quoi lutte désespérément l'ordre néolibéral (ultralibéral, dès lors qu'il entre en guerre).
Cela leur échappe car désormais, pour "exister" (au sens hégélien) sur la scène internationale, il faut revêtir les vêtements de celui qui a compris l'essence de cette mutation. Pour le dire succinctement, il s'agit d'un principe de santé mentale qui consiste à respecter les différences et les cultures, en particulier en donnant corps au sacro-saint principe de non-ingérence dans l'autodétermination des peuples, et également par extension dans le souveraineté intellectuelle et émotionnelle des personnes. En un mot, ce qu'on appelle la politesse et le respect, l'urbanité.
Cette jonction holistique entre l'échelle sociale et mentale n'est pas que le fait de votre serviteur, mais également un propos tenu explicitement par le président Poutine. Mais on y avait pensé :)
Deuxièmement, l'ordre ultralibéral lutte contre cela car il ne le comprend pas. Il navigue dans les effets et les conséquences de ce nouvel ordre qui lui échappe. Il ne comprend pas pourquoi ses mensonges habituels n'ont plus d'effet. Selon le précepte "si cela ne marche pas, frappe plus fort", ils sortent toutes leurs armes d'ingénierie sociale. Ils s'auto-dénoncent sans crainte. Ils se sentent légitimes à opérer des coup d'état. Ils s'impliquent dans la culture et l'éducation - ou plutôt la programmation mentale, l'endoctrinement scientifiquement calculé - des futures générations. Et surtout, le signe le plus distinctif de cette situation est qu'ils ne comprennent pas, ne savent pas lire et interpréter des paroles simples qui leur sont répondues. Ils cherchent à en décoder le mensonge, alors qu'il n'y a pas. Le sens simple des choses, telles que "nous nous battons pour que la parole donnée soit respectée" leur apparaît comme un subterfuge, mais pour faire quoi ? Nous dévorer tel un loup-garou ? Cela n'a pas de sens. Et plutôt que d'y voir un cul-de-sac de leur pensée, ils s'en servent comme preuve pour accuser leurs ennemis de menti, puisque "cela n'a pas de sens".
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L'ordre néolibéral fonde sa puissance sur l'ingénierie sociale et la manipulation des masses, c'est à dire pour le dire clairement en trichant sur le principe de "l'offre et la demande" en stimulant artificiellement une "demande" totalement dégénérée, quitte-même à ce qu'elle soit contre-productive ou auto-destructrice.
En faisant cela, comme le fait remarquer Natacha Polony (et c'est une rareté exceptionnelle que nous citions une personne publique) "ils relèguent le réalisme à l'extrême-droite". Et là on peut plonger une seconde dans le chaudron infernal d'une pensée qui pense insulter son ennemi en lui jetant le réalisme à la figure.
L'ordre néolibéral se fonde sur le libéralisme, qui a pondu le slogan qui gouverna le monde durant un siècle, selon lequel le capitalisme avait le vertu magique de faire que le monde devienne harmonieux pourvu qu'il respecte une seule règle, celle de "l'offre et la demande". Croire cela est cosmologiquement stupide, puisque ce n'est ni une réalité ni une raison. Progressivement il s'est agi de s'efforcer à conserver cette maxime comme guide officiel et à la fois comme prétexte pour survivre à ses inconvénients.
L'ordre néolibéral est celui qui a triché avec les règles, afin de conserver cette maxime comme horizon officiel. Un système c'est des règles du jeu, et les joueurs n'ont plus qu'à se débrouiller avec. C'est la théorie du jeu, qui a dominé le système de relations internationales. Et ici, dans "l'offre et la demande", la demande gouverne, et l'offre s'adapte. Le consommateur est roi. Et d'ailleurs le lien entre "l'offre et la demande" et la démocratie est direct, puisque le peuple choisit librement son candidat. Simplement, pour convertir cela en une illusion, il faut tricher avec ces règles. En démocratie, en limitant l'offre à des choix équivalents, et dans le commerce, en stimulant la demande. C'est là qu'est arrivée l'ère de la publicité, des "relations publiques", et au final de l'ingénierie sociale.
Il s'est donc agi de tricher avec le système, de la hacker, en modulant soi-même "la demande", et en contrôlant "l'offre" de sorte qu'elle semble y répondre, tout en calculant minutieusement ce qui est "offert". Les peuples sont désormais pris dans un étau, puisque le système étant truqué, on choisi "la demande" pour eux et on propose "l'offre" qui arrange les affaires des possédants, les détenteurs de la production. C'est un véritable esclavage, et la direction prise est celle de la raréfaction de toutes choses, puisque la rareté fait la valeur (et non l'abondance).
