10/03/2017 ruptures-presse.fr  10min #126099

 La commémoration d'Odessa

En Ukraine, des violences sur lesquelles l'Ue ferme les yeux

Une conférence était organisée le 28 février, dans l'enceinte du Parlement européen à Bruxelles, par Tatiana Zdanoka, eurodéputée lettonne russophone, membre du groupe Verts/Alliance libre européenne. La conférence avait pour titre « Trois ans après les tragédies de Kiev et d'Odessa, où en sont les résultats des enquêtes ? ». Bruno Drweski, de l'équipe de Ruptures, y a participé.

En février 2014, sur la place Maïdan de Kiev, de nombreux manifestants et des policiers avaient été tués par des tireurs toujours non identifiés et qui, au regard des témoignages, semblent avoir été des agents provocateurs : issus de l'extrême droite nationaliste selon l'opinion la plus élaborée, du gouvernement Ianoukovitch selon les partisans de l'« euromaïdan ».

A Odessa, le 2 mai 2014, les militants des stands anti-Maïdan installés devant la maison des syndicats furent refoulés par des militants nationalistes dans le bâtiment qui fut ensuite incendié. Les victimes qui ont réussi à s'échapper furent souvent attaquées, blessées et tuées par des groupes armés.

La conférence a commencé par la projection de séquences du film Trois ans après le Maïdan : pourquoi l'enquête s'est enlisée ?, produit par des journalistes et metteurs en scène ukrainiens. Un documentaire, Les cœurs brûlés, fut également projeté en milieu de séance, consacré à l'une des jeunes victimes des violences d'Odessa.

A Odessa, le 2 mai 2014, les victimes qui ont réussi à s'échapper furent souvent attaquées, blessées et tuées par des groupes armés

Plusieurs intervenants se sont succédé au cours de la conférence.

Alexander Hug, observateur en chef de l'OSCE pour l'Ukraine, a confirmé que, partout en Ukraine, dans la période Maïdan et post-Maïdan, des violences entraînant de nombreuses victimes se sont produites, avec comme point culminant les tirs sur le Maïdan, puis l'incendie d'Odessa. L'enquête concernant le premier drame avance très lentement ; celle portant sur Odessa n'a toujours pas dépassé l'étape préparatoire. Beaucoup de preuves et de témoignages ont été détruits sans réaction de la part des institutions judiciaires.

Rouslan Kutsaba, journaliste d'Ukraine occidentale, au départ plutôt favorable aux manifestants, a voulu donner la parole aux différentes tendances en se concentrant sur les faits. Il a observé la stratégie de violence armée des partis Svoboda et Pravy Sektor. Ayant enquêté sur les dizaines de manifestants tués par les tireurs, il est arrivé à la conclusion que ceux-ci visaient à partir des chambres de l'hôtel « Ukraine » occupées par les deux formations d'extrême-droite.

C'est ce qu'un journaliste de la BBC avait également pu filmer, et qu'un ministre estonien allait de son côté confirmer, après avoir interrogé les médecins soignant les victimes. Pourtant, trois membres des Berkut, les forces de l'ordre, sont aujourd'hui condamnés pour avoir tiré sur les manifestants.

M. Kutsaba a depuis comparé cet événement avec d'autres situations qui se sont produites dans des situations d'émeutes ou de troubles - Yougoslavie, Libye, Syrie, Bahreïn... - et est arrivé à la conclusion que, dans tous ces cas, on a assisté à l'action de tireurs visant à la fois les forces de l'ordre et les manifestants afin d'exacerber les tensions.

Cette expérience a amené le journaliste à considérer que le pouvoir à Kiev était en partie responsable des tensions qui ont abouti à la guerre au Donbass. Il a ainsi lancé un appel sur son blog aux appelés du contingent à refuser la mobilisation. Rouslan Kutsaba a alors été arrêté et maintenu en prison pendant plus d'un an sous l'accusation de trahison. Il a été libéré lorsque l'enquête n'a pas abouti et qu'un mouvement de solidarité en sa faveur s'est exprimé.

Plus globalement, le journaliste affirme qu'il règne une situation de non-droit en Ukraine, ce qui ne provoque aucune réaction de la part de l'Union européenne.

Le journaliste affirme qu'il règne une situation de non-droit en Ukraine, ce qui ne provoque aucune réaction de la part de l'Union européenne.

Pour sa part, Vasil Tsouchko, ancien ministre de l'intérieur (2006-2007) puis chef du département de lutte anti-monopole (2010-2014), a noté qu'il y a eu une augmentation allant de 30% à 40% des actes de violence en Ukraine au cours de l'année 2016. Selon lui, plusieurs facteurs y contribuent : une situation économique qui empire ; l'augmentation du nombre de groupes armés possédant illégalement des armes ; l'augmentation de l'émigration qui laisse de nombreuses personnes âgées seules ; et la paralysie du système légal (désagrégation du système judiciaire et administratif, corruption, menaces visant les fonctionnaires...).

M. Tsouchko a proposé de créer un comité international indépendant qui aurait pour tâche d'enquêter sur les affaires et actes de violence politiques. Il a enfin rappelé que l'Ukraine possédait de nombreux réacteurs atomiques et qu'on devait être conscient qu'un effondrement de ce pays aurait des conséquences au niveau de toute l'Europe et du monde.

