22/09/2015 mondialisation.ca  8min #102294

Les tensions s'avivent entre les Etats-unis et la Russie à propos de la Syrie

Par  Bill Van Auken

Les tensions entre Washington et Moscou continuent de s'aviver à propos d'allégations américaines que la Russie serait en train de monter « une base aérienne avancée » non loin de Lattaquié, ville portuaire du nord-ouest pour préparer une intervention d'appui plus direct au gouvernement de Bachar al-Assad, contre les milices islamistes armées et soutenues par les Etats-Unis et leurs alliés régionaux.

Le Département d'Etat américain a rapporté que le Secrétaire d'État John Kerry a téléphoné à son homologue russe, Sergueï Lavrov mardi pour la troisième fois en tout juste 10 jours pour mettre en garde contre une poursuite du soutien russe au régime d'Assad.

Selon une version écrite du Département d'Etat de cette conversation, Kerry a déclaré que le soutien russe pour le gouvernement syrien « risquait d'exacerber et d'étendre le conflit, et de saper notre objectif commun de lutter contre l'extrémisme ».

Kerry aurait réitéré des déclarations antérieures que le seul rôle légitime de la Russie en Syrie serait subordonné à la soi-disant «coalition» réunie par Washington et dirigée par les Etats-Unis et leurs alliés régionaux Turquie, Arabie saoudite et autres monarchies pétrolières sunnites réactionnaires du golfe Persique.

Dans une conversation antérieure, Kerry avait menacé encore plus directement: toute présence russe élargie en Syrie portait le risque d'une « confrontation » avec l'armée américaine qui mène des frappes aériennes à l'intérieur du pays.

La guerre aérienne des USA menace de s'enflammer, l'Australie ayant annoncé les premières frappes aériennes de ses avions de guerre à l'intérieur de la Syrie lundi. Ce pays affirme qu'elles visaient des cibles de l'Etat islamique (EI).

Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a dit sur France Intermercredi que des avions de combat français lanceraient leurs propres frappes aériennes ces prochaines semaines pour tenter d'arrêter les progrès de l'EI, en particulier près d'Alep, l'ancienne capitale commerciale et industrielle syrienne, largement détruite. Les soi-disant « rebelles », les forces islamistes que Le Drian qualifie toujours envers et contre tout d'« Armée syrienne libre », ont effectué un bombardement meurtrier au mortier de la partie ouest, pro-gouvernementale, de la ville mardi, tuant 38 civils, dont 14 enfants.

Augmentant le danger d'affrontement militaire avec les forces russes, Washington a rompu les relations entre ses militaires et ceux de la Russie dans le cadre de sa campagne pour isoler Moscou suite à son annexion de la Crimée après le coup d'Etat de Kiev l'an dernier, orchestré par les Etats-Unis et dirigé par des fascistes.

Kerry a reconnu mercredi que la Russie avait proposé une reprise de ces pourparlers afin d'« éviter les conflits » en cas d'éventuelles rencontres entre les forces militaires des deux pays en Syrie. Il a indiqué que la demande serait examinée mais ne s'est engagé à aucun contact de ce type.

Des responsables russes ont nié que Moscou menait une intervention directe ou augmentait qualitativement sa présence sur le sol syrien, tout en insistant sur le fait que son aide au gouvernement syrien était cruciale pour vaincre l'EI et d'autres forces islamistes cherchant à le renverser.

Parlant mardi à l'Organisation du Traité de sécurité collective à Douchanbé, au Tadjikistan, le président russe Vladimir Poutine a défendu l'aide militaire russe à la Syrie. « Nous soutenons le gouvernement syrien dans la lutte contre une agression terroriste, et nous proposons et nous continuerons à proposer l'aide militaire et technique nécessaire, et nous appelons les autres pays à se joindre à nous», a déclaré M. Poutine.

Il a appelé les puissances occidentales à « mettre de côté leurs ambitions géopolitiques, à s'abstenir de maintenir le deux poids, deux mesures de la politique d'utilisation directe ou indirecte de groupes terroristes distincts pour atteindre des objectifs opportunistes comme le changement de gouvernements ou de régimes pouvant déplaire à l'un ou à l'autre. »

Poutine a également déclaré que le président syrien était disposé à trouver un compromis politique avec « la partie saine de l'opposition ».

Washington et ses alliés régionaux ont insisté sur le fait qu'aucun compromis n'était possible en dehors de l'éviction d'Assad. Certains responsables européens, cependant, ont remis en question cette politique, craignant qu'un effondrement précipité du régime Assad aurait comme seule conséquence l'invasion de Damas soit par l'Etat islamique, soit par le Front al-Nosra, lié à al-Qaïda.

Le ministre britannique des Affaires étrangères Philip Hammond, a suggéré la semaine dernière qu'Assad pourrait rester en fonction pendant « une période de transition » de six mois, un arrangement rejeté par le gouvernement syrien, qui a remis en cause le droit de Londres d'imposer la longueur et l'issue d'un tel processus.

