Devant les juges de la constutionnanlité des lois, les avocats des militants écologistes assignés à résidence dans le cadre de l'état d'urgence ont exprimé leurs craintes d'un « État sécuritaire ». Ils ont dénoncé des « procès d'intention » et la « faiblesse » des preuves avancées par la police.
Une première pour le Conseil constitutionnel. Le conseil des Sages était saisi jeudi 17 décembre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant les assignations à résidence de plusieurs militants écologistes pendant la COP 21. Celles-ci ont été décidées par le ministère de l'Intérieur en vertu de l'état d'urgence et des moyens exorbitants qu'il donne au pouvoir exécutif. La décision du Consei fera date, puisqu'elle constitue la première QPC dans ce domaine [1].
Cette fois-ci, le Conseil constitutionnel a battu un record de rapidité dans l'examen d'une QPC. Alors que le délai moyen est de deux mois et demi, le délibéré est attendu pour mardi 22 décembre, soit 11 jours après la saisine par le Conseil d'État. Si celui-ci a jugé, vendredi 11 décembre, que les assignations à résidence « n'étaient pas manifestement illégales », il a renvoyé vers l'autorité des Sages la question de la conformité de ce régime avec la « liberté constitutionnelle d'aller et venir » telle qu'elle est garantie par l'article 66 de la Constitution.
Des « notes blanches » obscures
Jeudi, à la barre, plusieurs avocats se sont succédé pour exprimer « la crainte d'un État sécuritaire » où peuvent naître « les dérives, l'injustice et l'arbitraire », selon M e Denis Garreau. « L'état d'urgence, ce n'est pas un état de non-droit ni d'absence de droit, c'est seulement un état d'insuffisance de droit. »
Parmi ses insuffisances de droit, les avocats ont insisté sur les « notes blanches » sur lesquelles se fondent l'accusation. D'où viennent-elles ? Sur quelles preuves s'appuient-elles ? « On ne sait même pas quel service les rédige », souligne M e Raphaël Kempf. Ce sont pourtant les seules pièces au dossier justifiant l'assignation à résidence. C'est ainsi que Joël Domenjoud a pu être soupçonné d'avoir participé à des manifestations « d'ultra-gauche radicale » à Bure, sans n'avoir pourtant « jamais été inquiété, interrogé ni jugé coupable de quelque délit », que ce soit, souligne son avocate, M e Muriel Rueff, qui rappelle que son client n'a pas de casier judiciaire.
Le siège du Conseil constitutionnel, rue de Montpensier, à Paris.
C'est ce que M e Marie Dozé a appelé « la défense empêchée » : « Le principe du contradictoire est bafoué car, sur le terrain, nous ne pouvons pas contredire l'objet même de l'accusation. » En effet, ces « notes blanches » ont eu valeur de preuve, ce qui fait regretter à M e Alexandre Faro « le trop faible niveau d'exigence que s'est fixé le ministère de l'Intérieur en matière de preuves factuelles ». C'est ainsi la « violation manifeste » de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, faisant état du droit à un procès équitable, que dénonce M e Kempf : « On ne tolèrerait pas d'un journaliste, d'un chercheur ou d'un avocat qu'il avance sa thèse sans la démontrer. Peut-on l'accepter de l'État ? » La simplicité de la preuve a de grandes limites, comme le fait remarquer M e Rueff : « Et si un agent de renseignement produisait un faux document, qui serait en capacité de le distinguer ? »
Risques d'une répression politique
« Joël Domenjoud "devrait être particulièrement actif pendant la COP 21", selon la note blanche de son dossier », rapporte M e Rueff, qui souligne « ce conditionnel qui se prend pour un futur ». Cette supposition est le véritable fondement de l'assignation à résidence de son client. « Le procès d'intention », telle est l'accusation formulée par la plaidoirie de la défense. « Il n'y a pas d'autre motivation que des éléments relatifs à des opinions qu'on vous impute, des intentions qu'on vous prête, des appartenances politiques qu'on vous connaît », constate M e Kempf.
La conséquence : des mesures privatives de liberté. Face à un tel déséquilibre, nombreux sont ceux qui pointent les risques d'une répression politique. Car, s'il n'y a pas « d'opposition à la répression du terrorisme », comme l'affirme M e Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme, cibler des militants écologistes pose question. Le champ d'application de l'état d'urgence n'est désormais plus limité à la menace terroriste, soutient M e Garreau : « Ainsi, des militants écologistes, certes actifs, mais jamais soupçonnés de terrorisme, pourraient être assignés à résidence. Et qui d'autre, encore ? »
Tout cela a de quoi mettre en danger la démocratie, « sacrifiée sur l'autel de la peur », selon M e Spinosi. Qui a interpellé avec gravité les huit sages du Conseil constitutionnel dans une dernière adresse : « Vous êtes la dernière digue face au glissement qui est en train de s'opérer, d'un abandon du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, d'un risque considérable d'une police administrative qui peut être demain une police politique ! »
Complément d'infos : Voir la vidéo de la séance
[1] En 1985, le Conseil avait été saisi d'un contrôle de constitutionnalité sur la loi fondant l'état d'urgence pendant la crise en Nouvelle-Calédonie mais n'avait pas alors examiné la conformité de ce régime avec les valeurs suprêmes du droit français.
Source : Barnabé Binctin pour Reporterre
Photos :
Chapô : l'ombre de la Justice. Flickr (Jack/CC BY-NC-ND 2.0)
Conseil : [Wikipedia] (Mbzt/CC BY 3.0)