Dimanche 29 novembre, une dizaine de milliers de personnes ont formé une chaîne humaine à Paris, pour déclarer « l'état d'urgence climatique ». Un rassemblement non-violent et joyeux, tenu malgré l'interdiction de manifester.
Paris, reportage
« Bonjour, veuillez avancer le long du boulevard, pour ne pas créer d'attroupements ! » Dès la sortie du métro Voltaire, des militants en gilet jaune accueillent les manifestants. Mais peut-on parler de manifestants ? Car la chaîne humaine qui se forme ce dimanche midi entre la place de la Nation et celle de République n'a pas officiellement le statut de manifestation autorisée. « Malgré l'état d'urgence, nous refusons de rester muets, explique Geneviève Azam, porte-parole d'Attac, l'une des organisations à l'origine de l'initiative. La chaîne permet de symboliser notre responsabilité partagée et notre solidarité. »
Plus que de braver l'interdiction, il s'agit pour les militants de réaffirmer « l'état d'urgence climatique », et de mettre la pression sur les gouvernements, à quelques heures de l'ouverture de la Conférence climat. C'est ce que nous explique Jean-Pierre Dubois, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme.
Jean-Pierre Dubois :« Nous disons aux gouvernements, ne soyez pas des dinosaures... »
Une COP21 qui ne pourra réussir, d'après Jon Palais, d'Alternatiba, que grâce à une mobilisation massive de la société civile : « L'action des citoyens est aussi importante que celle des gouvernements, car leurs engagements médiocres nous emmènent tout droit vers le chaos climatique. » Pour le militant écolo, le gouvernement a ainsi commis une « faute » en interdisant les rassemblements. « Les attentas ont créé un état de stupéfaction, il faut en sortir, lever le couvercle », ajoute-t-il.
Sur les trottoirs du boulevard Voltaire, des centaines de personnes ont donc répondu à l'appel. Venus en famille ou entre amis, tous se prennent la main dans la bonne humeur. « La dégradation du climat et des écosystèmes va nous entraîner vers toujours plus de guerres, estime Laurence, une banderole « À qui profite le chaos ? » tenue à bout de bras. Résoudre le climat, c'est œuvrer pour la paix dans le monde. » Un avis partagé par Pierre, la quinzaine, heureux d'être là, « même s'il a fallu se lever à 9 h un dimanche ». « Il y a 100 personnes qui meurent à cause du terrorisme, et on en parle pendant des semaines, alors qu'on ne parle jamais des 600.000 personnes qui sont tuées à cause du changement climatique », explique-t-il.
Plus loin, une femme-pingouin discute avec un homme maquillé de vert qui lui tend un tract sur le gaz de schiste. Nucléaire, Notre-Dame-des-Landes, Tafta... toutes les luttes écologiques sont représentées. Tous les combats, et tous les pays. Cathy est venue du Canada pour « mettre la pression sur les gouvernants », et Pablo arrive de Bolivie afin de porter « la voix des communautés autochtones menacées par le changement climatique ». D'autres préfèrent mettre en avant les solutions en arborant des éoliennes miniatures. Isidore et Sacha - 10 et 8 ans - détaillent leurs gestes quotidiens pour la planète : « On prend des douches de 5 minutes maximum, on choisit le métro plutôt que la voiture, et puis surtout, on vient ici pour manifester ! »
Des citoyens « déterminés »
Des cyclistes vêtus de gilets verts sillonnent le boulevard, portant des messages d'un bout à l'autre de la chaîne : « On manque de gens à Charonne ! » Vers 12 h 10, la nouvelle arrive sous forme de clameur : « Ça y est, on a rejoint les deux places, il y a plein de monde ! » Batucada et accordéon redoublent de vigueur musicale, apportant une touche résolument festive au rassemblement pacifique.
Puis à 12 h 30, moins de 45 minutes après le début de l'événement, l'annonce tombe d'un mégaphone : « Merci à tous, merci pour la planète, il faut maintenant se disperser ! » Un grand-père, sa petite fille sur les épaules, grommelle : « Quoi, déjà ? Mais on n'a pas lancé tous nos slogans. » Plusieurs personnes refusent de se lâcher, et continuent de crier « Changeons le système, pas le climat ! » Mais rapidement, le gros des troupes reprend son chemin le long du boulevard. Place Léon-Blum, Guillaume Durin, d'Alternatiba, rayonne : « Plus de 10.000 personnes, c'est un signal très fort pour montrer que les citoyens entendent se mobiliser sur la question de l'urgence climatique. »
Guillaume Durin.
Sans parler de victoire, les organisateurs se félicitent de la présence en nombre de citoyens « déterminés », prêts à mettre en œuvre « des nouvelles pratiques de désobéissance massive non-violente » : « Pour faire face aux interdictions, nous avons aujourd'hui besoin de toute l'inventivité, de toute l'imagination sociale dont nous sommes capables, sourit Geneviève Azam. Nous avons été relégués sur les trottoirs, privés de grande marche, mais nous ne sommes pas désarmés ! »
Geneviève Azam.
14 h. Des dizaines de personnes remontent à présent vers la place de la République. Certains portent une paire de tennis à déposer près de la statue, dans le cadre de l'opération « Nos chaussures marchent pour nous », lancée par l'ONG Avaaz. À quelques mètres de l'arrivée, une centaine de manifestants du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste) et d'Ensemble avancent lentement mais sûrement vers un cordon de CRS. Parmi eux Nico, venu revendiquer « son droit à manifester pour l'urgence climatique ».
Manifestant désobéissant.
L'opération « Nos chaussures marchent pour nous » s'est bien déroulée place de la République. Mais c'était le matin.
Arrivée à République, la fumée blanche et une sensation piquante dans les narines témoignent du recours à des gaz lacrymo. Malgré la présence massive des policiers, des centaines de personnes arpentent encore la place, dont de nombreuses familles. De festive et joyeuse, l'ambiance se tend peu à peu. Une troupe de l'Armée du Clownistan tente d'apaiser l'atmosphère en organisant un « 1, 2, 3 soleil » improvisé devant des CRS impassibles.
Clownistan.
Source : Lorène Lavocat pour Reporterre
Photos : ©Éric Coquelin/Reporterre