22/07/2016 mondialisation.ca  26min #115553

 Le coup d'Etat en Turquie a bien réussi

Sultan Erdogan : Le coup d'Etat manqué à l'issu de son plein gré

Par  Chems Eddine Chitour

« Il n'est pas nécessaire à un prince d'avoir toutes les bonnes qualités mais il lui est indispensable de paraître les avoir. J'oserai même dire qu'il est quelquefois dangereux d'en faire usage, quoiqu'il soit toujours utile de paraître les posséder. Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de loyauté et de justice; il doit d'ailleurs rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, (...) En un mot, il doit savoir persévérer dans le bien, lorsqu'il n'y trouve aucun inconvénient, et s'en détourner lorsque les circonstances l'exigent. Tu seras renard pour connaître les pièges, et lion pour effrayer les loups. (...) C'est pourquoi un seigneur avisé ne peut, ne doit respecter sa parole si ce respect se retourne contre lui et que les motifs de sa promesse soient éteints(...) Et jamais un prince n'a manqué de raisons légitimes pour colorer son manque de foi. (...) Et les hommes se plient si servilement aux nécessités du moment que le trompeur trouvera toujours quelqu'un qui se laisse tromper. » Machiavel (Le Prince)

Pour Erdogan le « coup » ne serait pas manqué, mais réussi : il trouve dans cet accès d'urticaire militaire les arguments pour établir son pouvoir absolu, Un demi-Dieu « qui défend la démocratie », comme le font si bien ses modèles de l'Arabie Saoudite et du Qatar. (...) Le temps des crosses en l'air a été plutôt bref. A l'évidence, les rebelles n'étaient pas vraiment déterminés. (...) Inutile de relire Technique du coup d'Etat de Curzio Malaparte pour savoir que le b-a-ba de l'art consiste à neutraliser d'abord les chefs(...) Enfin, aussi sots que le général Tapioca, les militaires sortis de leurs casernes n'ont pas coupé Internet et les réseaux de téléphonie mobiles. Pendant ce temps par tweets, Facebook et le système vidéo des portables, Erdogan et Yildirim, le premier ministre pouvaient mobiliser leurs nombreux fidèles. Voilà pour la force de ce putsch qui a si vite fait pschitt. (...) Naguère, pour ramener le pouvoir politique dans le chemin tracé par Atatürk, périodiquement les soldats prenaient en main le gouvernement avant de le rendre aux civils. En revanche la mobilisation des supporters d'Erdogan et de l'AKP a été parfaitement réussie »

« Depuis leurs minarets les imams des Frères Musulmans ont appelé à descendre dans la rue qui fût assez rapidement tenue par des citoyens « démocrates » (.. ;) Ces mêmes partisans en colère firent feu tout autant que les « putschistes ». Nombre de ces gamins ont eu la tête tranchée et jetée dans le Bosphore. Dessine-moi un Calife ! (...) Fait amusant quand on sait, histoire de se tenir prêt à toute éventualité, que Washington a travaillé sur un changement de tête à Ankara, changement par la force au « cas où »...Aujourd'hui le Calife triomphe. (...) Après avoir fait la paix avec Israël (auquel il livre du pétrole de Dae'ch et de l'eau par tankers) et renoncé à son ambition de protéger Gaza, après avoir présenté des excuses à Vladimir Poutine (...) Les Kurdes, auxquels Ankara a déclaré une guerre féroce, devront s'accommoder d'une solitude qu'ils connaissent bien. Avec 2745 juges limogés ces dernières 24 heures, dix conseillers d'Etat mis à pied et 2 800 militaires en prison, le calife a fait un fructueux ménage d'été. Il y a bien deux Turquie, celle d'Istanbul avec ses hommes épris de « Lumières » et l'autre tenue d'une main d'acier par la confrérie des Frères Musulmans, la plus nombreuse malheureusement... » (1)

Qui sont ces putschistes et quelles étaient leurs motivations ?

