29/05/2016 tlaxcala-int.org  10min #113217

 Démission du ministre israélien de la Défense : « des extrémistes contrôlent le pays »

Netanyahou vire Ya'alon et se fait de nouveaux ennemis

 Yacov Ben Efrat יעקב בן-אפרת يعقوب بن افرات

Il était difficile d'anticiper l'intégration soudaine du très droitier Avigdor Lieberman dans le gouvernement, non seulement parce que les négociations entre Yitzhak Herzog du Parti travailliste et le Premier ministre Benjamin Netanyahou semblaient en bonne voie, mais surtout parce qu'elle va à l'encontre de toute logique politique.

Après l'effondrement du gouvernement précédent en 2014, dans lequel Lieberman était un acteur clé, et les élections orageuses qui ont suivi, Netanyahou a bricolé une coalition de 61 députés (le nombre minimal requis pour une majorité à la Knesset), et depuis lors, son gouvernement a été suspendu à un fil. La coalition avait de toute évidence besoin d'être élargie. La question était la direction que prendrait Netanyahou, vers Herzog ou vers Lieberman. Bien que Lieberman soit le partenaire naturel du Likoud, la coalition a souffert d'un excès de ministres de la droite radicale. Pour désodoriser, il semblait n'y avoir aucun autre moyen que d'aller avec les travaillistes (officiellement connus sous le nom de Camp sioniste).

Netanyahou, Lieberman et Ya'alon à la Knesset, 2014. Photo Olivier Fitoussi

Depuis le déclenchement d'une troisième Intifada en octobre dernier, précédée par l'enlèvement et l'assassinat de Mohamed Abou Khdeir et l'attaque incendiaire de la famille Dawabsheh, Netanyahu avait un besoin urgent du Parti travailliste pour ajouter un semblant de bon sens à son gouvernement d'ultra-droite. L'extrême-droite en Israël essaie de toutes ses forces de secouer le statu quo et de mettre fin à la symbiose entre Israël et l'Autorité palestinienne. Ils s'opposent aux contraintes qui leur sont imposées sur l'ancien Mont du Temple (maintenant al-Aqsa), ainsi qu'au ralentissement de la construction de colonies. Ils se concentrent donc sur les provocations à al-Aqsa, la terreur contre les Palestiniens, le vandalisme contre leurs biens, et en gardant le doigt léger sur la détente aux postes de contrôle.

En outre, beaucoup d'efforts sont déployés par Netanyahu et les ministres Miri Regev, Ayelet Shaked et Naftali Bennett, pour affaiblir les «élites» dans la société israélienne. Les écrivains et les artistes sont désignés comme ennemis par la ministre de la Culture (Regev), la Cour suprême est devenue une cible pour la ministre de la Justice (Shaked), et le ministre de l'Éducation (Bennett) veut introduire l'éducation religieuse dans le cursus général. La révocation du ministre de la Défense Moshe Ya'alon, que Lieberman remplace, ajoute maintenant l'élite militaire à cette liste d'indésirables. Mais il semble que Netanyahou est peut-être allé trop loin. La position de Ya'alon dans le gouvernement avait joué un rôle crucial - en effet, il avait servi de "gilet pare-balles" à Netanyahou - si bien que son éviction est arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il avait été le grand manitou de la sécurité de la soi-disant "droite modérée", la réponse parfaite aux adversaires de Netanyahou dans l'establishment de la défense, comme feu Meir Dagan (ancien chef du Mossad) et Yuval Diskin, ancien chef du Shin Bet, qui ont tous deux qualifié Netanyahou de désastre sécuritaire.

L'armée israélienne et les forces de sécurité sont censées maintenir l'occupation avec un minimum de provocations. L'armée estime que, compte tenu de l'absence d'un processus politique, Israël devrait fournir aux Palestiniens une forme quelconque d'espoir. Il devrait au moins leur rendre la vie plus facile, donner plus de permis de travail, alléger les restrictions de voyage, et accroître la coopération avec les services de sécurité de l'Autorité palestinienne. Il est donc nécessaire d'avoir une forte force politique au sein du gouvernement pour balancer l'extrême-droite et retarder la prochaine explosion. Telle était la position de Ya'alon, qui voulait subordonner les pressions politiques de droite aux besoins de sécurité.

