17/11/2015 tlaxcala-int.org  11min #104900

 How Does Isis Fund Its Reign of Terror?

Isis Inc.: comment le pétrole finance les terroristes djihadistes

Financial Times

Les opérations pétrolières des djihadistes forcent même leurs ennemis à commercer avec eux

par Erika Solomon à Beyrouth, Guy Chazan et Sam Jones à Londres
Informations complémentaires d'Ahmad Mhidi, journaliste indépendant basé à la frontière turque et de Geoff Dyer à Washington

Aux abords du champ pétrolier d' Al Omar, dans l'est de la Syrie, survolé par des avions de combat, une file de camions s'étend sur 6 km. Certains chauffeurs attendent jusqu'à un mois pour faire le plein de brut.

Des stands de falafels et des kiosques de thé ont vu le jour pour restaurer les chauffeurs, tant la demande de pétrole est forte. Des camionneurs laissent parfois leurs camions sans surveillance pendant des semaines, en attendant leur tour.

Nous sommes dans l'Isisland, le territoire contrôlé par l'organisation djihadiste dans des parties de la Syrie et de l'Irak. Le commerce de pétrole a été déclaré une cible privilégiée par la coalition militaire internationale qui lutte contre le groupe. Et pourtant le business continue, tranquillement.

Le pétrole est l'or noir qui finance le drapeau noir d'Isis - il alimente sa machine de guerre, fournit de l'électricité et donne aux djihadistes fanatiques un levier crucial sur leurs voisins.

Mais plus d'un an après que le président US Barack Obama a lancé une coalition internationale pour combattre l'Isis, le commerce animé à Al Omar et sur au moins huit autres champs pétroliers est venu à symboliser le dilemme auquel la campagne fait face : comment démanteler le «califat» sans déstabiliser la vie des civils, estimés à 10 millions, vivant dans les zones sous contrôle de l'Isis, et sans punir les alliés de l'Occident?

La résilience de l'Isis, et la faiblesse de la campagne menée par les USA, ont donné à la Russie un prétexte pour lancer sa propre intervention audacieuse en Syrie.

Malgré tous ces efforts, des dizaines d'entretiens avec des commerçants et des ingénieurs pétroliers syriens ainsi qu'avec des responsables du renseignement et les experts pétroliers occidentaux révèlent une opération tentaculaire presque semblable à une société pétrolière d'État qui a grandi en taille et en expertise en dépit des tentatives internationales pour la détruire.

Gérée minutieusement, la compagnie pétrolière de l'Isis recrute activement des travailleurs qualifiés, des ingénieurs aux formateurs et aux managers.

Selon les estimations de commerçants et d'ingénieurs locaux la production de brut en territoire barils par jour se maintient à environ de 34 000 à 40 000 bpj. Le pétrole est vendue à la sortie de puits pour entre 20 et 45 dollars le baril, ce qui rapporte aux militants une moyenne d' 1 million et demi de dollars par jour (= 1,4 M €).

"C'est une situation qui vous fait rire et pleurer", a déclaré un commandant rebelle syrien à Alep, qui achète du diesel à partir des zones Isis alors même que ses forces combattent ce le groupe sur les lignes de front. "Mais nous avons pas le choix, et nous sommes une révolution de pauvres. Est-ce quelqu'un d'autre propose de nous donner du carburant? "

Le pétrole comme arme stratégique

La stratégie pétrolière de l'Isis a été longue à se mettre en place. Depuis que le groupe a émergé sur la scène syrienne en 2013, longtemps avant qu'ils atteignent Mossoul en Irak, les jihadistes ont vu le pétrole comme un support pour leur vision d'un État islamique. Le conseil de la choura du groupe l'a identifié comme fondamental pour la survie de l'insurrection et, plus important encore, pour financer leur ambition de créer un califat.

La plus grande part du pétrole contrôlé par l'Isis se trouve dans l'est de la Syrie, riche en pétrole, où il

Voyage avec un baril de pétrole Isis La carte pétrolière de l'Isis  http://im.ft-static.com/content/images/89bf3728-ac52-4e59-955e-b7537b8b0482.img La vente de brut est la plus importante source de revenus de l'Isis. Suivez l'évolution d'un baril de pétrole de l'extraction à l'utilisateur final pour voir comment le système de production de l'Isis fonctionne, qui fait l'argent avec, et pourquoi il est si difficile de le perturber  Voir les infographies
a créé une place-forte en 2013, peu de temps après s'être retiré du nord-ouest - une zone d'importance stratégique, mais sans pétrole. Ces têtes de pont ont ensuite été utilisées pour consolider son contrôle sur l'ensemble de l'est de la Syrie après la chute de Mossoul en 2014.