Le journaliste Bahar Kimyongür interrogé sur la tentative de putsch en Turquie déclare :

« Dans la soirée du vendredi 15 juillet, des putschistes de l'armée turque ont tenté de renverser le gouvernement d'Erdogan. Après une nuit de chaos marquée par des affrontements entre les conjurés et les forces loyalistes, le président a repris la main. Depuis, 6.000 personnes ont déjà été arrêtées, Sur les putschistes, nous avons eu très peu d'informations. La confrérie Gülen a été accusée. Ce mouvement d'inspiration soufie est très influent dans le monde musulman. Son fondateur, Fetuhllah Gülen, a notamment financé grâce à de riches donateurs la construction d'écoles un peu partout. Il a soutenu la montée au pouvoir de l'AKP, le parti d'Erdogan. Mais un conflit a ensuite éclaté entre les deux hommes forts. En 2014, un scandale d'écoutes téléphoniques a mis en lumière des affaires de corruption au sein de l'AKP. Depuis 2014, 1800 personnes soupçonnées d'appartenir à la confrérie ont été arrêtées. D'autres voient dans cette tentative de putsch la main d'officiers kémalistes de l'armée, des soldats qui se réclament du nationalisme laïc lancé par le père fondateur de la République de Turquie, Atatürk. Mais aucun élément ne permet d'étayer ces propos. (...) Les putschistes se sont ainsi aliénés tous les partis politiques, (...) Cette tentative de coup d'État a ainsi débouché sur la publication d'un communiqué conjoint des partis politiques pour condamner l'opération. C'est du jamais vu en Turquie. Erdogan reste détesté par beaucoup de monde. Mais son slogan « La démocratie a été sauvée«, bien que totalement fallacieux, est parvenu à rassembler différentes composantes de la populatio »(2)

« Finalement, poursuit Babar Kimyongür cette opération militaire finalement, se résume à un coup d'épée dans l'eau. L'armée turque nous l'avons vu à l'œuvre avec le coup d'État de 1960 qui a conduit à la pendaison du Premier ministre islamo-libéral et pro-US, Adnan Menderes. C'est encore l'armée turque qui intervient dans le putsch de 1971 avec la pendaison de leaders de mouvements estudiantins marxistes. Enfin, la grande muette a frappé à nouveau avec le coup d'État de 1980. Là, tout le monde y est passé avec 650.000 personnes arrêtées et torturées, 49 pendaisons, 300 disparitions Erdogan a perdu de sa crédibilité sur la scène internationale. Mais il reste très populaire en Turquie. (...) le combat qui oppose Erdogan à Gülen nous offre les deux faces d'une même médaille. Sur le plan religieux, Gülen présente sans doute un islam plus discret et plus humble. Il vivrait d'ailleurs des allocations sociales dans un petit appartement aux Etats-Unis. Tandis qu'Erdogan est beaucoup plus bling-bling et affiche un islam clinquant pour conquérir les masses. Mais tous les deux ont des profils de dictateurs conservateurs. Ce sont des ultralibéraux sur le plan économique. Et ils entretiennent des liens étroits tant avec les Etats-Unis qu'Israël » (2)

En conséquence prévient Bahar Kimyongür :

« Nous allons assister à un retour en grâce d'Erdogan. En échappant au coup d'État, le président va pouvoir consolider sa mainmise sur la Turquie. (...) Il pourrait également y avoir des répercussions sur la scène internationale. Un revirement avait déjà été amorcé. Erdogan semble revenir à sa doctrine initiale, « zéro problème avec les voisins ». (...) Erdogan a donc commencé à se montrer plus raisonnable. La dimension économique a joué évidemment. (...) Le tourisme a pris une ampleur considérable ces dernières années et représente aujourd'hui 6 % du PIB turc. Le pays est devenu la sixième destination mondiale avec 36 millions de visiteurs par an. (...) Tout cela a conduit Erdogan à calmer le jeu. Il se montre plus conciliant avec Poutine et s'est excusé pour l'avion abattu. Il s'est également rapproché d'Israël. Il a émis l'hypothèse de nouer des liens avec Sissi en Égypte. Le dernier volet de cette volte-face diplomatique est venu du Premier ministre. Binali Yildirim envisage un début de normalisation avec le gouvernement syrien » (2)

