Salman Rafi Sheikh سلمان رفیع شیخ
La Turquie réchauffe ses relations avec la Russie dans l'espoir que Moscou permettra d'éviter la création du Kurdistan si elle facilite l'écoulement du gaz russe. Elle a également manifesté sa volonté de travailler avec l'Iran pour stabiliser la région. La focalisation de la Turquie s'est considérablement déplacée, de la région à son propre bien-être économique. Cette nouvelle approche va certainement lui frayer un chemin vers le vaste bloc régional dirigé par la Russie sur le plan stratégique et la Chine sur le plan économique. Si cela se produit, ce sera une perte importante pour la politique moyen-orientale des USA, qui ont un besoin stratégique de la Turquie, en particulier pour le contrôle des flux de pétrole du Moyen-Orient et, maintenant, de son gaz naturel.
La déclaration par le président Recep Erdogan de l'état d'urgence en Turquie mercredi en pleine vague de répression contre des milliers de membres des forces de sécurité, du personnel de justice, de la fonction publique et des universités après un coup d'État militaire raté, en dit long sur la direction que prend la politique d'Ankara.
Alors qu'Erdogan rejette les craintes qu'il soit en train de devenir autoritaire et que la démocratie turque soit menacée, les événements qui se déroulent là-bas auront un impact significatif sur sa géopolitique et sa politique étrangère qui ont montré des signes de changement avant même la tentative de coup d'État.
La friction de la Turquie avec l'Occident et son rapprochement avec la Russie était un signe clair de ce changement et le fossé entre eux s'est élargi après la tentative de coup d'État.
Erdogan accuse les USA d'être à l'origine de la tentative de putsch, pour n'avoir pas extradé, malgré ses demandes répétées, le religieux musulman Fethullah Gülen, résidant en Pennsylvanie, qu'il accuse d'avoir orchestré le complot.
Pour l'Occident, la perte de la Turquie au profit de la Russie impliquerait un revers géopolitique majeur car elle ferait sauter le blocus occidental sur la route d'approvisionnement de l'Europe en gaz russe via l'Ukraine. Washington a fait obstruction à la construction d'un gazoduc russe vers la Grèce via la Turquie (le "Turkish Stream”).
Pour la Russie, cela est un développement significatif.
La Russie se rend compte qu'elle a besoin de la Turquie pour faciliter l'écoulement du gaz. SI la Turquie devait devenir sa "plaque tournante du sud", la Russie n'aurait plus besoin de l'Ukraine à cette fin.
En montrant sa volonté de devenir le "hub sud" de la Russie, la Turquie visa aussi à satisfaire ses propres besoins en gaz. La réconciliation entre elles convient par conséquent à leurs intérêts vitaux dans la région (Poutine a déjà ordonné de lever les sanctions contre la Turquie et d'ouvrir la voie à la restauration des liens économiques et culturels entre les deux pays).
Alors qu'on rapporte que les Kurdes, soutenus par les USA, sont près de de prendre Raqqa dans le nord de la Syrie, Erdogan espère obtenir l'aide de la Russie pour empêcher la création du Kurdistan.
Pour la Russie, ce ne serait pas un problème si sa présence dans la région devient plus forte par la mise à distance de la Turquie par rapport à l'Occident / OTAN.
Une fois ses craintes vis-à-vis du Kurdistan apaisées, la Turquie n'a pas besoin de soutenir l'État islamique ou tout autre réseau terroriste en Syrie ou en Irak.
La Turquie a déjà montré sa volonté de travailler avec l'Iran pour «stabiliser» la région et Téhéran a répondu positivement. Trois jours après la tentative de coup d'État en Turquie, le président iranien Hassan Rouhani a appelé Erdogan et discuté les perspectives de paix dans la région.
Rouhani a déclaré que Téhéran saluait le retour de la stabilité en Turquie, qui "contribuera à renforcer la paix et la stabilité dans toute la région. Nous ne doutons pas que certaines superpuissances, ainsi que les terroristes, ne veulent pas que la stabilité règne dans les pays musulmans. Nous devons, par conséquent, tous nous réunir pour combattre les terroristes pour le bien de la stabilité dans la région et dans le monde dans son ensemble".
Si la Turquie abandonne sa stratégie djihadiste d'inspiration wahhabite et s'engage positivement aux côtés des forces qui la combattent, Moscou et Téhéran trouveraient un regain d'intérêt au maintien de liens étroits avec Ankara.
Le changement radical dans la politique étrangère de la Turquie est lié au changement de focalisation d'Erdogan, de la région à son propre pays. Erdogan a mis du temps à reconnaître la nécessité d'être pragmatique dans sa politique étrangère. En outre, il était incapable de tourner le dos aux vieux rêves ottomans. Cela est en train de changer.
La nouvelle approche politique de la Turquie repose sur son bien-être économique qui a été la base du poids et de l'influence dont le pays a bénéficié au Moyen-Orient. Son économie a considérablement baissé au cours des dernières années et a plongé encore plus après son implication directe dans la guerre en Syrie et en Irak.
Mais le redressement économique espéré par Ankara ne peut avoir lieu sans paix dans la région, ce qui exige la coopération avec le dirigeant syrien Bachar Al Assad.
Sachant cela, Erdogan adopte un ton réconciliateur envers Assad. Ce changement a fait de "Assad l'ennemi" "Assad, le frère", a déclaré Idris Baluken, le leader du groupe parlementaire du Parti démocratique des peuples (HDP) de Turquie.
Baluken croit que des négociations secrètes sont en cours entre la Turquie et la Syrie et qu'une "lettre d'excuses" formelle a probablement été envoyé à la Syrie pour montrer le sérieux de la volonté turque d'amendement.
Cette nouvelle approche va certainement lui frayer un chemin vers le vaste bloc régional dirigé par la Russie sur le plan stratégique et la Chine sur le plan économique. Si cela se produisait - et c'est susceptible de se produire en raison de la nervosité entre la Turquie et les USA à propos de l'extradition de Gülen -, ce serait une perte importante pour la politique moyen-orientale des USA, qui ont un besoin stratégique de la Turquie, en particulier pour le contrôle des flux de pétrole du Moyen-Orient et, maintenant, de son gaz naturel.