Par Ulrich Rippert
Vendredi 4 décembre, le parlement allemand (Bundestag) a voté à une large majorité la participation de l'Allemagne à la guerre en Syrie. On a fait adopter la décision du déploiement de troupes importantes de l'armée allemande (Bundeswehr), aux conséquences vastes et imprévisibles, à toute vapeur en procédure accélérée.
Mardi 1 er décembre, le gouvernement décidait d'engager 1200 soldats, six avions de combat Tornado et une frégate dans la guerre en Syrie. Les députés n'ont été informés qu'après que la décision fut prise. La première lecture de la loi au Bundestag a eu lieu dès le lendemain; le temps alloué pour interroger le gouvernement fut limité à 30 minutes en tout. Le 4 décembre ont eu lieu les deuxième et troisième lectures dans une séance de deux heures seulement. Le vote a commencé à 11 heures.
445 députés ont voté pour la mission de combat en Syrie, 146 contre et il y eut 7 abstentions. Les votes pour sont venus presque exclusivement de la grande coalition du Parti social-démocrate (SPD) et de l'Union chrétienne démocrate/Union chrétienne sociale (CDU/CSU). La majorité des députés du Parti de gauche et des Verts ont voté contre.
Jamais depuis la Deuxième Guerre mondiale une décision sur une participation à la guerre n'a été prise à une telle vitesse. Le gouvernement pouvait compter sur un parlement accommodant, dont les membres se considèrent comme ses agents. La tactique de la surprise servait surtout à empêcher toute discussion publique sur la signification de la mission syrienne, ses risques, ses conséquences et l'absence de fondement légal ou constitutionnel sur le plan international.
Le gouvernement sait qu'il y a une profonde opposition populaire à la guerre et au militarisme. Les crimes commis par l'armée allemande pendant la Première et surtout la Deuxième Guerre mondiale ne sont pas oubliés et ont profondément marqué la conscience sociale.
Il y a cent ans, en août1914, le SPD approuvait les crédits de guerre du Kaiser; aujourd'hui, les sociaux-démocrates jouent un rôle clé dans la répression des critiques du cours de la guerre.
Avant que le débat commence, le chef de la fraction parlementaire du SPD Thomas Oppermann a rejeté la critique de la procédure accélérée, disant qu'elle était justifiée et nécessaire. « La France nous a demandé de l'aider », a-t-il dit et on ne pouvait pas débattre indéfiniment. Les discussions des derniers jours avaient été intenses « si bien que nous sommes en mesure de prendre une décision responsable. »
Le Ministre de la Justice Heiko Maas (SPD) a défendu la décision de la grande coalition et a rejeté les inquiétudes juridiques à propos de la mission militaire. « Les Allemands peuvent en être sûrs: le déploiement de la Bundeswehr en Syrie ne viole pas le droit international ou la constitution », a-t-il déclaré au Berliner Tagesspiegel le 3 décembre.
Pour étayer son affirmation Maas a cité la décision de la Cour constitutionnelle de 1994 que des missions de la Bundeswehr à l'étranger étaient justifiées si elles faisaient partie d'un système de sécurité collective: « Il y a trois résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies contre [la milice de l'État islamique] EI qui couvrent le présent mandat. En outre, selon le traité de base de l'Union européenne (UE), la France peut aussi compter sur l'engagement de ses partenaires de l'UE en matière de défense. »
Cela est carrément faux. Même la Neue Zürcher Zeitung admet qu'« il n'y a pas de résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui saurait légitimer ce déploiement. » Quant au traité de base de l'UE, il ne permet pas une intervention militaire en Syrie, où la France, les États-Unis, la Turquie et d'autres pays cherchent depuis des années un changement de régime et mènent une guerre par procuration contre la Russie et l'Iran.
Le chef adjoint du SPD, Rolf Mützenich, a défendu la mission de guerre allemande en accusant ceux qui soutiennent que les missions de la Bundeswehr accroissent le risque d'attentats terroristes en Allemagne d'avoir ignoré le fait que «L'Allemagne a longtemps été dans le collimateur des terroristes.»
Cela aussi est faux comme l'ont montré les interventions militaires précédentes dans la « guerre contre le terrorisme ». « La guerre contre le terrorisme a non seulement augmenté le nombre des terroristes », a commenté la Frankfurter Rundschau, « elle a également élargi leur base géographique. » Les experts en sécurité estiment également que l'entrée en guerre augmente massivement le risque d'attentats en Allemagne.
