Par Susan Abulhawa
Susan Abulhawa est une écrivaine palestinienne-américaine. Elle est l'auteur du best-seller "Les matins de Jénine" (Buchet-Chastel 2008). Son dernier roman, en anglais, s'intitule "The Blue Between Sky and Water".
Dimanche 2 août 2015 - Des colons israéliens en Palestine se sont servis d'essence pour mettre le feu à des maisons palestiniennes dans le village de Duma vendredi, brûlant vif un bébé de 18 mois, Ali Dawabsheh, et blessant grièvement et mutilant quatre membres de sa famille. Confronté à une inquiétude internationale croissante, un porte-parole de l'armée israélienne a dit, "Cette attaque contre des civils palestiniens est un acte barbare de terrorisme." Un tel désaveu cinglant du terrorisme israélien est inouï et par conséquent certains, dont l'Autorité palestinienne, l'ont salué comme une avancée.
Des membres de sa famille porte le corps du bébé de 18 mois Ali Saad Dawabsha, brûlé vif dans sa maison incendiée par des colons israéliens, pendant ses funérailes à Duma, le 31 juillet 2015.
Cependant, comme le montrent des preuves accablantes, le but des propos de l'armée est de limiter les dégâts et ils s'adressent à l'opinion publique internationale. C'est "la marque Israël", qui prétend que le meurtre d'un enfant palestinien est l'acte d'"extrémistes" marginaux, alors que dans la réalité, prendre pour cible les enfants palestiniens est tissé dans la trame de l'armée et des mouvements de colons israéliens.
Pour reprendre les propos de Khaled Quzmar, directeur de Defense of Children International-Palestine (DCI-Pal), "la condamnation de cet acte odieux par Israël sonne faux car la politique de l'Etat a conduit à un climat d'impunité qui rend possible une telle violence."
Selon DCI-Pal, la violence des soldats et des colons a coûté la vie à 1.895 enfants palestiniens depuis 2000 ; pourtant il n'existe aucun exemple d'un Israélien purgeant actuellement une peine pour le meurtre d'un enfant palestinien. En revanche, il y a des centaines d'enfants palestiniens qui croupissent dans les geôles israéliennes, torturés, privés d'avocat, privés de leurs parents et placés à l'isolement, comme Diyaan 16 ans, sur la simple suspicion d'avoir commis des infractions.
Moins de 27% de la totalité des affaires de meurtres de Palestiniens font l'objet d'une enquête. Sur ce chiffre, environ 90% sont classées sans suite. Selon DCI-Pal, les chances d'inculpation ne sont que de 1,4% quand des enfants palestiniens sont assassinés par des Israéliens. En outre, dans les rares cas où des Israéliens sont traduits en justice, ils sont presque toujours acquittés. Dans des cas extrêmement rares où une condamnation est prononcée, il y a peu ou pas de punition. L'un de ces rares exemples (le seul dont je me souvienne au cours des 20 dernières années) est celui de Nachum Korman, un colon de 36 ans qui était parti à la chasse aux enfants palestiniens en 1996, avait attrapé Himi Shusha, 11 ans, l'avait frappé, puis l'avait coincé sous sa botte et l'avait tué à coups de crosse de fusil. D'abord la cour a acquitté Korman mais après une condamnation par une juridiction supérieure, il a été condamné à une peine de travaux d'intérêt général et à payer une amende de $11.000. Il a fallu 5 ans aux tribunaux israéliens pour découvrir qu'il était coupable, mais même alors, il n'a été condamné à aucune peine de prison pour avoir matraqué à mort un enfant devant d'autres enfants terrifiés. A titre de comparaison, un Palestinien a été condamné à 18 mois de prison dans un procès criminel sur des accusations de viol pour avoir eu des relations sexuelles consenties avec une Israélienne, qui s'est sentie violée après avoir appris plus tard que l'homme était arabe.
L'été dernier, après que des hommes politiques israéliens de premier plan ont lancé des appels à la vengeance à vous glacer le sang après l'assassinat de trois adolescents israéliens, des colons ont kidnappé Mohammad Abu Khdeir, 14 ans, dans son village, ils l'ont battu, l'ont forcé à boire de l'essence et l'ont brûlé vif. Bien que les auteurs aient avoué leur crime, ils n'ont toujours pas été reconnus coupables ni condamnés au cours d'un procès qui a été qualifié de mascarade.
Les trois assassins du jeune martyr Mohammad Abu Khdeir, toujours pas condamnés alors qu'ils ont avoué leur crime (photo Getty)
De même les colons qui ont attaqué et mis le feu à une école élémentaire à Jalud en 2013 n'ont pas été traduits en justice, pas plus que les colons qui ont fait irruption chez Rowaida Dar Khalil et mis le feu à sa maison à Sinjil. Par contre, des enfants palestiniens de 12 ans peuvent être condamnés à 20 ans de prison pour avoir jeté des pierres sur les véhicules blindés de l'occupation qui traversent leurs quartiers.
Parmi les centaines d'enfants palestiniens tués l'année dernière, deux ont reçu une attention particulière. Nadeem Nawara et Mohammad Abu Daher, deux adolescents non armés, ont été tués par des snipers israéliens. L'attention internationale sur ces meurtres a contraint Israël à mener une enquête, qui n'a pas tardé à trouver que les soldats n'avaient commis aucun méfait et a conclu qu'ils n'avaient utilisé aucune balle réelle. Toutefois, les preuves médico-légales, dont l'autopsie et l'analyse des images de vidéosurveillance, ainsi que la vidéo d'un caméraman de CNN, n'ont laissé aucun doute sur le fait qu'ils avaient été tués de sang froid, par des tirs à balles réelles. L'enquête indépendante a même été en mesure d'identifier les tireurs à partir de la vidéo de CNN, mais ils sont toujours en liberté.
Il y a trop d'exemples démontrant une culture d'impunité pour les Israéliens qui tuent des enfants palestiniens. Comme Enas Khalil, 5 ans, tuée par un colon israélien qui lui a roulé dessus en voiture à Sinjil [en octobre 2014] (vidéo ci-dessous)
ou Bahaa Badr, 13 ans, tué d'une balle en pleine poitrine la même semaine (photo ci-dessous).
Ce chiffre croît de façon exponentielle lorsque les statistiques incluent les enfants blessés et mutilés, comme Mousab, 6 ans, qui a perdu son œil droit à cause d'un tir à balle caoutchouc-acier. Puis il y a les traumatismes cachés, les effets psychologiques de la vie sous la violente occupation militaire d'Israël, qui a généré un taux effarant de syndrome de stress post-traumatique chez les enfants palestiniens.
Israël est une nation qui a parmi ses fonctionnaires des rabbins nantis d'une autorité religieuse qui autorisent le meurtre des gentils, dont les enfants. Sa ministre de la Justice a appelé au génocide des Palestiniens, les bébés inclus, auxquels elles se réfèrent par les termes de "petits serpents". Le vice-président de son parlement a défini un plan multi-phase d'extermination de la Bande de Gaza. Ces postulats ne sont pas ceux des marges de la société. Ils représentent une culture majoritaire suprémaciste de l'impunité qui considère la vie palestinienne non seulement comme sans valeur, mais aussi comme une menace.
L'assassinat du bébé Ali brûlé vif n'arrive ni comme une surprise, ni sans précédents. Israël tente juste, cette fois, une nouvelle tactique de relations publiques.
Source : Middle East Eye
Traduction : MR pour ISM