Baignant dans la bonne humeur, superbement organisés, résolument pacifiques, absolument déterminés : les cyclistes de la Tracto-Vélo, partis de Notre-Dame-des-Landes arrivent dans l'agglomération parisienne samedi 28 novembre. Pour faire entendre la voix des citoyens sur le climat.
Coulombs (Eure-et-Loir), Emancé (Yvelines), reportage
C'est avec la pleine lune comme unique éclairage que j'atteins un petit bosquet perdu au milieu des champs beaucerons, à quelques kilomètres du village de Coulombs (28).
En ce jeudi 26 novembre, le thermomètre avoisine les 5°C, et la fumée des braseros apparaît comme le premier signe de bienvenue.
Une dame emmitouflée apparaît derrière un camion orné d'une banderole « Cap sur la COP », et lance dans un sourire : « Vous rejoignez le convoi ? ». Le lieu-dit du Bois-Midi accueille pour un soir la tracto-vélo, une caravane d'un genre nouveau partie de Notre-Dame-des-Landes samedi 21 novembre en direction de Paris.
Une longue rangée de véhicules, puis des dizaines et des dizaines de bicyclettes, jalonnent l'entrée du campement. A l'entrée, une petite guitoune avec un tableau où chacun peut s'inscrire s'il recherche un hébergement en dur pour la nuit.
Une roulotte en palettes accrochée à un tracteur sert de Point info. A l'intérieur, Alain (tous les prénoms ont été modifiés) délivre un feuillet rassemblant les informations pratiques : horaires de repas, règles de vie, répartition des tâches.
« Il s'agit d'un camp autogéré », explique-t-il. « Chacun est invité à participer aux tâches quotidiennes, comme la cuisine, la vaisselle, le rangement. » Des commissions organisent en amont les trajets, les repas ou la communication du convoi, financé grâce aux dons « à prix libre ». Il ne manque rien : une cantine végétalienne, une équipe médicale, un atelier de réparation de vélo, un groupe « Oreille », chargé d'écouter les problèmes de chacun, d'éviter les agressions et de réguler les conflits.
Dehors, deux jeunes hommes grimpent sur une estrade improvisée, mégaphone en main. Ce sont les crieurs du soir, chargés de déclamer les messages reçus toute la journée dans la petite « boîte à mots ». Ils annoncent : « Recherche une écharpe noire », « On est bien tous ensemble ! », « Qui veut apprendre à fabriquer un moteur à électrolyse ? »... et puis un « Bienvenue aux gens du Sud ! ». Car ce soir, une vingtaine de marcheurs partis de la ZAD d'Agen début octobre viennent de rejoindre le convoi. D'autres militants en provenance de Bure (Meuse) sont attendus le lendemain.
« Pas taper, pas casser »
Dans la file pour prendre son repas - galette de sarrasin aux champignons, boulgour et légumes - chacun apprend à se connaître. Une jeune Rennaise discute avec un Anglais de passage depuis quelques mois à Notre-Dame-des-Landes. Un couple de retraités venu de La Rochelle en vélo sympathise avec un infirmier. « Nous sommes tous très différents, avec des âges, des vécus, des caractères distincts, mais nous sommes là pour la même chose », observe Jean-Pierre. « Il y a une très bonne ambiance, les rencontres sont riches. »
Zadistes, paysans, membres de comités de soutien ou amoureux du vélo, tous ont répondu à l'appel du convoi. Leur objectif, « porter nos luttes de territoire et dénoncer la mascarade de la COP », à Paris. Mais depuis l'annonce de l'état d'urgence, les interdictions de manifester tombent, et la capitale s'est transformée en « zone interdite. »
Qu'à cela ne tienne, l'important est de « rester soudé ». « On veut aller tous ensemble le plus loin possible », tel est le leitmotiv partagé par tous les participants. Une envie résumée grossièrement par un « pas taper, pas casser » consensuel. Afin d'éviter les tensions et les divergences quant aux stratégies d'actions, les décisions sont discutées en assemblée générale, tous les soirs. « Nous construisons un faire-ensemble, en prenant soin les uns des autres, en écoutant les avis de chacun, en pratiquant l'autogestion », explique Cécile.