Ya'alon partage l'idéologie de Netanyahou et ne peut être caractérisé comme un gauchiste. Il a expliqué au monde qu'il n'y a pas de solution au problème palestinien; il a qualifié le secrétaire d'État John Kerry de "délirant et messianique" en raison du soutien de ce dernier à une solution à deux États; il a appelé La Paix Maintenant un "virus" en raison de ses activités contre les colonies; il a qualifié Briser le silence d'organisation de «traîtres» parce qu'elle lave le linge sale d'Israël en public. Néanmoins, le retrait de Ya'alon en faveur de Lieberman pourrait avoir changé quelque chose dans sa vision du monde. Dans son discours d'adieu à la Knesset et au Ministère de la Défense, Ya'alon n'a pas mentionné les «traîtres» de gauche, mais il a choisi d'attaquer, à droite, les «fascistes» (entendez certains godillots députés du Likoud et de nombreux membres du Comité central de ce parti), qui, a-t-il déclaré, ont pris le contrôle du Likoud.

Ya'alon a soudainement découvert que ceux qui travaillent contre l'occupation ne sont pas le danger pour la démocratie, et, plus précisément, que ceux qui rejettent toute solution politique sont les ennemis acharnés à combattre. Il a dit dans son discours d'adieu : "Je me suis battu de toutes mes forces contre les manifestations de l'extrémisme, de la violence et du racisme dans la société israélienne, qui menacent sa stabilité et s'infiltrent aussi dans l'armée israélienne, lui nuisant déjà".
Ya'alon n'a pas expliqué comment vous pouvez maintenir une occupation prolongée sans "l'extrémisme, la violence et le racisme". Il n'a pas mentionné sur quelle autre base morale et éthique Israël peut contrôler un autre peuple pendant 50 ans que la base de "l'extrémisme, la violence et le racisme", ou comment la «brutalisation» de l'armée peut être évitée lorsque les soldats sont envoyés réprimer une population civile afin de la forcer à accepter l'occupation comme «normale». Ya'alon a effectivement tenté de préserver la «normalité». Lui et ses généraux pensent que vous pouvez apprivoiser le colonisé en créant des conditions minimales qui décourageraient le Palestinien moyen de se révolter contre l'occupant. L'alternative à un processus politique est ce que Netanyahou appelle une «paix économique»: procurer une réalité sociale et économique raisonnable, avec un minimum de friction entre l'armée et la population.

Poster à Tel Aviv. Photo Yaffa Phillips, Flickr

Mais le joker dans le jeu, c'est la réalité. La réalité, c'est un garçon palestinien en colère qui s'en va poignarder un soldat à un barrage. La réalité, c'est un soldat agité qui tue un Palestinien blessé étendu sur le dos. De ce fait, l'illusion de la coexistence entre occupants et occupés est brisée encore et toujours, en conformité avec les dessins de provocateurs de droite. Lorsque Netanyahou les a rejoints et a indirectement exprimé son soutien pour le soldat- tueur (en téléphonant à son père), et que Lieberman a organisé une manifestation pour le soldat devant le tribunal militaire, l'armée a flippé. Après s'être rendu compte que ses «alliés» au sein du gouvernement soutenaient son remplacement par Lieberman, Ya'alon a quitté le gouvernement et a démissionné de la Knesset.

La démission de Ya'alon a créé une énorme réplique publique, qui frappe Netanyahou dans son ventre mou. Roni Daniel, un analyste militaire de pointe et ancien officier de l'armée qui a justifié toutes les atrocités commises par l'armée à Gaza, a tout à coup déclaré: "Après cette semaine, je ne suis pas sûr que je veux que mes enfants restent ici". Depuis New York Ehud Barak a crié au "Fascisme!"