« Il est certain lit-on dans la publication suivante, à 100% que le gouvernement va lancer une purge massive contre les adeptes de Gülen dans les divers organismes du gouvernement, les forces armées et la justice. Erdogan avait déjà cherché à faire extrader Gülen des États-Unis, Et là, il y a un os. Cet os c'est qu'il y a toujours eu un soupçon dans l'esprit des turcs que Gülen a travaillé pour les services de renseignement américains. (...) On peut tenir pour assuré que, dans le contexte du coup d'État avorté, le rôle de Gülen jettera une ombre sur les relations entre la Turquie et les États-Unis, qui ont déjà subi des revers en diverses occasions, (...) Curieusement, la tentative de coup d'État coïncide avec les tendances naissantes d'un changement dans la politique étrangère turque, en particulier, dans le sens d'un rapprochement avec la Russie et d'un éventuel démantèlement des politiques interventionnistes d'Ankara en Syrie. (...) Moscou fait remarquer que la normalisation avec la Turquie pourrait avoir des retombées positives sur la situation en Syrie. Ankara a également fait allusion à une volonté de rétablir les liens avec la Syrie. De manière significative, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Zarif a utilisé un langage exceptionnellement fort pour condamner la tentative de coup d'État Toutes choses étant prises en considération, un éventuel changement de la Turquie est bien sûr anticipé à Moscou et à Téhéran comme un événement géopolitique aux conséquences capitales pour le réalignement de la politique au Moyen-Orient et de l'équilibre global des forces ».(3)

Pour José Antonio Guttièrez :

« (...) La réalité est que la Turquie a connu plus de coups d'État il y a eu des putschs en 1960, 1971, 1980 et le soi-disant coup d'État "postmoderne" de 1997, lorsque le Conseil de sécurité nationale a poussé à la démission Necmettin Erbakan. L'islamisme politique gagne en force avec l'irruption des "Tigres d'Anatolie", ces entrepreneurs qui émergent avec la libéralisation économique à partir des années 1980, et qui viennent des villes de la Turquie profonde, avec une rigide mentalité conservatrice et religieuse. (...) La tentative de coup d'État, mal ficelée et ratée, a été décrite par le président turc Erdogan "comme un don de Dieu (...) Certains sont mêmes allés jusqu'à dire que le président turc avait finalement eu son "incendie du Reichstag", qu'il va utiliser comme un prétexte parfait pour continuer à imposer son projet autoritaire et réduire au silence les voix critiques dans le pays comme à l'étranger. (...) Erdogan se croit désormais invincible, mais c'est une victoire à la Pyrrhus : sa barque file droit au naufrage, et ce putsch de pieds nickelés n'était qu'un symptôme de cette crise ».(4)

La reddition d'Erdogan concernant la cause palestinienne pour quelques bulles de gaz

On parle beaucoup du revirement à 180 e de l'imprévisibilité de la tentation d'empire du Sultan Erdogan. La cause de la libération de la Palestine que l'on croyait sacrée pour l'AKP d'Erdogan a été abandonnée sans gloire. Erdogan qui n'arrêtait pas de proclamait que la Palestine et Jerusalem était la prunelle de ses yeux, s'est rendue à la réalpolitik :

« Ces derniers jours, écrit Richard Silverstein, les médias israéliens et internationaux ont annoncé à coup de grand titres ronflants que la Turquie et Israël s'apprêtaient à renouer leurs relations diplomatiques (.. ;) Depuis 2010, la Turquie pose trois conditions principales à la reprise des relations : la compensation financière des victimes, les excuses d'Israël, et la levée du siège israélien de Gaza. Comme indiqué dans la presse, deux de ces trois conditions vont être remplies. Israël va verser 20 millions de dollars aux familles des victimes. Il a déjà présenté des excuses. Mais Israël refuse catégoriquement de lever le siège ». (5)

« Alors qu'est-ce la Turquie a gagné exactement et qu'est-ce que Gaza a perdu ? Ce qui est très important pour la Turquie, c'est qu'Israël prévoit d'extraire d'énormes quantités de pétrole et de gaz au large de sa côte méditerranéenne. Un certain nombre de pays et de groupes militants s'opposent au projet israélien. Gaza et le Liban affirment que des parties de ces gisements sont sur leur territoire. (...) Qu'est-ce que la Turquie retire de l'accord ? Elle va couvrir une partie importante du coût probable du projet, environ 2 milliards de dollars, et elle percevra un pourcentage sur les dizaines de milliards de revenus du gaz et du pétrole qui passeront par le territoire turc. C'est facile de deviner ce qu'Erdogan a fait quand il a dû choisir entre la fidélité à Gaza et cette manne financière » (5).