Quand il fait sa percée à travers le nord de l'Irak et a pris Mossoul, l'Isis a également fait main basse sur les champs Ajil et Allas dans le nord-est de la province irakienne de Kirkuk. Le jour même de leur prise de contrôle, disent les habitants, les militants ont sécurisé les champs et des ingénieurs ont été envoyés pour commencer les opérations et acheminer le pétrole vers le marché.

"Ils étaient prêts, ils avaient des gens là en charge de l'aspect financier, ils avaient des techniciens qui ont ajusté les processus de remplissage et de stockage", a déclaré un cheikh local de la ville de Hawija, près de Kirkuk. "Ils ont amené des centaines de camions à partir de Kirkuk et de Mossoul et ils ont commencé à extraire le pétrole et à l'exporter". Une moyenne de 150 camions, a-t-il ajouté, étaient rempli chaque jour, chacune contenant environ pour 10 000 dollars de pétrole. L'Isis a perdu les champs au profit de l'armée irakienne en avril, mais a fait un chiffre d'affaires estimé à 450 millions de $ durant les 10 mois où il contrôlait la zone.

Alors qu'Al Qaïda, le réseau terroriste mondial, dépendait des dons de sponsors étrangers riches, l' Isis a tiré sa force financière de son statut de monopole comme producteur d'un produit essentiel consommé en grandes quantités dans toute la zone qu'il contrôle. Même sans être en mesure d'exporter, il peut prospérer, car il a un énorme marché captif en Syrie et en Irak.

En effet, le diesel et l'essence produits dans les zones Isis sont non seulement consommés dans le territoire contrôlé par le groupe, mais dans des zones qui sont techniquement en guerre avec lui, comme celle tenue par les rebelles dans le nord de la Syrie: la région est tributaire du carburant des djihadistes pour sa survie. Hôpitaux, magasins, tracteurs et machines utilisées pour tirer sur les victimes de gravats fonctionnent sur les générateurs qui sont alimentés par de le pétrole de l' Isis.

"À tout moment, le diesel peut être coupé. Pas de diesel et l'Isis sait que nous sommes morts ", dit un commerçant en pétrole qui vient d'Alep, tenue par les rebelles, chaque semaine pour acheter du carburant et a parlé au Financial Times par téléphone.

Une compagnie pétrolière nationale

La stratégie de l'Isis a reposé sur la projection de l'image d'un État en construction, et il tente de gérer son industrie pétrolière en imitant les méthodes d'entreprises pétrolières nationales. Selon Syriens qui disent que l'Isis a tenté de les recruter, le groupe fait la chasse aux ingénieurs, offrant des salaires compétitifs à ceux qui ont l'expérience requise, et encourage les employés potentiels à déposer leurs CV à son service des ressources humaines.

Un comité itinérant de ses spécialistes supervise les champs, surveille la production et interviewe les travailleurs sur les opérations. Il nomme également des membres de l'Isis qui ont travaillé dans des compagnies pétrolières en Arabie saoudite ou ailleurs dans le Moyen-Orient comme "émirs", ou princes, pour gérer ses installations les plus importantes, disent des commerçants qui achètent du pétrole à l' Isis et des ingénieurs qui ont travaillé sur des champs contrôlés par l' Isis.

Certains techniciens ont été activement courtisés par les recruteurs de l'Isis. Rami (pseudonyme) travaillait dans le pétrole dans la province syrienne de Deir Ezzor avant de devenir un commandant rebelle. Il a ensuite été contacté Irak via WhatsApp par un émir militaire de l'Isis en.

"Je pouvais choisir la position que je voulais, m'a-t-il promis", dit Rami. "Il a dit: " Tu peux fixer ton salaire". Sceptique sur le projet Isis, Rami finalement refusé l'offre et a fui vers la Turquie.

L'Isis recrute également parmi ses partisans à l'étranger. Dans le discours qu'il a prononcé après la chute de Mossoul, le leader de l'Isis Abou Bakr Al Baghdadi a lancé un appel non seulement à des combattants mais aussi à des ingénieurs, médecins et autres travailleurs qualifiés. Le groupe a récemment nommé un ingénieur égyptien qui vivait en Suède comme nouveau manager de sa raffinerie de Qayyara dans le nord de l'Irak, selon un ingénieur pétrolier irakien de Mossoul, qui souhaite garder l'anonymat.