Ok, ça c'est une chose.
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Dans sa configuration actuelle, l'ordre ultralibéral cherche surtout à déteindre sur les esprits, et en même temps trouve un avantage tactique à exposer sincèrement son état d'esprit, sa mentalité. Il s'agit de s'attaquer frontalement à ce qui est "moral", "logique". Pour eux, il y a longtemps que la morale n'est plus uns chose subie mais une chose qu'ils construisent eux-mêmes. Quant à la logique, c'est un inconvénient dont la berlue, l'hallucination et la psychose savent très bien se démettre. Il y a donc tout à gagner pour eux à briser, brimer, casser, et éroder autant que possible le sens critique et le discernement. Pour cela, même s'il faut "injecter" directement la douleur et la folie avec une seringue, il n'y a aucun problème. Être intrusif, prendre possession des corps et en faire des marionnettes, est dans la droite ligne de leur politique.
Maintenant gardons à l'esprit un bel adage qui dit que le capitalisme est optimal uniquement dans le cadre d'une reconstruction d'après-guerre, après une large dévastation. À ce moment-là, peu importent les compétences ou les aptitudes, il y a du travail pour tout le monde, y compris si un scientifique doit cirer des chaussures, il le fera et il y aura du travail pour lui. D'autant qu'il aura l'espoir, objectif et rationnel, que les choses s'améliorent à l'avenir.
Dans le stade actuel, le capitalisme est arrivé au bout de ses limites. Il est vain de reprocher aux politiciens d'être les pires abrutis que la Terre n'est jamais portée - ils le sont - car cela ne changera rien à la réalité structurelle et à l'étape évolutive qui est celle de l'ensemble de la civilisation, confrontée à la décrépitude d'un "ordre fondé sur les règles" tautologique et auto-destructeur (pour le dire brièvement).
Le Sud Global, est le mouvement des "Non-Alignés" qui a germé et est devenu la principale force s'opposant à cette décrépitude. En effet tous les pays pauvres du monde sont avides d'expérimenter les trente glorieuses du capitalisme. Et pour cela elles ont déployé une stratégie simple et puissante, qui consiste à mettre les empires sénescents face à leurs plus horribles manquements, les plus élémentaires et les plus simples, à savoir la politesse, l'urbanité. Il est beaucoup plus agréable de négocier des contrats entre pays pauvres, polis, qui s'entraident, et grandissent ensemble, que de signer des contrats obscurs sous la contrainte et en essayant de garder un minimum de dignité sous le poids des menaces et des sombres manigances. Ce procédé mafieux marche encore, mais de moins en moins.
En face, "le camp du bien", désigné comme "l'axe du mal" par l'occident collectif, joue simplement sur les promesses non-tenues, en particulier ceux présents dans le préambule de la Charte des nations-unies. Pour l'occident, ce sont des prétextes utilisés a posteriori pour justifier n'importe quelle action au hasard, et pour le Sud Global ce sont des motivations sincères et des codes de conduite. Il est donc question de confronter la machine occidentale à ses contradictions. Et pour cela, il n'y a pas beaucoup d'effort à faire, il suffit de les laisser ruminer et tenter n'importe quelle stratégie, en vain, jusqu'à ce qu'ils veuillent bien se présenter en hommes et parler concrètement. On prévoit que cela prendra encore cinquante ans. En tous cas le ressentiment reste fort chez a plupart des pays qui ont été dominés et spoliés. Et surtout les pays du Sud Global se débrouillent très bien entre eux.
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Une dame, avec un accent que je trouve vulgaire, vantait les mérites, dans un espèce de Tiktok-reportage, des nouveaux péages au Burkina Faso. Notre admiration pour le Capitaine Traoré, révolutionnaire digne héritier de Thomas Sankara, Che Guevara, (etc.) est sans borne. Pourtant nous sommes désolés de le dire, mais les remarques de cette journaliste étaient risibles : "Les péages serviront à réparer les routes et à rendre notre pays plus fort". Nous avons entendu cela il y a cinquante ans. Les péages étaient de quelques centimes, ils sont passé à plusieurs dizaines d'euros. Ils ne servent plus à "entretenir les routes" mais à sustenter des actionnaires. Il n'y a aucun doute qu'après le Capitaine Traoré, un autre viendra et encore un autre, et selon la riche et ample tradition politique, les trahisons fuseront.
En bref ce qu'on observe est un retour du capitalisme à son époque d'avant le dégénérescence mentale qu'il a objectivement et concrètement, parfaitement logiquement suivie, de façon déterministe et inévitable.