29/09/2015 cadtm.org  21min #102677

Quid des révoltes populaires en ex-yougoslavie ?

29 septembre par Andreja ?ivkovi?, Tijana Okic

Sarajevo - Photo de Pierre Gottiniaux

Compte rendu de l'atelier donné lors de la 4 e Université d'été du CADTM les 11, 12 et 13 septembre 2015. Avec Tijana Oki? (Higher Education Trade Union - Bosnie) Andreja Zivkovic (Marks21 - Serbie) Pierre Gottiniaux (CADTM - Belgique)

Vous pouvez écouter l'intégralité de l'atelier (en anglais)  sur cette page

La guerre qui a déchiré la Bosnie dans la première moitié des années 1990 a fait plus de 100 000 morts. Le pays a été séparé en deux entités, République serbe de Bosnie et la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Elles se partagent le territoire 50 / 50, mais la population est plus nombreuse du côté de la fédération dont 48 % de bosniaques, 37 % de croates et une minorité de serbes. Aujourd'hui, après des décennies de plans d'Ajustement-structurel sous l'égide du FMI,786, de la Banque-mondiale,961 et de l'Union européenne, le taux de chômage est de 45%.

Les révoltes populaires de ces dernières années en ex-Yougoslavie n'ont pas été médiatisées et le sujet n'est pas d'une actualité brûlante. Il se passe pourtant beaucoup de choses qui méritent notre attention. Les luttes de 2014 ont démarré par des émeutes, parfois violentes. Cette révolte populaire a réveillé le mouvement ouvrier qui a poussé les jeunes à s'organiser pour porter la lutte à un autre niveau : contre les politiques d'austérité imposées par la Troika,764 aux États de l'Union Européenne.

Des assemblées populaires (plénums) ont été créées, elles regroupaient des étudiants, des chômeurs, des ouvriers, des pensionnés...

Dans ce contexte, le CADTM s'est mis en relation avec les mouvements sociaux de la région. Eric Toussaint avait déjà des liens avec le Subversive Festival, et l'Open University de Sarajevo. La rencontre avec Tijana et Andreja a marqué le début d'une collaboration qui se poursuit aujourd'hui avec leur participation à cette Université d'été du CADTM Europe.

Tijana, professeure de Philosophie à l'Université de Sarajevo, est l'une des fondatrices du plénum de Sarajevo, et une syndicaliste active à l'université.
Andreja est chercheur en Sociologie, il travaille sur la financiarisation de l'économie et les politiques européennes.

Andreja :

Andreja montre la toxicité de l'idéologie européenne en général, et particulièrement comment elle a influé sur la désintégration de la fédération Yougoslave, et entretient le status quo dans une logique néo-coloniale. Il expose également les raisons de l'adhésion de la gauche socio-libérale à l'idéal de l'intégration dans l'UE.

Tijana parle des luttes actuelles notamment au sein du syndicat dont elle est membre. Le mouvement des assemblées populaires (plénum) est d'une grande mixité sociale. Le carcan de l'UE est puissant, aux niveaux des politiques menées et des mentalités. La Bosnie est clairement une colonie de l'UE. L'absence d'alternative non réactionnaire à l'intégration dans l'UE est préoccupante, c'est là que doit se positionner la gauche.

L'idéologie européenne et la Gauche post-Yougoslavie

"The idea of a European cultural community is completely alien to the outlook of the class-conscious proletariat. Not European solidarity, but International Solidarity, embracing all continents, races and peoples, is the cornerstone of socialism in the Marxian sense. Each partial solidarity, however, is not a step towards the achievement of genuine internationality, but rather its opposite, its enemy, an ambiguity under which lurks the cloven hoof of national antagonism."
Rosa Luxemburg, 1911

« L'idée de la communauté culturelle européenne est complètement étrangère à la pensée du prolétariat possédant une conscience de classe. Ce n'est pas la solidarité européenne mais la solidarité internationale de toutes les parties du monde, englobant toutes les races et tous les peuples, qui est la pierre angulaire du socialisme au sens marxiste. Toute solidarité partielle n'est pas une étape vers la réalisation de l'internationalisme véritable, mais son contraire, son ennemi, une ambiguïté, derrière laquelle se cache le pied fourchu de l'antagonisme national »
Rosa Luxemburg, 1911

Après ce qui s'est passé en Grèce en 2014-2015, la gauche progressiste commence à employer les termes de néo-colonialisme ou d'impérialisme de la part de l'UE, États du centre et États de la périphérie. L'UE organise la compétition entre les États, et bénéficie aux États les plus puissants. Parmi les mécanismes à l'œuvre : le déficit commercial des États de la périphérie conduit les banques des États du centre à prêter largement pour maintenir l'activité économique de la périphérie.

