14/12/2015 reporterre.net  9min #106206

 Appel à un rassemblement déclarant samedi l'urgence climatique

Vingt mille personnes ont lancé samedi à Paris le mouvement de la justice climatique

Couleur, déguisements et bonne humeur : malgré l'état d'urgence, les manifestations pacifiques ont eu lieu à Paris samedi 12 décembre, au moment même où s'achevait la COP 21. Enjeu : avoir « le dernier mot », affirmer l'impératif de justice climatique, dire que les citoyens ne peuvent s'en remettre au seul gouvernement contre le changement climatique.

Paris, reportage

Elle fut longtemps incertaine, cette manifestation, face aux autorisations changeantes du ministère de l'Intérieur. Mais elle s'est bien tenue, ce samedi 12 décembre. Et de belle manière, sans aucun incident durant les événements organisés. Au contraire, les milliers de manifestants ont mis leur imagination au service de cette mobilisation, aussi joyeuse que déterminée à porter un message fort pour la suite.

Après un premier rassemblement original « online » (lire reportage en bas de cet article), les militants avaient rendez-vous à midi, entre l'Arc de Triomphe et la Défense, sur l'avenue de la Grande Armée. Tout un symbole, déjà, pour cette action dite des « lignes rouges » : des lignes rouges représentant le seuil de l'état d'urgence climatique, des lignes à ne plus dépasser. Près de 15.000 personnes s'étaient déplacées pour ce rassemblement qui a commencé comme un recueillement : vers midi quinze, les appels des cornes de brume artisanales ont sonné un long temps de silence. Dans le cortège, des centaines de tulipes se lèvent vers le ciel.

« Nous voulons rendre hommage aux victimes passées et futures du changement climatique », explique Dominique Plihon, porte-parole d'Attac, l'une des organisations à l'origine de la mobilisation. « L'accord de Paris ne sera pas suffisant pour éviter la crise à venir, et nous ne nous arrêtons pas là ! »

Ecouter Dominique Plihon :

Symbole de cette résistance citoyenne, le rouge, décliné sous toutes ses formes. Tulipes, rubans, foulards, maquillage. Bientôt, les manifestants se déploient en file indienne le long de l'avenue, chacun portant au-dessus de sa tête d'épais tissus rouges de plusieurs dizaines de mètres.

Parmi eux, Richard, un papy anglais venu défendre « la planète de ses petits-enfants », Sophie avec son tablier coccinelle « pour montrer qu'il y a du pain sur la planche » ou Sarah, arrivée des États-Unis afin de « porter la voix et les solutions des peuples autochtones ».

Ecouter :

Nathaly, seize ans, a même raté une journée d'école hier, à Londres, pour venir participer à sa première COP, encouragée par sa maman : « Ce ne doit pas être aux multinationales de prendre les décisions concernant les citoyens », dit-elle avec assurance.

L'action des Red lines prend vite des allures de « marche mondiale pour le climat », tant le rassemblement est cosmopolite. Certains sont venus à pied depuis de la Hollande, d'autres comme Nelly ont pédalé jusqu'à Paris. « Mon village en Angleterre vient d'être inondé pour la deuxième fois en dix ans. Nous ne pouvons plus continuer ainsi ! »

L'avenue de la Grande Armée se peuple bientôt de groupes étranges. Des ours polaires rockers, un Père-Noël air-guitariste, un clown qui repeint en vert toutes les publicités « pour faire du greenwashing », des plongeurs qui miment un monde submergé... Ca et là, des chorales éphémères s'improvisent.

L'ambiance est festive, créative, mais le message est clair et unanime : « La ligne rouge est la ligne de départ d'une grande mobilisation citoyenne mondiale », espère Julien paysan du Morbihan. « Nous sommes lancés et rien ne nous arrêtera, pas même l'état d'urgence ! »

Ecouter la chorale :

Deux heures plus tard, les vuvuzelas sonnent la fin de l'événement. Nicolas Haeringer, de l'ONG 350.org, semble ravi : « Plus de 10.00 personnes, c'est trois fois plus que ce qu'on espérait ! »

Vers 13 heures, alors que les manifestants devaient se disperser tranquillement, le cortège continue le long de la grande avenue. Chacun avance à son rythme, entraîné par les batucadas et les cyclistes de la Vélorution qui traînent les lignes rouges. Arrivé à un rond-point, un cordon de policiers oriente, avec l'aide des clowns, une majeure partie des manifestants sur une rue à gauche. En faisant passer les milliers de personnes par vague, les policiers se montrent coopérants et fluidifient la masse qui va doucement marcher en direction du Champ de Mars. Puis, rapidement, la route se bloque, les anges devancent le cortège et la gestion de la circulation se fait de manière autonome et pacifique par les participants. « De toute façon, personne ne peut plus nous arrêter » explique un manifestant souriant.

C'est ainsi que la foule arrive par vagues progressives, sur l'esplanade du Trocadéro. Face à elle se découvre la majestueuse tour Eiffel. L'Assemblée rieuse descend les escaliers et poursuit son périple vers les pelouses de Champ de Mars. Portés par d'innombrables petites mains, le cortège charrie cet immense drap qui faisait encore office de ligne rouge un peu plus tôt. D'en haut, le message apparaît alors clairement : « It's up to us to keep it in the ground » (il n'en tient qu'à nous de les [les énergies fossiles, ndlr] laisser dans le sol).

