18/12/2016 tlaxcala-int.org  6 min #122483

Fidel Castro est mort

Fidel est une planète

 Juan Fernando Romero Tobón

On ne peut pas oublier que Cuba a subi un acharnement brutal de l'Empire. Elle a eu à faire les frais de l'Amendement Platt* et des accords commerciaux de 1902 et 1934 qui le complétaient. Elle a été envahie périodiquement depuis son indépendance : en 1906-1909, en 1912, en 1917-1920 et en 1933-1934 et la présence US dans la plus grande des îles des Caraïbes, à Guantanamo, est, en plus d'être un site de la torture, un vestige de cet interventionnisme.

Cet interventionnisme dans le sous-continent faisait partie de la destinée manifeste des USA, donc

l'invasion, l'ingérence et le blocus sont un lieu commun tout au long du XXe siècle et dans la portion écoulée du XXIe siècle (1). À Cuba, cependant, le contrôle était plus étroit, de par la nature, sans doute, du processus de libération. Mais il n'a pas empêché la formation relativement précoce (1923) d'un mouvement socialiste étudiant dirigé par l'avocat et poète Ruben Martinez Villena (1899-1934) et d'un mouvement socialiste à partir de 1899. Après une instabilité politique suite au gouvernement de Gerardo Machado (1925 - 1933), une issue est trouvée avec le binôme formé par l'avocat Federico Laredo Brú et le militaire Fulgencio Batista. Le processus a été mené à son terme par une Assemblée nationale constituante élue par le vote populaire, qui a produit, sous la forme de la Constitution de la République de Cuba de 1940, l'une des réglementations les plus avancées pour son temps, les plus proches d'une pensée sociale progressiste (2).

L'Empire s'y est opposé et a imposé Batista par un coup d'État, qui a aboli la Constitution de 1940, poursuivant son ingérence. C'est Fidel Castro Ruz, qui a rompu avec ce destin tragique

Tant de choses ont été écrites depuis le jour de sa mort, ou même avant, une nouvelle que nous ne voulions pas entendre, mais ce qui est certain, c'est qu'il a laissé un grand vide dans le monde, mais est parti dans l'éternité. On a souligné son exploit de plus de 50 ans de lutte ou au contraire on l'a dénigré avec toute une série de calomnies et de contrevérités, probablement déjà toutes prêtes.

La vérité est qu'aucun ancien président n' a reçu d'hommage aussi grandiose des peuples des cinq continents. Nixon, Reagan, Clinton et Obama et tant d'autres personnages de l'empire ont quitté ou quitteront ce monde pour finir dans les poubelles de l'histoire, mais Fidel, comme il l'avait dit de manière prémonitoire, a été absous deux fois. Depuis son écrit qui a montré sa trempe, L'Histoire m'absoudra, où il a fait une défense claire du droit à la révolte contre l'injustice et la dictature de Batista, en passant par les deux Déclarations de La Havane (1960-1962), dans lesquels furent affirmés les principes de la projection et de la vocation latino-américaines de la révolution cubaine, le caractère socialiste et internationaliste du processus politique cubain, et son importance pour l'Amérique latine, qui sont restés au cœur de toute l'histoire de la révolution.

Il s'est engagé, comme aucun autre, sauf peut-être Hugo Chavez Frias, dans la solidarité avec les pays frères d'Amérique latine, d'Afrique et d' Asie, contre l'impérialisme, l'égoïsme et la spoliation, en apportant l'appui diversifié dont pouvait être capable un petit grand pays, au prix du blocus et des attaques permanentes de l'empire. Les missions médicales, les soins de santé, l'alphabétisation et l'éducation et même des projets révolutionnaires de libération dans lesquels un autre grand homme, Ernesto Che Guevara, s'est sacrifié. Cuba a été un refuge pour les persécutés par les dictatures et les marginalisés, un lieu cher au cœur pour tout le monde. 130 000 médecins formés, dont 1500 médecins étrangers par an, des missions dans 68 pays à travers le monde avec 30.000 médecins cubains. Ainsi que dans le pays même, avec les réalisations en matière de santé et d'éducation qui sont reconnues dans le monde entier: élimination de l'analphabétisme en un an, réduction de la mortalité infantile de 42% à 4% et élimination de la malnutrition infantile, 100% de scolarisés, avec une espérance de vie de 79 ans.

Cette détermination était si forte que Cuba a tenu le coup avec dignité lors de la chute du camp socialiste. Il a pris ses distances d'avec Gorbatchev et a clairement dénoncé l'objectif de la perestroïka fallacieuse, qui n'avait comme autre objectif que de mettre fin à l'Union soviétique, mais au-delà d'éliminer la vision de justice sociale de la terre. La période spéciale était la preuve irréfutable de la conviction que celle-ci existait et qu'on pouvait y arriver.

Le renouveau de la gauche latino-américaine à la fin des années 90 et début du XXIe siècle, a montré à quel point le socialisme avait toute sa validité, et à quel point étaient justes ces idées de justice sociale, à partir d'une vision intégrale et humaine, de solidarité et de dignité, et non comme annexe du capitalisme financier sur le modèle européen actuel. Face aux nouvelles attaques que cette gauche subit maintenant, la voie est la lutte et l'unité des peuples.

Et ainsi l'histoire a continué. Quoiqu'ils tentent, il est maintenant impossible de ne pas comprendre la dimension historique et l'héritage de Fidel. Le poète argentin Juan Gelman a dit dans un poème qu'il était un pays, il a désormais atteint les dimensions d'une planète. Durante les neuf jours de deuil national, on a rejoué le film de son histoire, et on continuera à le rejouer.

Notes

(1) L'un des derniers cas de renversement d'un président en exercice a été le Honduras (Juin 2009), avec le coup d'État contre Manuel Zelaya. Sa présence est avérée dans le cas du Brésil contre Dilma Roussef en 2016 et dans le siège permanent mené contre la République bolivarienne du Venezuela.

(2) Cf. Juan Fernando Romero Tobón, Constitucionalismo social en América Latina: Los casos de Argentina, Bolivia, Colombia, Cuba y Uruguay desde el lente de la revolución pasiva y la tragedia. Constitucionalismo científico II: Entre el Estado y el mercado. En Colombia ISBN: 978-958-35-0971-1 ed: Editorial Temis S.A, V., p. 09 -, 2013

NdT

Amendement Platt : disposition légale votée en 1901 par le Congrès US, qui disposait les conditions du retrait des troupes US présentes à Cuba depuis la guerre hispano-US de 1898. Inclus dans la constitution cubaine, cet amendement définissait les termes des relations US-cubaines et officialisa le droit d'ingérence des USA dans la République de Cuba. Il restera valide jusqu'au Traité des relations de 1934.

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