Impérialisme économique et géopolitique sont en effet les termes appropriés pour qualifier la politique de l'UE à l'égard de ses membres et de l'extérieur. La gauche européenne s'accorde maintenant sur le fait que les politiques d'austérité imposées par la Troïka aux États de la périphérie ont pour objet de payer les dettes des États les plus puissants du centre. Consensus également sur le fait que la BCE n'est rien de plus qu'un appendice de la Deutsche Bank...

L'UE se présente comme un pouvoir nouveau, normatif, dépassant les pouvoirs nationaux, fondé sur les valeurs de Démocratie, Droits de l'Homme et Solidarité ainsi que sur le mythe des origines (Pacification après la guerre 1939-45). C'est oublier le fait que l'UE a été créée à un moment où elle constituait la résultante des intérêts particuliers nationaux. Alan Milward, historien des origines de la CEE, défend l'idée que loin de transcender les conflits nationaux, la CEE leur a donné une nouvelle forme et un nouveau mode d'existence : l'intégration économique pour le sauvetage des États-nations. L'idéologie européenne offre un cadre dans lequel les rivalités nationalistes et impérialistes des États-nations et des entreprises nationales et multinationales s'expriment en termes de différentes visions du projet d'intégration. D'autre part, l'UE permet à ses membres les plus puissants de jouer un rôle au niveau mondial.

L'idéologie européenne est donc une idéologie nationaliste, le supranationalisme étant en définitive une forme de nationalisme. La fonction de cette idéologie est de réconcilier l'abysse entre le but et l'état actuel des choses - intégration monétaire et non politique, inégalités entre les nations et déficit démocratique structurel. Elle qualifie d'irrationnel, populiste et nationaliste tout velléité de rupture avec l'UE ou avec ses traités, qui conduirait inéluctablement d'après elle à la guerre et au fascisme. Le terme nationaliste est dès lors réservé à ce qui se fonde sur la détresse populaire et sur les limites à l'intégration : mouvements racistes, défense de la souveraineté nationale, séparatisme.

Qu'est-ce qui explique l'alignement de la gauche européenne sur l'idéologie européenne ?

Premièrement, l'intégration politique serait la conséquence de l'intégration économique. En laissant derrière elle les nationalismes, l'UE serait la première étape d'un internationalisme progressif. Il suffirait de se débarrasser de l'idéologie néo-libérale. Mais comme nous l'avons vu l'intégration à la sauce capitaliste aggrave les inégalités, ouvrant ainsi la voie aux nationalismes. L'internationalisme socialiste n'est pas un prolongement de ce processus mais une rupture avec lui.

Deuxièmement, on nous fait croire que l'intégration européenne est arrivée au stade où les réformes ne peuvent se faire que dans le cadre des institutions supranationales de l'UE. C'est ignorer le fonctionnement de ces institutions, elles sont intrinsèquement anti-démocratiques et représentent une forteresse de structures inter-verrouillées. Comme le dit lui-même le président de la Commission européenne Jean-Claude Junker : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». L'humiliation subie par Syriza est une leçon objective de l'impossibilité d'une solution progressive de la crise de la Dette,970 au sein de l'euro-zone.

Enfin, l'identification à l'UE ne peut se faire qu'en s'adaptant à ses institutions et en adoptant son idéologie, le statu-quo territorial et politique du capitalisme européen.

En Grèce et dans les Balkans cela implique en outre de s'adapter à l'empire européen. C'est dans cette perspective que nous examinerons l'idéologie européenne dans les Balkans.

La division interne et la domination externe perdure dans la région. Le système Euro-Atlantique de protectorat néo-colonial entretient les conflits nationalistes et la rivalité entre les grandes puissances, sous la forme d'une nouvelle guerre froide entre États-Unis, UE et Russie.

Depuis les années 1970 l'intégration économique régionale avec la CEE a aggravé la dépendance d'une économie basée sur des importations de capitaux, la désindustrialisation et l'exportation de la force de travail. L'intégration dans l'UE a accéléré le développement déséquilibré en Yougoslavie, amplifiant les inégalités entre les républiques du Nord et du Sud, créant le cadre d'une compétition sur le marché des ressources internes, terreau de la désintégration nationaliste de la Yougoslavie.

L'idée européenne fut centrale au nouveau nationalisme. Dans les riches républiques du Nord, elle s'est retrouvée dans l'idée raciste de renouer avec les racines européennes de la Croatie et de la Slovénie, et de rompre avec la culture balkanique ou asiatique de la Yougoslavie ; en Serbie, l'intégration dans l'UE fut instrumentalisée pour recentraliser la Yougoslavie sous domination Serbe.

