En interdisant les manifestations pendant la COP21, Hollande réduit au silence ceux qui subissent les pires impacts du changement climatique et de sa monstrueuse violence
Andrzej Krauze/Guardian
La sécurité de qui doit-elle être protégée par tous les moyens ? La sécurité de qui sacrifie-t-on à l'occasion, malgré les promesses de faire de son mieux ? Ce sont les questions au cœur de la crise climatique, et les réponses qui y sont données expliquent pourquoi les sommets sur le climat finissent si souvent par de l'acrimonie et des larmes.
La décision du gouvernement français d'interdire les manifestations, marches, défilés et autres « activités de plein air » pendant le sommet sur le climat de Paris est inquiétante à plusieurs niveaux. Celui qui me préoccupe le plus a à voir avec la manière dont cela reflète l'inéquité de la crise climatique elle-même - et cette question centrale de savoir la sécurité de qui est en dernière analyse valorisée dans notre monde déséquilibré.
Première chose à comprendre : les personnes confrontées aux pires conséquences du changement climatique n'ont pratiquement aucune influence sur les débats occidentaux portant sur les moyens à mettre sérieusement en œuvre pour empêcher la catastrophe du réchauffement climatique global. Les grands sommets climatiques comme celui de Paris sont de rares exceptions.
Pendant deux semaines seulement, une fois toutes les quelques années, la voix des personnes qui sont le plus gravement touchées peut se faire un petit peu entendre là où les décisions cruciales sont prises. C'est pourquoi des habitants des îles du Pacifique et des chasseurs inuits comme des membres de minorités ethniques à faible revenu de lieux comme la Nouvelle-Orléans font des milliers de kilomètres pour y assister.
Le coût est énorme, en dollars comme en dioxyde de carbone, mais la participation au sommet est une chance unique pour parler de changement climatique d'un point de vue éthique et donner un visage humain à la catastrophe en cours.
Deuxième chose à comprendre : même dans ces rares moments, les voix des gens engagés en première ligne ne peuvent se contenter d'une plateforme dans les réunions officielles sur le changement climatique, dans lesquelles le microphone est monopolisé par les gouvernements et les grands groupes verts bien financés. Les voix des gens ordinaires se font avant tout entendre dans les rassemblements de base parallèles au sommet, et dans les manifestations, qui à leur tour bénéficient d'une couverture médiatique. Maintenant le gouvernement français a décidé d'ôter le plus bruyant de ces mégaphones, arguant qu'en devant assurer la sécurité des manifestations, il compromettrait sa capacité à assurer la sécurité de la zone officielle du sommet où les politiciens doivent se réunir.
Certains estiment que l'annulation de manifestations est justifiée par le contexte de menace terroriste. Mais un sommet climatique de l'ONU, ce n'est pas comme une réunion du G8 ou de l'OMC, où les puissants se rencontrent et où les démunis essaient de perturber la fête. Les manifestations parallèles de la « société civile » ne sont pas un simple supplément, ou des distractions, qui accompagnent l'événement principal. Elles font partie intégrante du processus. C'est pourquoi le gouvernement français n'aurait jamais dû être autorisé à décider quelles parties du sommet annuler et lesquelles maintenir.
Au contraire, après le 13 novembre, il aurait dû déterminer s'il avait la volonté et la capacité d'accueillir le sommet dans son ensemble - avec la pleine participation de la société civile. S'il n'en était pas capable, il aurait dû l'ajourner et demander à un autre pays de prendre le relais. Au lieu de cela, le gouvernement Hollande a pris une série de décisions qui reflètent des valeurs et des priorités curieuses quant au fait de savoir qui doit bénéficier de la protection assurée par l'État. Oui aux dirigeants du monde, aux matches de football et aux marchés de Noël; non à des marches et à des manifestations sur le climat pointant le fait que, au vu des objectifs actuels peu ambitieux relatifs aux émissions, les négociations mettent en péril les vies et les moyens de subsistance de millions voire de milliards d'êtres humains.
Où cette situation va-t-elle nous mener ?
Le changement climatique est une crise morale parce qu'à chaque fois que les gouvernements des pays riches sont incapables d'agir, un message est envoyé pour dire que nous, les habitants du Nord, accordons plus d'importance à notre confort immédiat et à la sécurité économique qu'au sort des personnes les plus vulnérables de la planète. Une fois de plus, un pays occidental riche met la sécurité des élites avant les intérêts de ceux qui luttent pour la survie. Une fois de plus, le message est : notre sécurité est non négociable, la vôtre reste à conquérir.
Encore une réflexion. J'écris ces mots depuis Stockholm, où j'ai participé à une série d'événements publics à propos du climat. Quand je suis arrivée ici, la presse ne parlait que d'une chose : un tweet envoyé par la ministre suédoise de l'Environnement, Åsa Romson. Peu après les attentats de Paris, elle avait tweeté son indignation et sa tristesse à propos des vies perdues, avant d'ajouter que c'était aussi une mauvaise nouvelle pour le sommet sur le climat, une pensée qui est venue à tous ceux dont je sais qu'ils sont, d'une manière ou d'une autre, concernés par cet événement important pour l'environnement. Pourtant, elle a été clouée au pilori pour son insensibilité supposée : comment pouvait-elle penser au changement climatique alors qu'il y avait eu un tel carnage ?
Cette réaction partait du principe que le changement climatique est un problème mineur, une cause sans victimes réelles, frivole même. Surtout à un moment où des questions graves comme la guerre et le terrorisme occupent le devant de la scène. Ça m'a fait penser à ce qu'a écrit l'auteure Rebecca Solnit récemment : « Le changement climatique, c'est une violence ».
C'en est une. Une partie de cette violence est d'une lenteur inexorable : la montée des eaux qui efface progressivement de la carte des pays entiers, et des sécheresses qui tuent des milliers êtres humains. Une partie de la violence arrive à une vitesse terrifiante : les catastrophes comme l'ouragan Katrina et le typhon Haiyan fauchent des milliers de vies d'un seul coup. Quand les gouvernements et les multinationales ne prennent pas, sciemment, de mesures concrètes pour empêcher le réchauffement, c'est un acte de violence. C'est une violence si grande, si globale et infligée simultanément à tant de temporalités (civilisations antiques, vie actuelle, avenir potentiel) qu'il n'existe pas de mot qui pourrait exprimer toute sa monstruosité. Et utiliser des actes de violence pour faire taire la voix des plus vulnérables face au changement climatique rajoute de la violence à cette violence.
En expliquant les raisons pour lesquelles les matches de football se dérouleraient comme prévu, le secrétaire d'État français aux Sports a déclaré : « La vie doit continuer. » Voilà pourquoi j'ai rejoint le mouvement pour la justice climatique. Parce que quand les gouvernements et les entreprises ne parviennent pas à refléter dans leurs agissements la valeur de toutes les formes de vie sur Terre, il faut protester contre eux.