La chasse aux sorcières

C'est donc la curée. Erdogan a les mains libres pour assainir la population, et peut-être que son régime présidentiel débouchera après 15 ans de règne sans partage de l'AKP sur la mise en place d'une dynastie Pour beuacoup d'observateurs le coup d'état était prémédité :

« Le petit führer d'Ankara est en train de nous refaire le coup de l'incendie du Reichstag en 1933 avec Fethullah Gülen dans le rôle de Lubbe. (...)Il n'y a en réalité peut-être pas de fumée sans feu et les gulenistes pourraient y être pour un petit quelque chose (...) Mais beaucoup de choses restent quand même curieuses... Pourquoi les putschistes ont-ils déclenché les opérations un vendredi soir alors que tout le monde est dans la rue (...) Pourquoi, chose très intéressante et passée inaperçue, n'ont-ils pas abattu l'avion d'Erdogan alors que deux F16 aux mains des rebelles en avaient  la possibilité directe ? Comme le dit une source militaire interrogée, "c'est un mystère". » (6)

« Qu'il ait appris le coup à l'avance et ait décidé d'en profiter ou qu'il l'ait orchestré lui-même, le sultan a lancé l'une des plus grandes  chasses aux sorcières de l'histoire turque. Militaires, juges ou simples intellectuels critiques : tout y passe. 8 700 policiers mis à pied, 30 gouverneurs et 50 hauts fonctionnaires limogés, 6 000 militaires et presque et 755 juges placés en détention, 103 généraux et amiraux en garde à vue et interrogés,  le propre conseiller militaire présidentiel arrêté... Une véritable Nuit des longs couteaux. A tel point que la pourtant munichoise UE pense (et le dit) que les listes de suspects  étaient déjà prêtes, préméditées ».(6)

« Une fois n'est pas coutume, les Etats-Unis sont plutôt du bon côté de la barrière morale et les Russes du mauvais. Poutine a condamné le coup et offert ses condoléances lors d'une  conversation téléphonique avec le sultan. Les Russes, au contraire des Américains, l'ont-ils prévenu de ce qui se tramait ? (...) En fait, pour le Kremlin, les enjeux dépassent la seule Turquie (peu de chance de voir ressurgir le Turk Stream en l'état actuel des choses, le sultan est trop imprévisible).(6)

« La vague d'arrestation dans l'armée, la police et la magistrature était préméditée, selon le commissaire européen Johannes Hahn. La répression bat son plein en Turquie après la tentative ratée de coup d'État. La vague de représailles qui a couvert l'armée, les forces de l'ordre et les administrations régionales en Turquie devient de plus en plus large. Huit mille policiers ont été mis à pied dans l'ensemble de la Turquie, dont Istanbul et la capitale Ankara, du fait de leurs liens présumés avec le putsch manqué de vendredi soir, a déclaré lundi à Reuters un haut responsable turc. 30 gouverneurs et 50 hauts fonctionnaires ont également été limogés. Près de 3.000 militaires et autant de juges et de procureurs ont d'ores et déjà été placés en détention provisoire dans la foulée du putsch avorté. De plus, 103 généraux et amiraux sont en garde à vue, selon les dernières informations de l'AFP, citant une agence progouvernementale. Près de 9.000 fonctionnaires du ministère de l'Intérieur turc ont été limogés après la tentative de coup d'Etat manquée, a rapporté lundi l'agence de presse progouvernementale Anadolu. Selon Ankara, la rébellion avortée a fait 290 morts, dont 190 civils et 100 putschistes, ainsi qu'au moins 1.400 blessés. Les autorités soupçonnent Fethullah Gülen, prêcheur islamique et opposant résidant à Saylorsburg (Pennsylvanie, États-Unis), d'avoir organisé la tentative de coup d'État, mais ce dernier dément son implication. À l'heure actuelle, dans l'ensemble, les forces de l'ordre ont réussi à maîtriser la rébellion, même si la tension persiste dans certains secteurs d'Istanbul et d'Ankara » (7).