Ce ne sont pas des questions à reléguer dans le passé. Si l'on prend l'exemple de la Bosnie, un détour historique s'impose. Dans les années 1980, face au cercle vicieux de la crise de la dette, la Yougoslavie s'est tournée vers le FMI. Ce dernier a imposé la fermeture des industries non efficientes et la fin des transferts des régions et républiques les plus riches vers les plus pauvres. Pour imposer la discipline nécessaire au remboursement de la dette, le FMI a demandé la recentralisation de la fédération Yougoslave. En récompense de ces réformes, la CEE faisait miroiter l'intégration.

En pratique, la CEE s'est alignée sur les positions de Milošević, le nationalisme de la Grande Serbie, qui cherchait à améliorer la compétitivité de l'économie serbe via la recentralisation de la Yougoslavie. Mais la promesse d'intégration a séduit également les républiques riches du nord, qui pensaient améliorer leur compétitivité en laissant tomber le sud pauvre pour rejoindre la CEE. De cette manière, l'intégration européenne a accéléré la désintégration nationaliste de la fédération.

Étrange répétition du passé : l'UE et le FMI défendent ardemment aujourd'hui la recentralisation, comme complément nécessaire des réformes économiques néo-libérales imposées en Bosnie-Herzégovine. Ces réformes sont des pré-requis à la poursuite de l'intégration européenne. Comme par le passé, les néo-libéraux se lamentent du « gros gouvernement », du fardeau excessif qu'il impose à l'économie, empêchant l'avènement d'un marché susceptible d'attirer les investisseurs étrangers. Et tandis que comme dans les années 1980, les politiciens nationalistes sont des supporters fervents des réformes du marché, ils se divisent sur la recentralisation des pouvoirs fiscaux. Dès lors la question de l'intégration économique avec l'UE s'exprime sous la forme de luttes nationalistes.

Pris dans la globalité, le contexte régional néo-colonial fait barrage à toute solution aux conflits nationalistes et renforce une politique économique de la dette et de l'austérité, identique à celle de la périphérie de l'Eurozone. En d'autres termes, la gauche est confrontée à plusieurs questions d'urgence nationale : du problème de la crise de la dette aux questions de libérations nationales et d'autodétermination.

Pourtant, à l'instar de nombreux progressistes de l'Ouest, la gauche post-Yougoslave tend à s'adapter à l'intégration Européenne, c'est à dire à l'extension de l'empire Européen.

Tout en rejetant le néo-libéralisme, elle croit que l'intégration au sein de l'UE supranationale propose une voie réaliste pour transcender les divisions locales. Comme dans l'idéologie officielle de l'Ouest, le nationalisme est une particularité des Balkans, produit de haines éternelles ou de modernisation manquée, tandis que l'universel et la modernité appartiennent à l'UE. La boucle de l'idéologie Européenne est bouclée.

Revenons à notre exemple : en Bosnie il ne peut y avoir d'alternative au système d'oligarchie ethnique et aux rivalités nationalistes sans qu'il soit mis fin au protectorat qui se tient derrière.

A moins que la gauche ne développe une opposition concrète à l'ingérence impérialiste et à la dépendance économique, elle sera incapable de faire la lumière sur la dépendance des nationalistes sur leurs supports extérieurs.
Ce n'est qu'en montrant que les inégalités ne peuvent être vaincues si les forces progressistes demeurent divisés entre les nations, comme elles l'ont été durant le mouvement des Plénum en 2015, c'est-à-dire que ce n'est qu'en défendant le droit d'association libre entre toutes les nationalités contre toutes les formes de coercition - qu'il sera possible de dépasser la suspicion mutuelle entre les peuples de Bosnie, de créer une tendance pour un internationalisme et l'unité populaire.

Plutôt que l'Union des États Socialistes d'Europe, nous suggérons une alternative stratégique plus modeste - une rupture avec le statu-quo dans la région !

Dans le cas des Balkans, une rupture avec l'UE au niveau de l'État-nation serait seulement un premier pas pour surmonter la dépendance externe et la division interne de la région. Il ne peut représenter un tel pas que s'il est lié à la perspective d'une nouvelle forme régionale d'association et la solidarité. Ceci est la perspective d'une fédération balkanique, en somme, une forme de coopération unissant les peuples de la région dans un but commun : libérer la région de la dépendance externe et du conflit nationaliste, maximiser la sécurité sociale de ses peuples et en faire les sujets de leur propre destin. Il n'y a que la Fédération balkanique qui puisse créer une alternative internationaliste aux luttes nationalistes sur le Kosovo, la Bosnie et la Macédoine, ces luttes qui permettent aux pouvoirs impérialistes de diviser pour régner ; cela peut fournir le cadre nécessaire pour l'autodétermination et l'unification nationale de tous les peuples balkaniques ; et cela peut fournir une plate-forme pour la coordination régionale d'investissement pour s'atteler à résoudre les inégalités dans le développement.