Des passants font obstacle aux voitures sur le carrefour, mais les râles des automobilistes ne pèsent pas lourd face à la bonne humeur des manifestants. Après avoir fait courir petits et grands sous la grande banderole, un sit-in s'organise devant la Tour Eiffel. De l'autre côté de la grande dame de fer, l'autre manifestation organisée par Alternatiba prend le relais.

Mais pour la rejoindre, les manifestants se heurtent à un barrage de policiers. Fouille et confiscation de tout objet pouvant servir d'arme. Piquets de banderole et pancartes rigides forment un tas triste sur le trottoir.

Choqués et déçus, de nombreux militants rebroussent chemin. "Se faire fouiller parce qu'on vient manifester pacifiquement, quel scandale !", s'exclame une jeune maman, qui s'interroge : "Comment les organisateurs ont-ils pu accepter un tel compromis ?". "C'est humiliant d'être traité ainsi, j'ai honte pour la France", ajoute une sexagénaire. Un militant d'Action Non-violente-COP21 tente de les retenir : "Ces barrages visent justement à décourager les manifestations, ne leur donnez pas raison !".

De l'autre côté du cordon policier, les prises de parole s'enchaînent sur la scène montée pour l'occasion. Geneviève Azam, d'Attac, commente l'accord qui,  dans l'après-midi même, est présentée au Bourget, au sein de la COP : "Ce n'est pas un accord historique (...), c'est un accord miteux. (...) Cet accord ne formule rien pour l'humanité. C'est nous maintenant qui devons, jour après jour, rester debout pour lutter contre le changement climatique, contre ce que nous appelons un véritable écocide. Nous allons poursuivre nos alternatives, nous allons poursuivre nos résistantes, et nous nous opposerons à ceux qui ont sacrifié l'avenir de l'humanité et des autres espèces sur la planète. Nous allons continuer le combat".

Naomi Klein salue ensuite les « héros climatiques » du jour face « au manque de courage des dirigeants » : « L'accord est un désastre, à aucun moment dans le texte, le mot fossile n'apparaît » précise-t-elle. Un paysan colombien de la Via Campesina dénonce de son côté les « trafiquants du climat » avant de lancer : « Vive la planète sans Monsanto ! ». Juliette Rousseau, la porte-parole de la Coalition Climat 21, salue enfin la « formidable montée en puissance des mobilisations citoyennes »lors de cette COP 21. Le mouvement pour la justice climatique a réussi son pari : il a pris pacifiquement les rues de Paris. Et compte bien continuer en 2016.

TELEPHONES ET INTERNET POUR DIRE : LA JUSTICE CLIMATIQUE, C'EST LA PAIX

Samedi 12 décembre, les Amis de la Terre, CCFD-Terre Solidaires et Peuples Solidaires ont rassemblé 3.000 personnes pour une manifestation 2.0. « On a cherché les failles de l'état d'urgence et de l'interdiction de manifester afin de porter quand même un message en cette fin de COP21 », dit Malika Peyraut des Amis de la Terre. Cette « action inédite » a pour but de créer un message « online », c'est-à-dire visible uniquement sur Internet. Climate Justice Peace a été écrit dans tout Paris entre 10h30 et 11h30 par le biais d'une géolocalisation des portables.

Les participants avaient rendez-vous à 9h30 dans différents lieux, où des coordinateurs de lettres leur remettaient une carte répertoriant les « puces » à activer avec leurs mobiles. Une fois leur localisation rejointe et le message écrit dans tout Paris, les militants ont clamé des slogans, brandi des pancartes et tagué des trottoirs avec un pochoir. « L'action était à la fois online mais aussi off line, c'est-à-dire dans les rues. » explique Malika Peyraut des Amis de la Terre. Chaque lettre était gérée par une association, parmi lesquelles Oxfam, Greenpeace, Alternatiba, Jeunes Ecolos et COY...

En haut du parc de Belleville, à 11h, un petit groupe d'une dizaine de personne rigole et chante en regardant un portable. Ils ont le « E » de Climate. Venus d'Irlande, d'Amsterdam et de Paris, les militants racontent en anglais leur voyage à la capitale française pour venir participer à l'action. « Au moins, on aura vu la tour Eiffel », dit une dame en pointant du doigt la brume matinale de Paris. « C'est par les Amis de la Terre que nous sommes venus, ils s'occupent de cette lettre. Et nous ne sommes qu'un petit point au bout du E. » Puis, à 11h30, les manifestants se retrouvent, chantent, frappent des percussions. La plupart ont réussi à activer leurs puces, d'autres non. Pas grave !

Retour au QG, à 11h45. Pierre, des Amis de la Terre, sourit : « Cela s'est passé exactement comme on le voulait. » C'est lui qui a lancé, avec les autres associations, ce défi : un rassemblement comme personne ne l'avait fait avant. « Ca nous a pris dix jours de préparation. » Mais au-delà de l'aspect technique novateur, cette manifestation a aussi « permis à des gens pas forcément militants de participer. Le but c'est que la société civile ait le dernier mot de cette Conférence pour le Climat. Car c'est eux qui détiennent les solutions », dit Pierre.

Source : Camille Martin incluant aujourd'hui Maëlle Ausias, Barnabé Binctin et Lorène Lavocat, pour Reporterre

Photos : © Romain Guédé/Reporterre
sauf : cordon policier : © Tanguy Marchand/Reporterre
carte géolocalisation Paris :  Climatejusticepeace

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