Un élément clé dans le processus conduisant à la démission de Ya'alon a été un discours prononcé par le chef adjoint d'état-major de l'armée, Yair Golan, lors de la Journée israélienne de commémoration de l'Holocauste. Golan a comparé certaines tendances en Israël à celles des années 1930 en Europe lors de la montée du fascisme. Netanyahou et la droite ont attaqué la comparaison, mais Ya'alon a soutenu Golan, exhortant les officiers de l'armée à exprimer leurs opinions. En fait, la comparaison avec ce qui est arrivé en Allemagne n'est pas exacte. Hitler est arrivé au pouvoir sur fond de Grande Dépression, alors qu'Israël continue de maintenir son niveau de vie avec un faible chômage. Israël n'a pas été vaincu dans la guerre, et il n'a pas eu à verser des compensations écrasantes.

Une comparaison plus correcte serait entre la situation actuelle en Israël et ce qui se passe ailleurs dans le monde occidental. Il y a un dénominateur commun entre Netanyahou et Donald Trump, car les deux sont sponsorisés par le milliardaire Sheldon Adelson. L'équivalent du parti de Lieberman «Israël Beitenou» est le parti de Vladimir Poutine, alors que l'équivalent de "Foyer juif", le parti de Naftali Bennett est le Parti autrichien de la liberté, ainsi que ses équivalents d'extrême-droite en France, aux Pays-Bas et en Scandinavie.

Le virus raciste n'est pas l'apanage de la droite. Les commentaires de Yair Lapid contre la députée palestinienne à la Knesset Haneen Zoabi et la remarque de Herzog - "Nous [dans le Parti travailliste] devons cesser de donner la sensation au public que nous sommes des Arabophiles"-montrent que la radicalisation et le racisme ont des racines profondes dans la gauche. Si le Parti travailliste britannique est contaminé par l'antisémitisme, alors son homologue israélien est sans aucun doute entaché d'arabophobie. En outre, Herzog a essayé de s'ouvrir un chemin dans le gouvernement Netanyahou quand il a déclaré l'impossibilité de parvenir à une solution à l'heure actuelle avec les Palestiniens et a parlé de mesures unilatérales à prendre en Cisjordanie. Il a également adopté la notion bizarre d'une «conférence régionale» comme une alternative à la fin de l'occupation. Tant que Herzog aspire à entrer dans la coalition de droite, le Parti travailliste ne constitue pas une alternative au Likoud, encore moins une opposition combative. Les travaillistes sous Herzog étaient l'option logique pour Netanyahou. En choisissant Lieberman à la place, et en perdant Ya'alon, il a suscité le dégoût à la fois dans l'armée et dans l'opinion publique. Signe de cela, le ministre de la Protection de l'environnement Avi Gabbay a démissionné aujourd'hui (27 mai) en signe de protestation.

Il est vrai que la bataille politique menée en Israël est une image en miroir de la société israélienne. Il est actuellement question de savoir si les événements culturels seront patriotiques ou universels, si l'enseignement religieux sera nationaliste et raciste ou éclairé, si le tribunal se conduira selon la loi juive ou des normes universelles, si la presse doit faire la retape du gouvernement ou être libre d'une opinion critique sur le fait de savoir si l'armée va servir les colons seuls ou à la sécurité de tous les citoyens. Cette bataille est également menée en ce moment aux USA et en Europe: conservatisme contre libéralisme, racisme contre lumières, avidité contre welfare. Mais en Israël il y a une dimension supplémentaire : l'Occupation. C' est le fardeau que la société israélienne a porté et perpétué depuis plus de 50 ans; il continue d'élargir le schisme dans cette société.

La démission de Ya'alon et son remplacement par Lieberman montrent qu'Israël est décidé mordicus à ne pas résoudre la situation. Mais l'occupation ne peut pas être éludée. La société israélienne doit choisir entre la voie de Netanyahou, Bennett et Lieberman et celle de la construction d'un large front politique qui associe Israéliens et Palestiniens, Juifs et Arabes, dans une société démocratique, égalitaire et pluraliste. Ce front doit mettre fin à l'occupation, qui ne fait qu'amplifier «l'extrémisme, la violence et le racisme» dont parlait Ya'alon le jour où il a quitté ses fonctions.

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