Tijana :

Tijana poursuit en se concentrant sur les luttes locales en relation avec les déclarations précédentes d'Andreja. Pour elle, il est clair que les luttes locales sont limitées par l'UE, qui se comporte comme une véritable puissance coloniale.

Il a fallu 25 ans pour voir le premier soulèvement après la guerre, soulèvement qui a eu lieu uniquement dans une partie de la Bosnie, celle de la Fédération. Au contraire de la République Serbe, cela a été rendu possible par la centralisation moins prononcée de la Fédération, rendant une révolte plus susceptible de se produire.

Les luttes locales sont limitées par l'UE et la façon dont elle est représentée, en trois mots :

  • 1. L'agenda
  • (2) Les réformes
  • (3) La mise en œuvre des accords de Dayton (qui mettent fin à la guerre de '95)

Les soulèvements n'interviennent que dans une seule partie de la Bosnie (la Fédération) parce que la Bosnie est ethniquement divisée avec la Serbie. Mais à l'intérieur de la Fédération de Bosnie, elle est répartie entre les Bosniaques et les Croates.

Les positions de l'UE ont provoqué de grandes manifestations l'an dernier, de par sa figure néocoloniale symbolisée par l'impérialisme de la Troïka. Elle a obligé l'adoption d'un programme de réformes austéritaires et néolibérales, retirant par la même à la Bosnie-Herzégovine son autonomie budgétaire. La banque nationale n'a ainsi aucune réelle fonction. Le taux de change est fixé par l'Europe ce qui empêche tout flexibilité pour la Bosnie sur ses exportations.
La Bosnie est actuellement complètement dépendante des prêts du FMI qui fixe par la même le niveau des salaires dans une situation où le taux de chômage n'a jamais été aussi important (entre 40 et 45 %). Par ailleurs, la corruption est omniprésente puisqu'il faut être membre d'un parti politique pour pouvoir prétendre à un emploi. Situation exacerbée par l'UE qui souhaite, par la modification des législations locales (chômage, écologie), établir de nouveaux barrages en faveur des réformes néolibérales.

A l'image des mémorandums imposés à la Grèce, il est clair que l'idéologie de l'UE est celle du « There Is No Alternative » (TINA). Toujours les mêmes recettes au menu, avec un contrôle toujours moins important du capital, un affaiblissement des syndicats et des négociations collectives dans un cadre plus général. L'éducation est en première ligne, avec la fermeture de nombreuses écoles primaires et de graves mesures portant atteinte à l'autonomie des universités.

L'Europe de l'Est est clairement considérée par l'UE comme une entité périphérique, ces réformes néolibérales allant de paire avec l'impérialisme et le pillage des ressources, notamment à travers les privatisations.

Au-delà de cette situation, les personnes pensent que la corruption de masse n'est le fruit que de quelques personnalités. Mais en réalité, c'est bien l'essence même de ce système. Le combat contre l'idéologie de l'UE est donc désormais la seule façon de se positionner à gauche.

Fin des présentations, début des Questions/Réponses :

Q : Les habitants des régions baltes parlent d'impérialisme russe et non d'impérialisme de l'UE. Pourquoi, si tel est le cas, cela n'a rien à voir avec le niveau d'inégalité ?
Tijana : Pourquoi ? Le communisme tout comme en Yougoslavie a été diabolisé Ne parler que de l'impérialisme russe est un effet de l'idéologie de l'UE.

Q : Je crois avoir entendu Andreja parler de yougoslavisme, quel est l'état de cette nostalgie dans l'ensemble de l'ex-yougoslavie ?
Tijana : La nostalgie de la Yougoslavie varie selon les républiques. En Croatie elle est moins importante qu'en Bosnie. Nous savons que sous Tito tout n'était pas parfait, mais il nous a donné au moins donné quelque chose.
Les retraités sont venus aux plénums dont ils ont bien compris l'importance et l'utilité, bien plus que les jeunes. Ils avaient effectivement une nostalgie de l'ancien système.
Andreja : Cette nostalgie ne se cristallise pas en une tentative de faire du passé quelque chose d'utile. Mais elle est un instrument pour ceux qui défendent des alternatives. Les élites savent que les gens pensent qu'ils vivaient mieux sous Tito, et utilisent cela pour les combattre.