Lors d'une visite d'Etat en Iran la semaine dernière, le ministre autrichien des Affaires étrangères Sebastian Kurz a déclaré aux journalistes qu'«une approche commune pragmatique» était nécessaire, «y compris la participation d'Assad à la lutte contre le terrorisme de l'Etat islamique ». Kurz a ajouté, « Pour moi la priorité est la lutte contre le terrorisme. Ce ne sera pas possible sans des puissances comme la Russie et l'Iran ».

Les responsables russes ont insisté pour dire que les avions russes arrivant en Syrie acheminaient des fournitures tant militaires qu'humanitaires. Si Washington a fait pression sur la Bulgarie et la Grèce pour qu'elles refusent l'autorisation aux avions russes de traverser leur espace aérien, ceux-ci ont depuis changé d'itinéraire et passent au dessus de l'Iran et de l'Irak. Les responsables américains ont refusé tout commentaire quant à des pressions similaires sur le régime de Bagdad, leur allié supposé dans la guerre contre l'Etat islamique.

« En moyenne deux avions géants de transport Condor atterrissent tous les jours depuis 10 jours à [l'aéroport de Lattaquié], alors que les cargos accostent à une base russe, dans la ville portuaire de Tartous », a fait savoir l'agence de presse McClatchy citant un responsable américain. Elle a signalé que les livraisons comprenaient jusque là des «préfabriqués pour 1.500 personnes, six chars T-90 de haute technologie, 36 véhicules blindés de transport de troupes et 15 pièces d'artillerie » ainsi que le déploiement de quelque 200 commandos marins russes.

Si cet inventaire est correct, c'est infime par rapport au matériel et personnel militaires déversé par Washington dans la région. Des stocks d'armes américaines bien plus importants sont maintenant aux mains de l'Etat islamique après que ce dernier a mis en déroute les forces irakiennes à Mossoul et ailleurs, capturant armes et matériel. Depuis, plus de 3.000 soldats américains ont été déployés en Irak, tandis que l'aviation américaine effectue des sorties 24 heures sur 24, en Irak comme en Syrie.

Malgré tout ce déploiement Washington, qui a bombardé l'EI pendant un an, n'a obtenu que peu de résultats. La milice islamiste, selon les rapports des renseignements, a autant de combattants qu'avant et continue de contrôler au moins autant de territoire qu'il y a un an.

C'était là l'essentiel d'un commentaire acerbe du ministère russe des Affaires étrangères mercredi. « Une question légitime se pose, quels sont les résultats obtenus après avoir envoyé dans cette région les forces militaires de ces pays si friands du comptage des survols d'avions étrangers », a dit le ministère dans un communiqué. « Malheureusement, les réalisations de la coalition dans la lutte contre (l'Etat islamique) paraissent très modestes ».

Cette évaluation fut confirmée de façon saisissante mercredi par un témoignage du général Lloyd Austin, chef du Commandement central américain, devant le Comité des services armés du Sénat. Interrogé par les sénateurs sur le nombre des « rebelles » formés par les Etats-Unis se battant en Syrie, le général Austin a répondu « c'est un petit nombre... à vrai dire quatre ou cinq ». Les responsables du Pentagone ont ajouté qu'à peine plus de 100 de ces combattants sont actuellement en cours de formation. Les sénateurs ont réagi en qualifiant ce programme d'entraînement de $500 millions d'«échec» et de «débâcle».

Ce qui est clair c'est que l'objectif principal de Washington en Syrie n'est pas la défaite de l'EI, mais le changement du régime. Son but est de priver la Russie de son seul allié au Moyen-Orient et de sa seule base navale étrangère, dans le cadre d'une stratégie générale des Etats-Unis d'imposer leur hégémonie militaire sur cette région riche en énergie, et plus largement sur l'Eurasie.

À cette fin, l'impérialisme américain intensifie ses menaces militaires envers la Russie. Le contrôleur général des Finances du Pentagone, Michael McCord, a indiqué dans une interview à Bloomberg que le budget militaire des États-Unis pour 2017 était en révision, principalement en vue d'une confrontation avec Moscou.

« La chose à laquelle nous devons le plus réfléchir dans ce budget, par rapport à tous les autres budgets précédents, est la Russie », a déclaré McCord, ajoutant qu'il s'agissait de « savoir si nous faisons les bonnes choses en fait d'investissements et de posture ».

Cela fait suite au témoignage antérieur du candidat proposé par le président Barack Obama au poste de chef d'état-major des armées, le général de la marine Joseph Dunford, disant que la Russie « pourrait poser une menace existentielle pour les Etats-Unis » et que ses actions étaient « rien moins qu'alarmantes ». De manière significative, Dunford a classé la Russie comme une menace beaucoup plus grande que le terrorisme.

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 17 septembre 2015

 mondialisation.ca