La coalition internationale voulue par François Hollande pourra-t-elle détruire Daesh ? Réponse avec Jean-Claude Allard, spécialiste des politiques de défense
"Prochaine cible", par Paolo Lombardi
La coalition internationale "unique" que veut mettre sur pied François Hollande pourra-t-elle détruire Daesh ? Décryptage avec le général Jean-Claude Allard , directeur de recherches à l'IRIS, l'Institut de relations internationales et stratégiques, et spécialiste en politique de défense.
François Hollande veut "une coalition internationale unique" pour "détruire" Daesh. Est-ce enfin le début d'une stratégie claire ?
Jean-Claude Allard. Je ne crois pas. Surtout depuis que les turcs ont abattu, ce mardi, un avion russe. Ce dernier événement ne clarifie ni la constitution de la coalition, ni la stratégie militaire.
L'attaque de la Turquie contre cet appareil russe peut-elle bouleverser la donne ?
Je pense que ça va rebattre les cartes. D'un point de vue militaire, pour lutter contre l'État islamique dans son territoire, il faut fermer la frontière avec la Turquie. De ce fait, l'un des premiers membres qu'il aurait fallu faire entrer dans la coalition aurait été la Turquie. Et ce afin qu'elle déploie une armée à sa frontière pour arrêter les trafics, les approvisionnements... Or, en abattant cet avion russe, l'état turc a signifié qu'il n'y participera pas. L'État islamique continuera donc à bénéficier de ce cordon ombilical qui passe par la Turquie. A mon sens, la Turquie n'a pas basculé du bon côté. Elle privilégie la lutte contre le PKK et Bachar al-Assad et non pas contre l'État islamique.
Cette coalition ne risque-t-elle pas de faire, au moins à court terme, le jeu de Bachar al-Assad ?
Bachar al-Assad est un épouvantail que certains pays agitent pour cacher le fond du problème. Pour moi, il partira en fin de tableau. Mais à condition qu'on règle le problème de l'État islamique. Il faut d'ailleurs cesser de l'appeler Daesh. Il a du terrain, de l'armement et une aura internationale. La question de Bachar al-Assad n'est pas le fond du problème. La réalité, c'est que nous avons un Proche Orient complètement déstabilisé par des ambitions régionales antagonistes. La Turquie, l'Arabie saoudite, l'Iran et dans une moindre mesure le Qatar se livrent, sur le terrain syrien, à un bras de fer.
Quelles sont les forces estimées de l'État islamique à ce jour ?
Les évaluations - et cela mériterait d'être affiné - font état de 80 000 à 100 000 combattants, dont une partie d'étrangers. Avec cet ordre de grandeur, on peut néanmoins dire qu'ils sont assez nombreux pour conduire un combat défensif très dur sur leur territoire. Ils ont des capacités manœuvrières et tactiques qui leur permettront d'opposer une résistance solide à une opération aéro-terrestre dirigée contre eux. Ce sera très difficile.
Manuel Valls a dit craindre une attaque aux armes chimiques et bactériologiques en France. Daesh peut-il conduire un attentat de ce type ?
Les armes chimiques sont d'une manipulation assez difficile. Fin août 2013, les stocks d'armes chimiques de l'armée syrienne ont été saisis et détruits. Notamment parce qu'ils risquaient aussi d'être récupérés par les groupes islamistes. Aujourd'hui, il est vraisemblable que des groupes aient certains ingrédients et qu'ils essaient de voir comment les utiliser.
Pour l'heure, il est surtout question de frappes aériennes en Syrie et en Irak. Peut-on mener cette guerre à son terme sans intervention au sol ?
Non. Et cela suppose d'abord de construire une coalition qui accepte d'engager l'armée en Syrie et en Irak. Mais, à mon sens, il ne faut pas envoyer de troupes occidentales. En effet, si les Occidentaux sont les plus allants pour la mise en place d'une coalition et la nécessité de détruire l'État islamique, ils doivent, dans le même temps, s'interdire d'imaginer de mettre des soldats dans ce maelstrom. Car je vous rappelle que l'État islamique, ce n'est ni plus ni moins qu'un grand nombre de soldats irakiens de Saddam Hussein qui, licenciés par les américains en 2003, se sont retrouvés, pardonnez moi l'expression, au chômage. Ils ont été des cibles faciles pour s'enrôler contre les Américains. Là-dessus, s'est greffé tout le discours idéologico-religieux qui permet de faire monter la pression et d'inciter, aussi bien les populations locales que la jeunesse occidentale et orientale, à rejoindre ce califat.
A vous entendre cette guerre contre l'État islamique est loin d'être gagnée d'avance ?
Des groupes islamistes qui s'attaquent à l'Occident, il y en a un peu partout. Comme l'État islamique a réussi à s'emparer de vastes territoires, il a attiré à lui un grand nombre d'entités qui lui ont prêté allégeance. Au Nigéria, au Mali, en Libye, en Afghanistan, au Pakistan et en Égypte. Donc c'est un catalyseur. Il faut le traiter, mais on ne peut pas le faire au détriment de la ligne de défense qu'on a établie dans la bande sahélo-saharienne, ni au détriment de la sécurité en France.
Ce qui implique de se battre partout à la fois ?
L'État islamique a trois objectifs : reconstituer son territoire originel, étendre sa domination à l'ensemble du monde musulman et conquérir Rome, autrement dit l'Europe. Aujourd'hui, il se bat pour tenter de reprendre Damas, il se bat sur l'axe nord-africain et il a porté le fer en Europe. On ne peut pas abandonner un front au profit d'un autre.