Q : Quel est l'état de la gauche radicale en Bosnie ? Est-ce que l'on peut considérer que les ingrédients d'une prochaine explosion nationaliste sont réunis en Bosnie, quelles sont vos prévisions sur le sujet ?
Tijana : Elle n'est pas complétement pessimiste mais les gens ne sont pas prêts à mener une nouvelle guerre. Les conflits et la montée du nationalisme vont continuer. La république Serbe a déjà fait des concessions, mais pas la Fédération.

Andreja : D'un point de vue de l'économie politique (pas seulement de la gauche), ils produisent des travailleurs migrants, qui compensent le déficit démographique. Marx disait que la région est tout simplement un élément dans le fournisseur de main-d'œuvre mondiale.

D'un côté le FMI considère que la productivité n'est pas assez élevée en Bosnie, de l'autre la Banque mondiale considère que son économie est de plus en plus intégrée à la chaîne de valeur mondiale, avec un coût du travail bon marché. Mais en réalité, la Bosnie n'a aucun pouvoir, avec une économie très faible. Il est important de souligner le fait que le pays n'a pas de contrôle budgétaire ni monétaire. Par exemple, les banques sont essentiellement libres de faire ce qu'elles veulent au niveau des taux d'intérêts. L'État n'a pas de revenu et aucune politique macro-économique n'est réellement possible.

De surcroît, les problèmes économiques sont transformés en problèmes nationalistes. La question est compliquée depuis longtemps déjà, puisque sous Tito, la Bosnie n'existait pas, la Yougoslavie était constituée de serbes, de croates et de musulmans.

Q : Qu'en est-il du paysage politique, des forces en présence, de la gauche radicale ?
Il y en a plusieurs, certaines issues d'initiatives individuelles, d'autres collectives, à la fois formelles et informelles, mais pas organisées en un parti de gauche.

Q : A propos des luttes féministes, comment s'exprime la voix des femmes ?
A vrai dire, le féminisme est inconnu en tant que tel en Bosnie. Le féminisme, qu'il soit radical ou socialiste n'existe presque pas, et le débat est difficile a lancer pour le moment. Le statut des femmes ne progresse pas, avec des salaires en baisse et des familles plus élargies. Il semblerait que les inégalités s'accroissent à ce niveau.

La femme est vue avant tout comme une mère, même si des initiatives entrepreneuriales existent. Notamment dans la culture des fraises et des myrtilles. Mais la production est vendue à un prix trop bas, confrontée aux problèmes des intermédiaires.

Dans l'industrie textile, on voit une représentation de plus en plus faible des femmes avec un « Etat-Providence » proclamant un discours pro-famille où la femme doit être au foyer.

Quelques initiatives existent néanmoins, notamment avec Rosa Lux Stiftung qui fait un travail important d'éducation politique pour former un syndicat féministe. Mais des progrès restent à accomplir.

Dans les progrès à faire, à titre d'exemple frappant, on peut prendre le cas des victimes des viols de guerre. L'Etat n'a rien fait. La plupart de ces femmes n'ont pas le statut de victime de guerre et dans certains cantons ne reçoivent aucune compensation financière. Au contraire des hommes, qui eux ont toujours reçu leurs pension de guerre. Pour obtenir cette compensation, les femmes doivent prouver que 70% de leur corps a été endommagé, et qu'il ne leur ait plus possible de coudre ou tricoter par exemple...

De plus, les femmes sont instrumentalisées dans les discours, ce qui attise les tensions nationalistes. Par exemple, lorsque l'UE et le FMI ont demandé la diminution des pensions militaires, le gouvernement a décidé de réduire les dépenses dans l'éducation.

Q : A qui profite le discours anti-europe ? Quels partis, quelles institutions ? L'extrême droite ? Conflits au sein de la gauche radicale ?
En Serbie, les anti-européens sont désignés comme des « pro-Moscou ». L'UE mène une politique hégémoniste, ce qui provoque une attraction magnétique.
Pourtant, une ouverture et un motif d'espoir serait de rompre avec les mémorandums. Cela pourrait renverser le rapport de force, et transférer les problèmes depuis la périphérie vers le centre.

Q : L'UE est en échec et on a perdu notre souveraineté, à quoi servent nos luttes locales si on est dirigé par un pouvoir supranational ?
Les luttes locales permettent de contester l'alliance entre le pouvoir exécutif de l'Etat national et les technocrates du pouvoir supranational. C'est notamment en cela qu'il est utile et indispensable.

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