Le vote blanc ou nul et l'abstention ont recueilli une large majorité des suffrages, de la consultation menée auprès des adhérents de La France insoumise. Reporterre a interrogé ses représentants pour comprendre ce choix.
36,12 % de voix pour un vote blanc ou nul, 34,83 % pour un bulletin Emmanuel Macron (En Marche !), 29,05 % en faveur d'une abstention - le bulletin Marine Le Pen (Front national) ne constituant pas une option. Tel sont les résultats, rendus publics mardi 2 mai à 17 h, de la consultation organisée par la France insoumise sur le choix des militants pour le second tour de l'élection présidentielle, dimanche 7 mai. 243.128 des 450.000 soutiens de Jean-Luc Mélenchon se sont exprimés à l'occasion de ce scrutin. Soit 3 % des 7 millions de personnes qui ont voté pour le candidat de La France insoumise au premier tour, dimanche 23 avril.
Les résultats de cette consultation sont un nouveau rebondissement dans le feuilleton consacré à la position de la France insoumise depuis l'issue du premier tour. Placé à la quatrième place avec 19,58 % des voix, M. Mélenchon avait déclaré dès le 23 avril qu'il n'avait pas de « mandat » pour décider à la place de ses électeurs et avait annoncé l'organisation d'une consultation à l'intention de ses militants. Pressé de toutes parts d'appeler à voter pour M. Macron, il avait précisé sa position #RDLS26 : APRÃS LE PREMIER TOUR DE LA PRÃSIDENTIELLE#RDLS26 : APRÃS LE PREMIER TOUR DE LA PRÃSIDENTIELLE : « Est-ce qu'il y a une seule personne d'entre vous qui doute du fait que je ne vote pas Front national (FN) ? Tout le monde le sait. (...) Après, ce que je vais voter, je ne vais pas le dire. » Dimanche 30 avril sur TF1, il avait mis en garde ses électeurs contre la « terrible erreur de mettre un bulletin de vote pour le Front national ». Il avait alors appelé Emmanuel Macron à « faire un geste » en retirant son projet de réformer le code du travail par ordonnances dès l'été 2017 - ce que le candidat d'En Marche ! avait refusé dès le lendemain, lors de son meeting à la Villette.
Interrogée par Reporterre, Charlotte Girard, co-responsable du programme de la France insoumise et candidate aux élections législatives en Essonne, observe qu'« un peu plus de la moitié des soutiens ont participé à la consultation, ce qui montre que le procédé a été admis. Les insoumis s'en sont emparé pour donner leurs avis ». Elle en tire un enseignement : « Aucune option ne se détache franchement parce qu'il y a débat sur la meilleure manière de dire qu'on ne veut pas du FN. Le choix proposé au second tour est quasi impossible. On ressent une sorte de désarroi. »
Libérer les paroles et les questionnements
Christiane Chombeau, responsable du groupe d'appui Colombes insoumise, partage ce sentiment. « Les insoumis sont tous chamboulés par le second tour, avec des options qui ne correspondent pas à ce pour quoi ils luttent », dit-elle. Pour elle, ce processus de consultation a néanmoins eu l'intérêt de libérer les paroles et les questionnements : « Notre groupe d'appui a organisé une réunion pour analyser les résultats et étudier les différentes options, sans jugement. Très peu de gens avaient des certitudes. Nous avons aussi abordé le vote pour Marine Le Pen et convenu qu'il était incompatible avec notre mouvement et son programme. » Samedi et dimanche, les insoumis ont arpenté les différents quartiers de Colombes (Hauts-de-Seine) à la rencontre des électeurs. Ces derniers se sont montrés ouverts à la discussion et compréhensifs quant à la position de M. Mélenchon sur le second tour, assure M me Chombeau : « Ce que nous leur expliquons, c'est que les partis ont donné leur mot d'ordre mais que la France insoumise n'est pas un parti traditionnel, souligne-t-elle. Nous avons également demandé aux personnes rencontrées si elles respectaient les consignes de vote : résultat, pas vraiment ! »
« Sarkozy et Hollande n'ont jamais tenu compte des voix qui s'étaient reportées sur eux ».
A la remarque que plus de 65 % des participants ne glisseront pas de bulletin M. Macron dans l'urne, M me Girard insiste de son côté : « Notre position n'est pas celle du ni-ni. Mais quinze années se sont écoulées depuis le front républicain de 2002. Certes, ce dernier avait permis d'éliminer Jean-Marie Le Pen. Mais le quinquennat de Jacques Chirac qui a suivi a été atroce. Ensuite, Nicolas Sarkozy et François Hollande n'ont cessé de déborder sur leur droite. Ils n'ont jamais tenu compte des voix qui s'étaient reportées sur eux, qui n'étaient pas des votes d'adhésion mais de vigilance. Cela a abouti au bout du compte à ce que le vote FN enfle, avec une part toujours plus importante de votes d'adhésion. S'il n'a pas atteint 28 % au premier tour, c'est grâce à nous qui l'avons combattu. »
Depuis 2002, « les tenants des politiques libérales ne peuvent plus accéder au pouvoir qu'en brandissant la menace du pire », poursuit-elle. « On se retrouve avec des gens qui forcent le vote et se retrouvent au pouvoir avec une majorité très faible. Ce qui conduit à des politiques qui nous mettent en danger : la loi travail imposée à coups de 49.3, les manifestations réprimées... » Un cercle vicieux au sein duquel l'élection de M. Macron serait « une victoire à la Pyrrhus, un sursis tragique, avec au bout du bout un FN encore enflé et des gens - et pas des nôtres - qui voudront mettre un coup de pied dans la fourmilière. Sans mettre le FN et En Marche ! dos à dos je suis pessimiste et inquiète : quel que soit le résultat, on va au-devant de grands dangers ».
Prochaine étape, les élections législatives
M me Chombeau souligne que le résultat de la consultation est une « photographie » et que tous les insoumis n'y ont pas participé ou « peuvent encore changer d'avis ». Et signale « la très grande colère face à la campagne menée contre Jean-Luc Mélenchon. Dire qu'une victoire de Marine Le Pen serait de sa faute, c'est nager en plein délire ». Elle soupçonne une manœuvre consistant à « taper sur Jean-Luc Mélenchon et les insoumis dans la perspective des élections législatives. Mais c'est l'inverse qui se produit : ces derniers jours, notre groupe d'appui a enregistré de nombreuses inscriptions ! ».
C'est également la perspective des législatives qui mobilise M me Girard. « J'avais très peur que les gens soient abattus et tristes après le premier tour, malgré une campagne magnifique. Mais non, ils ne se démobilisent pas, il n'y a jamais eu autant d'adhésions ! Les gens reprennent L'Avenir en commun [le programme de M. Mélenchon] et repartent en campagne, se réjouit-elle. Cet enthousiasme me frappe et me nourrit. Il y aura une vie politique active après ce second tour ! »
Source : Émilie Massemin pour Reporterre
Photo :
chapô : Le Parisien
MM. Sarkozy et Hollande : Europe 1.