Le rôle central du pétrole se reflète également dans le statut qui lui donné dans les structures de pouvoir de l'Isis.

L'approche du groupe pour le gouvernement des territoires qu'il contrôle est très décentralisée. Il repose principalement sur les walis - gouverneurs - régionaux pour administrer les territoires selon les préceptes édictés par la choura centrale.

Cependant, le pétrole - tout comme les opérations militaires et de sécurité Isis et l'activité médiatique sophistiquée - est contrôlé de façon centralisée par la direction suprême. "Ils sont organisés dans leur approche du pétrole", dit un haut responsable du renseignement occidental. "C'est un domaine clé contrôlé et documenté centralement. C' est une question centrale pour la choura,", ajoute-t-il, faisant allusion au " cabinet " qui commande l'Isis.

Jusqu'à récemment, l'émir d'Isis pour le pétrole était Abou Sayyaf, un Tunisien de son vrai nom, selon le Pentagone, Fathi Ben Aoun Ben Jildi Murad Al Tunisi [un drôle de "vrai nom", NdT], et qui a été tué par les forces spéciales US dans un raid en mai de cette année. Selon des responsables US et européens du renseignement, un trésor de documentation relative aux opérations pétrolières de l'Isis a été trouvé auprès de lui. Les documents mettaient à nu une opération minutieusement menée, avec des comptes soigneusement tenus pour les revenus des puits et coûts. montraient une approche pragmatique aussi pour la fixation des prix, l'Isis exploitant soigneusement les différences dans la demande à travers ses territoires afin de maximiser la rentabilité.

Le contrôle des puits de pétrole est soigneusement assuré par les Amniyate, la police secrète de l'Isis, qui veillent à ce que les revenus aillent là où ils doivent et infligent des punitions brutales quand ils ne le font pas. Des gardes patrouillent le périmètre des stations de pompage, tandis que les puits individuels éloignés sont entourés de bermes de sable de protection et chaque acheteur est soigneusement contrôlé comme il rentre pour remplir son camion.

Dans le champ d'Al Jibssa dans la province de Hassakeh, dans le nord-est de la Syrie, qui produit de 2 500 à 3 000 bpj, "environ 30 à 40 gros camions, chacun avec une capacité de 75 barils, venaient faire le plein chaque jour", selon un négociant en pétrole d'Hassakeh.

Le réseau de distribution de l'Isis

Mais le plus gros lot, c' est Al Omar. Selon un chauffeur qui y achète régulièrement du pétrole, le système, avec sa file d'attente de 6 km, est lent, mais les acteurs du marché s'y sont adaptés. Les chauffeurs présentent un document avec le numéro d'immatriculation et la capacité de leur camion-citerne aux fonctionnaires de l'Isis, qui les entrent dans une base de données et leur attribuent un numéro.

La plupart retournent ensuite dans leurs villages, faisant la navette vers le site tous les deux ou trois jours pour vérifier leurs véhicules. Des chauffeurs disent disent que vers la fin du mois, certains reviennent et montent des tentes pour rester près de leurs camions en attendant leur tour.

Une fois en possession du pétrole d'Al Omar, les commerçants l'amènent soit aux raffineries locales ou le vendent avec une majoration à des intermédiaires avec de plus petits véhicules qui le transportent vers des villes plus à l'ouest comme Alep et Idlib.

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Du producteur au consommateur

La bombance pétrolière de l'Isis pourrait ne pas durer. Les bombes de la coalition, l'intervention russe et les bas prix du pétrole pourraient exercer la pression sur les entrées financières. La plus grande menace pour la production de l'Isis cependant, a été à ce jour l'épuisement des champs pétroliers vieillissants de la Syrie. Il n'a pas la technologie des grandes entreprises étrangères pour contrer ce que les habitants décrivent comme une lente diminution de la production. Les besoins de l'Isis en carburant pour ses opérations militaires signifient qu'il y a donc moins de pétrole à vendre sur le marché.

Pour l'instant, cependant, sur le territoire contrôlé par l'Isis, les djihadistes contrôlent l'offre et il n'y a pas de pénurie de la demande. "Tout le monde ici a besoin de diesel : pour pomper l'eau, pour l'agriculture, pour les hôpitaux, pour les bureaux. Si le diesel est coupé, il n'y a pas de vie ici », dit un homme d'affaires qui travaille près d'Alep. "L'Isis sait que ça [le pétrole], c'est une carte gagnante."

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