Interview par Nadir Dendoune de Nasser Dawabcheh, nstituteur à Ramallah et oncle du bébé Ali Dawabcheh, brûlé en même temps que ses parents par des colons ayant mis le feu à leur maison.
Nasser Dawabcheh, l'oncle du bébé palestinien brûlé vif en 2015. Crédit Photo Camille Millerand
"Ce drame horrible avait ému le monde entier. Le 31 juillet 2015, Ali Dawabcheh, un bébé palestinien de 18 mois mourrait, brûlé vif. Ses parents, Riham et Saad Dawabcheh, gravement blessés lors de l'incendie, décédaient quelques jours plus tard de leurs blessures. Des terroristes israéliens avaient balancé des cocktails molotov à l'intérieur de leur maison située à Duma, en Cisjordanie occupée. Un crime commis par des extrémistes juifs, membres du mouvement fasciste Tag Mekhir « le prix à payer » et habitants de la colonie Maaleh Ephraïm qui jouxte le village de Duma. De la famille Dawabcheh n'a survécu qu'un enfant, Ahmad, aujourd'hui âgé de six ans, lui aussi gravement brûlé.
Près d'un an après ces crimes odieux, Nasser Dawabcheh, l'oncle paternel du bébé, instituteur à Ramallah, nous a accordé une interview. De passage à Paris où il est resté une semaine, il a participé à une série de conférences et a rencontré des personnalités politiques françaises. Il leur a répété le même message : il se battra jusqu'au bout pour que justice soit rendue.
(Un grand merci à l'interprète Wahiba Souidi)
LCDA : Où étiez-vous la nuit du drame ?
Nasser Dawabcheh : C'était le dernier jour du ramadan. Ce soir-là, nous avons rompu le jeûne chez mon père qui habite le même village. Il y avait ma soeur, mon frère, sa femme, les enfants... Il est minuit et il est l'heure de rentrer. J'habite à 30 mètres de chez mon frère. Une demi-heure plus tard, j'entends des cris alors je monte sur la terrasse de ma maison. C'est à ce moment là que j'aperçois de la fumée chez mon frère...
Que s'est-il passé exactement ce soir-là ?
La famille dort quand les terroristes ouvrent une des fenêtre de la maison pour y jeter des cocktails molotov qui atterrissent sur les corps des parents. Mon frère met son fils de 5 ans, Ahmed, à l'abri tandis que la maman s'empare de la couverture où dort Ali : il faut sortir vite. La famille finit par se retrouver dehors. Ma belle soeur se rend compte alors que la couverture est vide...Ali est toujours à l'intérieur. Ensuite, les colons les encerclent, les aspergent de produits toxiques avant de commencer une danse religieuse. L'horreur....
Que se passe-t-il ensuite ?
Les secours sont appelés : à cause des barrages israéliens, ils ne peuvent pas passer. Il a fallu donc les transporter en voitures privées à l'hôpital de Naplouse.... Deux voitures de pompiers finissent par venir à bout du feu. Je rentre dans l'appartement, la chaleur est désormais plus supportable. Je trouve un bout de corps qui appartient à Ali....
Ahmed a 6 ans. Il est le seul survivant...
Oui. Il est toujours à l'hôpital. Il attend d'être greffé : une partie de son corps a été brûlée. Il est aussi très affecté psychologiquement. Il est suivi par un psy. Il demande sans cesse où sont ses parents. Je me suis résolu à lui dire toute la vérité. Je lui ai dis que son père, sa mère et son petit frère sont partis au paradis. Il m'a demandé pourquoi eux et pourquoi pas nous ?
Malgré ce que vous avez vécu, vous semblez rester solide...
Comme chaque être humain, quand on perd un proche, on a mal. J'ai perdu trois de mes proches. Je me concentre sur celui qui reste : Ahmad est encore là. Je me concentre sur son avenir. J'espère qu'un tel drame n'arrivera plus, que les Nations unies se bougeront. Je ne veux plus que les enfants palestiniens aient peur quand ils dorment. Nous voulons vivre comme les autres : les Juifs sont nos voisins, nous vivons avec eux, nous mangeons parfois ensemble mais les colons sont nos ennemis. Ce sont ces terroristes qui gâchent notre quotidien.
Comment s'est passée votre semaine en France ?
Très bien. J'ai été bien accueilli. J'ai vu des sénateurs, des députés, des associations. J'ai été reçu par l'ambassade de Palestine. Aux autorités françaises, j'ai insisté pour que justice soit rendue : je n'ai aucune confiance en la justice israélienne. Ni même en ce gouvernement où certains ministres vivent dans des colonies. Ma conscience ne peut être en paix tant que les assassins ne seront pas tous arrêtés, jugés et condamnés. Je compte également porter plainte contre le gouvernement israélien. J'ai aussi rappelé qu'il y a 10 000 colons israéliens qui détiennent la nationalité française, et ce sont souvent les plus virulents. Rappelez-vous de ce soldat franco-israélien qui a abattu en mars dernier un palestinien de sang froid à Hebron. Il faudrait que tous ces colons soient déchus de leur nationalité française.
Comment faites-vous pour tenir ?
Ma force vient du fait que Dieu nous a mis sur cette terre pour qu'on disparaisse et qu'on revienne à Dieu. Mon éducation fait que mes parents m'ont appris à tenir le coup. Et puis, je n'oublie pas qu'à Gaza, ils vivent la même chose et ils tiennent le coup. Pour ma famille, mon neveu, il faut que je tienne le coup. Ca ne sert à rien de regarder derrière : les Israéliens aimeraient tant qu'on baisse les bras. Ils essaient de nous faire peur et voudraient qu'on quitte notre pays. On ne doit pas montrer qu'on a peur à nos enfants. La peur des anciens crée la peur des enfants. C'est le prix à payer pour que le peuple palestinien soit libéré. J'ai longtemps vécu dans le malheur et le malheur porte le malheur. Aujourd'hui, je suis dans une nouvelle phase et je veux positiver.
Propos recueillis par Nadir Dendoune
Source :
lecourrierdelatlas.com
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