Des images choquantes. Ce samedi 16 juillet, au lendemain du coup d'Etat raté en Turquie, des scènes de lynchages ont été rapportées par des médias et agences de presse, et relayées notamment sur les réseaux sociaux. Plus dramatique, des soldats ont été tués par des manifestants lors de lynchages. Près de 3000 soldats avaient par ailleurs été arrêtés ce samedi 16 juillet et 104 abattus, La chancelière Angela Merkel appelait la Turquie à respecter les règles de "l'Etat de droit" » (8).

L'appel hypocrite à la retenue

D'une façon tout à fait hypocrite, les européens et les américains appellent après l'échec regretté du coup d'état à la retenue.Quoi qu'il en soit, Erdogan peut goûter son triomphe et savourer les futures restrictions des libertés que, fort de son rétablissement et enivré par son succès, il ne manquera pas de mettre en œuvre. Le rétablissement de la peine de mort, est acté. Dans le Huffington post nous lisons la détermination d'Erdogan concernant sa décision de faire revoter la peine de mort :

« C'est la loi dans un Etat démocratique d'analyser et de débattre de toute question", a-t-il déclaré samedi 16 juillet devant des milliers de sympathisants à Istanbul. Et ce dont il est "question", c'est le rétablissement de la peine de mort, en réponse au coup d'État raté fomenté par des militaires turcs. Le président turc envisage en effet que la peine capitale, abolie dans le pays en 2002, puisse être rétablie, après un débat au Parlement. Et il n'est pas le seul, son premier ministre, Binali Yildirim, l'a également clairement évoquée. À l'endroit des putschistes, le chef du gouvernement turc a déclaré que "ces lâches se verront infliger la peine qu'ils méritent", expliquant que la peine de mort devait être reconsidérée pour ceux qui ont laissé "une tâche noire" sur la démocratie. Selon lui, ces modifications législatives permettraient de s'assurer que cela ne se reproduira plus. En réaction à ces annonces, certains pays occidentaux ont appelé la Turquie à ne pas verser dans la purge aveugle. Le ministre canadien des Affaires étrangères Stéphane Dion a enjoint samedi Ankara de régler "l'après coup d'État" selon les "principes fondamentaux de la démocratie", en évitant notamment "tout châtiment collectif", alors que des images de militaires lynchés par la foule circulent sur les réseaux sociaux. (...) Le coup d'Etat raté en Turquie n'est pas un "chèque en blanc" au président Erdogan pour faire des "purges", a estimé de son côté le chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault ».(9)

La sainte colère du sultan Téflon

C'est par ces mots de Pepe Escobar explique la mascarade d'un coup d'état qui, s'il avait pas eu lieu il l'aurait fallu l'inventer comme le conseille Machiavel dans son ouvrage :

« Le Prince » il écrivait notamment : Si tu veux montrer ton pouvoir à tout le monde et les neutraliser, montes un coup d'état conte toi-même et fais le échouer » Pépé Escobar écrit : Lorsque l'avion du président turc et aspirant sultan Recep Tayyip Erdogan a atterri à l'aéroport Atatürk à Istanbul au petit matin samedi, il a déclaré que la tentative de coup d'État contre son gouvernement était un échec et un « cadeau de Dieu ». Apparemment, Dieu utilise Face Time. Car c'est grâce à un appel vidéo emblématique au moyen d'un iPhone − à partir d'un lieu indéterminé retransmis en direct sur CNN par une présentatrice abasourdie − qu'Erdogan a pu dire à sa légion de partisans de descendre dans les rues, de montrer la force du pouvoir populaire et de défaire la faction armée qui avait occupé la télévision d'État et annoncé avoir pris les commandes. Les voies de Dieu sur mobile étant impénétrables, l'appel d'Erdogan a été entendu même par les jeunes Turcs qui ont protesté farouchement contre lui au parc Gezi, qui ont été réprimés par sa police à l'aide de gaz lacrymogène et de canons à eau et dont le parti au pouvoir (AKP ou Parti de la justice et du développement) les dégoûte. Tous étaient prêts à l'appuyer contre ce coup « d'État militaire fasciste ». Sans oublier que pratiquement toutes les mosquées du pays ont relayé l'appel d'Erdogan ». (10)