L'expert en défense du SPD Rainer Arnold a répondu aux accusations des députés du Parti de gauche que le mandat de la Bundeswehr avait été voté « au triple galop » en demandant: « N'est-ce pas plutôt que nous avons déjà trop attendu et que maintenant tout vient trop tard? » Il ajouté de façon démagogique: « Nous pouvons parler des heures sur le fait qu'une opération militaire comporte des risques. Je ne veux pas embellir les choses. Mais nous n'envoyons pas nos soldats dans une aventure. »
Les Verts et le Parti de gauche font partie de ce jeu. Ils ne s'opposent pas réellement à l'intervention militaire et eux-mêmes soutiennent depuis des années différentes factions dans la guerre syrienne. Leur « opposition » sert surtout à donner l'impression qu'il y aurait une sorte de débat public sérieux sur la guerre.
C'est l'allocution du chef de la fraction parlementaire des Verts, Anton Hofreiter, qui fut de ce point de vue la plus nette. Il a souligné que le rejet du mandat de la Bundeswehr par les Verts ne voulait pas dire qu'ils étaient contre l'intervention militaire. Son parti rejetait simplement les actions incohérentes et irréfléchies du gouvernement.
« Présentez d'abord un mandat clair » a-t-il dit en se plaignant de ce qu'aucune des questions importantes ne soit clarifiée: «Qui exactement commandera? Comment agirez-vous envers la Russie? Comment agirez-vous envers Assad? » Il ne reconnaissait pas là « une stratégie claire » a-t-il dit, accusant la ministre de la Défense von der Leyen de changer constamment de position et de se contredire.
La dirigeante du groupe parlementaire du Parti de Gauche Sahra Wagenknecht a déploré la précipitation avec laquelle on avait fait passer cette mesure, déclarant: «La guerre ne fait qu'empirer les choses!» Elle a ajouté que la guerre ne produirait que plus de terrorisme et a demandé si l'Occident voulait vraiment rivaliser avec l'EI pour savoir qui tuerait plus de monde. Elle a été critiquée avec virulence à cet effet par les autres groupes parlementaires.
Dans le même temps Wagenknecht a précisé que son rejet de la guerre était surtout dirigé contre les États-Unis et leur position dominante dans l'OTAN. « C'est un échec majeur de la politique européenne que d'avoir soutenu les Etats-Unis dans leurs guerres » a-t-elle déclaré.
Ce débat montre que la lutte contre la guerre exige un mouvement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse. Aucun des députés n'a souligné le fait évident que l'intervention militaire de l'Allemagne au Moyen-Orient était en préparation depuis des années.
Les attentats de Paris ont simplement fourni un prétexte pour la mise en pratique de ces plans. Il y a deux ans, le président Gauck, le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier et la ministre de la Défense von der Leyen avaient proclamé la «fin de la retenue militaire. » L'Allemagne était « trop importante pour commenter la politique mondiale depuis la touche, » avaient-ils dit et devait « être prête à intervenir dans les questions de politique étrangère et de sécurité plus tôt et de façon plus décisive et plus substantielle. »
Tous les partis parlementaires soutiennent le retour du militarisme allemand et la politique de grande puissance dans ce qui est, en dépit de certaines différences tactiques, une véritable conspiration pour la guerre dirigée contre la population.
Le World Socialist Web Site et le Partei für Soziale Gleichheit (PSG, Parti de l'égalité socialiste) mettent en garde depuis longtemps contre le danger croissant de guerre. En Septembre 2014, une Conférence spéciale du PSG avait adopté une résolution contre la guerre déclarant: «Sous prétexte de lutte contre la milice terroriste de l'Etat islamique (EI), développée et soutenue par les Etats-Unis, le Qatar, l'Arabie saoudite et la Turquie, un nouveau partage violent de la région riche en matières première a commencé qui risque de s'avérer plus sanglant encore que les précédentes guerres d'Irak, de Libye et de Syrie ».
A présent, l'Allemagne participe militairement à cette nouvelle division violente de cette région riche en ressources énergétiques.
Ulrich Rippert
Article paru d'abord en anglais, WSWS, le 5 décembre 2015
La source originale de cet article est wsws.org