Par Guillaume Borel
Combattants extrémistes, soutenus par la coalition internationale composée de 65 pays qui est censée les combattre !
L'entrée en guerre de la fédération de Russie sur le théâtre syrien a eu le mérite immense, outre son efficacité dans la lutte contre l'organisation Etat Islamique, de révéler certaines vérités jusque-là soigneusement occultées par les membres de la coalition internationale sur la réalité opérationnelle de la guerre par procuration menée par la Turquie contre le régime de Bachar al-Assad.
La campagne aérienne russe a permis tout d'abord de révéler la véritable nature de l'opposition soit disant « modérée » soutenue par la coalition internationale et la France sur le terrain, à savoir un ensemble de groupes salafistes collaborant plus ou moins épisodiquement et étroitement avec le front al-Nosra et l'organisation Etat Islamique.
Un deuxième fait d'une importance capitale vient de surgir dans l'espace diplomatique et informationnel international à la suite du bombardement d'un SU-24 russe par l'aviation turque ce mardi. Alors qu'Ankara affirme que l'aéronef avait violé son espace aérien, en invoquant la légitime défense, le chasseur russe effectuait une opération contre des combattants de Daech dans la région de Lattaquié, sur le territoire syrien. Il aurait été abattu alors qu'il se trouvait à 1 km à l'intérieur du territoire syrien, selon le président russe Vladimir Poutine. Ces données ont été confirmées par le suivi radar effectué à la base militaire de Hmeymim qui a enregistré la violation de l'espace aérien syrien par un F-16 turque. S'il s'avère effectivement que l'aviation turque a bien violé l'espace aérien syrien afin d'abattre un SU-24 en opération contre l'Etat Islamique, cela constitue un aveu aussi bien qu'une confirmation quasiment officielle du soutien opérationnel que fournit Ankara aux groupes terroristes opérants en Syrie qu'elle prétend par ailleurs combattre, d'où la conclusion du président Vladimir Poutine :
« Si [les terroristes] ont l'argent de la vente du pétrole et la défense armée de certains, alors il devient évident pourquoi ils se comportent si hardiment, pourquoi ils commettent des actes terroristes dans le monde entier, y compris au cœur de l'Europe. »
Les affirmations du président russe ont ainsi l'immense mérite de faire surgir sur la scène diplomatique et informationnelle internationale le véritable rôle de la Turquie dans le conflit syrien qui a consisté essentiellement a apporter un soutien logistique à l'Etat Islamique en facilitant le passage des djihadistes sur son territoire, en écoulant sa contrebande de pétrole et en lui fournissant une zone de repli opérationnelle. En 2014, Taimoor Aliassi, représentant à l'ONU de l'Association pour les droits humains au Kurdistan estimait que plus de 10000 djihadistes avaient déjà transité par la Turquie pour aller combattre dans les rangs de Daech. Le journaliste Christian Chesnot citait sur son blog Quai d'Orient en novembre 2014 un diplomate en poste à Istambul affirmant :
« Des éléments de l'Etat islamique se font soigner dans les hôpitaux turcs. Les djihadistes passent la frontière pour se reposer et tenir des réunions en territoire turc alors que les services de renseignement turc sont parfaitement au courant. »
Au niveau géopolitique, l'irruption de la Russie dans le ciel syrien depuis début septembre a mis à mal les plans d'Ankara afin d'installer un califat salafiste en Syrie. La Turquie militait notamment depuis l'été 2014 auprès de la coalition occidentale et des Etats-Unis en faveur de l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne le long de sa frontière avec l'état syrien, et avait fait de ce sujet le préalable à son ralliement à la coalition internationale. Dans les faits, l'instauration d'une « no fly zone » aurait interdit toute action de l'aviation syrienne et permis aux troupes de l'Etat Islamique d'opérer dans la région en toute sécurité en profitant de la couverture aérienne turque. L'engagement de la Russie dans le conflit début septembre a abouti au schéma inverse en interdisant de facto les intrusions répétées de l'aviation turque dans l'espace aérien de la Syrie jusqu'à l'incident de mardi.
Les affirmations du président Russe Vladimir Poutine sur le véritable rôle de la Turquie dans le conflit sont également étayées par le bilan des opérations militaires conduites jusqu'à présent par Ankara. Si depuis son ralliement officiel à la coalition internationale à l'été 2015 l'armée turque a bien mené quelques frappes contre des positions de l'Etat Islamique, elle en a surtout profité pour cibler les combattants kurdes du PKK, qui sont une des principales forces luttant sur le terrain aux côtés de l'armée syrienne contre Daech. Ainsi, le 10 Août, Ankara lançait une campagne de bombardements massifs contre les positions du PKK et le 21, le gouvernement turc annonçait avoir tué 771 « rebelles ». La campagne aérienne turque contre Daech a ainsi servi de prétexte pour viser essentiellement la rébellion kurde en Turquie et en Irak...
Dans le même temps l'aviation russe avait mené entre le 30 septembre, date du début de l'intervention, et le 04 novembre, près de 1600 missions de combat et détruit plus de 2000 positions de djihadistes. Cet appui aérien massif a permis à l'armée syrienne de mener une vaste contre-offensive début octobre qui s'est soldée à ce jour par une progression sur tous les fronts où elle avait été engagée. Selon l e général Gerassimov, chef d'état-major de l'armée russe, l'armée syrienne a libéré 40 zones résidentielles dans la province d'Alep, dans le nord du pays, ainsi que la base aérienne de Kweiris et pour la première fois en quatre ans de combat, l'armée syrienne a libéré 80 zones résidentielles, et repris le contrôle d'un territoire de plus de 500 kilomètres carrés...
La Russie a donc fait mieux en un mois d'intervention que la coalition internationale en plus d'un an, ce qui ne peut effectivement que laisser planer le doute sur la volonté réelle de cette coalition de lutter contre l'Etat Islamique.
Il aura également fallu l'intervention russe pour que les convois de pétrole de l'organisation terroriste à destination de la Turquie et les installations pétrolières sous son contrôle soient enfin pris pour cible alors qu'il était de notoriété publique que cette contrebande constitue une des principales recettes du groupe djihadiste.
Au vu des succès de l'intervention militaire russe, on ne peut donc que se demander, en poursuivant le raisonnement de Vladimir Poutine, si le SU-24 abattu par Ankara n'est pas une provocation délibérée autant que désespérée dans le but de provoquer une confrontation militaire avec l'OTAN qui apparaît aujourd'hui comme le seul moyen pour la Turquie d'enrayer la contre-offensive lancée par la Russie et ses alliés régionaux contre l'organisation Etat Islamique...
Guillaume Borel
Guillaume Borel est l'auteur de l'essai Le travail, histoire d'une idéologie, qui vient de paraître aux Éditions Utopia. Documentaliste et essayiste, Guillaume Borel collabore à plusieurs médias indépendants d'information numérique.
La source originale de cet article est arretsurinfo.ch