« Comme d'ex-agents de la CIA surexcités le débitaient sur les réseaux américains - et ils s'y connaissent en matière de changement de régime − la règle numéro un du coup d'État consiste à viser et à isoler la tête du serpent. Sauf que dans ce cas-là, le rusé serpent turc restait introuvable. Qui plus est, aucun grand général n'est venu expliquer de façon patriotiquement convaincante sur le réseau d'État TRT les raisons du coup d'État. Il y a de l'amour (pour Erdogan) dans l'air (...) Pendant ce temps, le Gulfstream 4 d'Erdogan, vol numéro TK8456, a décollé de l'aéroport de Bodrum à 1h43, puis a volé au-dessus du nord-ouest de la Turquie avec ses transpondeurs en fonction, sans être inquiété. (...) La tête du serpent devait être absolument certaine que monter à bord de son avion et rester dans l'espace aérien turc était aussi sûr que manger un baklava. Plus étonnant encore, le Gulfstream a pu atterrir à Istanbul en toute sécurité au petit matin samedi, malgré l'idée répandue voulant que l'aéroport fût occupé par les rebelles. (...) Ce qui signifiait qu'Erdogan contrôlait le ciel. La partie était alors terminée. Les voies de l'Histoire étant impénétrables, la zone d'exclusion aérienne au‑dessus d'Alep ou de la frontière syro-turque dont Erdogan rêvait tant a fini par se matérialiser au‑dessus de sa propre capitale ».

La position des USA poursuit Pepe Escobar a été extrêmement ambiguë dès le départ. Au moment du putsch, l'ambassade américaine en Turquie a parlé d'un « soulèvement turc ». Le secrétaire d'État John Kerry, qui était à Moscou pour parler de la Syrie, a aussi sécurisé ses paris. L'OTAN était totalement muette. Ce n'est qu'une fois qu'il était bien évident que le putsch avait foiré que le président Obama et ses alliés de l'OTAN ont officiellement déclaré leur « soutien au gouvernement démocratiquement élu. » Le sultan est revenu en force dans l'arène. Il est aussitôt apparu en direct sur CNN Turkpour demander à Washington de lui livrer Gülen, sans même posséder la moindre preuve qu'il ait fomenté le putsch. Il a ensuite fait peser cette menace » (10)

Pepe Escobar avance l'hypothèse d'une préméditation :

« Même si elle a de quoi étonner, l'hypothèse numéro un est la suivante : les services secrets d'Erdogan savaient qu'un coup d'État se préparait et le rusé sultan a laissé aller les choses, en sachant que le putsch serait un échec, car les conspirateurs avaient très peu d'appui. Il se peut aussi qu'il ait su - à l'avance - que même le Parti démocratique des peuples (HDP) pro-Kurde, dont il tente d'évincer les députés du Parlement, appuierait le gouvernement au nom de la démocratie. (...) La conséquence géopolitique immédiate de l'après-tentative de coup d'État, est qu'Erdogan semble avoir miraculeusement reconquis sa « profondeur stratégique », pour reprendre les mots de l'ancien premier ministre Davutoglu, qui a été mis de côté ». (10)

« Ce qui veut dire conclut l'auteur que le projet néo-ottoman tient toujours, mais qu'il est maintenant soumis à une réorientation tactique majeure. L'ennemi véritable, ce n'est pas la Russie et Israël (ni même Daesh, qui ne l'a jamais été en fait), mais bien les Kurdes syriens. (...) Il ne faut pas non plus sous-estimer le sultan dans sa sainte colère. Malgré toutes ses folies géopolitiques récentes, le rétablissement simultané de ses liens avec Israël et la Russie est on ne peut plus pragmatique. Erdogan sait qu'il a besoin de la Russie pour que la construction du gazoduc Turkish Stream et des centrales nucléaires se concrétise. Il a besoin aussi du gaz naturel israélien pour consolider le rôle de la Turquie comme carrefour énergétique clé entre l'Orient et l'Occident » (10)