Pour Cyril, paysan en Loire-Atlantique, c'est justement cette diversité qui fait la force du mouvement. « C'est tous ensemble - avec le combat juridique, paysan, zadiste - qu'on arrivera à faire tomber le projet. Et c'est tous ensemble qu'on arrivera à terminer ce convoi. »
Les militants peuvent d'ailleurs compter sur la solidarité d'habitants sympathisants de la cause. Ce soir-là, plus de 130 personnes ont ainsi pu dormir au chaud, logées dans des maisons voisines.
« Notre bonne humeur est contagieuse »
Bien loin des images d'opposants agressifs, le convoi Cap sur la COPa tout d'une caravane militante, conviviale et festive. D'ailleurs, après avoir craint « des groupuscules radicaux », la préfecture d'Eure-et-Loir s'est finalement félicitée d'un passage sans encombre sur son territoire. « Notre bonne humeur est contagieuse », sourit un cycliste. Le vendredi matin s'éveille d'ailleurs avec une bonne nouvelle : les autorités franciliennes ont finalement décidé de laisser passer les véhicules, sans pour autant lever l'interdiction de manifester.
Après une tasse de café, des réunions techniques et un grand rangement, tout le monde se met en branle. Une voiture passe en tête, suivie d'une centaine de cyclistes. Puis viennent les tracteurs et autres véhicules à moteurs, avant un autre peloton cyclopède. Vélos couchés dernier cri ou engins rafistolés, chacun se met en selle. Les sonnettes répondent aux trompettes, des « COP21, mascarade ! » résonnent entre les arbres. Certains arborent des masques colorés, pour éviter d'être identifié par les gendarmes et les RG (renseignements généraux) qui suivent de près la procession.
Ce vendredi, il n'y a que 20 km à parcourir pour rejoindre Emancé, petite commune des Yvelines où un agriculteur propose des champs et des hangars pour accueillir la troupe. Une fois en route, le convoi s'étend sur près d'un kilomètre, créant à chaque intersection des embouteillages. L'occasion de distribuer des tracts et de discuter avec les automobilistes, généralement compréhensifs, parfois énervés, souvent enthousiastes. Des cyclistes se détachent du peloton pour réguler la circulation, quand ce n'est pas déjà fait par les policiers qui veillent tout au long du trajet.
A l'arrivée, la troupe vélocipédique déballe le campement pendant que des petits groupes planchent sur la suite. Car l'objectif initial d'un banquet final samedi 28 novembre, près de Châtillon dans le sud de Paris, semble encore très compromis. Même si le sous-préfet des Yvelines vient de passer voir « si tout allait bien », chacun craint des blocages policiers. Les nouvelles des perquisitions et des assignations à résidence de membres proches du mouvement suscitent colère et inquiétude.
Certains souhaitent « aller jusqu'au point de blocage pour montrer notre refus de l'état d'urgence et rendre visible la lutte » tandis que d'autres préfèrent éviter tout risque de dérapage. Mais malgré les divergences, tous semblent d'accord sur un point : « On ira jusque là où on pourra, avec notre détermination et l'envie de rester tous ensemble. »
Samedi, en tout cas, rendez-vous est donné à 14 h au RER C Château de Versailles - rive gauche. Chacun(e) est invité(e) à venir "avec de quoi festoyer et partager : une petite tarte salée, sucrée ou votre plat préféré." Le "banquet" devrait commencer à 14 h à Versailles, place d'Armes.
Source : Lorène Lavocat pour Reporterre
Moyens techniques : le vélo d'Emilie Massemin
Photos : © Isabelle Rimbert/Reporterre.