La base aérienne d'Al-Chaayrate, en Syrie, bombardée par les Etats-Unis. © Mikhail Voskresenskiy / Sputnik
Le monde occidental a appris le 4 avril 2017 que Bachar el-Assad était véritablement le bourreau de son peuple et un criminel de guerre hors catégorie puisqu'il venait d'utiliser l'arme chimique en violation manifeste du droit international et de l'engagement solennel qu'il avait pris au nom de la République arabe syrienne en 2013, après une première utilisation des gaz de combat qui paraît bien d'ailleurs avoir été le fait des insurgés.
Le Conseil de sécurité a immédiatement été convoqué par Washington, Londres et Paris pour condamner cette violation du droit de la guerre et pour envisager les mesures à prendre afin de punir les coupables, à commencer, bien sûr, par Bachar el-Assad. D'une seule voix, la presse occidentale a jeté l'opprobre sur le "tyran de Damas” dont la disparition ne manquerait pas de rétablir la paix et même la démocratie en Syrie.
Toutes les chaînes de radio et de télévision occidentales, sans compter les journaux dits de référence, photos à l'appui, ont fait état de la mort par suffocation de plus de 80 personnes, dont une trentaine d'enfants, ensuite du bombardement chimique par des avions syriens de Khan Cheikhoun, petite ville de la province rebelle d'Idleb, au nord d'Alep. Les autopsies, aussitôt opérées en Turquie voisine, n'ont pu que confirmer l'utilisation de gaz neurotoxiques du type Sarin.
La presse occidentale n'a accordé aucune attention au démenti de Bachar el-Assad, depuis longtemps tenu pour un criminel de guerre notamment par la diplomatie française et, à ma connaissance, elle n'a pas pris en considération ni même signalé la thèse défendue par la Russie au Conseil de sécurité, thèse selon laquelle c'est le bombardement par les avions de la République arabe syrienne d'un entrepôt de munitions des rebelles qui aurait provoqué le dégagement des neurotoxiques qui y étaient stockés.
Depuis l'avènement du roman policier et plus encore de ses transpositions télévisées en Occident, chacun devrait savoir que les pires crimes sont souvent savamment camouflés et que les premiers responsables apparents ne sont pas toujours les vrais coupables. Or depuis le droit romain, les juristes prennent au sérieux la devise Is fecit cui prodest (le criminel est celui à qui profite le crime). Mais en l'occurrence, foin de pareilles pertes de temps puisque le bombardement avait été opéré par des avions syriens et que seul le gouvernement de Damas en avait !
Tentons pourtant d'appliquer à ce cas d'espèce la vieille devise des jurisconsultes romains. Depuis la reconquête d'Alep à la fin de 2016, la situation militaire en Syrie avait tourné incontestablement à l'avantage du Gouvernement de Damas appuyé par la Russie, l'Iran et le Hezbollah libanais, au point que le Secrétaire d'Etat étatsunien Rex Tillerson déclara le 30 mars : "le sort d'Assad sera décidé par le peuple syrien”. Dans ces circonstances, le recours à l'une des armes de destruction massive ne pouvait que gravement desservir Bachar el-Assad.
Disons-le autrement : de l'emploi de l'arme chimique Assad n'aurait jamais pu espérer qu'un très médiocre avantage militaire local, mais en le lui faisant endosser ses adversaires pouvaient attendre un avantage politique international décisif. Dans cette dernière hypothèse, Bachar el-Assad ne serait pas le bourreau, mais la victime désignée à la vindicte mondiale.
Dès lors, si l'on cherche la vérité, comment écarter la thèse russe du bombardement d'un entrepôt rebelle comportant des gaz de combat ? D'ailleurs, compte tenu du comportement des services dits de renseignement des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France et autres Etats aux côtés des djihadistes et autres rebelles armés, et eu égard aux entreprises télécommandées de l'étranger tels les prétendus Casques blancs si vantés en Occident, comment exclure que ces gaz des combat aient été délibérément mis à la disposition des rebelles, même tout récemment, par un service voyou ou un Etat voyou pour déclencher une condamnation médiatique internationale de Bachar el-Assad et son éviction ?
Si on avait voulu provoquer l'hallali auquel nous assistons contre Bachar el-Assad et son "régime” pour reprendre la terminologie infâmante chère aux médias francophones, on ne pouvait mieux faire qu'en mettant en scène son évidente responsabilité d'un des crimes de guerre les plus odieux.
Par Ivo Rens | Genève, 6 avril 2017
Juriste et historien suisse, d'origine belge, professeur honoraire de l'Université de Genève, Ivo Rens est l'auteur d'ouvrages sur l'histoire des idées politiques aux XIXe et XXe siècles.
Source: worldpeacethreatened.com