« En apprenant que l'Iran a accordé son soutien à la « défense courageuse de la démocratie »par la Turquie, comme l'a tweeté le ministre des Affaires étrangères Zarif (un élément crucial), il est clair qu'Erdogan, en quelques semaines seulement, a complètement reconfiguré l'ensemble du tableau régional. Tout converge vers l'intégration eurasiatique et un profond intérêt pour les nouvelles Routes de la soie, au détriment de l'OTAN. (...) Puis qu'en est-il de l'Europe? Yildirim a déjà dit que la Turquie songe à rétablir la peine de mort, afin de l'imposer aux putschistes. Ce qui se traduit pour l'essentiel par bye byeUE. Bye bye » (10)

Même analyse lucide de Gérard Chaliand : « ce qui est certain, c'est que le putsch a été mal organisé. Mais, on ne peut ni exclure une manipulation d'Erdogan ni à un coup de l'Occident. Quelques soient les personnes à son origine, celui qui en sort gagnant, c'est Erdogan. Ce coup raté, va lui permettre d'arriver au pouvoir absolu. Il va mettre en œuvre le changement de la constitution qu'il désire tant. Comme il a voulu le faire en juin 2015 avec les élections. Erdogan veut renforcer les pouvoirs présidentiels. il va pouvoir lancer une répression implacable envers ces opposants dans l'armée et la justice. (...) Même si Barack Obama a publiquement soutenu Erdogan, après la tentative de putsch, les rapports entre les Etats-Unis et la Turquie sont loin d'être bons. Cela ne changera rien au conflit syrien. Les russes et les américains savent très bien que la Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar soutiennent les mouvements djihadistes. Qui, à par eux, veut voir les islamistes au pouvoir ? Il s'agit d'une situation ambiguë, avec des alliés ambigus, résultat d'une politique ambiguë ». (11)

Que peut on dire en définitive ?

C'est la curée ! près de 200.000 personnes vont subir la colère d'Erdogan principalement des universitaires des militaires des juges des administratifs pour beaucoup sensibles au discours de Fetih Gulen le prédicateur d'un Islam soufi Si on y ajoute le vote d'un Etat d'urence d'exception où toutes les rares libertés qui existaient seront supprimées, c'est la porte ouverte à l'arbitraire Bien entendu, la réaction brutale de Erdogan est difficilement soutenable, d'autant moins qu'il est en train de mener un véritable contre-coup d'état. Mais, au niveau des états dont la brutalité est bien connue (lynchage de Kadhafi, arrestation de Laurent Gbagbo, arrestation et exécution de Saddam Hussein, pour ne parler que d'évènements récents), il est clair qu'ils ne réagissent pas par sensiblerie, par souci de justice ou autres préoccupations humanistes. Leurs réactions et leurs déclarations sont dictées par des considérations purement politiques, et c'est ce qui pourrait nous permettre d'évaluer quel est leur véritable position vis-à-vis du coup d'état manqué de la Turquie, et s'ils y sont mêlés d'une manière ou d'une autre. Si l'on y rajoute le fait qu'il est inimaginable qu'une armée de l'OTAN puisse planifier et exécuter un coup d'état sans que les instances supérieures de l'organisation, ou au moins la CIA, en soient averties, on peut en conclure que l'opération a, au minimum, bénéficié du laissez-faire de l'OTAN/Etats-Unis. Le comportement des pays occidentaux avant et pendant le coup d'état, avec la quasi fermeture des ambassades comme si elles étaient en attente d'un évènement majeur, et certaines fuites dont celle de ce militaire américain rapportée par  Washington Post, qui annonce la fuite de Erdogan et sa demande d'asile en Allemagne, renforcent cette conclusion

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz
(1)Jacques-Marie Bourget  prochetmoyen-orient.ch
(2)  Grégoire Lalieu  investigaction.net 18 07 2016
(3)  lesakerfrancophone.fr
(4)  José Antonio Gutiérrez D.  tlaxcala-int.org
(5) Richard Silverstein  tlaxcala-int.org
(6)  chroniquesdugrandjeu.com
(7)  fr.sputniknews.com
(8) fr.sputniknews.com
(9) huffingtonpost.fr
(10)Pepe Escobar - Le 17 juillet 2016 -  lesakerfrancophone.fr
(11) humanite.fr

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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