Jevhen Milev, frère d'un ingénieur d'Odessa assassiné le 2 mai 2014, a décrit la situation qui régnait sur la place Koulikovo ce jour-là, en produisant des indices probants contre les acteurs des violences et des crimes. Une partie des assassins contre qui on possède des éléments à charge (témoins, films...) ont fait depuis lors carrière dans le SBU (police d'Etat ukrainienne). Aucun des assaillants n'a été mis en accusation. En revanche, des victimes des violences ont été et sont toujours emprisonnées pour « trahison ». L'enquête a d'abord été close sans suite, avant de reprendre sous la pression de l'opinion.

Lors des sessions du tribunal en 2016 et depuis le début 2017, des groupes de personnes armées et masquées ont pénétré dans la salle du tribunal pour menacer les victimes et les familles de victimes, sans que cela n'entraîne aucune réaction de la part du parquet. Les enquêteurs comme les familles subissent en permanence des pressions et des menaces de la part de groupes d'extrême droite, en particulier d'anciens participants aux violences du 2 mai 2014.

Plusieurs témoins ou rescapés laissés en liberté ont été tués au cours des deux dernières années et aucune enquête n'a été engagée sur ces meurtres. Les médias ukrainiens mènent en revanche en permanence des campagnes visant les victimes, alors que les auteurs des violences sont encensés comme des patriotes luttant pour l'indépendance.

Dans tout le pays, on assiste à des meurtres de journalistes et de militants politiques.

Du reste, dans tout le pays, on assiste à des meurtres de journalistes et de militants politiques. Jevhen Milev ne croit plus dans la possibilité de faire respecter le droit en Ukraine. Mais des actions en justice ont été engagées contre les personnes critiquant les ultranationalistes ou la guerre au Donbass, ce qu'il résume sous la formule : « on peut tuer sans réaction, mais 'diffamer' les nationalistes est un crime ».

Andreï Karkichtchenko, l'avocat de dix victimes des violences d'Odessa, a confirmé que les groupes nationalistes qui sont arrivés à Odessa le 2 mai 2014 provenaient d'autres villes, souvent de clubs de supporters de foot liés à différents oligarques ou à des groupes nationalistes. Les autorités ont refusé d'engager des poursuites contre eux, même face à des preuves incontestables de leurs crimes.

Ainsi, Vsievolod Gontcharevski, un des assassins filmé au moment des violences lorsqu'il utilisait une batte de baseball pour achever des victimes brûlées qui avaient réussi à s'échapper du bâtiment en flamme, n'a toujours pas été mis en accusation, mais profite de sa liberté pour menacer publiquement les victimes et les familles de victimes.

Les enquêteurs ne sont pas parvenus jusqu'à aujourd'hui à trouver de preuve contre aucune des victimes. Pourtant, une trentaine d'entre elles et vingt autres personnes sont toujours en emprisonnées. L'une d'entre elles est morte en prison dans des circonstances étranges. D'autres, désespérées, ont fait des tentatives de suicide.

L'avocat rappelle qu'on n'a jamais réussi à trouver d'« agent russe » parmi les accusés malgré les campagnes médiatiques évoquant une manipulation russe de l'événement. Il y avait sur la place Koulikovo un seul citoyen russe, qui n'était qu'un simple témoin des événements. Arrêté et toujours emprisonné, il a bénéficié d'une décision du tribunal de le libérer... mais des pressions venant du bataillon Azov ont réussi à pousser les juges à finalement le maintenir en prison.

Le journaliste belge Michel Collon a pour sa part comparé les méthodes observées en Ukraine, au Venezuela, et lors des « printemps arabe » où l'on a trouvé des tireurs visant policiers et manifestants. L'intervenant a affirmé l'existence dans chaque cas de liens des provocateurs avec la CIA. Il a appelé à créer un réseau international d'échanges d'informations pour atteindre l'opinion publique et permettre le lancement de campagnes internationales d'éclairage et de solidarité.

Enfin, l'organisatrice de la rencontre, Tatiana Zdanoka, a estimé qu'en 1990, au plus fort des manifestations antisoviétiques à Riga et à Vilnius, il y avait également eu des tireurs qu'on n'a jamais pu identifier. Selon elle, la présence successive dans ces deux villes d'un citoyen américain, Gene Sharp, spécialiste des stratégies de « changement de régime », ne devait rien au hasard.

Pour ma part, j'ai insisté sur l'intérêt qu'il y aurait à ce que les militants, journalistes et députés ukrainiens engagés sur ces questions fournissent des dossiers élaborés présentant l'état de ces enquêtes en Ukraine. Ces documentations pourraient être adressées à des juristes et des associations de juristes en Europe.

Rappeler aux citoyens des pays membres de l'UE que leurs impôts servent à aider le régime de Kiev.

Il pourrait également être utile de rappeler aux citoyens des pays membres de l'UE que leurs impôts servent à aider le régime de Kiev.

Par ailleurs, il faut noter que les méthodes illégales utilisées en Ukraine pourraient bien se répandre vers l'Ouest, comme le montre l'arrestation et la prolongation depuis un an d'une enquête menée en secret en Pologne contre le chercheur et journaliste Mateusz Piskorski, qui a pris position contre la politique menée par Kiev.

Enfin, le rôle du sentiment populaire ne doit pas être négligé, ce qu'on a pu constater récemment avec le revirement du chef du parti au pouvoir en Pologne (le PiS), Jaroslaw Kaczynski : celui-ci avait activement milité sur la place Maïdan en 2014, et depuis, en faveur de la politique en cours à Kiev ; mais il a dû récemment déclarer que la voie de l'Ukraine vers l'UE resterait fermée tant qu'il y aurait héroïsation officielle de la figure de Stepan Bandera. Un infléchissement qui s'explique par la prise en compte de l'état d'esprit de son électorat de Pologne orientale.

Bruno Drweski

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